• il y a 3 mois
Des hommes et des femmes qui appartenaient à la classe moyenne inférieure ont basculé dans la pauvreté. Enquête sur le "précariat", cette nouvelle classe sociale composée d’actifs vivant dans l'insécurité financière.

En Europe, un tiers des actifs qui travaillent se trouvent en situation de précarité professionnelle. Malgré un emploi, et parfois même plusieurs, les fins de mois se font difficiles et se loger, s'alimenter, se chauffer deviennent des questions délicates. Ces travailleurs forment une nouvelle classe sociale baptisée "précariat" par les économistes, un néologisme né de la contraction de "précarité" et de "prolétariat". La hausse des prix de l'alimentation et de l'énergie a considérablement augmenté l'insécurité économique de larges pans de la société, qui appartenaient jusqu'à présent à la classe moyenne. Alors que le tiers supérieur s'est enrichi malgré la crise, le décrochage de la partie basse s'est accentué. Occupant les emplois les plus précaires, les femmes apparaissent nettement plus touchées que les hommes.

Angoisse et perplexité

En France, en Allemagne, mais également en Suède, autrefois considérée comme un paradis social, ce documentaire donne la parole à celles et ceux qui peuvent s'avérer concernés par le précariat. Certains participent à des actions de protestation, d'autres ne croient plus en l'État - ni en la démocratie - et comptent sur les systèmes de solidarité plus que sur les aides publiques. Tous partagent les mêmes angoisses et la même perplexité face à leur situation.

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Transcription
00:00:00Une vague de contestations déferle sur l'Europe.
00:00:09Les populations sont en colère contre la hausse des prix de l'alimentation et de l'énergie.
00:00:15Les négationnistes du Covid s'emparent eux aussi du sujet,
00:00:19suivis en cela par les partis populistes de gauche et de droite.
00:00:22Ces courants ont beau être très différents,
00:00:28ils partagent la même colère envers la classe politique
00:00:31et la même méfiance face au gouvernement et aux institutions.
00:00:35La contestation est attisée par une insécurité économique
00:00:38qui n'a cessé de croître au cours des dernières décennies.
00:00:42Elle touche de larges pans de la société qui appartenait jusqu'à présent à la classe moyenne.
00:00:48De plus en plus de contrats de travail sont à durée déterminée,
00:00:51les revenus sont fluctuants, souvent un seul travail ne suffit plus,
00:00:55les conditions de vie se précarisent.
00:00:58Si l'on ne s'attaque pas d'urgence aux insécurités qui touchent le précariat et à ses aspirations,
00:01:04nous assisterons à l'émergence d'un monstre politique.
00:01:14La classe ouvrière traditionnelle avait une conscience de classe,
00:01:17et ces catégories n'ont pas de conscience de classe, mais il y a un collectif.
00:01:21Les gens se sont rassemblés sur les ronds-points,
00:01:25presque intuitivement ils avaient compris qu'ils pouvaient échanger ensemble.
00:01:30Ces dernières années, les Européens ont été confrontés à de nombreuses difficultés.
00:01:36Une pandémie qui a entraîné de graves problèmes de santé et de longues périodes de confinement,
00:01:41et deux guerres, en Syrie et en Ukraine, qui ont provoqué l'afflux de millions de réfugiés.
00:01:47Lors de la crise financière de 2008, des milliards avaient été injectés dans le sauvetage des banques.
00:01:53Les aides sociales, en revanche, ont été réduites.
00:01:57Il y a eu de multiples crises financières, et la Covid est déjà la sixième pandémie du 21e siècle.
00:02:11Tout cela met en évidence la nature foncièrement instable et inégale d'un système
00:02:17qui précipite des millions de personnes au bord d'un endettement insoutenable.
00:02:26Les inégalités se sont creusées, elles sont aussi devenues plus visibles socialement.
00:02:32Aujourd'hui, nous sommes face à un nouveau défi, avec l'augmentation des prix du gaz et des produits alimentaires,
00:02:38et ça va essentiellement toucher les classes moyennes inférieures.
00:02:43Alors que le tiers supérieur de la société s'est enrichi malgré la crise,
00:02:47le décrochage du bas de la classe moyenne est de plus en plus marqué.
00:02:51Beaucoup se sentent impuissants.
00:02:54On nous laisse tomber.
00:02:56Comment un pays aussi riche que le nôtre peut-il compter autant de retraités pauvres ?
00:03:02C'est affreux.
00:03:05D'autres tentent de résister.
00:03:08Pour changer les choses, ils misent sur la solidarité.
00:03:12Avant, au moins, on savait qu'on était exploités.
00:03:15Le système tenait par la répression.
00:03:17Aujourd'hui, en revanche, plus besoin de répression, car les gens ont l'illusion d'être leur propre patron.
00:03:25Je pense qu'on est nombreux à avoir plus ou moins les mêmes problèmes,
00:03:28et qu'on devrait réagir collectivement.
00:03:32J'ai dû parfois faire attention à ne pas devenir dépressif.
00:03:35Il ne faut pas se laisser faire sans réagir.
00:03:38Nous avons rencontré plusieurs personnes qui ont du mal à joindre les deux bouts
00:03:42alors qu'elles ont un emploi.
00:03:44Nous les avons vues avant la pandémie, puis très récemment,
00:03:48alors que l'inflation suscite de nouvelles craintes.
00:04:02Parmi elles, Patricia Le Sage, rencontrée une première fois il y a trois ans.
00:04:07À cette époque, elle partait travailler à 4h du matin
00:04:10pour faire le ménage dans une crèche avant l'arrivée des enfants.
00:04:16Elle est alors âgée de 56 ans, et elle est payée 9,90 euros brut de l'heure,
00:04:21sans complément de revenus.
00:04:24À la fin du mois, elle touche environ 1100 euros,
00:04:28quand tout va bien.
00:04:31On est peut-être des femmes de l'ombre, mais on voit quand on est passées.
00:04:35Voilà, c'est tout bête.
00:04:38Mais j'aime bien avoir le bordel, plein de choses à remanger,
00:04:44puis quand on part, on se retourne.
00:04:47Mais on aimerait bien aussi t'entendre, t'être reconnue, quoi.
00:04:53Mais cette entreprise, elle, n'est pas la seule.
00:04:57Mais cet emploi n'est que temporaire.
00:04:59Il lui a été proposé par une agence d'intérim.
00:05:02Ce n'est pas le seul travail de Patricia,
00:05:05mais c'est celui qui lui rapporte le plus.
00:05:09C'est ça, l'inconvénient.
00:05:10C'est quand on se donne à fond, on aime bien notre travail,
00:05:13puis du jour au lendemain, boum, ça s'arrête.
00:05:15Y a une barrière qui dit stop, tu restes à la maison, quoi.
00:05:17Et ça, c'est dur.
00:05:19C'est dur parce qu'on a pris le rythme de reprendre le travail,
00:05:21on est toutes contentes de se lever le matin,
00:05:23on est contentes de bien travailler.
00:05:25Le jour au lendemain, elle dit stop.
00:05:27Tu te sens un petit peu jetée, quoi.
00:05:29C'est ça, c'est...
00:05:31On a un petit peu les rebuts de la société.
00:05:33On nous met sur le côté, en disant, débrouille-toi,
00:05:35le lendemain prochain, tu manges pas, c'est pas notre problème.
00:05:48Au lieu de gagner 9,88 euros,
00:05:50on devrait gagner au minimum 13 euros de l'heure.
00:05:5313 euros de l'heure, c'est pas mal.
00:05:55C'est bien payé par rapport au travail.
00:05:57Mais 9 euros, c'est la misère.
00:06:03La France a libéralisé son marché du travail relativement tard.
00:06:07En 2017, les règles du droit du licenciement et du travail temporaire
00:06:11ont été considérablement assouplies
00:06:13avec ce qu'on appelle les ordonnances Macron,
00:06:15dans le but de créer de nouveaux emplois.
00:06:19Mais ça n'a pas marché.
00:06:21Les créations d'emplois n'ont pas été à la hauteur des espérances.
00:06:24Dans les départements du Nord, où vit Patricia,
00:06:26et où le taux de chômage est le plus élevé de France,
00:06:29les revenus sont inférieurs à la moyenne.
00:06:31Et depuis longtemps.
00:06:33Patricia a occupé toutes sortes d'emplois.
00:06:35Elle a travaillé à la chaîne et dans l'industrie florale.
00:06:38Actuellement, elle fait essentiellement des ménages et du repassage.
00:06:42J'ai fait plein de choses.
00:06:44J'ai travaillé dans le pain, j'étais emballageuse dans le pain.
00:06:46Après, j'ai dit, c'est pas ça qui va payer ma retraite plus tard.
00:06:49Donc il faut absolument que je trouve un travail fixe,
00:06:52un travail qui me permette de joindre les deux bouts du premier au 31.
00:06:58Comme ça, au chômage, j'ai le droit qu'à 33 euros par jour.
00:07:01Donc c'est déjà pas beaucoup.
00:07:0433 euros par jour.
00:07:06C'est abusé.
00:07:08Franchement.
00:07:10Et après, Macron se plaint qu'il y a des gens qui se rebellent.
00:07:14Mais il faut vivre.
00:07:16Moi, ma politique, c'est mon porte-monnaie.
00:07:18C'est ce qu'il faut se dire.
00:07:19Ma politique, c'est mon porte-monnaie.
00:07:20C'est mon travail, c'est mon porte-monnaie.
00:07:21Mais quand on voit que les politiciens, ils sont là-bas,
00:07:24à l'Assemblée générale, à l'Assemblée...
00:07:28L'Assemblée, ils sont tous en train de dormir dans les fauteuils.
00:07:31Ils sont payés combien en train de roupiller la nuit ?
00:07:33Au lieu de faire des décrets, entre guillemets, propices pour les gens,
00:07:38ils sont en train de roupiller.
00:07:39Ils sont payés 18 000 balles par mois, quoi.
00:07:41Il faut arrêter.
00:07:43Là, il faut...
00:07:45Non, non.
00:07:46Là, il faut se dire stop.
00:07:48Bonjour.
00:07:50Son compagnon, Francisco Martos, revient du travail.
00:07:53Il est chauffeur de bus.
00:07:58J'ai eu 4 enfants.
00:07:59Dans ce cas-là, j'ai perdu 12 ans de ma vie de retraite
00:08:02parce que j'ai élevé mes enfants et j'ai supporté des enfants malades.
00:08:05Et j'étais auprès d'eux.
00:08:06Et j'ai pas pu aller travailler.
00:08:08La dernière fois, 270 euros si j'arrêtais à 72 ans.
00:08:11C'est quoi 270 euros de retraite, quoi ?
00:08:14Non, mais il faut arrêter, là.
00:08:15Mais enfin, c'est quoi ?
00:08:17270 euros.
00:08:19J'en ai même pas assez pour payer un loyer, quoi.
00:08:21Ça veut dire qu'à 62 ans, sur ma valise, j'ai sous les ponts, quoi.
00:08:25Elles écoutaient, c'est ça.
00:08:28Il y en a des personnes âgées qui sont dans leur voiture.
00:08:31C'est pas normal.
00:08:32Ça, c'est pas normal.
00:08:34Et les migrants, on les fait venir.
00:08:35On leur fait mettre des petites maisons.
00:08:37Tout le confort et tout.
00:08:38Aux endroits, tout.
00:08:39Télévision, on leur donne écrit, machin.
00:08:42Les discours de l'extrême droite ont trouvé un écho favorable auprès de Patricia Lessage.
00:08:48Le soir, elle retourne dans son petit appartement en banlieue de la ville.
00:08:54Le lendemain, elle a rendez-vous dans une agence d'intérim
00:08:57où elle espère décrocher un nouveau contrat de travail,
00:09:00au moins pour quelques semaines.
00:09:04On ferme des usines en France pour les emmener en Italoine, machin.
00:09:07Après, c'est des Français qui ont plus de travail.
00:09:09Moi, franchement, comme tout le monde le dit,
00:09:11on aimerait bien que le Front National y passe un bon coup.
00:09:14Parce qu'au moins, ça mettrait un petit peu de...
00:09:18un bon balayage là-dedans.
00:09:28J'ai encore 10 ans.
00:09:2910 ans, parce que la retraite, c'est 67 ans maintenant.
00:09:3165 ans, 67.
00:09:34Bientôt, on va travailler avec un déambulateur.
00:09:37Moi, j'ai été opérée d'un cancer de la thyroïde.
00:09:39J'ai eu un cancer d'utérus.
00:09:40Je pouvais pas travailler.
