La série "Notre-Dame de Paris, le chantier du siècle" est un documentaire en plusieurs parties qui suit le chantier de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris après l'incendie d'avril 2019. Voici quelques points clés :
La série offre un accès sans précédent au chantier de restauration.
Elle suit le travail des experts, architectes, ouvriers et scientifiques impliqués dans ce projet colossal.
Le documentaire explore à la fois les défis techniques de la reconstruction et les découvertes historiques et archéologiques faites pendant les travaux.
L'objectif est de montrer comment les équipes tentent de percer les secrets de la construction originale de la cathédrale pour la restaurer fidèlement.
La série a été produite par ARTE France en collaboration avec d'autres partenaires comme le CNRS et l'INRAP.
La série offre un accès sans précédent au chantier de restauration.
Elle suit le travail des experts, architectes, ouvriers et scientifiques impliqués dans ce projet colossal.
Le documentaire explore à la fois les défis techniques de la reconstruction et les découvertes historiques et archéologiques faites pendant les travaux.
L'objectif est de montrer comment les équipes tentent de percer les secrets de la construction originale de la cathédrale pour la restaurer fidèlement.
La série a été produite par ARTE France en collaboration avec d'autres partenaires comme le CNRS et l'INRAP.
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ÉducationTranscription
00:30Le 15 avril 2019, le feu a ravagé la cathédrale la plus célèbre du monde.
00:42Sa toiture a disparu dans les flammes.
00:45Son immense flèche s'est effondrée, transperçant les voûtes de pierre.
00:49Le lendemain, Notre-Dame de Paris est devenue une ruine.
01:20Après sa mise en sécurité, la décision a été prise.
01:26Elle sera reconstruite à l'identique.
01:30Mais par où commencer ?
01:33Comment reconstruire aujourd'hui une cathédrale médiévale ?
01:36Où rebâtir ?
01:38Comment restaurer ?
01:40Avec quels matériaux ?
01:42Et selon quelles techniques ?
01:43Commence alors une aventure humaine étonnante, en plein cœur de Paris.
01:53Archéologues, historiens de l'art, géologues, spécialistes de la pierre, du verre, du bois et du métal.
02:03Mais aussi ingénieurs structure, spécialistes de l'acoustique et du numérique.
02:08Ils explorent pour la première fois les entrailles de la cathédrale,
02:13scannent ses voûtes, sondent ses fondations,
02:17et accèdent à des espaces restés cachés pendant plus de huit siècles.
02:23Au fil de leurs recherches, ils retrouvent les gestes et les techniques des bâtisseurs de Notre-Dame.
02:30Ils livrent les clés pour permettre sa reconstruction.
02:35Dans un vertigineux mouvement entre la matière et le sacré, le réel et le virtuel,
02:41scientifiques et architectes partagent une seule obsession.
02:46Redonner vie à Notre-Dame.
03:05Édifiée sur l'île de la Cité au XIIe siècle,
03:08Notre-Dame est au moment de sa construction la plus haute cathédrale au monde.
03:14Par ses dimensions, la finesse de ses maçonneries et la forme de ses arcs boutons,
03:20elle marque l'entrée de l'architecture gothique dans une nouvelle ère,
03:24et offre un gigantesque vaisseau de pierres,
03:27qui s'éloigne de l'île de la Cité au XIIe siècle.
03:31Je ne sais pas s'il y a une autre cathédrale en France où on a cette élégance.
03:35Les murs sont fins tout en haut, les fenêtres sont fines.
03:38Toujours plus de lumière, toujours moins de matière.
03:41On a l'impression qu'on a tiré sur la matière pour l'élever jusqu'aux limites presque de ses capacités,
03:49et en même temps, elle ne s'est pas déformée après.
03:51Les arcs boutons sont là.
03:52Les voûtes étaient là.
03:54La charpente était au-dessus.
03:56Huit siècles, ça n'a pas bougé.
03:59Ce véritable chef-d'œuvre d'harmonie et d'équilibre
04:02constitue l'essence même de l'architecture gothique.
04:07La cathédrale est le résultat d'un système
04:12qui permet de tenir ensemble des forces concrètes.
04:15C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'équilibre.
04:17C'est le résultat d'un système qui permet de tenir ensemble des forces contraires.
04:23Normalement, tout devrait s'effondrer en permanence,
04:26et c'est ça le prodige, évidemment.
04:28Il y a une harmonie à ce moment-là.
04:30Ce n'est pas si courant, c'est difficile à obtenir,
04:32et ça reste fragile, mais ça relève quand même d'une réalité réelle.
04:38C'est-à-dire que ça tient.
04:42Cet équilibre a été totalement bouleversé par l'incendie du 15 avril 2019.
04:47La flèche s'est effondrée sur les voûtes
04:50en les brisant au niveau du transept et de la nef.
04:55Quant à la toiture en plomb et la charpente, disparues dans les flammes,
04:59elles ont cessé de peser sur les murs,
05:02perturbant ainsi la stabilité de l'édifice.
05:09Pourtant, malgré ces immenses fractures,
05:13la cathédrale ne s'est pas effondrée dans les jours qui ont suivi la catastrophe.
05:17A la grande surprise des architectes.
05:21On a de la chance parce qu'il n'y a que les voûtes qui sont touchées.
05:24Les arcs boutons ont tenu, les murs ont tenu.
05:26Il n'y a pas de désordre structurel du tout après l'incendie.
05:31Quels sont les secrets de la résistance exceptionnelle de Notre-Dame ?
05:36Comment les bâtisseurs ont-ils conçu sa structure ?
05:39Et comment reconstruire l'édifice
05:42en lui garantissant la même stabilité qu'autrefois ?
05:45Ces questions sont devenues aujourd'hui essentielles
05:48pour les architectes en charge de la restauration de l'édifice.
05:52Impossible en effet de reconstruire la cathédrale
05:56sans résoudre l'équation des forces qui régissent sa structure.
06:01Quelques mois après l'incendie,
06:03les arcs boutons ont été stabilisés à l'aide de grands cintres en bois.
06:10Puis la voûte a été consolidée à son tour,
06:12étayée comme autant de sa construction,
06:15la cathédrale retrouve une allure de chantier médiéval.
06:23Commence alors une vaste investigation scientifique.
