Le directeur d’Atlantico, Jean-Sébastien Ferjou, parle de l’absence de majorité au sein de notre pays : «Une majorité présidentielle, ça n’est pas une majorité parlementaire. Ça produit des effets différents».
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00:00Oui, parce qu'il faut bien comprendre comment fonctionne la Vème République.
00:04Désolé, mais il faut passer un peu par de la logique de droit constitutionnel.
00:09Il y a des régimes présidentiels, il y a des régimes parlementaires,
00:11et la Vème République est censée être un régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire,
00:15à quelque part au milieu.
00:16Un régime présidentiel, c'est quoi ?
00:17C'est comme aux États-Unis, vous avez un président qui est élu,
00:19et vous avez un congrès avec la Chambre des représentants et le Sénat,
00:22et les deux sont séparés.
00:24C'est-à-dire que le président des États-Unis ne peut pas dissoudre la Chambre des représentants,
00:29et il ne peut pas non plus, sauf procédure de destitution,
00:32être poussé dehors par l'absence de majorité.
00:34On a déjà vu des présidents américains, c'est même assez courant,
00:37qui se retrouvent avec un congrès et une majorité qui leur est opposée.
00:40Un régime parlementaire, c'est le Royaume-Uni ou c'est l'Allemagne, par exemple,
00:44où vous avez le chef de gouvernement, celui qui exerce véritablement le pouvoir,
00:48pas le président ni le monarque, celui qui vraiment est aux commandes au quotidien,
00:51qui est directement issu de la majorité parlementaire,
00:53alors qu'en France, ce n'est pas le cas.
00:55En France, on est au milieu.
00:56Alors, qu'est-ce qui se passait ?
00:57En 1958, on avait un président de la République qui n'était pas encore élu
01:01au suffrage universel direct par les Français.
01:03Mais déjà, le général de Gaulle et Michel Debré avaient souhaité quelque chose
01:06qui ne soit pas de l'ordre d'un régime parlementaire,
01:08parce qu'on sait l'hostilité, l'animosité ou le mépris que le général de Gaulle avait envers les partis,
01:13non pas envers les partis comme réalité institutionnelle
01:15dans une démocratie représentative ou des partis,
01:17mais comme réalité humaine de ce qu'ils étaient à l'époque.
01:20Et donc, il avait mis en place un collège électoral.
01:22Il y avait 80 000 grands électeurs qui élisaient le président de la République,
01:26alors que, par exemple, en Allemagne, le président est élu simplement,
01:30c'est le fruit du Bundestag et du Bundesrat.
01:35En 1962, on a fait une réforme validée par les Français dans un référendum
01:39pour élire le président au suffrage universel.
01:41Et là, il y a eu deux réalités qui en ont découlé,
01:44une réalité politique et une réalité institutionnelle.
01:46La réalité politique, c'est qu'il y a une majorité présidentielle qui est apparue,
01:49qui existe au jour de l'élection, parce qu'elle ne produit pas d'autre effet
01:52que l'élection du président de la République en soi.
01:55Et il y a ensuite les élections parlementaires qui étaient conçues
01:58comme la validation de l'élection présidentielle elle-même.
02:01Et le jeune égal de Gaulle avait pris un malin plaisir à le souligner lui-même,
02:05à établir la distinction.
02:06Il l'avait dit notamment dans une conférence de presse en 1966,
02:09en rappelant, regardez, moi, au premier tour de l'élection présidentielle de 1965,
02:13j'ai fait 45 % au premier tour.
02:15Jamais les partis qui me soutiennent dans les coalitions parlementaires
02:19qui le soutenaient n'ont atteint ce score-là, même de loin.
02:22Et donc, il faisait bien la distinction en disant,
02:24j'ai une relation directe avec les Français.
02:26Et puis après, il y a le gouvernement du quotidien
02:28qui, lui, est déterminé par, justement, cette majorité parlementaire.