00:09:41Donc, moi, y avait rien qui rentrait pour...
00:09:43Y avait juste mon RSA qui rentrait,
00:09:45à peine pour couvrir les factures à la maison.
00:09:48Rien pour manger.
00:09:49J'ai des colis alimentaires au resto du coeur.
00:09:52Et pour avoir quoi ?
00:09:53À sa base de poids,
00:09:54une clémentine pour deux pour une semaine,
00:09:57deux yaourts pour la semaine.
00:09:59Je dis, mais c'est quoi ? C'est de l'aumône.
00:10:02Pour aller pleurer, pour avoir un morceau de viande pour la semaine.
00:10:05C'est à la queue pendant trois heures.
00:10:07Pour avoir une misère, non.
00:10:08Je peux pas.
00:10:11Bonjour.
00:10:12Ça va et vous ?
00:10:13Bonjour.
00:10:14Je pose mon sac parce que je suis chargée.
00:10:16Patricia Lesage passe régulièrement à son agence d'intérim.
00:10:19Celle-ci gère ses contrats
00:10:21et lui propose des ménages à durée déterminée
00:10:23dans des entreprises et des écoles.
00:10:25Vous avez bien passé votre mission ce matin ?
00:10:27Ouf.
00:10:28Fatiguant ?
00:10:29Un peu dur.
00:10:30Moralement, un peu dur.
00:10:31On va signer les contrats pour le mois de décembre.
00:10:33Comme vu ensemble, jusqu'au 11 décembre.
00:10:36D'accord.
00:10:37En France, le recours au travail temporaire,
00:10:39qu'il soit subi ou choisi,
00:10:41s'est massivement répandu ces dernières années.
00:10:44L'Allemagne a développé le marché de l'intérim
00:10:46il y a déjà une dizaine d'années.
00:10:48Mais entre-temps, la France est allée plus loin.
00:10:50La part du travail temporaire dans l'emploi global
00:10:53est aujourd'hui plus élevée qu'en Allemagne.
00:10:56Selon l'économiste Guy Standing,
00:10:58au cours des dernières décennies,
00:11:00le néolibéralisme a conduit à une redistribution
00:11:02du bas vers le haut au niveau mondial.
00:11:08C'est ainsi qu'on a vu émerger un capitalisme de rentier,
00:11:11dans lequel la richesse produite par des actifs,
00:11:14qu'ils soient financiers ou commerciales,
00:11:16n'est pas la même.
00:11:18C'est un capitalisme de rentier.
00:11:20C'est un capitalisme de rentier.
00:11:22C'est un capitalisme de rentier.
00:11:24Qu'ils soient financiers, physiques ou intellectuels,
00:11:27ne cessent d'augmenter.
00:11:29Tandis que la part du revenu du travail
00:11:31dans le revenu national ne fait que diminuer.
00:11:35C'est un phénomène mondial.
00:11:38Et ça fait 30 ans qu'on assiste à la stagnation du salaire réel.
00:11:44En Europe et en Amérique du Nord,
00:11:46la libéralisation du droit du travail
00:11:48commence dans les années 80.
00:11:50L'emploi se précarise,
00:11:52les actions contre le licenciement sont assouplies
00:11:54et le recours aux intérimaires se développe.
00:11:58Les contrats à durée déterminée deviennent la norme.
00:12:02Une évolution qui, pour le géographe Christophe Guilly,
00:12:05a entraîné des conséquences politiques à long terme.
00:12:08Il y a simplement un processus lent et long
00:12:11de décomposition politique et économique.
00:12:16Le Brexit est une conséquence à long terme
00:12:20des politiques tachyriennes.
00:12:23Si je prends l'arrivée de Trump au pouvoir,
00:12:26c'est la conséquence de la financiarisation
00:12:29de l'économie américaine sous Clinton.
00:12:32Selon le géographe, la montée du parti allemand
00:12:34d'extrême droite AFD s'explique en partie
00:12:36par les réformes du marché du travail
00:12:38menées par l'ex-chancelier sociodémocrate Gerhard Schröder.
00:12:42Réformes qui n'impactent pas que les bénéficiaires du RSA allemand.
00:12:45Partout en Europe, l'ensemble de la classe moyenne inférieure
00:12:48voit son niveau de vie baisser.
00:12:50Aujourd'hui, si vous avez des catégories populaires en France
00:12:53qui votent très massivement pour l'extrême droite
00:12:56ou qui s'abstiennent, c'est aussi une conséquence
00:13:00de la bascule libérale sous l'ère Mitterrand
00:13:04et ce qu'on a appelé le virage libéral de la gauche en 1983.
00:13:12En 2018, ce phénomène a donné naissance
00:13:15au mouvement des Gilets jaunes que peu de gens avaient anticipé.
00:13:21La réalité, c'est qu'on a bien quelque chose
00:13:24qui s'est recomposé par le bas qu'on n'avait pas vu.
00:13:27Pourquoi on ne l'avait pas vu ?
00:13:29Parce que géographiquement, ces catégories populaires
00:13:32sont sorties de notre champ de vision.
00:13:34On ne les voit plus.
00:13:36Aujourd'hui, la distance entre un Parisien
00:13:39et un habitant de la Creuse est plus grande
00:13:42que la distance culturelle entre un Parisien
00:13:45et un habitant de Berlin ou de New York.
00:13:48Les dernières élections présidentielles ont été remportées
00:13:51par Emmanuel Macron, le président sortant.
00:13:55Marine Le Pen, sa concurrente du Rassemblement national,
00:13:58a obtenu 41% des voix au second tour.
00:14:04Aux élections législatives qui ont suivi,
00:14:07plus de la moitié des Français ne sont pas allés voter,
00:14:10alors que leur suffrage ne changerait rien à leur situation.
00:14:13Patricia Lessage a aussi rejoint les rangs des abstentionnistes.
00:14:16Quand nous la retrouvons 3 ans plus tard,
00:14:19sa situation s'est légèrement améliorée.
00:14:22Durant la pandémie, elle a épousé son compagnon
00:14:25et a emménagé avec lui.
00:14:27Elle a également trouvé un nouvel emploi
00:14:30en tant que femme de ménage et aide cuisinière
00:14:33dans un centre pour handicapés.
00:14:35C'est le premier emploi fixe de sa vie.
00:14:39Bonjour, je vais prendre des épingles à linge.
00:14:42J'en prends deux paquets.
00:14:47Moi je trouve des épingles à linge.
00:14:50On n'en a jamais assez.
00:14:59C'est toujours ça qu'il faut faire.
00:15:01Il faut bien aller au Brocron pour s'acheter.
00:15:04C'est pas la peine d'aller à grande surface pour acheter.
00:15:08C'est jolie celle-là.
00:15:13S'il vous plaît, le prix.
00:15:18Je sais pas, il y a du monde partout.
00:15:21Il y a du monde dans tous les coins.
00:15:24Un prix d'ami.
00:15:27Deux euros, madame.
00:15:30Je vais être rhabillée pour un prix dérisoire.
00:15:34C'est tout neuf en plus.
00:15:37Un tout noble prix.
00:15:40Vous avez de la monnaie par contre ?
00:15:43À force de donner deux euros, il y en a pour huit.
00:15:46Six vêtements pour huit euros.
00:15:49Patricia est satisfaite.
00:15:52Je gagne à peu près 1400 euros.
00:15:55C'est le SMIC.
00:15:58Je m'en sors parce que j'ai mon conjoint.
00:16:01On arrive à joindre les deux bouts.
00:16:04Mais sans faire d'excès.
00:16:07On peut pas dire qu'on va partir en vacances le mois prochain.
00:16:10C'est quand même trois ans qu'on n'est pas partis.
00:16:13C'est pas grave vu qu'il fait beau par ici.
00:16:20Le fait de s'installer avec son mari a soulagé son budget.
00:16:23Mais l'inflation les inquiète.
00:16:26Les produits alimentaires sont constamment de plus en plus chers.
00:16:29Il compare les prix avec attention.
00:16:38La viande a vraiment augmenté.
00:16:41On a regardé sur tout ce qui est beurre, margarine.
00:16:44Ça a bientôt pris un euro.
00:16:47Le lait, pareil.
00:16:50Bientôt un euro litre de lait.
00:16:53Ça fait 6,50 francs en francs.
00:16:57C'est un truc de fou.
00:17:00Ils disent que c'est beaucoup par rapport à la guerre.
00:17:03Le pain a pris deux fois l'augmentation sur un mois.
00:17:06La viande a pris 25% sur deux mois de temps.
00:17:09C'est un truc de malade.
00:17:12Les gens vont même plus se nourrir.
00:17:15L'électricité augmente, le gaz augmente, l'eau.
00:17:18Il faut faire attention à l'eau, à tout.
00:17:21Ils disent qu'il manque du blé par ici.
00:17:25Quand on regarde les champs, il y a des pommes de terre, du blé.
00:17:28Tout est par étranger.
00:17:31Ils pensent d'abord au pays.
00:17:34Chaque pays devrait avoir son problème de production et le garder un maximum.
00:17:37Ils en ont trop, ils en vendent pour ce qu'ils veulent.
00:17:40Mais qu'ils gardent d'abord pour le pays même.
00:17:43Qu'ils le distribuent partout comme ça.
00:17:46Alors que nous, les Français, on est obligés de trimer pour s'acheter des produits beaucoup plus chers.
00:17:49Parce qu'on va donner nos produits à l'extérieur.
00:17:52Et on va les racheter après pour faire importer.
00:17:55C'est un truc de fou.
00:17:58On vend pour en remporter après, ça ne sert à rien.
00:18:01Donc la politique, moi je ne m'en occupe pas.
00:18:04Ça reste éloigné de moi.
00:18:07Tu vas aux élections ?
00:18:10Non, ça ne sert à rien.
00:18:13Je vais les voter pour qui ?
00:18:16Je vais voter d'un côté, c'est blanc, de l'autre c'est noir.
00:18:19Pour rien avoir en plus, je ne vote pas.
00:18:22Ça ne sert à rien.
00:18:28Le couple se prépare à l'hiver.
00:18:31Pour limiter l'impact de la hausse des prix de l'énergie sur leur budget,
00:18:34ils ont coupé du bois, ramassé à droite et à gauche.
00:18:41Comme ça il va bien sec, il va bien démarrer.
00:18:44Ça a changé cette année un petit peu.
00:18:47On a pris du bois, il a flambé.
00:18:50On met un pull en plus.
00:18:53On a eu 500-600 euros en plus.
00:18:56Mais comparé à d'autres personnes,
00:18:59qui sont à 1000 euros passés de supplément.
00:19:02Nous on arrive toujours à essayer de faire des économies sur le chauffage.
00:19:05Si vraiment on fait trop froid pour ne pas mettre la chaudière trop fort,
00:19:08on met un pull.
00:19:11On ne peut pas dire qu'on se fait des grandes sorties,
00:19:14c'est très très rare.
00:19:17Là pendant les vacances, on a dit qu'on ne part pas.
00:19:20Comme j'avais une prime à mon travail, on s'est dit aller.
00:19:23On a fait un petit break, un petit restaurant, un petit pizzario.
00:19:26On a été à Paris Dyson,
00:19:29chose qu'on ne fait jamais d'habitude.
00:19:32D'habitude on ne peut pas, si on prend sur le musée,
00:19:35ça fait déjà un trouble pour autre chose.
00:19:39Qu'est-ce qui est pire ?
00:19:42Avoir peu d'argent ou l'insécurité ?
00:19:45L'insécurité.
00:19:48Parce que tu peux avoir peu d'argent et arriver à le gérer
00:19:51de façon à ne pas en manquer.
00:19:54Si tu en manques toujours, mais tu arrives toujours à stabiliser.
00:19:57Même que tu as très peu, tu fais avec le très peu.
00:20:00Cette insécurité frappe de plus en plus de personnes,
00:20:03obligées d'enchaîner les emplois,
00:20:06même en fin de mois.
00:20:10Guy Standing analyse cette évolution dans un livre intitulé
00:20:13Le précariat et les dangers d'une nouvelle classe.
00:20:16Une nouvelle classe qui ne cesse de se développer
00:20:19dans tous les pays industrialisés.
00:20:22C'est quoi le précariat ?
00:20:25Ce sont ces millions de personnes
00:20:28à qui l'on dit qu'elles doivent s'habituer
00:20:31à une vie faite d'emplois précaires,
00:20:34et aux différentes formes d'insécurité
00:20:37qui en découlent.