06:27Des dizaines d'experts du bois, du métal et de la pierre
06:32sont mobilisés pour ausculter l'édifice,
06:35sonder ses maçonneries, analyser ses matériaux
06:38et comprendre comment s'agence la voûte,
06:40les arcs boutons, les murs, les pierres et le mortier.
06:46Mais aussi la charpente,
06:48cette architecture en bois, aujourd'hui disparue,
06:51qu'il va falloir reconstruire entièrement.
06:55Parmi eux, le groupe de travail des mécaniciens des matériaux et des structures,
07:00piloté par Stéphane Morel,
07:02à pour mission de percer les mystères des forces
07:05qui s'exercent au sein de l'édifice.
07:06On est parti d'un principe de séparation
07:09de la voûte, entre guillemets,
07:12et de ses supports, de ce qui la supporte, de ce qui la maintient,
07:16c'est-à-dire ce qu'on va appeler les appuis,
07:18de manière à pouvoir expliquer à la maîtrise d'œuvre
07:21notamment comment fonctionne cet ensemble-là.
07:24La première question qui se pose aux architectes
07:27est où commence la poussée des voûtes ?
07:31Pour répondre à cette question,
07:33Stéphane Morel et son équipe se rendent à Notre-Dame,
07:36au plus près de ces voûtes médiévales,
07:39qui culminent à 32 mètres de haut.
07:46C'est l'observation de la façon dont ces voûtes médiévales
07:49se sont brisées suite aux sinistres
07:52qui permet à Stéphane Morel de formuler une nouvelle hypothèse
07:55sur ce qu'il appelle la limite structurelle des voûtes gothiques.
07:58Pour tous les ouvrages qui ont subi des voûtes effondrées,
08:00on se rend compte que les parties basses
08:03restent toujours en place, même en cas de sinistre.
08:06On a l'image de la voûte qui prend vraiment naissance
08:09au niveau des chapiteaux, mais ce n'est pas le cas.
08:12Mécaniquement, elle prend naissance beaucoup plus haut.
08:17Ainsi, dans la cathédrale de Reims,
08:20dont les voûtes ont été bombardées lors de la Première Guerre mondiale,
08:23les parties basses, appelées tas de charges,
08:26sont également restées en place.
08:28Comme si elles ne faisaient pas structurellement partie de la voûte.
08:36Les travaux du groupe Structure
08:39ont ainsi mis en évidence le système de report de charges ingénieux
08:42conçu par les bâtisseurs médiévaux.
08:48Une grande partie de ce qu'on pense être la voûte
08:51fait en réalité partie des murs.
08:54La voûte au sens structurel du terme
08:56s'en trouve ainsi diminuée.
09:02Ce découpage particulier nous a permis
09:05de mieux comprendre comment fonctionne
09:08cet ensemble voûte-appui,
09:11et notamment le rôle du tas de charges.
09:14Depuis l'intérieur de la cathédrale, on a l'impression que c'est la voûte,
09:17mais ça fait partie du mur, cette partie-là.
09:20Les voûtes ont l'air de partir de très bas,
09:23alors que c'est le mur à cet endroit-là.
09:26C'est la voûte.
09:33Les génies de cette ère,
09:36ils n'avaient pas des ingénieurs comme nous,
09:39ils n'avaient pas des logiciels, rien du tout.
09:42Le truc absolument fascinant, c'est que quand vous faites
09:45une descente de charge de la poussée des voûtes
09:48et l'emplacement des arcs boutants,
09:51ils sont placés exactement là où il faut.
09:54Grâce à ce système d'arcs boutants,
09:57alignés avec le tas de charges,
10:00les dégâts se sont concentrés uniquement sur la voûte.
10:07L'architecture a résisté
10:10parce qu'elle relève d'une construction
10:13très très intelligente,
10:16par modules, par sections,
10:19donc on a une certaine autonomie de chaque module.
10:21Si on relève un module, l'ensemble est en danger,
10:24mais pas complètement.
10:27Ces modules indépendants sont des tronçons
10:30regroupant les voûtes et les arcs boutants.
10:33Parfaitement équilibrés,
10:36ils se répètent.
10:39Ils forment la colonne vertébrale de l'édifice
10:42et garantissent sa stabilité.
10:45On a un système de ruissellement des forces
10:48qui est incroyablement logique et raisonné,
10:51qui fait qu'une force,
10:54elle est reçue, conduite un peu à côté
10:57et de pont en pont,
11:00d'articulation en articulation,
11:03on arrive à avoir des ligatures
11:06de l'ensemble du bâtiment.
11:09Ce principe de ruissellement des forces
11:11a permis aux architectes gothiques
11:14d'affiner les murs
11:17et d'y percer de grandes ouvertures
11:20destinées à laisser entrer la lumière.
11:23C'est la merveille d'une architecture
11:26qui maîtrise tous les liens de dépendance.
11:29Mais ça c'est assez médiéval,
11:32parce qu'au Moyen-Âge,
11:35on privilégie plutôt les liens de dépendance.
11:38Contrairement à notre mentalité d'aujourd'hui,
11:41on ne peut pas être tout seul.
11:44Une pierre toute seule est en danger.
11:47Ce qui fait la solidité, c'est la pierre en elle-même,
11:50mais surtout ces liens d'interdépendance
11:53avec d'autres pierres.
11:56Ces liens de dépendance entre les milliers de pierres
11:59qui composent Notre-Dame
12:02sont matérialisés par un élément bien concret,
12:05le mortier,
12:08un mélange utilisé par les maçons
12:11pour la qualité de l'édifice.
12:14C'est la question que se pose le chimiste Jean-Michel Mechling
12:17et ses équipes du groupe Pierre.
12:23Il y a quelques semaines, nous avons carotté
12:26dans les murs de la cathédrale
12:29pour récupérer des échantillons de mortier.
12:32Là, l'épaisseur du mortier.
12:35On essaie de sortir le plus d'informations possibles.
12:38Là, on va in situ
12:41avec un ondoscope
12:44pour regarder ce qu'il y a dans toute la longueur du trou de forage.
12:47Les premiers résultats qu'on obtient actuellement sur les mortiers
12:50montrent une grande régularité.
12:53Les gens savaient parfaitement faire des mortiers
12:56et les produire toujours de manière identique.
12:59C'est une certitude.
13:02Les échantillons de mortier,
13:05prélevés par le chercheur et son équipe,
13:08ont rejoint les laboratoires de l'université de Lorraine
13:11en les observant au microscope.
