• il y a 3 mois
Le 24 février 2022 l'Europe était plongé dans l'angoisse avec l'invasion de l'Ukraine au delà de la Crimée et du Donbass par la Russie. Cette guerre dure toujours, le 6 aout l'Ukraine a intensifié son offensive, Anthony Bellanger, journaliste spécialiste des questions internationales dresse l'état des lieux de ce conflit.  

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00:00Le 24 février 2022, l'Europe et le monde étaient plongés dans l'angoisse, l'angoisse de la guerre puisque la Russie envahissait l'Ukraine, au-delà de la Crimée et du Donbass, c'était il y a 906 jours, et cette guerre dure toujours.
00:14Le 6 août, c'est l'Ukraine qui a intensifié son offensive sur les territoires russes de Koursk et Belgorod. On fait un point sur la situation avec vous, Anthony Bélanger, bonjour.
00:23Bonjour.
00:24Vous êtes journaliste spécialiste des questions internationales, merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.
00:27Merci à vous.
00:28Est-ce que cette situation qu'on voit aujourd'hui depuis une dizaine de jours, est-ce que c'est un revirement de situation, Anthony ?
00:34Elle est totalement inédite, elle est totalement inédite. Ce n'est pas la première fois que les Ukrainiens font des incursions au territoire russe, mais ce n'était pas vraiment l'armée ukrainienne.
00:41C'était des supplétifs de l'armée ukrainienne, c'était des affidés, des opposants au Kremlin qui avaient fait de brèves incursions pour montrer qu'ils pouvaient s'enfoncer profondément en territoire russe.
00:51Non, là, il s'agit d'un vrai corps d'armée, plusieurs milliers de militaires ukrainiens qui s'appuient sur des réservistes et qui entrent en territoire russe et qui ont vocation à en occuper quelques centaines, voire quelques milliers de kilomètres carrés.
01:06Et ça, c'est vraiment nouveau. Certains disent que c'est la première fois depuis 1945, en fait, que la Russie est envahie, tout simplement.
01:14Alors, il faut quand même raison garder. C'est-à-dire qu'il s'agit pour l'instant de quelques centaines de kilomètres carrés. Grosso modo, ce que les Ukrainiens sont parvenus à sécuriser,
01:23c'est une ville qui est très importante pour eux, qui s'appelle Sudja, qui se trouve très près de la frontière, mais qui se trouve être une ville stratégique...
01:28Côté ukrainien ?
01:29Côté... Qui se trouve être très bas de la frontière, côté russe. C'est une ville russe, à quelques kilomètres de la frontière ukrainienne, en Russie.
01:36Et ils ont réussi à la sécuriser entièrement. Cette ville, figurez-vous, c'est que c'est par là que passe le gaz qui part en Europe.
01:43Et l'entreprise Gazprom ou d'autres gagnent entre 7 à 8 milliards à faire passer du gaz par là, et devinez où va ce gaz ?
01:51Eh bien, ils vont justement aux amis de la Russie en Europe, c'est-à-dire la Hongrie, la Slovaquie, l'Autriche par ailleurs.
01:57Donc c'est un moyen de pression, comme il y en a d'autres, évidemment.
02:00Voilà. Là, on parle vraiment d'un objectif stratégique, qui est celui de sécuriser une ville et de sécuriser une usine qui priverait la Russie de 7 à 8 milliards de dollars de revenus par an.
02:09Est-ce que stratégiquement, ça peut changer le cours de la guerre ? Vous nous dites qu'il faut raison garder, mais est-ce qu'on peut assister à un basculement ?
02:17Ce qui est merveilleux, c'est que je vais pouvoir citer Joe Biden, qui disait que c'est un dilemme pour la Russie.
02:22C'est-à-dire qu'en fait, ce n'est pas un problème, c'est un dilemme.
02:25Le dilemme, c'est est-ce que je vais devoir ramener des troupes, dégarnir le front ukrainien pour mettre des troupes là et chasser les Ukrainiens ?
02:36Jusqu'à présent, à ce dilemme, Vladimir Poutine a répondu par non.
02:40C'est-à-dire, nous ne changerons rien, nous ne déplacerons pas des troupes qui, en ce moment, se battent et qui infligent des défaites assez difficiles, d'ailleurs, à l'Ukraine.
02:49Mais oui, parce qu'une grosse partie du territoire est toujours occupée, une grosse partie du territoire est occupée par les russes.
02:54Je vais vous dire, la réalité, c'est que certes, cette incursion est très bonne pour le moral des Ukrainiens.
02:58Certes, elle a permis de sécuriser cette ville et de cette usine de gaz.