00:20:40Mais plus grave encore que les emplois temporaires
00:20:43et que les autres petits boulots,
00:20:46il y a le fait que ces personnes
00:20:49n'ont plus d'identité professionnelle
00:20:52qui leur permettrait de donner une définition à leur vie.
00:20:55Et cela contribue à créer
00:20:58ce que nous autres sociologues appelons
00:21:01l'insécurité existentielle.
00:21:04Quand vous ne vivez que des fragments de vie,
00:21:07vous n'arrivez pas à lui donner un sens.
00:21:10Véronika Born-Mena est chercheuse en sciences sociales à Vienne.
00:21:13Elle étudie les répercussions de ce genre de situation.
00:21:16Pour ces salariés, ça signifie tout d'abord
00:21:19qu'ils ne savent pas combien de temps ils travailleront
00:21:22et toucheront des revenus,
00:21:25ni de combien d'argent ils disposeront pour le mois suivant.
00:21:28Mais ça signifie aussi
00:21:31que leur protection sociale se dégrade considérablement.
00:21:34L'assurance retraite, l'assurance maladie,
00:21:37mais aussi l'assurance chômage.
00:21:40La plupart de ces salariés ont des contrats de travail
00:21:43qui ne leur garantissent même plus la plus basique
00:21:46des protections sociales.
00:21:49En d'autres termes, si demain, dans une semaine ou dans un mois,
00:21:52ils n'ont plus de travail,
00:21:56à Dortmund, la sociologue Mona Motakeff
00:21:59étudie elle aussi les effets induits
00:22:02par des situations de vie précaires.
00:22:05Au départ, l'emploi précaire était supposé
00:22:08avoir une fonction de passerelle.
00:22:11Pour le salarié, il y avait l'espoir de passer
00:22:14d'un emploi précaire à un emploi stable.
00:22:17Mais cela ne se produit pas.
00:22:20C'est comme le hamster dans sa roue.
00:22:24Tolga Atay vit à Cologne.
00:22:27En 2019, quand nous le rencontrons pour la première fois,
00:22:30il a 23 ans.
00:22:33Il a suivi une formation de peintre en carrosserie
00:22:36et travaille chez un concessionnaire depuis un an.
00:22:39Ses conditions de travail sont difficiles.
00:22:42Le week-end, on lui demande de faire des heures supplémentaires non payées.
00:22:45Son salaire mensuel net est de 1550 euros.
00:22:48Pour Tolga Atay, le début de sa carrière professionnelle
00:22:51est très différent de ce qu'il avait imaginé.
00:22:54Pourtant, le jeune homme aime son travail.
00:22:57Il répare même des voitures durant son temps libre.
00:23:00C'est pour ça que j'ai choisi de faire peintre automobile.
00:23:03Mais après ma période de formation,
00:23:06la boîte où je faisais mon stage ne m'a pas embauché.
00:23:09Ils ont préféré prendre de nouveaux apprentis.
00:23:12Après, j'ai travaillé pour une entreprise
00:23:15qui m'a licencié une semaine avant la fin de la période d'essai.
00:23:18Alors que j'avais vraiment bossé.
00:23:21Parfois, je sortais du boulot à 23 heures.
00:23:24Le motif de licenciement,
00:23:27c'était que je ne voulais pas faire plus d'heures supplémentaires.
00:23:30Le problème, c'est que les métiers manuels
00:23:33sont vraiment très mal payés.
00:23:36On travaille 40 heures par semaine
00:23:39et une fois par mois, on fait 4 heures non payées.
00:23:42Ça vous prend tout un samedi matin.
00:23:45C'est vraiment triste.
00:23:48De plus, la protection de la santé des employés
00:23:51est souvent négligée.
00:23:54Il s'agit essentiellement de travailleurs intérimaires
00:23:57venus d'Europe de l'Est.
00:24:00Quotidiennement, les salariés inhalent des poussières
00:24:03et des produits chimiques toxiques.
00:24:06Tolga Atay aimerait trouver un meilleur emploi.
00:24:09Mais dans son secteur, les opportunités sont rares.
00:24:12Il se retrouvait au chômage pendant plusieurs mois.
00:24:17Si tu veux une vie stable et régulière
00:24:20avec un emploi normal, c'est-à-dire un CDI,
00:24:23tes week-ends de libre, etc.,
00:24:26tu ne gagneras pas beaucoup d'argent.
00:24:29J'ai bien eu quelques propositions,
00:24:32mais à chaque fois, c'était pour des postes en intérim
00:24:35et ou avec des horaires de nuit.
00:24:39Les week-ends, Tolga rend visite à sa famille.
00:24:42Ses parents sont arrivés en Allemagne il y a 30 ans
00:24:45après avoir fui la Turquie où ils étaient persécutés
00:24:48en tant que membres de la communauté à Lévis.
00:24:51La plus jeune de ses deux soeurs vit toujours chez ses parents.
00:24:54Depuis peu, Tolga a trouvé une chambre
00:24:57dans une colocation.
00:25:00Ses parents vivent tout aussi modestement.
00:25:03Sa mère est femme de ménage et gagne 450 euros par mois.
00:25:07Son père a travaillé pendant 30 ans en tant que manœuvre
00:25:10dans une entreprise de construction.
00:25:13Il y a un an, il s'est fracturé le poignet
00:25:16dans un accident du travail.
00:25:19Depuis, il perçoit une indemnité maladie.
00:25:22Il ne pourra sans doute plus retravailler avant sa retraite
00:25:25et touchera une pension très faible.
00:25:28Financièrement, c'est assez difficile.
00:25:31J'ai moins d'argent.
00:25:35J'ai acheté cette maison,
00:25:38mais je n'ai pas fini de la payer.
00:25:41Je ne sais pas comment je vais faire.
00:25:48Il s'est usé la santé à bosser pendant 35 ans
00:25:51et il se retrouve comme ça.
00:25:54Il n'y a pas de mots pour ça.
00:25:57Je sais que je risque de finir comme ça moi aussi.
00:26:00J'ai 23 ans et j'ai des problèmes aux genoux,
00:26:04mais les rendez-vous chez le médecin et les soins,
00:26:07mon chef ne veut pas en entendre parler.
00:26:10Dans ces conditions, comment voulez-vous rester en bonne santé
00:26:13après 30 ans de travail ?
00:26:16Tolga aimerait poursuivre sa formation professionnelle,
00:26:19mais il n'a pas l'argent nécessaire.
00:26:22Pour le brevet de maîtrise en peinture automobile,
00:26:25il lui faudrait 10 000 euros
00:26:28et ses parents n'ont pas les moyens de l'aider.
00:26:33Tolga Hatay habite à Kalk,
00:26:36un quartier socialement sensible de Cologne.
00:26:39Le taux de chômage y est de 14 %.
00:26:42De nombreux enfants sont touchés par la pauvreté.
00:26:45Souvent, le parcours vers le secteur des bas salaires
00:26:48commence dès l'école.
00:26:51Dans le cas de Tolga Hatay, c'est son enseignante
00:26:54qui, malgré ses bonnes notes, lui a déconseillé
00:26:57de s'engager dans un cursus scolaire général.
00:27:00Le travail paie toujours, ni les inégalités,
00:27:03car les conditions de départ dans la vie sont différentes
00:27:06en fonction de la famille dans laquelle nous sommes nés,
00:27:09en fonction de l'éducation et de la sécurité matérielle,
00:27:12et le sexe des personnes, leur orientation sexuelle
00:27:15et leur origine, migratoire ou pas,
00:27:18jouent également un rôle.
00:27:21Quand on dit que le travail paie toujours,
00:27:24on ne tient pas compte du fait que les gens ont des conditions
00:27:28De plus, ça donne une image biaisée des personnes qui réussissent,
00:27:31car on les présente comme s'ils avaient réussi
00:27:34grâce à un effort individuel.
00:27:37Ce n'est pas totalement faux, mais ils ont aussi réussi
00:27:40grâce à leurs privilèges de départ.
00:27:43Tolga Hatay veut faire bouger les choses,
00:27:46pour lui et pour les autres.
00:27:49Pour cela, il s'investit dans un réseau de solidarité local
00:27:52qui prône des valeurs de communauté et l'entraide entre voisins.
00:27:55Nous sommes le réseau de solidarité local
00:27:58et nous sommes une organisation de quartier calcaire
00:28:01qui s'investit pour les intérêts des travailleurs,
00:28:04des emplois, des emplois, des emplois, des emplois,
00:28:07des emplois, des emplois, des emplois, des emplois, des emplois,
00:28:10des emplois, des emplois, des emplois, des emplois, des emplois,
00:28:13des emplois, des emplois, des emplois, des emplois, des emplois,
00:28:16des emplois, des emplois, des emplois, des emplois,
00:28:19des emplois, des emplois, des emplois,
00:28:22Comment est la motivation chez vous ?
00:28:36Les loyers augmentent.
00:28:38Ceux qui ne peuvent pas payer doivent quitter leur logement.
00:28:41La misère grandit depuis plusieurs décennies.
00:28:45La construction de logements sociaux est au point mort.
00:28:48Les municipalités et les lenders ont vendu massivement
00:28:51leurs biens immobiliers.
00:28:53Des centaines de milliers de logements sociaux ont été privatisés.
00:28:59Entre 2011 et 2019, la précarité n'a fait qu'augmenter
00:29:04à cause des politiques d'austérité menées par de nombreux gouvernements.
00:29:10Ils ont réduit les dépenses publiques,
00:29:13diminué le rôle de l'Etat
00:29:16et privatisé les biens communs.
00:29:21Les aides sociales ont été réduites
00:29:24et soumises à davantage de conditions,
00:29:27par exemple à des conditions de ressources.
00:29:32Ces réductions ont été faites pour pouvoir assurer
00:29:35les revenus des plutocrates et autres concitoyens fortunés.
00:29:40Les inégalités n'ont fait qu'augmenter.
00:29:43Et là-dessus arrive la Covid.
00:29:46Et une nouvelle fois, on a vu les gouvernements
00:29:49adopter des mesures de soutien en faveur du secteur financier.
00:29:54La différence entre les riches et les pauvres ne cesse de s'accroître.
00:29:58Un quart de la fortune totale de l'Allemagne est détenue par 1% des Allemands,
00:30:02alors que la moitié la plus pauvre de la population ne possède que 3% de cette fortune.
00:30:06Conséquence, en cas de nouvelle crise,
00:30:09les 50% les plus pauvres n'auront pas de réserve dans lesquelles puiser.
00:30:14Quand une nouvelle crise survient,
00:30:17comme par exemple l'inflation que l'on connaît en ce moment,
00:30:20il est impossible pour les gens à faible revenu
00:30:23de faire face à cette nouvelle épreuve.
00:30:28L'insécurité dans laquelle se trouve le peuple du précariat
00:30:32ne fait que s'intensifier.
00:30:37Leurs seules ressources est leur salaire.
00:30:40Ils n'ont pas accès à des avantages non salariaux,
00:30:43tels que les congés payés, les congés maladie
00:30:46ou une complémentaire payée par l'employeur.
00:30:49Ils sont donc automatiquement plus vulnérables.
00:30:53Leurs revenus ne suivent pas la courbe de l'inflation
00:30:57et aucun système informel d'aide ne leur apporte la moindre sécurité.
00:31:07Nous retrouvons Tolga Hatay 3 ans plus tard.
00:31:11Pendant la pandémie, il a passé plusieurs mois au chômage partiel
00:31:15et a dû vivre avec moins d'argent.
00:31:18Aujourd'hui, il a pris un nouveau départ et s'est installé à Francfort.
00:31:23Il a commencé une formation de technicien plasturgiste
00:31:26dans une entreprise spécialisée dans les techniques de filtrage.
00:31:32Je suis venu à Francfort parce que j'avais envie d'une nouvelle expérience.
00:31:38J'avais envie d'une nouvelle formation, de quelque chose de nouveau.
00:31:43Je voulais travailler dans de meilleures conditions
00:31:46et mon ancien travail ne m'offrait aucune perspective.
00:31:50Et donc j'ai décidé de serrer les dents et de reprendre une formation.
00:32:00Comment tu te sens ici ?
00:32:02Beaucoup mieux.
00:32:05On me parle moins durement
00:32:07et j'apprécie particulièrement les relations entre collègues.
00:32:11C'est assez sympa.
00:32:15Dans l'ensemble, l'ambiance de travail est bonne.
00:32:18On a même le droit de prendre des pauses café de temps en temps.
00:32:22Aujourd'hui, Tolga Hatay doit vivre avec 800 euros par mois,
00:32:26le salaire qu'il perçoit durant sa formation.
