7 MINUTES POUR COMPRENDRE - Incursion en Russie: jusqu'où l'Ukraine peut-elle aller?

  • il y a 2 semaines
Depuis plus d'une semaine, l'armée ukrainienne a lancé une incursion surprise en Russie. Dans la région de Koursk, des habitants ont été contraints de fuir. Au 7e jour de l'incursion ukrainienne dans la région russe de Koursk, le président russe Vladimir Poutine accuse les forces ukrainiennes de vouloir semer la "discorde" au sein de la société russe.
Transcript
00:00Pour en parler ce matin, Jérôme Clèche, vous êtes spécialiste défense, Paul Gogo, merci d'être avec nous, vous êtes habituellement notre correspondant en Russie, il se trouve que vous êtes à Paris en ce moment,
00:16et puis Alexandre Kheri, vous êtes notre correspondant en Ukraine, je me tourne vers vous pour commencer. Cette incursion en Russie de la part de l'Ukraine, elle a surpris tout le monde il y a quelques jours,
00:29est-ce que Volodymyr Zelensky veut aller plus loin et continuer cette offensive ?
00:38Alors, je ne suis pas sûr qu'Alexandre Kheri nous entende, on peut se poser cette même question en plateau, Jérôme Clèche, c'est vrai qu'il y a eu une surprise au moment de cette incursion, jusqu'où veut aller Volodymyr Zelensky ?
00:54L'objectif sans doute, non pas affiché mais qu'on peut sentir poindre, c'est de représenter un vrai pouvoir de nuisance pour la Russie, sans doute de prendre des gages territoriaux et humains,
01:07puisque maintenant il y a plusieurs centaines de prisonniers russes qui ont été faits par l'Ukraine, sans doute en vue de négociations et d'arriver véritablement fort à la table des négociations.
01:17L'objectif n'est sans doute pas militaire au sens où ça consisterait à une progression sans fin dans la profondeur du territoire russe, car sauf, preuve du contraire, l'Ukraine n'en a pas les moyens matériels et humains.
01:30Comment s'est passé cet assaut ? En fait, c'était d'abord une brigade de 1000 hommes, de l'infanterie mécanisée, des blindés, des frappes de drones telles qu'on a pu connaître dans le Donbass,
01:41donc rien de nouveau sur le plan militaire, simplement il y a eu cette volonté de frapper de façon assez symétrique sur le territoire russe, comme les Russes frappent sur le territoire ukrainien,
01:51de façon à surprendre la Russie, laquelle n'a pas été surprise mais à mépriser l'attaque, estimant justement qu'il n'y avait pas de continuation militaire.
01:59Et en effet, on le verra, la temporalité fait qu'on a ce sentiment, avec cette surexposition, qu'il y a une progression permanente.
02:0874 localités, 1000 kilomètres carrés, c'est beaucoup ou c'est pas beaucoup ?
02:121000 kilomètres carrés ne valent pas les 1300 kilomètres carrés grignotés sur le Donbass au fil du temps et consolidés par la Russie,
02:19ces 1000 kilomètres carrés qui sont essentiellement dans des zones, j'allais dire, très peu peuplées, pour ne pas dire désertiques,
02:24et les zones urbaines ne sont pas prises et sont encore l'objet de la résistance russe.
02:30Donc de continuation militaire, même après les 5000 hommes qui arrivent en second échange et qui sont déjà arrivés,
02:35donc ça fait déjà 6 brigades, 6000 hommes quand même de mobilisés, il n'y a pas semblable-t-il de percée militaire possible.
02:41Pour autant, est-ce que ça va manquer sur le front Est, sur le Donbass ? C'est possible aussi.
02:46Donc il faut faire attention à ne pas lâcher la proie pour l'ombre, même si encore une fois, la finalité c'est sans doute plus de tirer les dividendes
02:54à travers des gages territoriaux et humains, et on verra si ça peut se concrétiser sur la durée.
02:59Paul Gogo, on a assisté à des scènes qui semblaient encore impensables il y a une quinzaine de jours, voir ces personnes qui fuient le pays.
03:05Comment les gens réagissent en Russie face à la situation ?
03:08Oui, d'autant plus que dans les premières 48 heures de cette incursion ukrainienne, contrairement à ce qu'ont dit les autorités russes,
03:15personne n'a été aidé, ou quasiment personne, c'est-à-dire que vous aviez des gens qui vivaient, même quand on vit près de la guerre en Russie,
03:22on a vite fait de vivre loin de la guerre, parce que tout ça peut paraître assez lointain,
03:26et puis la propagande vous explique au quotidien que tout est sous contrôle et que tout est localisé.