03:03Certes, elle a permis de capturer du matériel, éventuellement de couper des routes d'approvisionnement, de logistique.
03:10Elle a permis plein de choses.
03:11Et elle a permis notamment de changer la narration.
03:13Parce que si on en parle aujourd'hui, c'est parce que depuis des mois et des mois, c'était devenu particulièrement difficile de parler de l'Ukraine.
03:20Au fond, les russes grignotaient quelques centimètres ou quelques mètres carrés de territoire petit à petit et infligeaient des pertes épouvantables côté ukrainien.
03:27Il n'y avait rien à raconter.
03:28Surtout, c'était dur pour les Ukrainiens.
03:30Là, enfin, il y a un peu de gravitas, quelque chose d'un peu nouveau qui se passe, du mouvement.
03:36Justement, comment la communauté internationale réagit-elle ?
03:39Du côté des Occidentaux, comment on voit cette incursion ukrainienne en territoire russe ?
03:44Alors, c'est ça la deuxième grande surprise.
03:45Vous avez tout à fait raison de le souligner.
03:46Parce que la première surprise, c'est un, on peut le faire.
03:49C'est possible.
03:50On peut rentrer en Russie.
03:51Comme dans du beurre, il ne se passe rien.
03:52Deux, les Occidentaux ne réagissent plus.
03:55Je rappelle quand même...
03:56Pourtant, il y a des armes occidentales qui ont été utilisées.
03:59Au fur et à mesure, vous savez, on dépasse les lignes rouges, les fameuses lignes rouges qu'on dépasse les unes après les autres.
04:03Et là, une des grandes lignes rouges, c'était pas question de porter la guerre en territoire russe.
04:08Eh bien, si.
04:09Les Ukrainiens le font.
04:10Et les Occidentaux suivent.
04:12Ils ont été tenus au courant.
04:13Ça, on ne peut pas imaginer l'inverse.
04:15Et suivent.
04:16On sait, par exemple, qu'il y a des chars britanniques qui, en ce moment, entre les mains des Ukrainiens,
04:20sont en train de porter le coup de feu, d'une certaine manière, en Russie.
04:24Ça change tout.
04:25Parce que ça veut dire, en fait, que non seulement les Occidentaux suivent les Ukrainiens jusqu'au bout,
04:30mais en plus, ils les suivent, y compris dans quelque chose qui semblait inimaginable il y a encore quelques mois,
04:35entrer en Russie.
04:36Et ça change aussi, y compris du côté russe, la fameuse théorie de la dissuasion.
04:42La dissuasion nucléaire.
04:44C'est-à-dire que les Russes nous disent depuis le début, le nucléaire, le nucléaire, le nucléaire.
04:48Évidemment, tout le monde est pété de trouilles, effectivement.
04:51C'est-à-dire que tout le monde a peur de ce qui peut se passer s'ils utilisaient l'arme tactique ou l'arme stratégique.
04:57Mais en fait, on se rend compte que même en envahissant la Russie, les Russes n'utilisent pas l'arme nucléaire.
05:01Et pour une raison très simple.
05:03C'est que leurs alliés, la Chine notamment, qui est un pays extrêmement conservateur sur l'arme nucléaire,
05:09leur a dit depuis le début, s'il y a un tabou, c'est celui-là.
05:12Vous n'utilisez pas l'arme nucléaire, sinon on se...
05:16Si l'Ukraine n'est pas une puissance nucléaire, les alliés de l'Ukraine, eux, possèdent la bombe atomique.
05:21Personne n'a envie d'un engrenage nucléaire, et surtout pas les alliés de la Russie, et encore moins la Chine.
05:26Donc si vous voulez, pour l'instant, les Ukrainiens ont réussi à faire la démonstration que l'arme nucléaire,
05:32qu'en fond, la Russie est un tigre de papier en ce qui concerne l'arme nucléaire.
05:36On est bien d'accord.
05:37Et que personne ne l'utilisera, même s'ils foncent jusqu'à la course, ce qui ne va pas arriver tout de même.
05:43Comment c'est perçu de la part de la population russe ?
05:46Alors, ça c'est très complexe à savoir.
05:48D'abord, il faut savoir que les Russes ont accès à tout.
05:52Ils ont accès absolument à tout.
05:54Vous voulez dire qu'ils sont au courant de la situation ?
05:57Ils sont au courant de tout, ils sont au courant de la situation, ils utilisent des VPN,
05:59tous ceux qui savent utiliser Internet savent ce que ça veut dire,
06:01ça veut dire qu'ils peuvent contourner la censure russe,
06:04ce sont des gens qui ont voyagé, qui continuent de voyager,
06:07ça fait 20 ans qu'ils sont plus contraints derrière leurs frontières,
06:11donc en fait, ils savent tout.
