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Transcription
00:00On ré-ouvre notre page politique française avec la suite des consultations politiques à l'Elysée.
00:04Emmanuel Macron cherche toujours le nom de son futur Premier Ministre quasiment deux mois après le second tour des législatives.
00:11Le chef de l'État reçoit depuis ce matin ses deux prédécesseurs, François Hollande, Nicolas Sarkozy,
00:15mais aussi Xavier Bertrand pour les Républicains et le socialiste Bernard Cazeneuve.
00:20Et c'est ce dernier qui tiendrait toujours la corde pour Matignon.
00:23On n'est évidemment pas à l'abri de surprises.
00:25Bonjour Damien Lecomte.
00:26Bonjour.
00:27Merci d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes docteur en sciences politiques à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
00:32Je l'ai dit, c'est Bernard Cazeneuve qui tient toujours la corde, qui tiendrait toujours la corde.
00:37C'est un nom qui, selon vous, pourrait permettre de sortir de l'impasse.
00:41On rappelle que Mathilde Panot a dit qu'elle censurerait pour Eléphi un gouvernement Cazeneuve.
00:45On est en droit raisonnable d'en douter ?
00:48Oui, je ne suis pas certain que Bernard Cazeneuve puisse être une solution dans ce sens que,
00:52clairement, si jamais Emmanuel Macron nomme effectivement Bernard Cazeneuve,
00:56ça veut dire que son objectif, c'est de briser l'unité du Nouveau Fonds Populaire.
00:59Il espère attirer à lui au moins les socialistes, peut-être éventuellement même les écologistes,
01:03en tout cas les franges les plus modérées et les plus pragmatiques du Nouveau Fonds Populaire.
01:07Mais j'ai quelques doutes sur la réussite de cette entreprise.
01:10D'abord parce que, jusqu'à présent, la majorité des socialistes, en tout cas la direction du PS avec Olivier Faure,
01:15semblent toujours loyales au Nouveau Fonds Populaire, à réaffirmer qu'ils ont été élus avec ce programme
01:19et pour défendre aujourd'hui désormais la candidature de Lucie Castex.
01:22Et quand bien même Bernard Cazeneuve arriverait à ramener à lui au moins une partie des socialistes,
01:29je ne suis pas sûr que ça suffise à faire une majorité.
01:31Parce que même avec la coalition présidentielle, il faudrait au moins que les Républicains,
01:34une partie de la droite ou des indépendants de droite, du groupe Liberté Indépendant,
01:38acceptent de ne pas le censurer pour que ça fasse un gouvernement viable.
01:41Donc, même avec Bernard Cazeneuve, le chemin reste très étroit pour avoir un gouvernement qui ne soit pas censuré.
01:46Alors, situation politique inédite nous a encore rappelé ce matin Gabriel Attal.
01:50Gabriel Attal, pardon, c'est l'intérêt du camp présidentiel de présenter cette situation comme inédite
01:55pour justifier le recours à une solution inédite également ?
01:59Sans doute, mais il est vrai que cette situation est de toute façon inédite.
02:01C'est vrai que jamais sous la Ve République, on n'avait eu une Assemblée nationale qui soit aussi fragmentée,
02:05avec aussi peu de majorités évidentes.
02:07Trois blocs en dessous des 200 sièges, en gros.
02:09Exactement, exactement.
02:10Même le bloc le plus important, le Nouveau Fonds Populaire, qui est une majorité relative,
02:13effectivement n'a qu'à peine un tiers de l'Assemblée nationale.
02:16Donc c'est vrai que c'est une situation inédite.
02:18Ce qui est inédit aussi, et là c'est ce qui commence à poser un vrai problème,
02:21c'est d'avoir un gouvernement démissionnaire aussi longtemps.
02:24C'est la première fois qu'on a un gouvernement démissionnaire aussi longtemps sur la Ve République.
02:26D'habitude, c'était l'affaire de quelques jours, dans des périodes de transition.