00:32:29Pour faire des économies, il a décidé de quitter le centre-ville
00:32:32pour un appartement moins cher en périphérie.
00:32:35Il vit en colocation avec Arthur Gutmann, un étudiant.
00:32:40Ils viennent de recevoir leur première facture de chauffage.
00:32:44Salut !
00:32:46Notre première facture de gaz.
00:32:52Ça commence bien. Il parle de la guerre en Ukraine.
00:32:56Sérieux ?
00:32:57Oui.
00:32:58Cher monsieur Hatay, la guerre en Ukraine
00:33:01et l'évolution sans précédent des prix sur le marché de l'énergie
00:33:04nous placent face à d'énormes défis.
00:33:07Oui, mais pas nous, bien sûr.
00:33:09En la seule période entre mai 2020 et mai 2022,
00:33:12les coûts d'approvisionnement ont grimpé de 230%.
00:33:16Ils devraient commencer par faire des économies au niveau de leur direction.
00:33:19Et ensuite, on verra.
00:33:22En général, je suis quelqu'un qui chauffe peu parce que ça coûte cher.
00:33:25L'hiver dernier, j'ai allumé le chauffage deux fois maximum.
00:33:29Alors je sais qu'il faut faire attention
00:33:31et qu'il faut éviter de ne pas chauffer du tout
00:33:33à cause des canalisations qui pourraient geler.
00:33:35Mais nous essayons de consommer le moins possible.
00:33:38Quand il fait froid, on rajoute un pull.
00:33:42A priori, je n'ai aucune idée de ce que ces chiffres veulent dire.
00:33:48Je vois simplement que ça va coûter considérablement plus cher.
00:33:53Mais je ne sais pas dans quelle mesure ça va me coûter plus cher.
00:33:57Ni ce qui me restera à la fin.
00:34:00Ce qui m'énerve, c'est que c'est à nous de porter le poids de cette situation
00:34:04alors qu'il y a de l'argent.
00:34:06Tout le monde sait qu'il y a de l'argent.
00:34:08Mais il n'est pas pour nous.
00:34:11Les fenêtres de la colocation sont en simple vitrage et isolent mal.
00:34:15Le loyer est certes réduit, mais les frais de chauffage augmentent.
00:34:22Mon loyer en tant que colocataire est de 325 euros par mois.
00:34:27Après, il faut ajouter environ 100 euros par personne
00:34:30pour le gaz et l'électricité.
00:34:33Et puis, il faut payer Internet.
00:34:36Avec le chauffage, j'ai environ 475 euros de loyer.
00:34:40Mais après, il faut encore faire les courses.
00:34:43Je dirais qu'il me reste environ 150 euros en tout et pour tout.
00:34:48Et ça oblige à faire attention.
00:34:52À Francfort, Tolga Atay a créé un nouveau groupe du réseau de solidarité dont il fait partie.
00:34:58Son colocataire a également rejoint le mouvement.
00:35:01Aujourd'hui, il participe à une action collective
00:35:03pour revendiquer la gratuité des transports en commun.
00:35:08Avec cette action d'aujourd'hui, nous revendiquons la gratuité des transports locaux.
00:35:13Nous voulons que les bus et les trains soient gratuits.
00:35:17Les personnes âgées qui vivent avec de faibles retraites
00:35:20pourraient ainsi rendre visite à plus de personnes
00:35:22et ne pas être exclus de la vie sociale.
00:35:26De nombreux jeunes pourraient se déplacer dans d'autres villes.
00:35:30La gratuité et le développement des transports en commun
00:35:32devraient être considérés comme un droit fondamental de la classe ouvrière.
00:35:36Et on va devoir se battre pour ça.
00:35:39Je remarque que les gens ont une très grande colère en eux.
00:35:43Et ça m'inquiète.
00:35:47Ici, dans le quartier, tout le monde est en colère.
00:35:51Les gens se sentent socialement déclassés et abandonnés à leur sort.
00:35:54Je ne vous parle pas de la classe inférieure.
00:35:57Je vous parle de nous.
00:35:59De gens de classe moyenne qui, jusqu'à présent,
00:36:01parvenaient à vivre correctement de leurs revenus.
00:36:04Mais qui n'y arrivent plus.
00:36:07Et ces gens-là ont peur que les choses ne s'aggravent.
00:36:10Et qu'à un moment donné,
00:36:11ils devront choisir entre se chauffer et se nourrir.
00:36:15Et on imagine aisément où ce genre de situation peut mener.
00:36:18À mon avis, les gens ne se laisseront plus faire très longtemps.
00:36:22Même si les Allemands ont la réputation d'être patients
00:36:25et de ne s'énerver que très rarement.
00:36:28C'est pour ça que j'ai décidé de participer à cette manifestation.
00:36:32Et tant pis s'il y a des gens d'extrême droite
00:36:34qui essaient de récupérer ça pour leur propre cause.
00:36:38J'en ai assez.
00:36:40Je ne veux plus me taire.
00:36:42Parce que je ne veux pas que les gens de l'extrême droite
00:36:46Je ne veux plus me taire.
00:36:48Parce que quand vous vous taisez,
00:36:49les gens font de vous ce qu'ils veulent.
00:36:53Les inégalités sociales se creusent.
00:36:56L'Europe tout entière s'attend à de plus en plus de manifestations dans les mois à venir.
00:37:01Tolga Hatay se réjouit du succès de son action.
00:37:05Pour moi, c'est un résultat exceptionnel.
00:37:09Nous avons eu de nombreuses discussions
00:37:10et nous avons reçu le soutien de gens qui vivent dans le quartier
00:37:13ou qui sont venus d'un peu plus loin.
00:37:15Soit par hasard, soit parce qu'ils ont entendu parler de notre action.
00:37:19Ce genre de soutien, c'est vraiment appréciable.
00:37:22Même si ce serait important que les gens se mobilisent activement avec nous sur le long terme.
00:37:27Mais bon, petit à petit, on y arrivera.
00:37:30Les droits, ce n'est pas gratuit.
00:37:32Pour les obtenir, il faut descendre dans la rue.
00:37:35Il faut des luttes sociales.
00:37:37C'est d'ailleurs ce qui se passe.
00:37:39Mais ce n'est pas encore suffisant.
00:37:41Le problème est que nous vivons dans un monde
00:37:43qui est totalement centré sur le travail.
00:37:46Et que par conséquent,
00:37:47l'emploi précaire est souvent perçu comme une situation honteuse.
00:37:52Beaucoup de gens éprouvent de la honte,
00:37:54notamment quand ils sont obligés de demander des allocations complémentaires.
00:37:58Le message véhiculé par la société dit
00:38:00« c'est ton droit de le faire, mais c'est honteux ».
00:38:03Donc, il faut se sentir honteux de demander ces allocations.
00:38:07Depuis 2022,
00:38:08un mouvement d'un genre nouveau a vu le jour
00:38:10sous le hashtag « je suis touché par la pauvreté ».
00:38:16Contrairement à autrefois,
00:38:17certains n'ont plus honte de reconnaître qu'ils sont pauvres.
00:38:23Le mouvement s'est créé sur Internet.
00:38:26Haïke Tove en fait partie.
00:38:28Depuis qu'elle souffre d'épilepsie,
00:38:30elle a dû renoncer à son emploi de cuisinière
00:38:32et dépend de l'allocation minimale de base.
00:38:35Le hashtag a été créé par une femme frustrée
00:38:38de ne pas pouvoir acheter une pastèque à ses enfants
00:38:41parce qu'elle est trop pauvre.
00:38:45Elle a créé ce hashtag et c'est parti comme ça.
00:38:48Elle a demandé à d'autres personnes
00:38:50de poster leurs témoignages
00:38:51pour montrer que nous ne sommes pas une statistique,
00:38:54mais de vrais gens avec de vrais destins.
00:38:57C'est ce qu'elle a fait.
00:38:59C'est ce qu'elle a fait.
00:39:01C'est ce qu'elle a fait.
00:39:02C'est ce qu'elle a fait.
00:39:04C'est ce qu'elle a fait.
00:39:06C'est ce qu'elle a fait.
00:39:08C'est ce qu'elle a fait.
00:39:10C'est ce qu'elle a fait.
00:39:12C'est ce qu'elle a fait.
00:39:14C'est ce qu'elle a fait.
00:39:16C'est ce qu'elle a fait.
00:39:18C'est ce qu'elle a fait.
00:39:20C'est ce qu'elle a fait.
00:39:22C'est ce qu'elle a fait.
00:39:24C'est ce qu'elle a fait.
00:39:26C'est ce qu'elle a fait.
00:39:28C'est ce qu'elle a fait.
00:39:29C'est ce qu'elle a fait.
00:39:31C'est ce qu'elle a fait.
00:39:33C'est ce qu'elle a fait.
00:39:35C'est ce qu'elle a fait.
00:39:37C'est ce qu'elle a fait.
00:39:39C'est ce qu'elle a fait.
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00:39:43C'est ce qu'elle a fait.
00:39:45C'est ce qu'elle a fait.
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00:39:49C'est ce qu'elle a fait.
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00:39:53C'est ce qu'elle a fait.
00:39:55C'est ce qu'elle a fait.
00:39:57C'est ce qu'elle a fait.
00:39:59C'est ce qu'elle a fait.
00:40:01C'est ce qu'elle a fait.
00:40:03C'est ce qu'elle a fait.
00:40:05C'est ce qu'elle a fait.
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00:40:33C'est ce qu'elle a fait.
00:40:35C'est ce qu'elle a fait.
00:40:37C'est ce qu'elle a fait.
00:40:39C'est ce qu'elle a fait.
00:40:41C'est ce qu'elle a fait.
00:40:43C'est ce qu'elle a fait.
00:40:45C'est ce qu'elle a fait.
00:40:47C'est ce qu'elle a fait.
00:40:49C'est ce qu'elle a fait.
00:40:51C'est ce qu'elle a fait.
00:40:53C'est ce qu'elle a fait.
00:40:55C'est ce qu'elle a fait.
00:40:57C'est ce qu'elle a fait.
00:41:00Quand on est dans le précariat, on passe son temps à demander des faveurs.
00:41:04Que ce soit à des fonctionnaires d'administration,
00:41:08à son propriétaire,
00:41:10à ses parents.
00:41:13Au grand public, on demande toujours de l'aide.
00:41:19C'est terriblement humiliant et déshumanisant.
00:41:22C'est terriblement déhumanisant.
00:41:27Et avec l'inflation, les choses ne font que s'aggraver.
00:41:31Et on passe pour un mendiant.
00:41:34Aujourd'hui, on voit des banques alimentaires.
00:41:37Vous vous rendez compte ?
00:41:39La charité.
00:41:41On est censé mendier.
00:41:44S'il vous plaît, aidez-moi.
00:41:48Or, les gens sont de moins en moins enclins à aider.
00:41:52Ils n'en ont plus les moyens.
00:41:54D'une part parce qu'il y a de plus en plus de personnes à aider,
00:41:57et d'autre part parce qu'eux aussi se trouvent dans des situations difficiles.
00:42:02L'un des problèmes systémiques aujourd'hui avec l'augmentation du coût de la vie,
00:42:06c'est que ce ne sont pas seulement les pauvres qui en souffrent,
00:42:09mais toutes les couches de la population.
00:42:13Jusqu'en haut.
00:42:15Je dirais que 70% de la population en Allemagne, en France ou en Grande-Bretagne est touchée.
00:42:23Par conséquent, ils ne peuvent pas aider ceux qui sont au bas de l'échelle.
00:42:27Une fois par semaine, Heike Thauvé se rend dans une église du quartier de Mulheim, à Cologne,
00:42:33pour la distribution de nourriture d'une banque alimentaire.
00:42:36Les demandeurs sont de plus en plus nombreux,
00:42:39des bénéficiaires du RSA allemand et des réfugiés.
00:42:42Les banques alimentaires sont une initiative associative qui s'ajoute aux aides sociales de l'État.
00:42:47Mais elles et leurs bénévoles sont aujourd'hui totalement débordées
00:42:50et doivent refuser de nouveaux demandeurs.
00:42:57Ce qui m'intéresse particulièrement, ce sont les produits frais.
00:43:00Parce que même quand ils sont en promo au supermarché, on ne peut pas en acheter beaucoup.
00:43:04Je profite des promos sur les pâtes et sur d'autres produits pour faire le plein,
00:43:08mais pour les fruits et légumes, c'est impossible.
00:43:11Je viens à la banque alimentaire depuis au moins deux ans.
00:43:15Pour moi, c'est vital, parce que je n'ai pas assez d'argent.