13:14Jean-Michel Mechling a mis en évidence
13:17des grains de quartz et des nodules de chaux.
13:20La quarantaine d'échantillons
13:23montre que ces mortiers sont faits à partir de chaux,
13:26ce qui est logique et normal pour l'époque.
13:29Elle a été mélangée avec du sable de la Seine,
13:32ce qui est aussi logique.
13:35On n'a pas cherché du sable très loin.
13:38Ces mélanges sont très constants,
13:41moins chauds au sable
13:44que dans la qualité du sable elle-même.
13:47À Notre-Dame, les murs de calcaire
13:50ont une épaisseur de 60 cm à peine.
13:53Une finesse qui s'est avérée, au regard de leur auteur,
13:56d'une incroyable solidité pendant huit siècles.
13:59Une structure dans laquelle le mortier a joué un rôle.
14:03Mais lequel précisément ?
14:07La fonction très exacte,
14:09c'est-à-dire sur le plan mécanique du mortier,
14:12n'est pas encore totalement définie.
14:15On a des idées, on en discute avec des gens
14:18qui sont spécialistes de calcul de structure.
14:23Lors de l'incendie,
14:26les joints de mortiers se sont fissurés par endroits,
14:29au niveau des voûtes médiévales.
14:32Ce phénomène intéresse tout particulièrement Stéphane Morel.
14:35Dans son laboratoire, à Bordeaux,
14:38il tente de reproduire expérimentalement
14:41les conditions de formation des fissures.
14:44Il exerce des pressions sur trois blocs calcaires,
14:47assemblés avec du mortier de la même composition
14:50que celui de Notre-Dame.
14:53Les blocs sont équipés de capteurs
14:56qui détectent le moindre mouvement.
14:59Sous l'action de la presse,
15:02des fissures finissent par se former.
15:05Les pierres sont intactes.
15:08On peut constater que la fissuration
15:11est venue chercher les interfaces,
15:14l'une ou l'autre,
15:17entre la pierre et le joint.
15:20L'expérience montre que le mortier,
15:23en se fissurant, a protégé l'intégrité
15:26de l'endroit où se trouvent les fissures.
15:29Lors de l'incendie,
15:32les joints de mortiers se sont fissurés
15:35avec des blocs de pierre.
15:38Un atout majeur des structures maçonnées
15:41par rapport aux constructions de l'Antiquité.
15:44Les premières structures du temps des Romains,
15:47il n'y avait pas du tout d'assemblage entre les blocs.
15:50Les blocs étaient ce qu'on appelle à joints secs,
15:53c'est-à-dire qu'ils étaient disposés les uns sur les autres.
15:56Le problème de ces structures,
15:59c'est que quand on vient les charger un peu fortement,
16:02les contacts ne sont jamais parfaits, plans.
16:05C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'équilibre entre les blocs.
16:08Les bâtisseurs médiévaux avaient compris
16:11qu'en l'absence de mortier, ce sont les blocs de pierre eux-mêmes
16:14qui subissent directement les contraintes
16:17et finissent par se briser avec le passage du temps.
16:20Lorsqu'on va assembler ces blocs en utilisant un joint de mortier,
16:23la partie la plus fragile de l'assemblage,
16:26c'est au niveau du joint,
16:29et c'est même plus particulièrement à l'interface
16:32entre le joint et le bloc de pierre.
16:35Il y a des matériaux qui sont très raides.
16:38Une pierre, ce n'est pas souple, un joint non plus.
16:41Mais le fait qu'on va pouvoir fissurer au niveau de ces interfaces-là,
16:44ça va permettre des petits déplacements locaux
16:47qui, lorsqu'on a fait la somme au niveau des différents plans de joint,
16:50vont permettre à la maçonnerie d'avoir des grands déplacements.
16:53Et donc, ça va conférer à la structure,
16:56à l'échelle macroscopique, une certaine souplesse.
16:59C'est sans doute une des explications
17:02de la durabilité de ces structures maçonnées
17:05et de l'autonomisme au cours de leur histoire
17:08et être toujours debout aujourd'hui.
17:11Les fissures qui sont apparues pendant l'incendie
17:14ne sont pas tant un signe de faiblesse
17:17qu'une manifestation de la résilience de l'édifice face au choc.
17:25Ainsi, Notre-Dame est une cathédrale relativement flexible
17:29dont les maçonneries bougent depuis huit siècles
17:32pour s'adapter aux intempéries,
17:35aux bruits de la Seine,
17:38aux mouvements de terrain et même aux vibrations du métro.
17:41C'est vivant, c'est dynamique au possible,
17:44c'est nerveux, ça bouge, ça se renvoie.
17:47Moi, quand je me balade là-dedans,
17:50je vois les poussées, les forces, les résultants de tout ça.
17:56C'est pour rendre à la cathédrale toute sa souplesse
17:59que les architectes utiliseront pour les joints
18:02non pas du ciment, mais du mortier,
18:05qu'il y a huit siècles.
18:08La qualité et la consistance des mortiers
18:11qui ont été utilisés, notamment par Viollet-le-Duc,
18:14à un moment donné, ils ont trouvé que le ciment, c'était bien,
18:17donc on a eu des joints au ciment qui ont été mis,
18:20et le ciment, c'est pire que tout,
18:23puisque le ciment, non seulement il a des selles,
18:26mais en plus, il est plus dur que la pierre.
18:29Pour l'ensemble de la restauration qu'on va faire,
18:32ce sera de l'achaud, du sable, point.
18:35Les joints de mortier ne peuvent garantir à eux seuls
18:38la stabilité d'un édifice d'une telle hauteur.
18:42Une découverte exceptionnelle
18:45au cœur des maçonneries de Notre-Dame relance l'enquête.
18:50Avec la disparition de la charpente et de la toiture,
18:53les scientifiques ont eu accès pour la première fois
18:56au parti supérieur de l'édifice.
19:01Maxime L'Héritier est archéologue,
19:03spécialiste de l'utilisation du métal
19:06dans les cathédrales gothiques.
19:10Au sommet des murs, à plus de 30 mètres de haut,
19:13il a mis au jour, avec son équipe,
19:16des agrafes dissimulées dans les maçonneries
19:19depuis plus de huit siècles.
