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00:00Et quelles leçons tirer d'un tel incident ? On voit tout cela avec vous Laurence de Villers, professeure d'intelligence artificielle à la Sorbonne à Paris.
00:08Bonjour à vous, le retour à la normale s'annonce très lent, cela prendra combien de temps selon vous ?
00:16Alors là je peux difficilement prédire combien ça va prendre de temps, mais il est évident que ce genre de panne peut arriver et arrivera encore.
00:25Donc il est essentiel, comme vous le dites très bien, de trouver des solutions et la première solution c'est d'éviter les monopoles.
00:32C'est-à-dire ?
00:33Oui.
00:34C'est-à-dire une seule société en charge des transports, de la santé, de l'éducation, etc.
00:39Là ce n'est pas un problème d'attaque, c'est un problème de logiciel qui a buggé et le grand bug peut arriver n'importe où, n'importe quand.
00:50Donc il est essentiel demain de doubler les services, d'avoir plusieurs solutions, de pouvoir les remplacer rapidement, et puis de ne pas laisser faire des monopoles.
00:58Microsoft a des monopoles, le logiciel qui est sous Microsoft qui a buggé n'est pas fait par Microsoft, mais peu importe, c'est eux qui l'exploitent.
01:06Donc il est évident qu'il ne faut pas mettre ses oeufs dans le même panier.
01:10Oui, près de 80% des entreprises utilisent au moins une solution Microsoft, mais comment faire justement pour sortir des monopoles ?
01:18Ça coûte beaucoup d'argent.
01:20Écoutez, ça coûtera encore plus d'argent lorsqu'on se retrouvera tous coincés dans différents systèmes, notamment pour la banque.
01:28Il n'y a pas seulement le côté pratique de transformer les transports de marche plate, on peut aussi totalement figer un pays, et là le monde entier.
01:37Donc il est essentiel aujourd'hui de comprendre qu'on a besoin d'avoir des solutions, d'ailleurs plutôt pérennes chez nous en Europe, ne pas toujours dépendre des Américains.
01:47Et puis de trouver CrowdStrike, que l'on voit sur l'écran, c'est le logiciel qui a été fait par une société sur les cyberattaques.
01:59Mais là, il ne s'agit pas d'une cyberattaque, c'est un bug.
02:01Et les bugs, ça se répare, bien sûr, ça prend du temps, donc ça fiche tout pendant tout un temps.
02:06Vous plaidez effectivement pour une souveraineté numérique européenne, comme certains élus ?
02:13Si vous voulez, ça ressemble un peu, pendant le Covid, nous avons vécu ce virus qui n'aidait pas l'informatique, avec une panne de médicaments.
02:21Parce que nous n'étions pas nous-mêmes capables de produire ces médicaments qui étaient assez simples.
02:25Il s'agissait plutôt de Doliprane ou de médicaments de base.
02:29Nous sommes sur un peu le même sujet, c'est-à-dire qu'en informatique, il faut aussi qu'on ait une certaine indépendance,
02:35et puis que nous soyons capables de très vite, peut-être, changer un système.
02:39Parce que n'utiliser qu'un système avec un monopole peut nous amener à des situations comme celles qui ont été vécues hier,
02:46et qui continuent encore à avoir des conséquences.
02:50Et justement, c'est inédit un tel retentissement sur l'ensemble de la planète, et surtout sur autant de secteurs d'activité.
02:56Comment vous réagissez, même personnellement, à cette panne informatique géante ?
03:04Je redis ce que je dis d'habitude.
03:07Il est complètement non correct de figer toute une population avec des outils.
03:14Ces outils numériques doivent nous aider, ils ne doivent pas nous emprisonner.
03:18Il est essentiel d'avoir plusieurs systèmes, parce que sinon, ces bugs vont se répéter.
03:23Et moi-même, finalement, c'est très bien que ça arrive aujourd'hui et que ça ne soit pas si grave que ça,
03:29parce que demain, ça arrivera encore, et il faut qu'on trouve des solutions.
