L'interview d'actualité - Bruno Cautrès

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La France a enfin un Premier ministre. Après de nombreuses propositions et 50 jours, c’est finalement Michel Barnier qui fait son entrée à Matignon. Bruno Cautrès, chercheur et politologue au CEVIPOF (Sciences Po) est l’invité de Télématin, le vendredi 6 septembre 2024. Il revient sur la situation. « C’est non seulement inédit sur la longueur qu’il a fallu mais aussi sur la scénographie […] avec un sentiment qu’Emmanuel Macron était un peu perdu lui-même dans le jeu qu’il avait pourtant organisé », explique-t-il. Mais le nom de Michel Barnier paraît « assez décorrélé » du résultat des élections législatives, auxquelles presque 30 millions de Français ont voté, et des élections européennes qui ont vu une victoire écrasante du Rassemblement national.

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Transcript
00:00Bruno Cotteres, politologue et chercheur au sévice PEUF, va nous en parler.
00:04Bonjour Bruno, merci d'avoir accepté notre invitation.
00:07Bonjour Bruno, on est d'accord, il aura fallu plus de 50 jours pour nommer ce Premier Ministre.
00:11Est-ce que c'est inédit dans cette Vème République ?
00:13Oui, tout à fait, c'est non seulement inédit sur la longueur qu'il a fallu,
00:17mais c'est inédit sur la scénographie, tout ça, vous venez de rappeler effectivement
00:21tous ces noms, il y en a certains qu'on a même carrément oubliés,
00:24tellement la période a été longue, compliquée, avec un sentiment
00:28qu'Emmanuel Macron était un peu perdu lui-même dans le jeu qu'il avait pourtant organisé,
00:33c'est-à-dire la dissolution et ses conséquences, et donc un résultat effectivement hier
00:38tout à fait inattendu pour beaucoup d'électeurs sans doute.
00:41Alors, inattendu, vous l'avez dit, est-ce que vous trouvez que ce nom-là,
00:46même si j'ai une petite idée de la réponse en vous écoutant,
00:49est-ce que ce nom-là, vous le trouvez en cohérence avec le résultat des élections législatives
00:53auxquelles, on le rappelle, quasiment 30 millions de Français ont participé et ont voté ?
00:57Non, c'est assez décorrélé d'une certaine manière du résultat des élections législatives,
01:02mais aussi, n'oublions jamais, des élections européennes,
01:04parce que tout part au fond des élections européennes,
01:07de cette victoire écrasante du Rassemblement national aux élections européennes,
01:10des conséquences que ça a, la dissolution, Emmanuel Macron qui le soir-même annonce la dissolution,
01:16et puis le premier tour des élections législatives, le Rassemblement national confirme,
01:20le deuxième tour, c'est le Front républicain qui gagne,
01:22et puis ça finit par un Premier ministre directement issu des Républicains.
01:26Donc, on a une série un petit peu de paradoxes,
01:29les Républicains sortent de ces élections législatives,
01:31au fond, affaiblis, divisés, et bien, ils ont le poste à Matignon.
01:34Le Rassemblement national qui avait gagné les européennes et le premier tour des législatives,
01:38lui, n'a rien, mais il a joué un rôle d'acteur assez clé, assez stratégique dans la décision finale.
01:44La gauche, qui a le plus grand nombre de sièges de députés, le bloc de gauche,
01:48eh bien, n'a rien.
01:49La gauche qui a, au fond, pas voulu valider un Premier ministre de centre-gauche comme Bernard Cazeneuve...
01:55La gauche qui a été en fait têtue.
01:57Voilà, se retrouve avec un Premier ministre de droite.
01:59Donc, on a une série de paradoxes, peut-être aussi d'incohérences.
02:03Une question, justement, pour ces votants.
02:05Qu'est-ce qu'on dit ?
02:06Comment on explique à tous ces Français qui pensent que voter ne sert à rien ?
02:09Comment on leur dit que c'est faux ?
02:11Alors, d'abord, il y a une majorité de Français importantes qui continuent de penser
02:14que voter, quand même, c'est le meilleur moyen d'expression publique.
02:17Dans les enquêtes qu'on fait au CIVIPOF, à Sciences Po,
02:20on a à peu près 70% qui disent que voter, c'est quand même le moyen le plus important.
02:24Mais c'est vrai qu'il va falloir...
02:2730% ça reste important, quand même.
02:28Oui, voilà, mais il va falloir se remettre un petit peu de tout ça.
02:30C'est-à-dire, effectivement, il y a plein d'électorats qui sortent de la frustrée.
02:34Donc, il va falloir que Michel Barnier, eh bien,
02:37il mouille pas mal la chemise aussi sur la question démocratique.
02:40Il n'y a pas que le budget, il n'y a pas que l'Europe.
02:42Il va y avoir aussi beaucoup la question démocratique.
02:45Une question étant une de l'union ce matin.
02:48Est-ce que Michel Barnier est l'homme de la situation ?
02:51Alors, comme vous avez bien fait de venir, vous avez vu de la lumière, vous êtes assis là.
02:54Je vous la pose, est-ce que c'est l'homme de la situation ou pas, Michel Barnier ?
02:58On peut lui faire crédit.
03:00Il ne faut pas non plus tout de suite dire qu'il ne va pas y arriver.
03:02Il faut lui faire crédit parce que d'abord, Michel Barnier,
03:04c'est d'abord un CV qui est extrêmement impressionnant.
03:08C'est un parcours.
03:09Michel Barnier, il a commencé très jeune la politique.
03:11Je ne sais pas faire injure à son âge de rappeler qu'il a commencé la politique
03:14il y a un demi-siècle.
03:16Il a commencé à 20 ans et il a 73 ans.