19:22La charpente reposait sur ces agrafes,
19:25et donc ça a été une des découvertes
19:28qu'on a eue sur l'usage du métal à Notre-Dame
19:30grâce à l'incendie.
19:33Les deux principaux métaux qui vont être utilisés
19:36dans ces constructions, c'est le fer et le plomb.
19:39Les scientifiques ont recensé plusieurs centaines d'agrafes
19:42toutes en fer, qui relient les pierres entre elles,
19:45au sommet du cœur, de la nef et du transept.
19:53Ils décident d'en prélever quelques-unes
19:56dans les parties abîmées de l'édifice.
20:01Une des découvertes, ça a été la quantité
20:04d'agrafes, de différentes séries d'agrafes
20:07qui ont été mises en œuvre à toutes les étapes
20:10de la construction de la cathédrale gothique de Notre-Dame.
20:13On en a dans la nef, qui vont tenir
20:16tous les ensembles de colonnes qu'on a pu mettre en évidence
20:19grâce à un passage au détecteur de métal
20:22et à une observation fine de toutes les maçonneries
20:25qui sont permises aujourd'hui grâce aux échafaudages.
20:31C'est en arpentant méthodiquement les différents étages
20:34de la cathédrale que Maxime l'héritier et son équipe
20:37ont recensé d'autres agrafes au niveau des tribunes.
20:44Là encore, l'archéologue en a prélevé certaines
20:47pour les dater.
20:52Il a ainsi pu révéler leur usage ancien
20:55qui remonte à l'époque de la construction de la cathédrale.
21:00C'est une surprise d'avoir autant de métal
21:03dans une cathédrale de la seconde moitié du XIIe siècle.
21:06Même si certaines phases de construction,
21:09notamment quand on est tout en haut,
21:12arrivent au tout début du XIIIe siècle,
21:15ça a été une découverte.
21:18Jusqu'ici, on connaissait bien l'usage du métal
21:21dans des cathédrales du XIIIe,
21:24comme à Bourges, comme à Chartres.
21:27Mais l'ensemble des cathédrales du XIIe siècle
21:30laissaient montrer qu'on avait des usages du fer
21:33qui étaient assez limités,
21:36quelques goujons pour tenir des colonnes.
21:39Maxime l'héritier et ses collègues
21:42ont ainsi découvert un véritable squelette de métal
21:45mis en place au moment de sa construction.
21:51On peut aujourd'hui s'interroger
21:54sur la place de ce métal
21:57dans cette architecture si particulière de Notre-Dame
22:00parce qu'elle a des voûtes très très hautes,
22:03beaucoup plus hautes que ce qui a déjà été construit
22:06dans les édifices qui ont précédé Notre-Dame.
22:09On dit souvent plus haut, mais c'est plus haut, plus large et plus fin.
22:12Notre-Dame serait le premier chantier de cathédrales gothiques
22:15où l'on utilise massivement le fer.
22:23Cette découverte met en lumière
22:26la contribution méconnue des forgerons et des maréchaux
22:28de ce grand vaisseau de pierre.
22:33Travaillant à l'abri de la lumière
22:36pour mieux voir la couleur du métal chauffé,
22:39ils ont forgé une à une
22:42ces milliers d'agrafes que l'on retrouve aujourd'hui
22:45dissimulées dans les maçonneries.
22:51La vingtaine d'agrafes prélevées
22:54a rejoint le laboratoire archéomatériau et prévision de l'altération
22:56à Saclay.
22:59Elles vont être analysées par les chercheurs
23:02Maxime L'Héritier et Philippe Dillemann.
23:06Découpées en échantillons,
23:09elles sont ensuite longuement polies.
23:12Plusieurs heures sont nécessaires pour obtenir
23:15une surface aussi lisse que celle d'un miroir.
23:19A l'aide d'un microscope,
23:22les deux spécialistes vont enfin pouvoir observer leur structure.
23:27Celle-ci se révèle bien plus complexe que prévu.
23:34On voit vraiment trois bandes
23:37qui ont des caractéristiques différentes
23:40à la fois par leur teneur en carbone,
23:43donc on voit qu'ici on a des grosses inclusions,
23:46là on en a tout autant mais elles sont toutes petites,
23:49et ici on a du carbone.
23:52Ces bandes prouvent que l'agrafe a été forgée
23:54en soudant des barres de métal différentes.
23:58À ce moment-là, on se pose un certain nombre de questions.
24:01Est-ce qu'on a affaire à du matériau recyclé,
24:04une agrafe qui a été faite avec plein de bouts
24:07de lopins de fer, comme on dit,
24:10qui ont été de différentes provenances par un fourgeron
24:13qui a récupéré du métal à différents endroits ?
24:16D'habitude, ce qu'on a vu sur d'autres chantiers,
24:19c'est qu'on a 10, 20, 30% des fers
24:21qu'on a analysés qui peuvent être recyclés,
24:24donc qui sont faits avec des fers avec des soudures
24:27et avec des compositions différentes de part et d'autre des soudures.
24:30Là, à Notre-Dame, on en est à la 5, 6ème agrafe
24:35qu'on analyse en métallographie,
24:38elles ont toutes des soudures, 6 sur 6.
24:41Alors on analysera davantage,
24:44le corpus a vocation à s'étendre et donc à confirmer ça,
24:47mais là au stade où on en est, ça pose quand même pas mal de questions.
24:52Notre-Dame, on aurait 100% de fers recyclés,
24:56alors qu'on est probablement dans le chantier
24:59ou un des chantiers les plus riches du Royaume de France à cette époque.
25:02Donc quel est le symbole, quelle est la portée de ce recyclage
25:06si tant est qu'il s'agisse bien d'un acte de recyclage ?
25:11Ça pourrait être des contraintes
25:14qui amènent à un recyclage,
25:17un recyclage qui est un acte de recyclage.
25:19Ce sont des contraintes qui amènent
25:22à ce que le forgeron, au final,
25:25aille assembler plusieurs pièces de fer.
25:28Est-ce qu'il y a une contrainte dans le transport
25:31qui favoriserait des petits modules d'un kilo par exemple,
25:34un kilo 5, à la circulation ?
25:37D'où provient ce fer ?
25:40L'observation au microscope électronique
25:43de la composition des impuretés contenues dans les agrafes,
25:46ces inclusions de scories,
25:49leur donnent un indice majeur.
25:55L'échantillon, il fait quelques centimètres de carré de surface,
25:59mais il y a énormément d'inclusions à l'intérieur.