02:29Là, ça fait 48 ou 49, c'est ça ?
02:30Ça fait plus d'un mois et demi.
02:32Et on a quand même une période qui s'ouvre qui va être celle du budget,
02:35la préparation du budget.
02:37Et le problème, c'est que comme c'est la première fois qu'on a un gouvernement démissionnaire aussi longtemps,
02:40l'état du droit est très flou sur quels sont les pouvoirs réels de ce gouvernement.
02:44Alors on dit qu'il gère les affaires courantes, qu'il doit gérer les affaires techniques
02:47et éventuellement les urgences et pas les questions politiques.
02:50Le problème, c'est que d'abord la distinction entre ce qui est politique et technique
02:53est évidemment un sujet à caution.
02:54Et en plus, plus on attend et tout devient plus ou moins urgent,
02:57en particulier la préparation du budget.
02:59Donc avoir un gouvernement démissionnaire qui n'a plus de légitimité à l'Assemblée nationale,
03:04toujours en place au moment où il va falloir commencer à préparer le budget,
03:06ça commence à poser un vrai problème.
03:08L'héritage Bernard Cazeneuve, c'est quoi aujourd'hui ?
03:10On sait qu'il a longtemps été ministre de l'Intérieur de François Hollande,
03:13éphémère Premier ministre.
03:15Hier, Ségolène Royal a été dure avec lui en décrivant, je cite,
03:18« une pensée rigide ».
03:20Oui, l'image de Bernard Cazeneuve est compliquée parce que d'un côté,
03:22c'est vrai qu'il est respecté par certaines franges de la population et de la classe politique
03:26parce qu'il a cette image d'homme d'État.
03:28Le fait d'avoir exercé des fonctions régalières, ministre de l'Intérieur,
03:30Premier ministre, même si c'était pour un très bref temps
03:33et parce qu'il a cette allure très pondérée, très calme.
03:35Mais pour la gauche, pour le reste de la gauche,
03:38même s'il est respecté par une grande partie des socialistes,
03:40c'est aussi quelqu'un qui a été à l'auteur de lois assez répressives
03:45en tant que ministre de l'Intérieur,
03:45qui a aussi réprimé beaucoup de mouvements sociaux
03:48à l'époque du quinquennat de François Hollande
03:49et qui n'a jamais porté vraiment un discours particulièrement social ou écologiste,
03:53qui a simplement été solidaire des gouvernements de François Hollande,
03:56en particulier sous Manuel Valls,
03:57et qui a appliqué cette politique dont Emmanuel Macron
04:00a ensuite été dans la continuité dans une certaine mesure.
04:02Et donc, c'est pour ça qu'il est très clivant, en particulier à gauche,
04:04et qu'on imagine mal qu'il puisse rallier à lui
04:07une part importante du Nouveau Fonds Populaire.
04:09Donc, il aurait besoin, s'il devait avoir une majorité,
04:11de rallier aussi sur sa droite.
04:13Et là, ça paraît aussi difficile.
04:16Ce ne serait pas aussi l'échec du Nouveau Monde
04:18que voulait instaurer Emmanuel Macron ?
04:20Est-ce que mettre Bernard Cazeneuve à Matignon,
04:22c'est faire place à nouveau à l'Ancien Monde ?
04:25De certaine façon, oui.
04:26C'est vrai que ça voudrait dire qu'Emmanuel Macron
04:28devrait se tourner vers un ancien Premier ministre,
04:30vers quelqu'un de l'Ancien Monde,
04:32un notable et un homme d'État de l'Ancien Monde.
04:35Mais en même temps, ça veut dire qu'il essaye toujours de recréer
04:38un bloc central élargi.
04:39C'est-à-dire que, puisque sa propre coalition,
04:41désormais, n'a qu'environ 166 députés à l'Assemblée nationale,
04:45sa seule façon d'avoir une majorité qui soit autour de lui
04:48et qui ne remette pas trop en cause ses politiques,
04:50ce serait de l'élargir un peu sur sa gauche
04:52avec un maximum de socialistes, voire d'écologistes,
04:55et sur sa droite avec les Républicains
04:57et les indépendants de centre droit.