00:43:20C'est vite vu.
00:43:22Quand un appareil tombe en panne, quand on a besoin de nouvelles chaussures,
00:43:25il n'y a pas assez d'argent.
00:43:28Ça fait longtemps qu'on subit les augmentations de prix.
00:43:33Heureusement qu'il y a la banque alimentaire.
00:43:39C'est un combat de tous les jours et une inquiétude permanente.
00:43:42Aujourd'hui ça va, j'ai de quoi manger pour les prochains jours.
00:43:46Mais ce soir, je vais quand même me retrouver sur mon canapé
00:43:48à me demander comment je vais faire pour payer l'électricité.
00:43:54Ou alors je me dis, mes sandales sont encore bien,
00:43:57mais comment je vais faire en automne quand il me faudra de nouvelles chaussures ?
00:44:02Les dernières semaines ont été dures.
00:44:05Je garde toujours quelques tickets de caisse,
00:44:07et j'en ai retrouvé un qui datait du mois d'octobre de l'année dernière.
00:44:11En fait, on achète toujours un peu les mêmes choses.
00:44:14Et quand on compare avec les tickets de cette année,
00:44:16et qu'on voit à quel point les choses ont augmenté,
00:44:19c'est quand même délirant.
00:44:22Quand on a un budget mensuel pour se nourrir,
00:44:25même si personnellement je fonctionne plutôt à la semaine,
00:44:29on est bien obligé de calculer ce qu'on va pouvoir acheter avec l'argent qu'on a.
00:44:36Vanessa Jentsch est séparée de son compagnon.
00:44:39Sa fille de 8 ans passe une semaine sur deux chez son père.
00:44:42Comme le salaire de Vanessa ne suffit pas,
00:44:44elle perçoit une allocation logement.
00:44:47Mais les demandes sont compliquées,
00:44:50et l'obligent à affronter la méfiance des organismes sociaux.
00:44:55Et quand la demande est enfin traitée,
00:44:58il faut souvent attendre des mois pour que l'aide soit versée.
00:45:01Dans l'intervalle, Vanessa vit sur ses économies,
00:45:04car son propriétaire résilierait son bail dès le premier mois impayé.
00:45:10Vanessa est heureuse de pouvoir échanger avec d'autres
00:45:12sur le hashtag je suis touchée par la pauvreté.
00:45:16Les gens avec qui j'échange ont tous leurs problèmes
00:45:19et leur fardeau plus ou moins lourd à porter.
00:45:24Et il y a beaucoup plus de sincérité
00:45:27et de plaisir à échanger avec des gens comme moi
00:45:30que de faire comme si on faisait partie du monde des autres.
00:45:37Cet autre monde, ce monde sans problème,
00:45:39où les gens s'occupent bien de leur maison,
00:45:42où les enfants sont bons en classe,
00:45:45où ils arrivent à l'école correctement coiffés,
00:45:48les dents brossées, bien habillés avec les devoirs faits,
00:45:51où les gens travaillent à plein temps et se donnent à fond.
00:45:54Mais même dans ce monde-là,
00:45:57je crois que pour beaucoup de personnes,
00:46:00les choses ne fonctionnent pas si bien que ça,
00:46:03même si personne ne l'admet.
00:46:10Il faut que je fasse pipi.
00:46:15Vanessa est auxiliaire de vie
00:46:18et s'occupe de personnes handicapées.
00:46:21Elle gagne à peine 950 euros par mois.
00:46:24Le montant cumulé de ses allocations familiales
00:46:27et de son aide au logement s'élève à 600 euros par mois.
00:46:30Mais le loyer mensuel de son 2 pièces
00:46:33dans la banlieue de Cologne coûte 800 euros.
00:46:39Chaque mois, elle répartit rigoureusement ses dépenses
00:46:42dans l'espoir qu'il lui restera quelque chose
00:46:45pour faire par exemple un petit cadeau à sa fille.
00:46:53Qu'est-ce qui t'angoisse le plus ?
00:46:56Le fait d'avoir peu d'argent
00:46:59ou les incertitudes sur ce que tu vas toucher ?
00:47:02C'est plutôt l'insécurité.
00:47:05Avoir peu d'argent, je connais, la question n'est pas là.
00:47:07Ce qui est dur, c'est l'incertitude.
00:47:10Le traitement des demandes prend toujours un temps fou.
00:47:13Il y a toujours des questions,
00:47:16toujours de nouveaux documents à fournir.
00:47:19Et on a l'impression de parler à des murs.
00:47:22Quand je les appelle pour parler de ma situation,
00:47:25on me répond « Ah bon ? ».
00:47:28Il faut renforcer la protection des parents isolés.
00:47:31Il est tout à fait inacceptable
00:47:34qu'un parent isolé ne puisse pas vivre de son travail.
00:47:37Les parents doivent compléter leurs revenus,
00:47:40solliciter des prestations sociales.
00:47:43Mais les gens ont honte de devoir se faire aider,
00:47:46alors qu'ils font ce qu'ils peuvent.
00:47:49Actuellement, le montant prévisionnel de la retraite de Vanessa
00:47:52est de 540 euros, ce qui est nettement en dessous du seuil de pauvreté.
00:47:55Une fois retraitée, elle devra continuer à solliciter
00:47:58l'aide des services sociaux, alors qu'elle a toujours travaillé.
00:48:01Je me pose des questions.
00:48:04Tant que je travaille,
00:48:07mais qu'est-ce qui se passera quand je serai à la retraite ?
00:48:10Est-ce que je serai encore capable de travailler ?
00:48:13Est-ce que je serai obligée de travailler
00:48:16pour arrondir mes fins de mois ?
00:48:19Et comment faire pour ne pas en arriver là ?
00:48:22Comment faire pour éviter ça ?
00:48:25Oui.
00:48:28Peut-être qu'elle épousera un homme riche.
00:48:31Votre fille, c'est la meilleure chose qu'une femme puisse faire ?
00:48:34Non.
00:48:37Non, certainement pas.
00:48:44Je lui enseigne
00:48:47qu'il est important de savoir faire les choses toute seule,
00:48:50de savoir les faire soi-même, de ne pas compter sur les autres.
00:48:53Je ne voudrais pas qu'elle se dise
00:48:56qu'elle est dépendante d'un mari pour être heureuse et épanouie,
00:48:59un mari qui gagnerait beaucoup d'argent.
00:49:02J'essaie de lui transmettre l'idée qu'elle aussi peut gagner de l'argent
00:49:04et qu'elle peut faire aussi bien qu'un homme.
00:49:09Beaucoup de femmes sont dans la même situation que Vanessa.
00:49:13En moyenne, sur le territoire européen,
00:49:16un tiers des actifs sont en situation de précarité professionnelle,
00:49:19c'est-à-dire qu'ils ont des contrats de travail atypiques ou précaires.
00:49:22Et les femmes sont nettement plus touchées que les hommes.
00:49:25En Autriche, par exemple,
00:49:2850 % des femmes qui travaillent ont un contrat de travail atypique.
00:49:31C'est tout aussi important pour les femmes.
00:49:34C'est aussi vrai dans le reste de l'Europe.
00:49:39Les inégalités salariales hommes-femmes font l'objet de nombreux débats.
00:49:42Mais pourquoi les femmes occupent-elles toujours
00:49:45les emplois les plus précaires ?
00:49:48C'est lié aux tâches ménagères,
00:49:51à tout ce qu'il faut faire pour ne pas souffrir de la saleté chez soi.
00:49:54Les lessives, les tâches domestiques, la garde des enfants,
00:49:57l'éducation, les soins,
00:50:00toutes ces tâches non rémunérées sont surtout exécutées par les femmes.
00:50:02Les vieux stéréotypes sont toujours d'actualité.
00:50:05Donc, d'une part,
00:50:08les femmes gagnent nettement moins que les hommes,
00:50:11mais en plus, elles ont une moins bonne couverture sociale.
00:50:14En Allemagne et en Autriche,
00:50:17ça a des conséquences en matière de pauvreté des personnes âgées,
00:50:20qui touche également plus de femmes que d'hommes.
00:50:23Il y a trois ans,
00:50:26quand nous la rencontrons pour la première fois,
00:50:29Laila Val a 71 ans et elle est retraitée.
00:50:32Elle gagne 800 euros par mois.
00:50:35C'est peu, car en Suède, le coût de la vie est élevé.
00:50:38Une fois tous les frais fixes déduits,
00:50:41il lui reste 250 euros pour vivre.
00:50:44Régulièrement, elle vient faire ses achats
00:50:47à l'épicerie Solidaire du service social municipal,
00:50:50qui revend après réduit des produits alimentaires provenant de collecte.
00:51:03Bonjour.
00:51:07Je peux prendre ? Merci.
00:51:12Non, c'est bon.
00:51:16Ça m'a fait un peu bizarre de venir ici la première fois.
00:51:21Mais maintenant, je me suis habituée
00:51:24et ça se passe bien.
00:51:28Laila Val s'efforce de limiter au maximum les dépenses courantes.
00:51:33Ça fait des années que je n'ai pas acheté de vêtements.
00:51:36Juste tout ce que je porte jusqu'à la corde.
00:51:39Il faudrait aussi que j'aille chez le dentiste.
00:51:43Mais je n'en ai pas les moyens.
00:51:46Le plus dur, c'est cette insécurité permanente.
00:51:49Je n'ai pas besoin d'acheter plein de choses
00:51:52parce que j'ai tout ce qu'il me faut.
00:51:55Ce qui me ronge, c'est que je n'ai pas les moyens.
00:51:58Je n'ai pas les moyens.
00:52:00Ce qui me ronge, c'est de ne pas savoir
00:52:03si je vais pouvoir payer mes factures.
00:52:12Pour faire ses achats ici, il faut justifier de sa précarité.
00:52:16Seules les personnes aux revenus modestes
00:52:19ou celles percevant des allocations sociales sont acceptées.
00:52:25La pauvreté des personnes âgées sévit dans toute l'Europe,
00:52:27même en Suède,
00:52:30pourtant considérée comme un ancien paradis social.
00:52:33Ici, près d'un retraité sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté.
00:52:37Et les femmes seules sont particulièrement touchées.
00:52:40Tous les midis, le service social municipal
00:52:43sert un repas chaud et bon marché à des personnes âgées.
00:52:46De plus en plus de retraités viennent régulièrement ici.
00:52:54C'est toujours sympa de rencontrer des gens.
00:52:57Et de sentir qu'on n'est pas seuls à vivre cette situation.
00:53:03Laila Val a elle-même travaillé pour le service social municipal.
00:53:07Aujourd'hui, elle y retrouve Lasse Ström, un ancien collègue.
00:53:14Pendant 25 ans, ils ont suivi côte à côte
00:53:17des femmes souffrant de problèmes de drogue.
00:53:20Lasse Ström a beaucoup appris de Laila,
00:53:23surtout dans le contact avec les personnes en difficulté.
00:53:26Je suis toujours content de voir Laila.
00:53:29Mais ça fait un passement au cœur de voir
00:53:32qu'une ancienne collègue a besoin de ce genre de structure
00:53:35pour s'en sortir financièrement.
00:53:37Elle a besoin de nous pour pouvoir vivre décemment.
00:53:44C'est dur, mais c'est la réalité de la situation aujourd'hui.
00:53:49C'est franchement humiliant de devoir se rendre dans un tel endroit.
00:53:53Ceci dit, heureusement qu'il en existe.
00:53:57En même temps, je suis en colère de me retrouver dans une telle situation.
00:54:03J'ai commencé à travailler à l'âge de 15 ans,
00:54:06et aujourd'hui, je n'ai presque pas les moyens de me nourrir.
00:54:12La Suède a longtemps été considérée comme un modèle de justice sociale.
00:54:16Mais ici aussi, le fossé entre riches et pauvres ne cesse de se creuser.
00:54:19Depuis le milieu des années 1990,
00:54:22les différences de revenus ont fortement augmenté.
00:54:25Notamment parce que les impôts sur la fortune et sur les successions
00:54:28ont été supprimés et que de nombreuses prestations sociales ont été réduites.
00:54:35Laila Val vit dans un logement social du quartier de Bagarmossen,
00:54:39qui lui coûte quand même la moitié de sa retraite pour le loyer.
00:54:44Elle a travaillé pendant 50 ans comme jardinière d'enfants, éducatrice.
00:54:47aide-soignante, puis travailleuse sociale au contact de SDF,
00:54:51de malades du sida et de personnes handicapées.
00:54:55Le plus souvent payée à l'heure ou avec des contrats à durée déterminée.