26:02C'est plusieurs dizaines de milliers
26:05ou peut-être centaines de milliers d'inclusions à l'intérieur.
26:08Et donc là, on a le spectre de composition.
26:11Donc là, on voit que c'est un fer.
26:14On a les raies d'aluminium, silicium, phosphore.
26:16On voit que c'est un fer avec un petit peu de phosphore dedans,
26:19pas trop de manganèse a priori.
26:22Il est donc possible de trouver dans les agrafes
26:25des traces d'éléments chimiques liées à la fabrication du fer
26:28qui les composent.
26:33Ces analyses en éléments traces,
26:36on va pouvoir les comparer
26:39aux analyses chimiques
26:42qu'on réalisera sur les déchets
26:44retrouvés sur des sites archéologiques,
26:47les scories.
26:50Donc on a le même matériau sur des sites archéologiques,
26:53et donc c'est en comparant la composition des scories
26:56des sites d'Île-de-France, par exemple,
26:59ou le long de la Seine, qui est une grande voie de circulation,
27:02ou de zones qui pourraient nous être indiquées par des textes,
27:05on pourra faire des rapprochements
27:08pour savoir si les fers de Notre-Dame
27:11sont susceptibles de venir de telle ou telle région d'Île-de-France
27:14ou de telle ou telle lointaine, le long de la Seine,
27:17ou pas.
27:20D'après ces premières analyses,
27:23ces agrafes auraient été fabriquées à partir de nombreuses sources
27:26de métal distinctes provenant d'Île-de-France
27:29et convergent vers Paris.
27:32Raison économique ou purement pratique ?
27:35Pour le moment, le mystère reste entier.
27:38Les raisons structurelles qui ont poussé les bâtisseurs
27:41à utiliser ces milliers d'agrafes
27:44pour différentes phases de construction de la cathédrale.
27:48On a cette maquette devant nous
27:51qui nous montre un édifice achevé.
27:54Tout au long de la construction, les bâtisseurs ont cherché
27:57à employer du métal pour stabiliser les structures.
28:00Ils ont choisi l'agrafe.
28:03Le rôle qui va être pensé pour l'agrafe
28:06va être d'empêcher certains déplacements
28:09pour contrebalancer certaines forces.
28:11C'est ce qu'on appelle une ceinture périphérique
28:14où on peut avoir craint que la charpente,
28:17les poussées latérales de la charpente,
28:20viennent faire glisser les derniers rangs de pierres
28:23qui ont été posées à plus de 30 m du sol.
28:32Ces agrafes ont permis de stabiliser les murs de l'édifice
28:35tout au long de leur construction,
28:38jusqu'à la dernière étape
28:41qui était définitivement
28:44la pose de la charpente.
28:49Sur ces structures-là,
28:52il faut avoir des charges verticales importantes
28:55pour que la maçonnerie fonctionne correctement.
28:58Les joints ont besoin de fonctionner
29:01avec des sous-charges verticales importantes
29:04pour mobiliser plus de frottements.
29:07L'absence de la charpente n'est pas favorable,
29:09car la structure en bois,
29:12constituée de plus de 1000 chaînes
29:15qui surmontaient l'ensemble de l'édifice,
29:18a aujourd'hui disparu.
29:21Sur le chantier,
29:24les cordistes s'apprêtent à en évacuer les derniers vestiges.
29:27Celle que l'on appelait la forêt,
29:30en référence aux arbres qui ont été nécessaires à sa construction,
29:33a laissé place à un amas de poutres calcinées.
29:36La charpente sera reconstruite en bois,
29:39et les poutres calcinées seront utilisées
29:42tout au long de l'édification de la cathédrale.
29:45Le bois est omniprésent à toutes les étapes du chantier.
29:48Il est très présent au moment de la construction,
29:51échafaudage, cintrage,
29:54et tous les appareils pour hisser les matériaux.
29:57Il est très présent une fois que le bâtiment est fini,
30:00parce qu'il faut faire une couverture
30:03et qu'il y a de nouveau une charpente
30:06qui est très sensible,
30:09parce qu'avec ce bâtiment,
30:12on a ce besoin encore aujourd'hui
30:15d'une charpente en bois.
30:18Beaucoup d'autres technologies qui auraient été peut-être
30:21plus faciles à utiliser,
30:24mais ce bois est devenu nécessaire
30:27pour que ce bâtiment conserve sa dimension humaine,
30:30cette peau humaine.
30:36Mais aujourd'hui,
30:39l'un des chefs-d'oeuvre du patrimoine a jamais perdu.
30:43Selon quel plan
30:46et avec quelle technique ?
30:49Heureusement, la charpente a fait l'objet
30:52d'un relevé architectural complet et précis,
30:55quelques années seulement avant l'incendie,
30:58par deux jeunes étudiants en architecture
31:01de l'école de Chaillot, Rémi Fromont et Cédric Tronceau.
31:04L'un d'eux est aujourd'hui devenu architecte en chef du chantier,
31:06en charge de la reconstruction de cette charpente
31:09qu'il connaît mieux que personne.
31:12J'ai beaucoup de mal à réaliser que notre relevé
31:15devienne un document de première importance.
31:18On a fait un relevé très objectif,
31:21c'est-à-dire qu'on a dessiné tout ce qu'on voyait
31:24et on n'a pas trié.
31:27Donc on a fait un relevé quasiment archéologique des charpentes.
31:30Il s'agit de dessins extrêmement complets,
31:33de chacun des assemblages qui composent la charpente.
31:36Grâce à ce relevé,
31:39celle-ci va pouvoir être restituée quasiment dans son état d'origine.
31:43Mais comme tout le reste de la cathédrale,
31:46la charpente a subi de nombreuses évolutions
31:49et restaurations au cours de ses huit siècles d'existence.
31:54Rémi Fromont a confié à l'archéologue Frédéric Epau,
31:57spécialiste des charpentes médiévales,
32:00la reconstitution de l'histoire de ce patrimoine disparu.
32:03L'originalité de cette étude,
32:06par rapport à toutes les autres études de charpentes
32:09que j'ai pu réaliser, c'est qu'il a fallu faire une étude
32:12d'une charpente post-mortem.
32:15C'est-à-dire qu'on partait quasiment de rien
32:18et sur quelque chose qui avait disparu.