03:31Et donc vous aviez plein de gens qui vivaient...
03:33Qui se sentaient protégés, en fait.
03:34Oui, exactement, qui se sentaient protégés par leur État, et puis qui, vraiment, un matin, voient des Ukrainiens arriver dans la cour de leur maison,
03:42appellent la mairie, appellent les autorités régionales, et plus personne ne répond au téléphone, c'était les témoignages qu'on voyait,
03:48et là c'était panique générale, parce qu'il fallait trouver des moyens, chaque personne avait trouvé des moyens pour quitter la ville,
03:54sachant que les choses ne sont pas forcément passées de façon aussi calme, il y avait des tirs, il y avait des bombardements,
03:59ça a été un moment de panique pour ces Ukrainiens qui sont furieux, mais je le précise toujours,
04:03ils sont bien furieux contre les autorités locales et contre le gouverneur, et pas contre Vladimir Poutine,
04:09parce qu'en Russie, tout est fait pour que la colère n'atteigne jamais le président.
04:12Jérôme Klesch, question un peu idiote, mais c'était un tabou, cette avancée de l'Ukraine en Russie jusqu'à présent,
04:19qu'est-ce qui a fait que du jour au lendemain, ça se soit débloqué, on l'imagine avec l'accord des pays occidentaux, avec l'accord de l'OTAN derrière ?
04:27Alors attention, il faut faire extrêmement attention sur ce point-là, le tabou c'est l'utilisation des armes,
04:32j'allais dire de la coalition américaine, européenne, sur le territoire russe, les F-16 sur le territoire russe,
04:39les missiles Scalp français sur le territoire russe, ça c'est tabou, les attaques CM, artillerie longue portée sur le territoire russe, ça c'est tabou.
04:46En revanche, que l'Ukraine d'elle-même, de façon autonome, et sans en informer officiellement en tout cas les Américains et les Européens a fortiori,
04:57puisse mener une attaque, c'est son droit, elle est en état de légitime défense depuis au moins deux ans, et sans doute au moins depuis 2014,
05:05donc c'est tout à fait son droit, les Américains encore une fois ont bien indiqué qu'ils n'avaient pas été informés,
05:11ils l'ont fait savoir par la voix de leur porte-parole, le secrétaire d'Etat, qu'ils n'étaient pas informés,
05:16et qu'ils se tenaient au courant des objectifs de l'armée ukrainienne sur cette affaire, et suivent en fait la progression ukrainienne.
05:25Après que les Américains aient pu avoir des renseignements, et les laisser faire en se disant que précisément ça ne pouvait aller que dans le bon sens,
05:33dans la perspective de négociation, c'est tout autre chose, mais aujourd'hui officiellement il n'y a pas de caution américaine sur cette opération.
05:41On va aller faire un point justement en Ukraine, on a retrouvé la liaison avec Alexander Kerry, notre correspondant sur place,
05:46alors Paul Gogo nous a vu comment cette incursion de l'Ukraine était vécue en Russie, comment les Ukrainiens eux l'aperçoivent ?
05:52Alors les Ukrainiens l'aperçoivent avec effectivement beaucoup d'euphorie, après la question c'est de savoir combien de temps cette incursion va durer,
05:58et surtout si les Ukrainiens ont les moyens justement de tenir finalement sur la longueur cette incursion.
06:04On sait, ça se précise petit à petit, on sait qu'il y aura entre 4 et 6 brigades,
06:08il faut savoir qu'en Ukraine une brigade c'est entre 1000 et 8000 hommes, donc les chiffres sont encore un peu vagues,
06:14mais vous parliez d'armes occidentales un peu plus tôt, ce qui est intéressant c'est que les Ukrainiens ont ramené justement sur cette offensive
06:24des strikers américains, des mardeurs allemands, mais aussi une logistique derrière au niveau des drones qui leur permet d'avancer extrêmement rapidement.
06:37Encore une fois la question c'est celle de l'intention, c'est celle de est-ce qu'ils vont rester ou pas, est-ce qu'ils veulent capturer ce territoire ou pas,
06:43et est-ce que justement ils auront les moyens de garder ce territoire ou d'en faire une espèce de monnaie d'échange.