00:55:03Travailler dans le secteur de la santé, dans le social, au contact des gens,
00:55:07ça ne rapporte rien.
00:55:10Aujourd'hui, ceux qui travaillent dans les hôpitaux ou dans les garderies
00:55:13ne gagnent rien.
00:55:15Ça ne vaut pas le coup.
00:55:18On gagne plus à travailler avec des ordinateurs.
00:55:21C'est complètement dingue.
00:55:33Laila a élevé seule sa fille Linda,
00:55:36aujourd'hui âgée de 47 ans.
00:55:39À la naissance de Linda, Laila a cessé de travailler pendant deux ans
00:55:42et son niveau de retraite s'en ressent.
00:55:45Et pourtant, concilier son travail et l'éducation de sa fille n'a pas été facile.
00:55:51Linda est allée dans une bonne garderie,
00:55:54où le personnel s'investissait beaucoup.
00:55:57Tu te souviens de Lisbeth ?
00:56:00Je travaillais souvent tard le soir.
00:56:05J'avais du mal à venir avant la fermeture.
00:56:08Je culpabilisais parce que j'avais peur.
00:56:10Je culpabilisais parce que ma fille était souvent une des dernières à quitter la garderie.
00:56:18Dans ces moments-là, Lisbeth m'a beaucoup aidée.
00:56:22Elle t'a même emmenée chez ses parents qui avaient une ferme.
00:56:26Oui, c'est vrai.
00:56:28Laila Wahl améliore sa pension en tricotant.
00:56:32Après son départ à la retraite,
00:56:35elle a continué à travailler occasionnellement pour ses anciens employeurs.
00:56:37Mais cela lui a posé de gros problèmes.
00:56:43Il m'appelait assez souvent pour me proposer différents boulots.
00:56:47J'acceptais toujours en me disant que ça ferait rentrer un peu d'argent le mois suivant.
00:56:52Mais du coup, j'ai trop travaillé.
00:56:55Et j'ai perdu mes allocations logement.
00:56:59En Suède, le cumul emploi-retraite est strictement encadré.
00:57:03Sans le savoir, Laila avait dépassé le plafond autorisé.
00:57:08Les conséquences ont été catastrophiques.
00:57:11La Sécurité sociale lui a demandé de rembourser un trop-perçu de près de 6 000 euros.
00:57:15Sa fille a dû faire un emprunt pour l'aider à payer.
00:57:19Quand j'ai appris que je leur devais une somme pareille, ça m'a complètement abattue.
00:57:25Le soir, je tombais de fatigue, mais la nuit, j'avais des insomnies.
00:57:30Je me demandais ce que j'allais faire, comment j'allais m'en sortir.
00:57:37Faute d'argent pour partir en vacances, Laila profite de son jardin.
00:57:41Provisoirement, car elle n'a pas encore fini de le payer.
00:57:45Sans ses quelques revenus supplémentaires, elle ne pourrait pas le conserver.
00:57:50Une fois par an, l'Association des jardins ouvriers organise un marché au puce.
00:57:55Laila espère qu'il lui rapportera assez d'argent pour pouvoir continuer à payer son crédit.
00:58:01C'est tout le système qui va mal.
00:58:04Nous les retraités, on ne vaut plus rien.
00:58:07Pourtant, on a travaillé pendant toutes ces années.
00:58:11Et maintenant, on se retrouve à se demander comment on va faire pour payer nos factures le mois prochain.
00:58:17J'ai la boule au ventre tous les 25 du mois.
00:58:20C'est le jour où je touche ma pension et que je dois payer mes factures.
00:58:37Laila a de la chance. Le marché au puce a attiré du monde et beaucoup de gens s'intéressent à ses bonnets.
00:58:44Ça s'est super bien passé.
00:58:47J'ai bien vendu et j'ai même de nouvelles commandes.
00:58:50Il faut que je me mette à tricoter.
00:58:53Plein de gens sont venus, ils étaient de bonne humeur, c'était très sympa.
00:59:01Le précariat vit toujours au seuil d'un endettement insoutenable.
00:59:08La moindre erreur, une maladie qui tombe au mauvais moment,
00:59:13un accident qui touche un membre de votre famille,
00:59:17et ça peut être la fin.
00:59:20Quand vous ne savez pas si vous aurez encore du travail dans un mois
00:59:24ou combien vous gagnerez la semaine qui vient,
00:59:27ça se répercute sur toute votre façon de vivre.
00:59:30Ça influe sur l'alimentation, sur les habitudes de consommation,
00:59:33mais aussi sur les projets à moyen ou à long terme.
00:59:36Est-ce que je peux louer une voiture ? Est-ce que je peux faire un enfant ?
00:59:40Est-ce que je peux m'acheter un appartement ?
00:59:44Confucius a dit que l'insécurité était pire que la pauvreté.
00:59:51On peut apprendre à se débrouiller avec de faibles revenus,
00:59:57mais il est beaucoup plus difficile de gérer une insécurité.
01:00:00Mais il est beaucoup plus difficile de gérer une insécurité chronique
01:00:04quand on ne sait pas si on ne va pas se retrouver à la rue, sans rien,
01:00:08du jour au lendemain.
01:00:13Nous retrouvons Laila trois ans plus tard
01:00:16lors d'une séance de sport pour seniors proposée par les services sociaux de la ville.
01:00:21Pendant la pandémie, elle avait peur de sortir et restait généralement chez elle.
01:00:26Bien évidemment, la pandémie a été un moment pénible, et ça l'est encore.
01:00:33On ne fait que s'inquiéter sur l'état de notre monde.
01:00:42C'est tout juste si on ose encore allumer la radio ou la télévision.
01:00:47Aujourd'hui, je n'ai pas regardé les infos à la télé.
01:00:51Je n'ai fait qu'écouter la radio.
01:00:53On sent bien que tout le monde est affecté par tous ces problèmes.
01:01:04Actuellement, elle se rend tous les jours au service social de la ville,
01:01:08notamment pour y déjeuner.
01:01:11Les demandeurs sont de plus en plus nombreux.
01:01:14Avant, le service accueillait surtout des retraités.
01:01:17Mais selon Lasse Ström, l'ancien collègue de Laila,
01:01:19aujourd'hui, il y a aussi des jeunes et des familles avec enfants.
01:01:25On a constamment de nouvelles tranches de la population qui viennent ici.
01:01:30Ils nous disent que leur budget est très serré.
01:01:34Sans nous, ils ne s'en sortiraient pas.
01:01:37C'est très important pour eux de pouvoir faire des courses à bas prix.
01:01:41Actuellement, on voit beaucoup de familles avec des enfants.
01:01:45Ils sont nombreux à venir des banlieues.
01:01:47Et on a aussi beaucoup de SDF.
01:01:51On sent bien que la situation est encore plus difficile qu'avant.
01:01:56Personne ne sait s'il pourra vivre de sa retraite, moi le premier.
01:02:00Est-ce qu'on pourra garder son logement ?
01:02:03C'est devenu très dur de s'en sortir aujourd'hui.
01:02:07Beaucoup de personnes se sont terriblement enrichies,
01:02:11pendant que beaucoup d'autres sont devenus encore plus pauvres.
01:02:14Il faudrait se demander dans quelle société on veut vivre.
01:02:19En Suède, les inégalités sont de plus en plus marquées,
01:02:23notamment les inégalités territoriales.
01:02:26La ghettoïsation et la criminalité dans les banlieues
01:02:29ont été les principaux thèmes de campagne des élections législatives de 2022.
01:02:33Laila Wahl vit toujours dans son logement social.
01:02:37L'État a augmenté sa retraite de 100 euros
01:02:40et elle a pu finir de payer son abri de jardin.
01:02:43Mais son budget reste très serré.
01:02:49Je mange soit chez moi, soit au restaurant social municipal.
01:02:55Je fais ça presque tous les jours.
01:02:59Je trouve ça important de fréquenter un endroit
01:03:02où on se rend compte qu'on n'est pas seul.
01:03:05D'un point de vue financier,
01:03:08combien économisez-vous en mangeant là-bas ?
01:03:14Ça fait une grosse somme,
01:03:17si on compare avec le prix d'un plat du jour.
01:03:26Et comme ça, je peux me permettre d'aller chercher
01:03:30le coiffeur.
01:03:33C'est important pour moi de savoir que j'en ai les moyens.
01:03:39Après deux années d'interruption,
01:03:42le marché d'automne de l'Association des jardins ouvriers
01:03:45se tiendra à nouveau le week-end prochain.
01:03:48Laila y participera pour vendre les bonnets qu'elle tricote.
01:04:01Tout le monde préférerait s'en sortir seul.
01:04:06Mais malheureusement, ce n'est pas possible.
01:04:10En 2022, année électorale,
01:04:13de violentes émeutes éclatent suite à des provocations racistes
01:04:16et anti-islam d'un groupuscule d'extrême droite.
01:04:19La peur de la criminalité et du déclassement social
01:04:22a fait du parti d'extrême droite des démocrates de Suède
01:04:25la deuxième force politique du pays.
01:04:27Le parti a influé sur la formation du gouvernement.
01:04:30Comme en Italie, où les élections parlementaires de 2022
01:04:34ont conduit à la victoire sans appel des formations populistes de droite
01:04:37emmenées par Giorgia Meloni,
01:04:40présidente du parti néofasciste Fratelli d'Italia.
01:04:43L'Europe est-elle sur le point de s'effondrer ?
01:04:48À moins de voir des politiques radicalement nouvelles
01:04:51être mises en place, j'ai bien peur que dans les 12 prochains mois,
01:04:54des millions de personnes partout en Europe,
01:04:57en Amérique du Nord et ailleurs
01:05:00ne perdent leur logement
01:05:03et ne soient sujets à des pensées suicidaires
01:05:06ou à une très grande colère.
01:05:11Cette colère pourrait engendrer une dérive
01:05:14vers un populisme néofasciste,
01:05:17exactement comme dans les années 1920 et 1930.
01:05:20On se retrouve donc à la croisée des chemins,
01:05:25avec deux directions possibles.
01:05:28Soit on opte pour des réformes en profondeur
01:05:31de nature progressiste,
01:05:34soit on bascule vers le populisme néofasciste.
01:05:39Les changements souhaités par Geistending
01:05:42nécessitent de nouveaux modèles de pensée
01:05:45et des politiques nouvelles qui tiennent à l'esprit.
01:05:47Et des politiques nouvelles qui tiennent compte
01:05:50du fait que le développement économique de ces dernières années
01:05:53a laissé pour compte des régions entières,
01:05:56des régions dont les habitants ont le sentiment
01:05:59d'être les perdants des changements actuels.
01:06:02Toutes ces catégories vivent aujourd'hui
01:06:05sur les territoires qui créent le moins d'emplois,
01:06:08sur les territoires où vous avez eu
01:06:11le plus de désindustrialisation,
01:06:14où vous avez des catégories qui ont des petits salaires,
01:06:17où quand il y a une perte d'emploi,
01:06:20le retour à l'emploi est très difficile.
01:06:23Et c'est ce que j'ai appelé la France périphérique,
01:06:26mais on pourrait appeler ça aussi l'Angleterre périphérique
01:06:29ou l'Amérique périphérique.
01:06:32Il y a une Allemagne périphérique,
01:06:35l'Allemagne de l'Est et l'Allemagne périphérique.
01:06:38Sven Krumpholtz a été confronté à des changements similaires.
01:06:41Il y a encore deux ans, son usine produisait
01:06:44des blocs moteurs pour l'industrie automobile.
01:06:47Ça fait bizarre de revoir tout ça.
01:06:50Et ça fait mal de se dire que ça va être démoli.
01:06:58C'est vraiment bizarre comme situation.
01:07:01Sven a travaillé pendant 16 ans comme ouvrier sidérurgiste
01:07:04dans cette fonderie de Leipzig.
01:07:14Ici, ils ont déjà abattu deux halls.
01:07:17C'est la partie de la fonderie.
01:07:20Il ne reste plus que des tas de gravats.
01:07:23Les halls ont complètement disparu.
01:07:26Plus loin, là où il n'y a plus rien du tout,
01:07:29il y avait l'atelier du haut fourneau.
01:07:32C'est là qu'on entreposait toute la ferraille.
01:07:35C'est fou. Ça a disparu tout simplement.
01:07:38Quand ils nous ont dit que tout était fini,
01:07:41je crois que j'ai été l'un des rares à esquisser un sourire.
01:07:44Parce qu'au moins, on avait enfin une certitude.
01:07:47Et là, quelqu'un nous disait que c'était fini.