03:18Il a un CV extrêmement prestigieux.
03:21Il a tout fait, il a tout eu, les responsabilités locales.
03:23Il a été sénateur, député, ministre, commissaire européen.
03:27Emmanuel Macron n'était pas né quand Michel Barnier a commencé la politique.
03:31Il a conduit les négociations du Brexit.
03:33Il était, jusqu'à hier, en charge des nouvelles relations
03:37entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.
03:39Mais Michel Barnier, c'est aussi, on va dire, une cohérence idéologique.
03:45Il a toujours été dans cette famille politique du centre droit.
03:47Lui, il se revendique de la droite gaulliste.
03:50Et puis aussi, c'est une image, c'est un style Barnier.
03:53De ce point de vue-là, c'est vrai qu'il incarne le sérieux, la rigueur.
03:57Il a toujours eu cette image de quelqu'un d'extrêmement sérieux.
04:00Et progressivement, il a construit une image d'homme d'État.
04:02Donc c'est vrai que, de ce point de vue-là, ça correspond à une situation
04:06qui est une situation de vie politique française
04:08qui donne le sentiment d'être un peu dans la confusion, dans l'impasse.
04:12Par contre, la dimension idéologique, il va falloir qu'on voie
04:16est-ce que c'est cette dimension d'homme d'État qui gère une situation compliquée ?
04:19Est-ce qu'au contraire, c'est le Michel Barnier qui vient des Républicains,
04:22il reçoit quand même les Républicains ?
04:24Son premier geste politique, c'est de recevoir les Républicains.
04:27Donc voilà, quelle est la dimension de Michel Barnier
04:30qui va d'abord s'affirmer ? On ne sait pas.
04:32– Et donc justement, est-ce qu'on peut dire que Michel Barnier
04:34est un Premier ministre d'opposition ?
04:36– Ça ne va pas être un Premier ministre vraiment d'opposition.
04:39Il faudra voir la composition du gouvernement.
04:41Je serais quand même étonné que dans le gouvernement,
04:43il n'y ait aucun membre des partis de l'ancienne majorité présidentielle.
04:46Il y aura sans doute des Horizons, il y aura peut-être des Macronistes.
04:49Et c'est ça qui va nous dire si c'est un gouvernement de, on va dire,
04:53de cohabitation douce, coexistence avec le chef de l'État,
04:58ou si c'est plus dans la continuité.
05:00– Je veux bien qu'on regarde une réaction, c'est celle d'Olivier Faure,
05:03le patron du PS, qui parle de déni démocratique.
05:06Un Premier ministre issu du parti qui est arrivé en quatrième position,
05:11nous entrons dans une crise de régime, dit-il.
05:14Est-ce qu'il a raison de dire cela ou pas ?
05:18Est-ce que vous pensez qu'une crise de régime est en train de s'ouvrir ?
05:21– Alors, crise de régime, ça voudrait dire que notre régime
05:25de la Ve République serait un peu en train de s'effondrer.
05:28On n'est sans doute pas encore là, mais c'est vrai qu'il y a
05:31une vraie crise démocratique dans le pays qui ne date pas,
05:33qui ne date pas de ces dernières semaines, évidemment.
05:36On a quand même été le seul pays européen à connaître quelque chose
05:39qui s'est appelé les Gilets jaunes.
05:40On a quand même eu une série, on va dire, de difficultés
05:45sur le plan démocratique.
05:46À un moment donné, on disait que les Français boudent les urnes.
05:49Donc, on voit que la question démocratique, c'est pour ça que je disais
05:52tout à l'heure que Michel Barnier, c'est un gros enjeu pour lui.
05:55Il va falloir aussi sortir par le haut au plan démocratique.
05:58Qu'est-ce que tout ceci nous dit des difficultés de nos institutions ?
06:02Certains pensent qu'il faut passer à la représentation proportionnelle
06:05à un tour, comme ça on n'aura plus de logique, au fond,
06:08de barrages républicains contre un parti politique,
06:11le Rassemblement national, qui pèse des millions de voix aussi.
06:16Donc, il y a cette question démocratique.
06:18Il va falloir qu'Emmanuel Macron, il va falloir que Michel Barnier
06:21explique au pays quelle est, au fond, la rationalité de cette décision,
06:26c'est-à-dire à quel projet politique ça correspond.
06:28Ça ne peut pas être simplement, c'était Michel Barnier
06:31parce qu'au fond, c'était celui qui avait le moins d'opposants
06:35pour sa nomination.
06:36Ça doit correspondre à quelque chose de politiquement motivant
06:40pour les Français et qui nous explique où est-ce qu'on va.
06:43Et alors, très rapidement, là, il y a le Premier ministre.
06:44Maintenant, la prochaine étape, c'est de nommer un gouvernement.
06:47Le Président a demandé un gouvernement de rassemblement.
06:50Pourquoi de rassemblement et avec qui ?
06:52Le chef d'État, depuis 10 juillet, c'était sa lettre aux Françaises
06:55et aux Français, appelle un gouvernement de rassemblement.
06:59Je crois que le 10 juillet, il dit qu'il demande au parti politique,
07:02au fond, d'un large rassemblement qui met l'intérêt national
07:05au-dessus de l'intérêt partisan.
07:07Donc, le chef d'État, lui, il est dans son couloir, il continue.
07:10Lui, il pense que cette coalition des centres,
07:12qui l'appelle de ses voeux depuis 7 ans, 8 ans, elle va enfin arriver.
07:16J'ai l'impression que ça va être très, très, très compliqué
07:18parce que rien ne nous dit, absolument rien ne nous dit
07:21que la gauche va avoir envie de rentrer dans le jeu.
07:24Eh bien, l'avenir nous le dira.
07:25Merci, Bruno Cotterest.

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