32:21Donc il fallait reconstituer cette charpente pour pouvoir l'étudier.
32:24Dans un premier temps,
32:27on a pu récolter, heureusement,
32:30tous les relevés qui ont été faits en 2015
32:33par Rémi Fromont et Cédric Transo.
32:36Les marques d'assemblage, il y a énormément d'annotations.
32:39Donc c'est une mine, une mine d'or d'informations.
32:43On a fait un appel à tous les charpentiers
32:46et toutes les chercheurs susceptibles d'être intéressés par les charpentes
32:49qui avaient pu visiter cette charpente.
32:52Et grâce à cet appel, on a pu récolter plus de 900 photos.
32:56Premier objectif pour le chercheur ?
32:59Différencier les parties médiévales
33:02des grandes restaurations des 18e et 19e siècles.
33:05D'après ces photos, pour reconnaître
33:08en bois du 13e siècle et en bois du 18e siècle,
33:11les détails sont assez infimes.
33:14Parfois, c'est la qualité des caressages,
33:17c'est-à-dire la façon dont le bois a été façonné à la hache.
33:20Quand en bois a été scié, c'était assez facile
33:23parce que les bois du 13e siècle étaient tous taillés à la hache.
33:26Donc quand le bois a été scié, on savait que c'était des réparations assez récentes.
33:29Et après, c'est aussi la patine des bois.
33:31Le bois du 13e siècle ne vieillit pas de la même façon
33:34qu'en bois mis en place au 16e ou au 18e siècle.
33:38Toutes ces informations, complétées par les datations
33:41des poutres effectuées dans les années 80,
33:44ont permis une interprétation plus précise
33:47de la chronologie mouvementée de la charpente.
33:52Une première charpente est posée sur le cœur vers 1185.
33:56Puis une seconde charpente est posée sur la nef
33:58vers 1215, plus haute que celle du cœur.
34:01Enfin, vers 1225, la charpente du cœur est entièrement démontée.
34:05Les murs sont rehaussés de 2,60 m
34:08pour être au niveau de ceux de la nef.
34:11Puis la charpente est remontée.
34:14Cet énorme remaniement pour rehausser la toiture
34:17interroge l'archéologue.
34:22Donc c'est vraiment une révision complète du projet initial.
34:25L'ancienne corniche, c'est-à-dire la partie haute
34:28des maçonneries du 12e siècle, était à peu près à ce niveau-là.
34:31Et au 13e siècle, 30 ans plus tard,
34:34il dispose par-dessus une nouvelle corniche.
34:37Et derrière, vous voyez cette balustrade,
34:40on a encore une maçonnerie encore plus haute
34:43pour rehausser la toiture de près de 2 m,
34:46ce qui est quand même énorme.
34:55Pourquoi la charpente du cœur
34:58a-t-elle été entièrement refaite ?
35:01Pour le comprendre,
35:04il faut se rendre à la collégiale de Mente-la-Jolie.
35:13Et plus précisément, dans les combles,
35:16où réside l'une des dernières charpentes gothiques
35:19encore en place en France.
35:25La charpente de la collégiale de Mente
35:28est quasiment la petite sœur jumelle
35:31de la charpente de la nef de Notre-Dame de Paris,
35:34puisqu'elle a été construite 4 ans avant Notre-Dame.
35:43La charpente de la collégiale de Mente
35:46est presque identique,
35:49c'est-à-dire qu'on a à peu près les mêmes dimensions.
35:55Avec des portées de 11 m pour les deux charpentes,
35:58avec une hauteur qui est voisine
36:01à peu près autour de 9 m 69 m 80.
36:09Sur certaines poutres,
36:12Frédéric Épeau a repéré un détail important,
36:15qui souligne la parenté entre la charpente de Notre-Dame
36:18et celle de Mente.
36:21Donc là, on a les trois marques d'assemblage
36:24utilisant la gouge.
36:27C'est en ciseaux avec une lame enturvée.
36:30Et ce qui est intéressant, c'est qu'à Notre-Dame, sur la nef,
36:33donc 4 ans après la réalisation de cette charpente-là,
36:36on retrouve le même type de marque, avec le même type d'outil.
36:39Donc c'est quand même assez intriguant,
36:42et on peut imaginer, on peut peut-être même s'interroger,
36:45savoir si ce ne sont pas les mêmes charpentiers
36:48qui ont fait la charpente de Notre-Dame.
36:51Il existe pourtant une différence majeure
36:54entre les deux charpentes.
36:57Ici, à Mente, il y a eu un défaut de conception.
37:00Défaut que l'on ne va pas retrouver
37:03sur la charpente de Notre-Dame.
37:06Ce défaut va occasionner de nombreux dégâts,
37:09et entraîner des réparations encore visibles aujourd'hui.
37:14Le gros problème, c'est qu'on a ici
37:17énormément de poids qui descend sur ces poutres.
37:20Et ces poutres, elles n'ont pas supporté,
37:23puisque justement, elles n'étaient pas suffisamment épaisses,
37:26il n'y avait pas de dispositif en dessous pour reprendre ce poids.
37:29Puisqu'on a des voûtes qui sont à proximité de la charpente.
37:38C'est à cause de ces voûtes extrêmement bombées
37:41que la charpente n'a pas pu être renforcée par le bas.
37:51Ce sont ces mêmes voûtes bombées
37:54que l'on retrouve à Notre-Dame.
37:57Et les bâtisseurs se sont sans doute heurtés
38:00exactement au même problème.
38:03Lorsqu'ils ont construit la première charpente au niveau du coeur.
38:07Alors, la première version de la charpente du coeur de Notre-Dame,
38:10effectivement, on s'aperçoit que cette pièce transversale
38:13n'a pas pu être renforcée par le bas.
38:16C'est-à-dire qu'elle n'a pas été renforcée par le bas.
38:18Donc cette pièce transversale
38:21est censée être à base de ce grand triangle.
38:24Or, ce n'était pas possible à cause de la proéminence des voûtes.
38:27C'est pour ça que 30 ans plus tard,
38:30sur la nef puis ensuite sur le coeur,
38:33ils reviennent, ils en fait rehaussent les maçonneries
38:36de près de 2 mètres pour asseoir la charpente
38:39que vous avez ici en pointillé,
38:42beaucoup plus haut, au-dessus.
38:45En rehaussant sa charpente,
38:48il est ajouté une pièce essentielle.