01:07:50Nous, ça faisait des semaines qu'on s'en doutait.
01:07:53Il faut prendre les choses comme elles sont,
01:07:56même s'il y a beaucoup d'amertume.
01:07:59Il y a 4 ans, la fonderie avait été rachetée
01:08:02par le groupe international Prevent,
01:08:05une société vautour qui ne comptait pas exploiter l'usine,
01:08:08mais la revendre morceau par morceau.
01:08:11Le rachat avait donné lieu à une grève de plusieurs semaines
01:08:14et à l'un des principaux conflits sociaux dans l'est de l'Allemagne
01:08:17où Eugen Krumpholtz s'était impliqué dans le mouvement.
01:08:20La première fois que nous l'avions rencontré sur son lieu de travail,
01:08:23la grève ne datait que de quelques mois.
01:08:26C'était un moment difficile.
01:08:29C'est une expérience que je n'aimerais pas revivre.
01:08:32C'est très dur pour les nerfs.
01:08:35Il y avait 600 vies en jeu.
01:08:38Et certains de mes collègues ont des familles.
01:08:41Donc au total, on arrivait facilement à 1 000 ou 1 200 vies impactées.
01:08:44C'était ça, l'enjeu.
01:08:47On ne pouvait rien faire sans réagir.
01:08:50C'était un combat pour notre droit au travail.
01:08:53Il y a des gens qui n'hésitent pas à démanteler des entreprises
01:08:56parce que ça leur rapporte des sommes incroyables.
01:08:59Si on avait laissé faire, ils auraient tout vendu.
01:09:02Ils auraient intégralement désossé l'usine.
01:09:05Les grévistes ont obtenu gain de cause.
01:09:08Le groupe Prevent s'est retiré, un autre investisseur s'est présenté
01:09:12et l'activité de l'usine s'est poursuivie pendant deux ans.
01:09:14Mais en 2020, les commandes du secteur automobile se sont effondrées,
01:09:19obligeant la fonderie à déposer le bilan et à licencier l'intégralité du personnel.
01:09:24Sven Krumpholz a eu de la chance.
01:09:27Il a rapidement trouvé un nouveau travail.
01:09:30Alors que beaucoup de ses collègues doivent se contenter de contrats temporaires,
01:09:34Sven a aujourd'hui un CDI en tant que technicien-monteur.
01:09:37Ses revenus, en revanche, varient en fonction du nombre de commandes.
01:09:40En moyenne, il gagne à peu près autant qu'avant,
01:09:43mais le montant de son salaire est plus irrégulier.
01:09:46Par rapport à mon travail d'avant, je m'en sors beaucoup mieux.
01:09:50À la fonderie, on avait un certain nombre de tâches à exécuter.
01:09:54Là, c'est pareil, sauf qu'on organise une partie de son travail soi-même,
01:09:57ce qui rend les choses plus intéressantes.
01:10:00En tout cas, c'est mieux qu'avant. On a plus de temps libre.
01:10:03Et ça, à la fonderie, c'était pas le cas.
01:10:06Aujourd'hui, je sais que j'ai une partie de mes après-midi de libre.
01:10:08C'est important.
01:10:14Au niveau de ma santé, je vais beaucoup mieux qu'avant,
01:10:17même si mes poumons ont eu besoin d'un peu de temps
01:10:20à cause des poussières que j'avais inhalées.
01:10:23J'ai eu des quintes de toux pendant six mois.
01:10:26C'est là que je me suis rendu compte du mal que je me suis fait pendant 16 ans.
01:10:29Donc, tu dirais que tu te sens plus heureux aujourd'hui qu'avant ?
01:10:33Oui.
01:10:35Le simple fait de ne plus avoir de travail posté, ça change tout.
01:10:38Alors évidemment, au niveau du revenu, ça a également changé.
01:10:42Je suis rémunéré autrement qu'avant.
01:10:45Je suis payé en fonction de la prestation fournie.
01:10:48Et ça dépend des missions.
01:10:50Quand on a une mission qui ne se passe pas comme elle devrait,
01:10:53ça ne rapporte pas autant que quand tout se passe bien.
01:10:56Sven vit à Leipzig depuis 20 ans.
01:10:59Il habite un petit appartement de Konevitz, un quartier en pleine mutation.
01:11:03Beaucoup de logements ont été restaurés et les loyers augmentent.
01:11:06Un phénomène que Sven observe avec préoccupation.
01:11:10Je paie 530 euros de loyer, chauffage compris.
01:11:14Mais à quelques rues d'ici, pour 10 mètres carrés de plus, il faut compter plus de 1000 euros.
01:11:22La gentrification se ressent très fortement, notamment dans le quartier.
01:11:27On le voit ici avec l'immeuble voisin.
01:11:30Et on le voit aux résidences étudiantes en train d'être construites.
01:11:33Et contre lesquels tout le quartier a manifesté.
01:11:36Parce que c'est inacceptable de payer 400 euros pour une chambre de 20 mètres carrés.
01:11:41Mais comme ça leur permet de créer 60 logements dans un seul immeuble,
01:11:45ils sont en train d'en construire un autre.
01:11:47Et tout ça fait énormément grimper les loyers.
01:11:49Plusieurs fois, j'ai envisagé de déménager.
01:11:53Mais quand j'ai vu les prix du marché, j'ai laissé tomber.
01:11:56C'est impossible.
01:11:58Si je déménage aujourd'hui, je devrais payer près du double de mon loyer actuel.
01:12:01Autant rester ici.
01:12:03C'est dur à dire, mais c'est comme ça.
01:12:05En Allemagne, les personnes au salaire modeste dépensent en moyenne 42% de leur revenu pour leur loyer.
01:12:12Les spéculateurs immobiliers ne manquent pas d'en profiter.
01:12:15Les biens communs font l'objet d'une privatisation croissante.
01:12:18C'est le cas de nombreux terrains qui appartenaient au domaine public.
01:12:21Mais c'est aussi le cas de certaines propriétés intellectuelles,
01:12:24comme par exemple les innovations médicales.
01:12:27Les biens communs sont en quelque sorte le ciment de notre société.
01:12:32Ils en assurent la cohésion.
01:12:34Mais aujourd'hui, on nous les a confisqués.
01:12:38J'estime que les usagers de ces biens communs, en d'autres termes, nous tous,
01:12:45devraient être dédommagés pour la perte de ces biens communs.
01:12:49Et ceux qui s'en emparent pour tirer profit devraient être tenus de nous indemniser.
01:12:59Le capitalisme de rentier consiste en la privatisation des biens communs,
01:13:05pour en tirer profit et pour les faire entrer dans le giron des plutocrates.
01:13:12Les plateformes Internet de prestations de services contribuent elles aussi à la précarisation.
01:13:17Les travailleurs deviennent des micro-entrepreneurs qui n'ont aucun droit, mais qui supportent tous les risques.
01:13:26On le voit avec le personnel de nettoyage, les services de livraison, les coursiers, les artisans,
01:13:33mais aussi avec ce qu'on appelle aujourd'hui le télésécrétariat.
01:13:38Ça signifie que la secrétaire est externalisée vers une plateforme en ligne
01:13:42qui propose des services de gestion des salaires ou de prise de rendez-vous.
01:13:48Et cela détériore sensiblement les conditions de travail de ces employés,
01:13:53parce qu'ils n'ont pas droit à un salaire minimum et qu'ils sont obligés de casser les prix pour obtenir des missions.
01:13:59Ils ne bénéficient pas des garanties du Code du travail
01:14:02et sont obligés de payer leur protection sociale de leur poche.
01:14:05Pour permettre aux télétravailleurs modestes de proposer leurs services en tant qu'auto-entrepreneurs,
01:14:10il a fallu libéraliser le Code du travail.
01:14:13Dans le sud de l'Europe, cela s'est produit après la crise de 2008,
01:14:17sous la pression de la France et de l'Allemagne,
01:14:20soucieuses de conditionner leurs crédits à la réduction des prestations sociales.
01:14:29Nouria Soto vit à Barcelone.
01:14:31Quand nous la rencontrons il y a trois ans, elle a 25 ans.
01:14:36Ses études de journalisme ne lui ont pas permis de trouver un emploi.
01:14:40En attendant, elle travaille comme coursière à vélo
01:14:43pour une coopérative autogérée appelée Mensa Cas.
01:14:48J'aime bien le métier de livreur.
01:14:51Je rencontre les gens du quartier et comme c'est assez physique,
01:14:55ça me permet d'évacuer mon stress, ce qui me fait bien.
01:14:57Et puis aujourd'hui, trouver un emploi qui corresponde à tes études est tellement difficile.
01:15:01Parfois, on est même mieux payé à faire n'importe quel autre travail.
01:15:10Nouria Soto gagne 7,50 euros de l'heure.
01:15:13C'est plus que la moyenne des Espagnols de son âge.
01:15:16Plus de 50% des jeunes Espagnols occupent un emploi précaire,
01:15:20même sans un emploi.
01:15:22J'ai des copains de promo qui font des bulletins météo pour 3,50 euros de l'heure
01:15:26parce qu'ils ont un statut de stagiaires.
01:15:29Franchement, je ne les envie pas.
01:15:34Je suis très contente de ce travail.
01:15:37Je suis très content de ce travail.
01:15:40Je suis très contente de ce travail.
01:15:43Je suis très contente de ce travail.
01:15:46Je suis très contente de ce travail.
01:15:48Franchement, je ne les envie pas.
01:15:54Nouria est cofondatrice de Mensakas.
01:15:57La coopérative compte 30 associés, tous coursiers en CDI.
01:16:02Ils participent tous aux prises de décision
01:16:05et déterminent eux-mêmes leurs horaires de travail et leurs salaires.
01:16:09Tous travaillent en tant que coursiers pour des plateformes de livraison comme Deliveroo.
01:16:14Pour améliorer leurs conditions de travail,
01:16:16ils ont fondé en 2017 le syndicat Les Coursiers pour la Justice.
01:16:22Avec Felipe Corridor et d'autres coursiers,
01:16:25Nouria s'était mise en grève durant plusieurs mois.
01:16:30En fait, plutôt que d'améliorer nos conditions de travail,
01:16:33ces plateformes les ont dégradées.
01:16:35Au départ, on touchait au minimum 8 euros de l'heure.
01:16:38On avait un contrat avec Deliveroo qui nous garantissait cette rémunération.
01:16:43Puis la plateforme a décidé unilatéralement de le supprimer
01:16:46et de le remplacer par un contrat basé sur une rémunération à la commande.
01:16:50Donc s'il n'y a pas de commande, il n'y a pas de rémunération.
01:16:53Pas de salaire minimum, rien.
01:16:55Oui, c'est ça l'ubérisation.
01:16:57On t'utilise comme un faux indépendant.
01:16:59Si tu te casses la figure à vélo, c'est ton problème.
01:17:01Un pneu crevé, c'est ton problème.
01:17:03Tu dois avoir ton vélo, ton portable, ton matériel.
01:17:06Oui.
01:17:08Et en fait, tu n'as ni les avantages d'un travailleur indépendant,
01:17:10ni ceux d'un salarié.
01:17:12Par contre, tu cumules les inconvénients des deux statuts.
01:17:16Après déduction des cotisations, des taxes et des impôts,
01:17:19leur salaire horaire se situait entre 3 et 5 euros.
01:17:23Nouria Soto gagnait près de 300 euros par mois pour des semaines de 25 heures.
01:17:28En représailles, les grévistes se sont vus attribuer moins de courses
01:17:32avant d'être licenciés.
01:17:34Ils ont décidé de saisir la justice.
01:17:36Il faudrait une jurisprudence
01:17:41et obtenir que ces entreprises respectent la loi.
01:17:45Quand toi, tu ne cotises pas au régime des indépendants
01:17:48ou à un régime équivalent, on te tape sur les doigts.
01:17:52Par contre, ces entreprises ne paient pas leurs impôts depuis des années.
01:17:56Ça représente des millions, mais elles ne sont toujours pas inquiétées.
01:18:00À la coopérative Mensa Cas,
01:18:02Nouria Soto ne peut pas s'arrêter.
01:18:03À la coopérative Mensa Cas,
01:18:05Nouria Soto gagne 600 euros par mois.
01:18:08C'est insuffisant pour vivre,
01:18:10mais au moins, elle a un statut d'employée et une couverture sociale.
01:18:13Elle a droit à des congés payés et des congés maladie.
01:18:17Pour mieux rémunérer les coursiers,
01:18:19Mensa Cas veut augmenter son nombre de clients.
01:18:21Mais la concurrence est rude.