06:13Cela dit, ça ne les empêche pas de penser que, par exemple,
06:15une invasion de leur propre territoire est un au-go,
06:18c'est aussi quelque chose qui peut les choquer.
06:21Est-ce que ça peut renforcer la rhétorique russe qui était de dire
06:24finalement, ce ne sont pas nous les belligérants, on se protège de l'Ukraine ?
06:29Est-ce que ça renforce cette rhétorique-là ?
06:31Oui, il y a un côté paradoxal.
06:32Malgré tout, de notre côté, on voit ça comme, je ne sais pas,
06:35c'est bien vu, bien fait, tout va bien.
06:38Mais du côté russe, on peut effectivement penser
06:40que les russes le prennent assez mal.
06:44Toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire qu'ils voient aussi bien
06:47qu'il y a une désorganisation totale.
06:49Je rappelle quand même que les Ukrainiens sont entrés en Russie
06:52depuis dix jours et que rien ne s'est passé.
06:55Rien ne s'est passé.
06:56Ça ne veut pas dire qu'ils ne rencontrent pas de résistance,
06:58ils en rencontrent de plus en plus.
07:00Il y a une surprise au début.
07:02Une surprise qui dure dix jours, ça commence à faire beaucoup.
07:07Alors Vladimir Poutine a nommé un de ses plus proches amis
07:13ou collaborateurs, on ne sait plus, loyaux,
07:15pour essayer de reprendre en main tout ça.
07:17On voit bien que l'armée russe est totalement prisonnée pour vue.
07:20On voit bien aussi que l'armée russe, et on le savait depuis le début,
07:23en fait, est une espèce d'énorme machine bureaucratique
07:26et une espèce d'énorme mastodonte qu'à Kachim
07:32qu'on a beaucoup de mal à déplacer
07:34et qu'au fond, c'est ça le problème qui se pose.
07:37C'est-à-dire qu'ils n'avaient absolument pas imaginé
07:39qu'on puisse rentrer en territoire russe
07:41et qu'ensuite ils ont, eux, un objectif, et qu'ils ne l'ont pas lâché,
07:43qui est bien d'enfoncer le front du Donbass
07:46et de gagner petit à petit dans cette guerre d'attrition
07:48dans laquelle ils contraignent les Ukrainiens
07:51à entrer plus profond en Ukraine.
07:53Le mythe de la Russie invincible qui s'étiole progressivement
07:56et Vladimir Zelensky dans un message le 10 août
07:59qui dit qu'il faut déplacer la guerre en Russie
08:01et que plus la pression sera forte sur la Russie,
08:03plus la paix se rapproche.
08:05Est-ce que vous pensez qu'il a raison ?
08:07Est-ce que la paix peut se rapprocher ?
08:09La paix, non.
08:11Ce n'est pas en attaquant la Russie
08:13qu'on se rapproche de la paix.
08:15Ça, c'est de la rhétorique, rien d'autre.
08:17Par contre, ce qui est vrai, c'est qu'il teste
08:19il a probablement un intérêt stratégique
08:23à montrer qu'on peut intervenir en Russie,
08:26taper plus profondément, éventuellement avec des armes occidentales
08:30qu'au fond, cette ligne-là, c'était à lui de l'enfoncer.
08:32C'est-à-dire que c'était aux Ukrainiens
08:34d'enfoncer cette dernière ligne
08:36qui conduisait à envahir la Russie
08:41sur quelques centaines de kilomètres
08:43de manière ensuite, peut-être, à aller plus loin
08:45dans un intérêt stratégique profond
08:48qu'ont les Ukrainiens, qui est de couper
08:50toutes les lignes de ravitaillement possibles et imaginables
08:52à l'arrière du front.
08:54Là, on peut imaginer que les Américains,
08:56après cette espèce de démonstration de force,
08:58d'une certaine manière, ne les empêcheront pas
09:00d'utiliser des missiles de moyenne et longue portée
09:03pour aller éventuellement taper
09:05ce qu'ils ont déjà commencé à faire,
09:07c'est-à-dire des bases aériennes,
09:09des lignes de ravitaillement,
09:11des noeuds ferroviaires, des noeuds routiers,
09:13bref, tout ce qui permet à la Russie
09:15d'approvisionner le front.
09:16– Merci beaucoup, Anthony Bélanger, d'être venu nous apporter
09:18votre éclairage sur cette incursion
09:20ukrainienne en territoire russe.
09:22– Merci à vous.

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