Mort d'Alain Delon : retour sur une carrière de légende
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00:00Et on va continuer de parler de la vie et de l'œuvre d'Alain Delon avec notre chroniqueur culture-cinéma,
00:05très précisément, Thomas Borez, avec nous en direct. Bonjour Thomas.
00:09Thomas, quel type d'acteur c'était exactement Alain Delon ?
00:13Alors une formule facile, je dirais que Alain Delon est Alain Delon, c'est-à-dire le côté unique, propre au monument,
00:20parce que c'est effectivement extrêmement difficile à définir, c'est-à-dire qu'il y avait quelque chose chez Alain Delon de l'artiste froid
00:28et presque atone, et c'est vrai que c'est assez surprenant de voir qu'il a rencontré des grands rôles et des grands cinéastes,
00:35mais que l'acteur lui-même était presque finalement dans une ligne presque toujours égale,
00:41comme si Alain Delon se contentait d'être ce qu'il avait reçu presque comme viatique au début de sa carrière,
00:48puisque le cinéaste, je crois que c'était Yves Allégret, lui avait dit « n'essayez pas de jouer, soyez vous-même ».
00:53Alors Alain Delon, qu'il n'avait pas vraiment fait d'école, a retenu cette leçon et il est resté au fur et à mesure de sa carrière,
01:01lui-même, et comme celui-même a changé, est devenu presque un trop-plein de lui-même,
01:05ça a créé une espèce de tension à l'écran qui était toujours assez sidérante,
01:09c'est-à-dire que contrairement par exemple à Belmondo, il n'a pas vraiment rencontré la nouvelle vague au moment de son éclosion, au début des années 60,
01:17contrairement à Belmondo par exemple, il n'a pas fait de comédie, lui il restait cette espèce de figure presque tutélaire,
01:24cette espèce de monument, cette espèce de force vraiment tellurique qui explosait à l'écran.
01:31Donc c'est effectivement un acteur légendaire, il suffit juste de noter au tout début de sa carrière tous les cinéastes qu'il croise dans juste quelques années.
01:39Visconti, Antonioni, Verneuil, René Clément, Melville, Zurlini,
01:44c'est-à-dire que c'est incroyable comment cet acteur va émerger par sa beauté sidérante et tout de suite rencontrer les caméras des plus grands.
01:53Il était souvent, vous l'avez rapidement mentionné Thomas, il était souvent mis d'ailleurs en opposition avec un monstre sacré comme on dit du cinéma français, c'est Jean-Paul Belmondo.
02:03Voilà la rencontre s'est faite avec Borsalino, c'était presque une rencontre à la fois effectivement attendue et presque improbable,
02:11en même temps ces deux-là s'observaient évidemment à distance et c'est presque les deux faces de deux mythes totalement différents.
02:18C'est-à-dire que d'un côté vous avez le Belmondo sentillant, sautillant, qui a toute sa vie été on va dire en tout cas généreux,
02:26qui a fait presque école, il s'entourait des gens comme Jean Dujardin, Gilles Lelouch qu'il considérait presque comme ses descendants directs.
02:33Et puis d'un côté il y a Alain Delon dans sa tour d'ivoire qui lui est resté vraiment à distance à la fois du monde du cinéma,
02:40mais aussi par ses prises de position controversées, on l'a vu dans le portrait que vous venez de dresser,
02:45vraiment un homme effectivement pas très sympathique politiquement et d'ailleurs c'est paradoxal parce que Delon il essaie de charmer
02:52et en même temps il s'est employé à se mettre tout le monde à dos, donc c'est extrêmement paradoxal.
02:57Ce qui fait qu'effectivement la rencontre entre Belmondo et Delon c'est vraiment les deux faces d'une pièce totalement différente.
03:03Et c'est vrai qu'on se posait la question de savoir que l'enterrement et le deuil national consacré à Belmondo,
03:10est-ce qu'il y aura ça pour Delon ? On peut presque en douter parce qu'effectivement la figure est extrêmement controversée.
03:16Figure controversée, immense acteur aussi, vous l'avez dit Thomas, qu'est-ce qu'on peut retenir finalement de sa filmographie ?
03:21Vous avez évoqué les grands classiques, on pense bien sûr au Guépard de Lisconti, on parle aussi de Plein Soleil de René Clément,
03:28quel autre film on peut retenir d'Alain Delon ?
03:31C'est une question intéressante, c'est-à-dire que ce qui est intéressant c'est qu'effectivement on va retenir les points saillants,
03:36et vous venez de le dire, Plein Soleil, Rocco et ses frères, l'éclipse d'Antonioni, et on aura raison.
03:41Ce qui est intéressant c'est de voir comment ce personnage et comment cet acteur a évolué.
03:46Et c'est vrai que dans les années 70, il y a une espèce de mouvement qui s'opère où Alain Delon devient presque le spectre de lui-même,
03:55et c'est dans des rôles presque dévitalisés qu'il va être le plus impressionnant et le plus fort.
04:01Je pense notamment au Samouraï de Jean-Pierre Melville, je crois que c'est un des films qu'il préférait.
04:05D'ailleurs je crois que Delon disait, le jour de ma mort je veux qu'on titre Le Samouraï est mort.
04:09Si vous vous souvenez de ce film, c'est une espèce de personnage totalement froid, monolithique, qui ne parle pas,
04:14et qui avance comme ça dans une espèce d'écore de case en case.
04:17Et bien ça va être la matrice de tout un jeu extrêmement moderne finalement de Belmondo,
04:22qui va le reproduire avec Melville pour un flic,
04:24ou encore à ce film qui s'appelle Le Professeur de Valerio Zurlini,
04:28film très froid où là aussi il y a un Belmondo extrêmement triste,
04:32je pense aussi à Monsieur Klein de Joseph Losey.
04:34Bref, un acteur qui va devenir peu à peu non plus cette espèce de personnage solaire,
04:40mais au contraire, une espèce presque de spectre, je l'ai dit,
04:44presque une espèce de zombie totalement dévitalisé.
04:46Et là, quand il ne restera que la carapace, c'est là où on arrive à toucher vraiment du doigt
04:51le côté extrêmement subtil et presque tragique et l'effet lure du personnage Delon.
04:57Il y a aussi cette rencontre, il faut quand même le dire,
04:59il a quand même rencontré Godard, je disais qu'il n'avait pas été un enfant de la Nouvelle Vague,
05:02c'est vrai, il va rencontrer Godard dans les années 80,
05:05avec ce film qui s'appelle d'ailleurs Nouvelle Vague, un petit clin d'œil,
05:09et c'est la rencontre en fait de deux personnages qui là aussi ne pouvaient pas se rencontrer,
05:13et ça donnera une espèce de film extrêmement étrange, extrêmement intello.
05:17Et Delon d'ailleurs l'aura très bien compris,
05:19c'est vrai qu'on a tendance à dire que Delon était quelqu'un un peu bas du front, réac et tout ça,
05:23ce qui est vrai, mais il y avait aussi une part de lui-même un petit peu malicieuse,
05:26et ça se voit d'ailleurs dans cette rencontre au sommet avec Jean-Luc Godard.
05:31Merci beaucoup Thomas pour toutes ces précisions.
05:34Thomas Borez, notre chroniqueur cinéma ici à France 24.