38:51Une barre transversale située à la base du triangle
38:54et soutenue par le dessous avec des appuis,
38:57permettant ainsi de solidifier sa structure.
39:01Mais il s'exposait également à de nouveaux défis.
39:06Il faut bien savoir qu'exposer une charpente
39:09avec une pente forte à plus de 40 mètres de hauteur,
39:12exposer à des tempêtes, ce n'est pas du tout le même fonctionnement
39:15que des charpentes romaines qui sont avec des pentes très faibles
39:18et positionnées quand même beaucoup plus bas.
39:21Il y a toute une réflexion d'adaptation de la charpente à l'édifice.
39:26Il s'agit pour le charpentier
39:29de concevoir une structure à la fois résistante au vent
39:32et compatible avec des murs très fins.
39:35Pour cela, il a trouvé une solution ingénieuse.
39:38La particularité de la charpente de Notre-Dame
39:41est d'expérimenter la triangulation,
39:44qui est une technique novatrice au début du XIIIe siècle
39:46qui consiste à transformer cette pièce centrale
39:49en colonne vertébrale,
39:52c'est-à-dire qu'elle va travailler en traction.
39:55Cette pièce centrale est soutenue latéralement
39:58par deux autres poutres qui la maintiennent en suspension.
40:01Les forces exercées sur la poutre centrale
40:04sont alors conduites du bas vers le haut.
40:08Grâce à cette suspension,
40:11on va pouvoir faire converger sur ce poinçon énormément de charges,
40:13ce qui va faire que cette charpente va être parfaitement équilibrée.
40:18Pour aboutir à cette triangulation,
40:21le maître charpentier de Notre-Dame
40:24va tester différents assemblages au sein même de la charpente.
40:29Il y a plusieurs façons de réaliser cette triangulation
40:32dans cette charpente même.
40:35Ce n'est pas seulement à travers toute la charpente
40:38du début du XIIIe siècle en Ile-de-France
40:40qu'on va chercher le meilleur équilibre statique,
40:43mais c'est au sein même de cette charpente
40:46que le maître d'œuvre va tester plusieurs assemblages
40:49pour que cette triangulation puisse être le plus efficace possible.
40:55Ces tâtonnements et ces expérimentations des maîtres médiévaux
40:58vont être reproduits à l'identique
41:01dans la future charpente de Notre-Dame.
41:06Finalement, le reteau d'expérience montre que sur 850 ans,
41:08l'ensemble s'est très bien comporté.
41:11Donc la forme de base était excellente.
41:14C'est quand même très fort.
41:17Ils ont quand même, dès le début, eu une idée d'une forme initiale
41:20qui n'a pas bougé.
41:23Et finalement, cette forme-là reste et est efficiente.
41:26On va pouvoir le restituer
41:29dans l'institution qu'on va faire
41:32avec les nouvelles charpentes.
41:35Les architectes ont aussi décidé
41:38de construire une charpente comme à l'origine,
41:41en bois de chêne,
41:44un matériau solide et durable dans le temps.
41:47Reste à trouver les mille arbres nécessaires à sa construction.
41:5195 % des bois utilisés
41:54pour la charpente de Notre-Dame
41:57ce sont des bois de 25 à 30 cm maximum de diamètre.
42:00Ce sont des arbres avec des fûts
42:03qui sont relativement fins.
42:05Ce sont des bois qui sont très longilignes
42:08et aussi ce sont des bois jeunes.
42:11Au maximum, ils ont 80 ans.
42:14La moyenne, c'est entre 60 et 80 ans.
42:17Contrairement aux idées reçues,
42:20les bâtisseurs du Moyen-Âge
42:23n'ont pas utilisé dans leur charpente
42:26de larges chênes centenaires,
42:29mais au contraire, de jeunes spécimens,
42:32hauts, fins et élancés.
42:35L'idée de réutiliser des techniques et des savoir-faire,
42:38c'est aussi savoir réutiliser les matériaux.
42:41Cela nous questionne sur la qualité des bois
42:44qui ont été utilisés
42:47et savoir quel type d'arbre,
42:50quel type de sylviculture
42:53permet aussi de produire ces bois-là.
42:56C'est dans la forêt de Gabor, située dans le Tarn,
42:59que l'archéologue Frédéric Epau
43:02a retrouvé la trace d'une sylviculture
43:05capable de produire des chênes jeunes et fins,
43:08parfaitement adaptées au chantier de cathédrale.
43:11On fait une sorte de voyage dans le temps,
43:14parce qu'on a une forêt qui est assez exceptionnelle.
43:17Les taillis de chênes de 50-60 ans,
43:20à ma connaissance, j'en connaissais pas d'autres.
43:23C'est quelque chose d'assez unique.
43:26On voit ici ce que l'on pouvait voir
43:29dans une forêt au XIIIe siècle.
43:32Des chênes très élancées,
43:35regroupées en pieds de 3 à 5 individus.
43:38Comment expliquer cette répartition ?
43:44Ici, il y a 60 ans,
43:47on avait un gros chêne, gros diamètre,
43:50qui a été coupé à ras du sol.
43:53Et à partir de la souche qui est restée dans le sol,
43:56sont repartis trois rejets
43:58qui sont devenus ces trois arbres.
44:02Tous ces rejets de souches vont pousser ensemble,
44:05donc ils vont être mis en compétition.
44:08Il ne va pas y avoir de lumière latérale sur ces arbres.
44:11Et comme on a des peuplements qui sont très denses,
44:14ils vont être obligés de croître très vite en hauteur
44:17pour avoir de la lumière.
44:20Et du fait qu'il ne va pas y avoir de lumière
44:23qui va rentrer dans ce tailli,
44:25il va y avoir des branches latérales.
44:28Et ça va être très bien parce qu'en l'espace de 50-60 ans,
44:31on va avoir des arbres adultes de 10 mètres et 100 noeuds.
44:34Et ça, pour la construction, c'est l'idéal.
44:39Les bâtisseurs du Moyen-Âge
44:42savaient cultiver les arbres de façon à alimenter au mieux
44:45les grands chantiers de cathédrales.
44:48Avec ce type de silviculture,
44:51il fallait 3-4 hectares maximum
44:53pour visionner tout un chantier de cathédrales.
44:56Ça va à l'encontre de toutes ces idées reçues.