03:32Et là, j'engage tous les gouvernements à essayer de comprendre qu'on ne peut pas laisser faire juste les entreprises leur gouvernance.
03:39Il faut gouverner les algorithmes, il faut gouverner les données.
03:42En Europe, on a des lois qui vont arriver, et c'est essentiel pour la survie de notre économie, de notre société,
03:49de ne pas avoir un seul logiciel pour résoudre tout ce qui…
03:54Vous voyez, on est dépendant partout de l'IA et du numérique.
03:57Donc c'est important de ne pas laisser cette possibilité de demain de revenir avec peut-être des conséquences plus graves.
04:05Mais par-delà cette situation de monopole que vous dénoncez,
04:09quel constat on peut tirer de cet incident, celui aussi de l'extrême fragilité d'un monde qui est ultra digitalisé aujourd'hui ?
04:17Alors si on avait effectivement conçu les choses de façon diaboliquement moins automatique,
04:24on pourrait peut-être prévoir des pannes, avoir des humains dans les boucles et vérifier tout un tas de systèmes.
04:30Il ne s'agit pas de dire que le numérique et l'IA ne vont pas apporter.
04:34Ils vont apporter énormément en santé, peut-être pour mesurer les problèmes d'énergie.
04:38Donc c'est évident qu'on ne peut pas tout jeter comme ça juste parce qu'il s'est passé un bug comme celui-là.
04:44Donc il faut reprendre la façon dont on gouverne,
04:47et j'encourage quand même à ce que cette gouvernance sur l'IA ne soit plus le dernier maillon de la chaîne après l'économie,
04:53mais que ce soit vraiment une conscience de tous avec trois objectifs.
04:58Le premier, que tout ingénieur soit capable peut-être d'anticiper des choses.
05:02Donc il faut qu'ils aient des connaissances plus métas que juste le logiciel sur lequel ils sont en train de travailler.
05:08Et donc on parlera d'éthique, d'éthique dans la société aussi sur les usages.
05:12Il faut deuxièmement qu'il y ait des normes qui arrivent sur le marché, sur ces algorithmes,
05:16et des normes sur la cyber, on est en train de les préparer sur l'Europe et elles vont arriver.
05:21Et le dernier point, c'est la loi sur l'IA, et je l'appelle moi ce qui est des lois mondiales pour éviter ce genre de bug une nouvelle fois.
05:29Mais c'est extrêmement difficile de réguler sur le plan politique cette digitalisation du monde qui est exponentielle.
05:36Écoutez, là je crois qu'on a la preuve que si on ne le fait pas, on risque tous d'en bâtir.
05:42Donc il faut en tirer une conclusion et se dire que là on a besoin peut-être d'une gouvernance mondiale
05:48pour essayer d'enrayer ce genre de situation.
05:52C'est un très bon exemple qui montre ce manque total aujourd'hui de supervision globale de ce qui est en train de se passer.
05:59Puisque tout le monde pense que le système Microsoft par exemple est formidable pour lui,
06:03et personne ne voit que la couverture entière mondiale travailler avec ses outils sous Windows.
06:08Dernière question très rapidement, est-ce que vous pensez qu'il va falloir dans un avenir proche
06:12apprendre à vivre avec des blackouts digitaux comme on s'adapte à des catastrophes naturelles
06:16ou à des événements climatiques ?
06:19Je pense que c'est essentiel de ne pas désapprendre.
06:22C'est-à-dire que nous avons dans plein de secteurs besoin de doubler ces machines,
06:26peut-être par des actions d'apprentissage des humains qui vont pouvoir relayer sur certains niveaux
06:33et pas tout automatiser.
06:35Tout automatiser nous amène à cette situation où nous sommes dépendants, esclaves de ces machines.
06:40Il est hors de question de rentrer dans un monde comme celui-là.
06:43Je pense que l'informatique et l'intelligence artificielle sont une grande avancée pour la société,
06:49mais pas si on en est dépendant pour tout.
06:52Voilà les mots d'une professeure d'intelligence artificielle.
06:56Merci beaucoup à vous Laurence de Villers.