02:31Alors, on a oublié tout ça.
02:32Parce que depuis le quinquennat, les deux se sont confondus.
02:35Puisque les deux élections ont lieu en même temps
02:37et que, finalement, l'élection législative, en général,
02:40n'est que la confirmation, quand elle suit la présidentielle,
02:43de l'élection présidentielle.
02:44D'ailleurs, pas forcément parce qu'il y a plus de majorité,
02:46mais parce que les électeurs qui savent qu'ils ont perdu,
02:49eux, acceptent, en quelque sorte, leur défaite.
02:52Là, maintenant, on est obligés de constater
02:54qu'on en revient, quand même, à cette réalité institutionnelle.
02:58Une majorité présidentielle,
02:59ça n'est pas une majorité parlementaire.
03:01Ça produit des effets différents.
03:03Mais une majorité parlementaire, par exemple,
03:05une majorité présidentielle, Jacques Chirac ou François Mitterrand,
03:08quand ils se sont retrouvés en cohabitation,
03:10ils continuaient à en avoir une.
03:11Le PS soutenait toujours François Mitterrand.
03:13Alors, bien sûr, Emmanuel Macron ne peut plus être réélu là.
03:15Mais on est au-delà de ça.
03:16Il n'y a pas véritablement de parti macroniste.
03:18Il n'a rien compris.
03:19Vous l'évoquiez tout à l'heure,
03:20Gabriel Attal n'a pas particulièrement souhaité
03:23continuer cet héritage-là.
03:25Eux, ils avaient des majorités...
03:26Enfin, ils continuaient à avoir des gens
03:28qui les soutenaient,
03:29qu'ils voulaient qu'ils puissent se représenter
03:31à le cas échéant
03:32ou que le parti qu'ils représentaient
03:34puisse continuer à exercer.
03:35Et donc, ça leur donnait une légitimité,
03:37y compris pour ce qu'on appelle
03:38le domaine réservé du président,
03:39parce que ça fait partie des discussions.
03:41Il semble que Bernard Cazeneuve ait trouvé
03:43qu'Emmanuel Macron était un peu exigeant,
03:45disant qu'il ne voulait pas seulement
03:46ce que le domaine réservé
03:48attribue au président de la République,
03:49à savoir les affaires étrangères,
03:50la défense, mais aussi l'intérieur et Bercy,
03:52et en plus ne pas toucher à la réforme des retraites.
03:54Autant dire qu'il garde la réalité du pouvoir
03:56parce qu'il veut bien laisser
03:57le ministère des Sports à quelqu'un d'autre.
04:00Alors, comment peux-tu expliquer
04:04qu'Emmanuel Macron se trouve donc là,
04:06dans une situation sans précédent ?
04:09Déjà, pour bien comprendre pourquoi les deux...
04:12Il a été élu,
04:13il a une légitimité juridique
04:14qui est incontestable.
04:16Effectivement, Emmanuel Macron
04:18a été élu par les Français en 2022
04:20pour un mandat de 5 ans.
04:22Maintenant, il a convoqué
04:23une élection législative anticipée
04:25et on voit bien que dans la logique
04:26des institutions,
04:27quand on relit les travaux
04:28de Michel Debré, justement,
04:29qui a écrit la Constitution,
04:31pour le général de Gaulle,
04:32le général de Gaulle aurait considéré
04:34qu'une élection que vous avez provoquée
04:36et que vous perdez,
04:38équivaut à une délégitimation
04:40et donc aurait démissionné.
04:41D'ailleurs, c'est aussi,
04:42vraisemblablement,
04:43l'interprétation qu'en ferait
04:44Édouard Philippe,
04:45parce que moi,
04:46en l'entendant hier,
04:47ça m'a rappelé...
04:48Je n'étais pas né,
04:49mais je sais que ça s'est passé.
04:51Ça aurait pu me rappeler.
04:52Voilà, j'ai pensé à vous, Marc.