06:49Qu'en disent les habitants Alexandre Kery, est-ce qu'ils sont particulièrement mobilisés par cette incursion, est-ce qu'ils veulent s'y joindre, aller plus loin ?
06:59Alors il y a eu déjà plusieurs incursions, notamment dans la région de Belgorode,
07:04alors ce n'était pas les forces armées ukrainiennes cette fois mais plutôt les forces dissidentes russes,
07:10donc c'est une euphorie un peu mêlée d'expectatives dans le sens où on se demande quand même, encore une fois je le répète,
07:17combien de temps ça peut durer, d'autant plus que tout le monde connaît un peu des soldats ici,
07:23et tout le monde sait que la situation est déjà très tendue, notamment dans le Bonbass,
07:27et je parle notamment de Pokrovsk, souvent de Krasnoyarsk, de Torezk,
07:32et jusqu'ici cette situation, en tout cas cette incursion, n'a pas nécessairement permis de régler le problème des réserves,
07:40le problème du ratio d'hommes contre lesquels se battent les Ukrainiens.
07:45Paul Gogo, l'Ukraine affirme qu'elle arrêtera ses incursions si la Russie accepte, je cite, « une paix juste ».
07:50On peut imaginer vraiment des négociations entre la Russie et l'Ukraine à l'heure actuelle ?
07:54Oui, c'est un peu compliqué, et d'autant plus que je pense que cette opération est apparue en grande partie
07:59parce qu'on commençait à parler de négociations et que l'Ukraine comprenait qu'elle n'était pas forcément en position de force,
08:04comme vous l'avez rappelé, les Russes grignotaient du terrain progressivement dans le Bonbass,
08:08et l'Ukraine avait même certainement la sensation que les Américains étaient en train de passer un peu outre leur point de vue sur les choses,
08:16leur position sur les choses, et donc ils ont voulu rappeler aux Ukrainiens qu'ils étaient là,
08:19et qu'avec ou sans soutien occidental, ils continueraient de se battre.
08:22Donc il y a certainement un côté un peu, enfin une volonté dans cette situation, oui, peut-être par la suite de dire
08:30« Regardez, on est encore capable de ça, si vous négociez, nous on est encore capable d'aller prendre du territoire côté Russe,
08:35après effectivement ce n'est pas si simple que ça, je ne suis pas certain qu'on puisse échanger un territoire comme un autre,
08:41vous l'avez rappelé aussi tout à l'heure, on compare souvent les territoires que la Russie a pu reprendre dans le Bonbass ces derniers mois,
08:48enfin en fait ce sont des petites miettes par rapport à ce que la Russie avait déjà occupé depuis 2014.
08:52Est-ce que ces images que l'on voit en ce moment de soldats ukrainiens sur le territoire russe,
08:57de drapeaux ukrainiens plantés par endroits de manière très symbolique, sont vues par les Russes de Moscou par exemple à la télévision,
09:05ou est-ce que ces images sont totalement censurées ?
09:07Non, alors les télévisions d'État ces dernières années ont dû un peu changer leur façon de faire,
09:12parce que beaucoup de Russes utilisent notamment le réseau social Telegram, d'ailleurs d'où viennent ces images,
09:16et c'est d'ailleurs très intéressant parce que les Russes sont aussi sur Telegram à voir la propagande ukrainienne,
09:22en tout cas les images qui viennent d'Ukraine.
09:24Donc vous imaginez une population qui voit ce que les chaînes d'État disent et qui voit ce que l'Ukraine dit,
09:29et les gens sont un peu perdus, et donc les télévisions d'État au début de la guerre en 2022,
09:33elles ont changé leur façon de travailler, elles se sont mises à diffuser les images qu'on trouve sur Telegram,
09:40mais en changeant le narratif qui va autour de ces images-là,
09:43et donc en donnant un autre contexte qui est parfois le contraire de ce qui s'est passé sur les histoires de crimes de guerre
09:48que l'Ukraine avait pu faire dans le Donbass.
09:50Les Russes expliquaient tout simplement que c'était l'Ukraine qui était à l'origine de ces crimes de guerre.
09:58Donc en gros on essaie de garder un contrôle sur les images en ligne en les diffusant sur les télévisions d'État.
10:03Tout ça est absolument passionnant et on est clairement en train de vivre un tournant de cette guerre.
10:08Merci beaucoup Jérôme Klesch, Paul Gogo et Alexander Kerry depuis l'Ukraine d'avoir été avec nous ce matin.

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