04:58Et c'est un peu ce qu'évoquent les deux personnalités
05:02qui sont reçues aujourd'hui en dehors des anciens présidents,
05:03Bernard Cazeneuve et Xavier Bertrand.
05:04On sent qu'il y a cette tentative d'élargir
05:06sur les côtés de sa coalition présidentielle,
05:09mais ça va apparaître particulièrement difficile
05:11de tenir ces deux bouts.
05:12Alors, justement, cette hypothèse à Xavier Bertrand,
05:14on en parle depuis plusieurs semaines maintenant.
05:16On rappelle qu'il est donc issu du camp Les Républicains,
05:19qui ont donc 45 sièges, si je ne dis pas de bêtises,
05:21à l'Assemblée nationale.
05:23Bernard Cazeneuve, lui, est le chef presque de lui-même.
05:25Il n'a qu'un seul député dans son camp.
05:27Oui, absolument. Bernard Cazeneuve a quitté le Parti socialiste en 2022
05:31lorsque celui-ci a fait alliance avec notamment la France insoumise
05:33au sein de la NUPES à l'époque.
05:35Donc, c'est aussi pour ça que Bernard Cazeneuve,
05:37sa capacité d'attractivité à l'égard de la gauche est assez limitée.
05:40Même s'il est sans doute respecté par une partie des troupes socialistes,
05:43sa capacité à élargir du côté de la gauche semble quand même assez limitée.
05:46Dans le cas de Xavier Bertrand, c'est compliqué aussi,
05:47parce que même s'il a réadhéré au Parti Les Républicains
05:51quand il s'est présenté à la primaire,
05:52il reste quand même une figure un peu électron libre au sein de ce parti.
05:55Et il n'est pas sûr qu'il parvienne lui aussi à rallier ce groupe
05:59qui lui aussi, pour l'instant, avec Laurent Wauquiez,
06:01est sur une position très ferme de refus de toute coalition.
06:04Même si un pacte législatif d'urgence a été proposé.
06:07Absolument, mais pour l'instant, Laurent Wauquiez et ses troupes
06:10restent assez fermés à l'idée de rejoindre Emmanuel Macron.
06:13Et ce qui est compliqué aussi, c'est que comme on imagine bien
06:15que le Nouveau Fonds Populaire ne pourrait jamais accepter
06:17un Premier ministre issu de la droite,
06:18puisqu'ils estiment que c'est eux qui ont la légitimité,
06:20ils sont arrivés en nombre de sièges à ces élections,
06:24un gouvernement dirigé par Xavier Bertrand ou par n'importe quel homme de droite
06:27aurait besoin de la tolérance, c'est-à-dire de la non-censure
06:30du Rassemblement National pour exister.
06:32Et là, ça deviendrait très compliqué.
06:33Alors déjà, de façon générale, ça poserait un problème
06:35parce que ça pourrait être perçu à juste titre
06:37comme une trahison du Front républicain.
06:39Mais dans le cas de Xavier Bertrand,
06:40comme il est un adversaire direct de Marine Le Pen
06:42et du Rassemblement National dans sa région des Hauts-de-France,
06:45on aurait du mal à imaginer qu'il puisse obtenir cette majorité
06:49d'abstention tolérante du Rassemblement National.
06:52Alors, on sait qu'Emmanuel Macron aime les surprises.
06:54Imaginons que la piste Bernard Cazeneuve, la piste Xavier Bertrand, soit écartée.
06:58On pourrait penser, on l'a un temps évoqué, à un profil plus technique.
07:03On se souvient de Mario Draghi en Italie.
07:05Cette solution, elle est possible pour la France en 2024 ?
07:08Alors, il est parfaitement possible qu'effectivement,
07:10les consultations d'aujourd'hui soient là pour donner le change,
07:12mais qu'en réalité, Emmanuel Macron explore déjà une autre piste.