01:18:23En Espagne, les services sur Internet sont en plein boom.
01:18:26Et la jeune génération,
01:18:28arrivée sur le marché du travail après la crise de 2008,
01:18:31accepte de travailler pour peu d'argent.
01:18:34Nous ne dénonçons pas uniquement la banalisation du travail précaire.
01:18:38Nous essayons de construire une alternative
01:18:41qui offre aux salariés des conditions de travail dignes.
01:18:45Il faut lui garantir des droits et une protection sociale
01:18:48qui, avec l'ubérisation du système, sont de plus en plus menacées.
01:18:53Nouria Soto a fait ses études dans une université privée.
01:18:57À l'université publique,
01:18:59les places étaient limitées,
01:19:00et réservées aux bacheliers les mieux notés.
01:19:03Elle a dû financer ses études elle-même.
01:19:06Ses frais de scolarité s'élevaient à 8 000 euros par an,
01:19:09qu'elle gagnait en tant que coursière ou en faisant de petits boulots.
01:19:15J'essayais de travailler un peu durant l'année universitaire
01:19:18pour limiter au maximum les dettes.
01:19:20Et l'été, je travaillais plein pot,
01:19:22j'acceptais tous les jobs qui se présentaient.
01:19:26Serveuse,
01:19:28vendeuse,
01:19:31hôtesse d'accueil,
01:19:33bibliothécaire.
01:19:35Je prenais tous les boulots disponibles.
01:19:37C'était dur.
01:19:39Et le soir, je rentrais à pas d'heure, j'étais crevée.
01:19:42Et le lendemain, je me levais parfois très tôt
01:19:44pour passer un examen ou faire un exposé,
01:19:46pratiquement sans avoir dormi.
01:19:48Combien tu dois ?
01:19:53Beaucoup.
01:19:55Et combien de temps pour rembourser ?
01:19:58Des années.
01:20:00Si on m'en laisse le temps,
01:20:02ce n'est pas évident.
01:20:04Je ne peux pas faire autrement.
01:20:06En ce moment, j'essaie de rembourser 100, 200 euros par mois.
01:20:09Mais à ce rythme-là, ce n'est pas demain la veille.
01:20:13Franchement,
01:20:15c'est difficile.
01:20:18Pour faire valider sa licence en journalisme,
01:20:21Nouria doit finir de payer ses études.
01:20:22Elle aimerait enchaîner avec un master,
01:20:25mais c'est trop cher.
01:20:27Pour les Espagnols de moins de 30 ans,
01:20:29les stages et les emplois occasionnels sont la norme.
01:20:32La plupart d'entre eux gagnent moins de 1 000 euros bruts par mois.
01:20:38La sécurité est devenue une obsession.
01:20:41J'ai envie de stabilité pour l'avenir.
01:20:45On ne sait pas si on aura une retraite.
01:20:49On ne sait rien.
01:20:52En Espagne,
01:20:54la reprise économique qui a suivi la crise financière
01:20:57n'a bénéficié qu'aux 50 % les plus riches de la population.
01:21:00Une inégalité qui s'est accrue avec la pandémie
01:21:03et le récent retour de l'inflation.
01:21:05Aujourd'hui,
01:21:07plus d'un quart des Espagnols sont menacés de pauvreté.
01:21:10Des villes comme Barcelone
01:21:12attirent pourtant de plus en plus de touristes et d'investisseurs.
01:21:15Les classes moyennes subissent un déclassement
01:21:17et se voient peu à peu chassées de la ville.
01:21:20Nuria Soto profite de chaque occasion pour manifester pour ses droits.
01:21:25Pour moi, le 1er mai représente la lutte pour des droits
01:21:28que nous avons encore actuellement,
01:21:30mais qui sont de plus en plus menacés.
01:21:37Beaucoup de gens vivent dans la précarité,
01:21:40mais rares sont ceux qui manifestent.
01:21:42Je crois que la précarité est en train de se banaliser
01:21:45et il faut que ça s'arrête.
01:21:47Il faut donner une visibilité à ces personnes
01:21:49et surtout œuvrer pour une prise de conscience générale.
01:22:00Alors que de nombreux États de l'Union européenne
01:22:03continuent de réduire la protection sociale,
01:22:05la Commission européenne a légèrement corrigé le tir.
01:22:10En 2019,
01:22:12le Parlement européen a adopté une directive
01:22:14sur la sécurité du marché du travail.
01:22:16C'est un 1er pas.
01:22:19Ce texte stipule par exemple qu'en Europe,
01:22:21les travailleurs intérimaires ne peuvent pas être moins payés
01:22:24que le personnel permanent.
01:22:26Ou qu'après une période de 6 mois,
01:22:28les contrats de travail à durée déterminée
01:22:30devront être requalifiés
01:22:32en contrats de travail à durée indéterminée.
01:22:35Le problème est que cette nouvelle directive européenne
01:22:38n'a pas encore été transposée dans le droit national.
01:22:40Et pour faire valoir leurs droits,
01:22:42les travailleurs sont souvent obligés de se battre.
01:22:46C'est ce qu'ont fait Nuria et ses collègues.
01:22:49A la suite de leur action en justice,
01:22:51l'entreprise Deliveroo a été condamnée
01:22:53à dédommager les nombreux faux indépendants
01:22:56auxquels elle a proposé un emploi non garanti pendant des années.
01:23:00Nuria Soto a obtenu 12 000 euros.
01:23:03Une somme qui l'a surtout aidée à passer à travers la pandémie.
01:23:09Ça a été une belle victoire.
01:23:11Et une grande satisfaction.
01:23:14Souvent, avec les collègues, on faisait la même blague.
01:23:16Celui qui payait une bière aux autres disait
01:23:19« T'inquiète pas, c'est Deliveroo qui paye ».
01:23:23Ça a été une victoire extrêmement gratifiante,
01:23:26d'un point de vue personnel.
01:23:29Parce que j'ai beaucoup souffert
01:23:31et j'ai été assez malheureuse à cause de cette entreprise.
01:23:34Et toucher cet argent m'a aussi bien aidée.
01:23:39J'ai pu payer la fac,
01:23:41je me suis inscrite dans un master d'anthropologie
01:23:44que je voulais faire depuis des années.
01:23:47Je l'ai passé en deux ans pour pouvoir continuer à travailler.
01:23:51J'ai trouvé ça génial.
01:23:53Mais j'avais oublié à quel point c'est dur de travailler pendant ses études.
01:23:56Si je m'en étais souvenu, je ne l'aurais pas refait.
01:24:00À terme, Nuria souhaite combiner ses études
01:24:03et son expérience de coursière livreuse.
01:24:05Actuellement, elle participe à l'écriture d'un livre
01:24:08sur la création de modes de travail alternatifs.
01:24:12Même si elle a payé ses dettes,
01:24:13elle cumule toujours les petits boulots
01:24:15et se maintient à flot d'un mois à l'autre.
01:24:20Parfois, je me dis que l'incertitude,
01:24:23c'est encore pire que la précarité.
01:24:25La pauvreté, on peut s'y adapter.
01:24:27L'incertitude, on n'a aucune prise dessus,
01:24:30donc elle est plus difficile à supporter.
01:24:32Votre priorité, c'est la stabilité ?
01:24:36Oui.
01:24:38Je crois que j'en rêve depuis...
01:24:40depuis des années, je dirais.
01:24:45C'est une lutte permanente.
01:24:48Parfois, je me demande si je ne souffre pas
01:24:51du syndrome de Stockholm avec la lutte.
01:24:53Je ne peux plus m'en passer.
01:24:57On s'y habitue
01:24:59et on se sent à l'aise là-dedans.
01:25:03Mais en fait, ça veut dire qu'on est en train
01:25:06de banaliser la précarité.
01:25:07L'anxiété.
01:25:10Ou les difficultés qu'on rencontre pour s'en sortir
01:25:13ou trouver du travail.
01:25:23Le lendemain matin.
01:25:25La constante dans la vie de Nuria,
01:25:27c'est son travail chez Mensa Cas,
01:25:29la coopérative de livraison.
01:25:31Durant la pandémie,
01:25:33Nuria et ses collègues avaient fort à faire.
01:25:35Ils livraient des repas aux personnes âgées et aux malades
01:25:38et se sont achetés de nouveaux vélos cargo.
01:25:41Tous sont satisfaits de travailler
01:25:43dans de meilleures conditions qu'avant.
01:25:45Je me souviens encore d'une de mes pires journées
01:25:47avec des livre-roues.
01:25:49Il pleuvait et je n'arrivais pas à mettre
01:25:51livré dans l'application
01:25:53parce que mon téléphone marchait mal.
01:25:55J'étais désespérée.
01:25:57J'avais reçu un mail me disant
01:25:59que je ne travaillais pas assez vite.
01:26:01Cette semaine-là, il avait beaucoup plu,
01:26:03j'étais stressée, j'avais failli me faire renverser
01:26:06Depuis les bureaux, il me mettait la pression.
01:26:10Ici, ça n'arrive jamais.
01:26:12S'il pleut et qu'un livreur a du retard,
01:26:15tout va bien, on s'arrange.
01:26:17Il peut s'arrêter un moment
01:26:19et on s'en sort toujours.
01:26:21C'est beaucoup mieux comme ça.
01:26:23Et aussi, on personnalise la communication.
01:26:26On a des relations humaines.
01:26:28Les clients nous connaissent,
01:26:30ils savent comment on fonctionne
01:26:32et qu'on n'est pas de simples numéros.
01:26:34Sa grande fierté est d'avoir contribué
01:26:37à faire modifier la loi.
01:26:41Cette photo a été prise à Bruxelles
01:26:44avec des livreurs de toute l'Europe.
01:26:49On a réussi à se retrouver là-bas
01:26:51pour faire part de nos revendications.
01:26:55C'est grâce à ça
01:26:57que la directive européenne
01:26:59et la loi Riders ont été votées.
01:27:01On s'est vraiment démenés.
01:27:04En 2021,
01:27:06l'Espagne a adopté la loi Riders,
01:27:08devenant ainsi le premier pays de l'Union européenne
01:27:11à réglementer les conditions de travail
01:27:13des employés des plateformes numériques.
01:27:17Moi, je crois qu'il faut continuer d'espérer.
01:27:20Il faut au moins ne pas perdre espoir.
01:27:22Il faut continuer la lutte,
01:27:24même si on a peur de perdre.
01:27:26Si on n'obtient pas tout ce qu'on veut,
01:27:28on aura quand même un petit quelque chose.
01:27:30Il ne faut jamais s'arrêter de lutter.
01:27:33Ce qui me fait peur,
01:27:35ce n'est pas de ne pas gagner,
01:27:37c'est que les gens arrêtent la lutte.
01:27:39Voilà.
01:27:48Dans quel monde vivrons-nous demain ?
01:27:51Les gens se rassembleront-ils
01:27:53pour lutter pour les droits sociaux
01:27:55ou éliront-ils des gouvernements autoritaires ?
01:27:58La colère ne s'apaisera
01:28:00que si les inégalités sociales cessent de se creuser.
01:28:04Au cours des dix dernières années,
01:28:06en France comme en Allemagne,
01:28:08les revenus de la classe moyenne ont stagné
01:28:10alors que ceux de la classe supérieure
01:28:12ont fortement progressé.
01:28:14Conséquence, la classe moyenne se réduit.
01:28:18Le phénomène touche surtout les jeunes
01:28:20qui ont peu de chances de s'élever socialement.
01:28:23Avec la pandémie,
01:28:25la situation s'est encore aggravée.
01:28:29La valeur des actifs des institutions financières
01:28:31représente désormais plus de 500 % du PIB.
01:28:37En Grande-Bretagne,
01:28:39elle est même passée à plus de 1000 %,
01:28:41soit dix fois le montant du revenu national.
01:28:46Pendant la pandémie,
01:28:48on a vu un Jeff Bezos ou un Elon Musk
01:28:50gagner des milliards de dollars
01:28:52alors que la grande majorité de la population
01:28:54ne faisait que perdre de l'argent.
01:28:55Mais il n'y a pas que les très riches.
01:28:57Tous les propriétaires fonciers
01:28:59se sont très bien sortis de cette crise.
01:29:01Alors bon sang de bonsoir,
01:29:03on peut augmenter les impôts.
01:29:05On peut limiter les bénéfices des revenus locatifs.
01:29:07On peut arrêter de subventionner les riches
01:29:09à coups de milliards d'euros ou de dollars.
01:29:25Sous-titrage ST' 501
01:29:55Sous-titrage ST' 501

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