44:59Il fallait raser des forêts entières
45:02pour faire des charpentes de cathédrales.
45:05Il fallait des arbres extrêmement épais,
45:08très anciens, très vieux, pour faire ces charpentes.
45:11Il n'en est rien.
45:14La façon de faire de la silviculture au XIIIe siècle
45:17est intimement liée aux techniques de construction de cette période.
45:20À cette période-là, la plupart des charpentes
45:23étaient en bois écarri, taillé à l'âche.
45:28Ces arbres très fins étaient donc taillés à minima
45:31pour enlever l'écorce
45:34tout en préservant la forme naturelle du tronc.
45:43Le fait d'écarrir à minima
45:46en préservant le cœur du chêne au centre de la poutre
45:49et aussi en suivant le fil du bois,
45:51c'est-à-dire les courbures, les sinuosités du bois,
45:54on les conserve.
46:00Chaque poutre de la charpente de Notre-Dame
46:03correspondait donc à un arbre entier,
46:06respectant sa forme, parfois courbe.
46:12Et c'est sans doute en référence aux mille arbres
46:15qui la composaient qu'elle était appelée la forêt.
46:22On ne peut pas faire mieux en termes de résistance.
46:25Et c'est parfaitement adapté aussi aux charpentes des cathédrales gothiques.
46:28C'est-à-dire qu'on a des ouvrages comme à Notre-Dame
46:31qui sont exposés au vent ou aux ouragans à 40 mètres de hauteur
46:34et qu'il faut donc des bois qui soient flexibles,
46:37qui résistent et qui ne cassent pas.
46:40Et ça, les scanners sur Notre-Dame l'ont bien démontré,
46:43c'est que la charpente s'est déformée,
46:46c'est-à-dire que les fermes se sont pliées comme cela,
46:48de façon élastique.
46:51Mais elles ne sont pas rompues.
46:54Les bois ne sont pas rompus.
46:57Il n'y a aucun assemblage qui se soit défait.
47:00Et ça, c'est lié précisément à la façon de gérer ces forêts
47:03et à la façon aussi de les tailler.
47:07Donc on a vraiment une adéquation qui est parfaite
47:10entre la mécanique des charpentes destinée à traverser les siècles,
47:13une façon de comprendre la forêt,
47:15et aussi avec un savoir-faire technique
47:18parfaitement adapté à ces bois.
47:21Donc on a vraiment une osmose complète
47:24entre la nature, les techniques et l'ouvrage.
47:32L'enquête de Frédéric Epaux
47:35a permis de révéler la parfaite maîtrise
47:38dont ont fait preuve les bâtisseurs médiévaux
47:41pour réaliser cette superstructure en bois.
47:43Un patrimoine exceptionnel
47:46qui sera donc reconstruit au plus près du projet d'origine.
47:52Nous, on ne restaure pas à l'identique.
47:55Le terme exact, c'est qu'on fait une reconstitution ou une restitution.
47:58C'est-à-dire qu'on va reconstituer les charpentes
48:01dans un état qu'on pense être un état cohérent.
48:04Donc on va restituer les charpentes
48:07telles qu'elles étaient
48:10à leur sortie de chantier, on va dire, du XIIIe siècle.
48:13Et on va restituer les éléments
48:16qui sont liés à des réparations.
48:19La charpente est un élément architectural majeur
48:22qui participe elle aussi à la souplesse générale
48:25de la cathédrale.
48:28Donc ces édifices-là, en fait, c'est un équilibre.
48:31Je ne dirais pas qu'il est instable, mais qu'il est toujours
48:34en train de se tenir comme ça.
48:37Et donc il faut qu'au-dessus aussi, il y ait une certaine souplesse.
48:40Comme les charpentes sont posées uniquement sur les maçonneries,
48:43les maçonneries bougent, les charpentes bougent d'une autre manière
48:46parce que c'est un autre matériau.
48:49Donc tout ça a sa propre vie.
48:52Un fabuleux équilibre des forces
48:55que les bâtisseurs ont mis au point
48:58en repoussant toujours plus loin les limites de la matière.
49:01On a poussé très très loin les tensions.
49:04Par l'élévation, par la hauteur,
49:07par la longueur,
49:10on a exagéré tout ce qui était possible.
49:13Jusqu'au point de rupture.
49:16Jusqu'au point où si on va plus loin, ça ne tiendra pas.
49:19Donc il y a ce moment extraordinaire
49:22quand on crée une œuvre d'art
49:25qui est de dire, voilà, on s'arrête là, et là ça tient.
49:29Je n'irai pas plus loin que ça
49:32parce que cette proposition, c'est le résultat de la science,
49:35c'est le résultat de la pensée, mais il ne faut peut-être pas tenter le diable.
49:38Donc l'harmonie, pour moi, ce n'est pas une vision utopique, idéale.
49:40C'est une expérience très concrète
49:43de forces contraires
49:46qui sont en équilibre les unes par rapport aux autres.
49:53Notre-Dame de Paris
49:56est un chef-d'œuvre de structure et de proportion.
49:59La quête des bâtisseurs
50:02pour toujours plus d'espace, de hauteur,
50:05pour y faire régner la lumière.
50:08Et on oublie un peu parfois
50:11que l'architecture ne se résume pas
50:14à sa quantité de matériaux,
50:17qui est nécessaire, bien sûr, pour que le bâtiment puisse tenir,
50:20mais l'art est d'utiliser les matériaux
50:23pour produire de l'immatérialité
50:26et pour produire ce vide
50:29qui va être le lieu du rassemblement,
50:32le lieu de l'accueil et le lieu de la lumière.
50:34En perdant sa lumière et son acoustique lors de l'incendie,
50:37Notre-Dame a perdu sa dimension immatérielle.
50:40La chute stupéfiante de sa flèche
50:43a engendré une émotion
50:46et une sidération qui se sont propagées dans le monde entier.
50:49Comment redonner leur lumière
50:52à ces vitraux recouverts d'une épaisse poussière de plomb ?
50:55Et comment leur donner leur lumière
50:58à ces vitraux recouverts d'une épaisse poussière de plomb ?
51:01Et comment leur donner leur lumière
51:04rendre son acoustique
51:07à un édifice en partie effondré
51:10et restituer son statut d'icône
51:13à la plus célèbre des cathédrales ?
51:16En somme,
51:19comment rendre son âme à Notre-Dame ?