07:15Alors, j'ai entendu ce matin certains de vos collègues évoquer le nom de Thierry Baudet,
07:18qui, je crois, est président du Conseil économique, social et environnemental.
07:21Donc, effectivement, la piste d'un gouvernement technique, dit technique,
07:26peut arriver.
07:27C'est vrai que dans un régime parlementaire
07:28où vous n'avez vraiment aucune majorité qui se dessine,
07:31c'est une hypothèse qui vient à un moment donné sur la table.
07:34Mais d'abord, comme je le disais tout à l'heure,
07:36la distinction entre ce qui est technique et politique est forcément ténue.
07:39C'est-à-dire qu'on voit certes dans les sondages que
07:41l'hypothèse d'un gouvernement technique séduit les Français,
07:43mais parce qu'aussi, chacun peut y mettre un peu ce qu'il veut.
07:45Et concrètement, qu'est-ce que ce gouvernement technique peut faire et ferait ?
07:49Ça aura forcément une dimension politique.
07:50Et puis, d'autre part, ça n'aurait vraiment, d'un point de vue démocratique,
07:54ça n'a de légitimité de se tourner vers une solution technique
07:57qu'une fois que les solutions politiques ont été épuisées.
08:00Et c'est pour ça que, comme l'ont dit un certain nombre de constitutionnalistes
08:02ou de journalistes, il aurait été plus légitime qu'Emmanuel Macron
08:06nomme quelqu'un, non pas n'importe qui, mais au moins,
08:09par exemple, la candidate de la coalition majoritaire,
08:12ne serait-ce que pour vérifier que son gouvernement ne tienne pas,
08:16pour au moins respecter les formes et donner la responsabilité à l'Assemblée nationale
08:21de discuter, de trouver une majorité, quitte à devoir refaire une nouvelle tentative.
08:25Il aurait évité ce procès en illégitimité, finalement.
08:27Exactement, ça aurait été respecter son rôle de garantir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics,
08:31parce qu'après tout, un gouvernement censuré, c'est parfaitement régulier au sens de conforme aux règles.
08:35Mais au moins, ça donnerait à l'Assemblée nationale la main pour discuter,
08:39plutôt que d'être dans cette attente de la décision du président avec un gouvernement démissionnaire.
08:43Alors justement, sur ce fonctionnement de l'État, on l'a appris il y a une heure à peine,
08:46le gouvernement a normalement, comme date butoir, le 1er octobre pour le budget.
08:50Il ne devrait pas la respecter, ce qui serait une première sous la cinquième.
08:53Il y a vraiment urgence à agir, là ?
08:55Oui, absolument urgence, parce que comme je vous le disais,
08:57l'état de la jurisprudence et du droit sur ce que peut faire un gouvernement démissionnaire est très flou.
09:01Donc ça veut dire que tous ces décrets sont susceptibles d'être contestés devant la justice administrative,
09:06donc le Conseil d'État.
09:07Et peut-il déposer des projets de loi ?
09:09Là, c'est la question à trancher par le Conseil constitutionnel.
09:12Du coup, c'est une vraie question.
09:13Est-ce qu'il peut se permettre de déposer un projet de loi de finances ?
09:16Et auquel cas, s'il ne le peut pas, ça veut dire qu'il faut utiliser les mesures d'urgence prévues par la Constitution,
09:21qui prévoient sans rentrer dans les détails techniques,
09:23quelques mesures d'urgence par ordonnance pour au moins que l'État continue à fonctionner s'il n'y a pas de budget.
09:27Notamment prélever les impôts ?
09:28Voilà, exactement.
09:28Mais donc ça pose un vrai problème si on a un gouvernement démissionnaire qui reste en place trop longtemps
09:32et un gouvernement de plein exercice qui serait nommé trop tard
09:35et qui aurait du mal, du coup, à préparer sereinement le budget.
09:37Merci Damien Lecomte d'avoir accepté l'invitation de France 24.

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