Jean-Clément Martin. L’invention du concept de «système de Terreur» pour la période 1793-1794...

  • il y a 2 mois
En juillet 2021, «Séries noires à la Une», un podcast de RetroNews, diffusa un épisode intitulé «Les crimes de la Terreur» : https://play.acast.com/s/series-noires-a-la-une/les-crimes-de-la-terreur
Parmi les intervenants, on retrouve Jean-Clément Martin, professeur à l’Université Paris 1, ayant notamment publié en 2018 aux Éditions Belin l’ouvrage «Les échos de la Terreur. Vérités d’un mensonge d’État. 1794-2001». Dans cette vidéo, les trois interventions de Jean-Clément Martin. Ce dernier revient notamment sur les protagonistes de l’époque révolutionnaire : Thermidoriens contre Montagnards, depuis le 9 thermidor an II, dont le député Tallien pour commencer, qui accusa les Montagnards d’avoir pratiqué un système de Terreur et d’être des Terroristes, ce qui permit de commencer leur exécution dans la nuit même du 27 juillet 1794.
Ce mot «terreur», rappelons-le, apparut chez les colons esclavagistes de St-Domingue dès le vote de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et visait son Art. 1 : «Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits», qui remettait en cause l’esclavage colonial.
Transcript
00:00Nous allons parler avec nos trois invités, Jean-Clément Martin, professeur émérite
00:03à l'université Paris 1, ancien directeur de l'institut d'histoire de la révolution
00:06française, auteur notamment de Robespierre, La Fabrication d'un Monstre chez Perrin en
00:112016, La Terreur, Vérité et Légende chez Perrin en 2017, Les Échos de la Terreur,
00:16Vérité d'un Mensonge d'État chez Bollin en 2018, bonjour à vous, merci d'être avec
00:20nous.
00:21Il y a aussi avec nous Suzanne Lévin, docteure en histoire moderne, chercheuse affiliée
00:24au laboratoire d'IPAC à l'université de Versailles 51, bonjour à vous, avec nous
00:28aussi Corine Gomez-Lecheventon, vous êtes ingénieure d'études au CNRS Sorbonne Université,
00:33avec vous comme avec Suzanne Lévin, nous nous arrêterons notamment sur le procès
00:35Carrier et les noyades de Nantes, bonjour à vous.
00:38Bonjour à vous tous.
00:39Merci de nous avoir rejoints pour cette conversation autour des crimes de La Terreur.
00:45Alors La Terreur, c'est cette période de la révolution française constituée entre
00:481793 et 1794 caractérisée par la mise en place d'un gouvernement révolutionnaire
00:53avec le comité de salut public et le comité de sûreté générale.
00:55La Terreur est désignée parfois comme une tyrannie avec le rôle essentiel de Robespierre,
00:59parfois comme un moment de résistance aussi aux mouvements contre-révolutionnaires.
01:03Et le bilan humain de La Terreur fait l'objet de controverses, alors même que les crimes
01:08de La Terreur, et je mets là des guillemets, dans la nature comme dans leur degré de violence
01:11font l'objet de débats historiographiques, le crime de La Terreur, l'existence même
01:15de ces crimes ont fait l'objet de constructions, peut-être bien par la presse, on va voir
01:20ça, cette presse pléthorique pendant la révolution française qui était un mode
01:24de circulation assez essentiel des idées pendant cette période, ce sera un point
01:27de départ de notre conversation, mais d'abord, à propos de la lecture qu'on a entendue
01:30à l'instant, qui était Jean Lambert Tallien, avec les mots duquel on a démarré ? Jean-Clément
01:35Martin, est-ce que vous pouvez nous éclairer un peu sur ce qui vient d'être lu et dit ?
01:38Oui, un jeune homme absolument impressionnant par la rapidité de sa carrière, qui a été
01:45pendant quelques mois, quelques années, un des secrétaires de Tallien, qui a joué
01:50un rôle important dans la commune, qui a certainement pris part aussi aux massacres
01:57ou à l'organisation des massacres de septembre 1792, avant de devenir très jeune député,
02:05malgré Robespierre, c'est un point important, à la convention, d'être envoyé comme représentant
02:12en mission, notamment à Bordeaux, où à Bordeaux, il se fait remarquer par les violences
02:19qu'il commet contre les opposants contre-révolutionnaires, et puis aussi, parce que ce n'est pas du tout
02:25une anecdote, par la liaison qu'il a avec la très jeune et très belle Teresa Cabarrus,
02:31que Robespierre certainement va faire envoyer en prison à la fin de l'été 1794, et Teresa
02:41Cabarrus risque la peine de mort, Tallien, déjà opposé Robespierre, va en profiter
02:49en quelque sorte de cette situation pour participer au complot qui abat Robespierre le 27 juillet 1794.
03:03Et surtout, ce qui me semble important, parce que je crois qu'il faut mettre tout de suite
03:08les pieds dans le plat, c'est que le discours de Tallien, c'est un discours qui est pour
03:14moi un coup d'État, c'est-à-dire qu'il a participé aux violences, il les a organisées,
03:20il a été réprimé par Robespierre pour avoir commis ces violences, et voilà qu'un mois
03:26après l'exécution de Robespierre, il a le culot, il n'y a pas d'autre mot, le culot
03:32de dire « ce n'est pas moi, ce ne sont pas tous les gens qui étaient avec moi, qui
03:36avons commis toutes ces atrocités », mais non, c'est Robespierre qui avait organisé
03:42ce que Tallien invente littéralement, ce système de terreur, en disant « tout ça,
03:49ce sont des crimes et nous n'avons pas mis les mains dans le sang ». Ce qui est quand
03:54même absolument hallucinant, le résultat quand même, c'est que un, il va rester au
03:59pouvoir et que deux, vous venez de dire tranquillement que finalement la terreur avait existé de
04:051793 à 1794, qu'elle avait commis sans doute des crimes dont il fallait rendre compte
04:11aujourd'hui. Tout ça, c'est de l'invention, et chapeau Tallien, bravo, on est déjà là
04:17dans la preuve que finalement, l'assassin revient sur les lieux du crime et par-dessus
04:21le marché, il est enjeu livre.
04:22Non seulement il est enjeu livre, mais vous dites qu'il invente, en fait il crée ce
04:26qu'on appelle aujourd'hui du storytelling, en quelque sorte il crée un… Et aujourd'hui,
04:29est-ce qu'on peut dire que le sens commun historique, je ne parle pas des historiens
04:32mais ce qu'on a en tête, tout un chacun, quand on réfléchit à la Révolution, est-ce
04:36que c'est Tallien qui nous l'a inscrit dans la tête, l'idée même de terreur ?
04:39Ah oui, absolument, parce que le mot terreur existe depuis très longtemps, le mot terreur
04:44est, tout au long de la Révolution, le principe de gouvernement que les révolutionnaires
04:50ne veulent pas adopter, puisque la terreur est pour les révolutionnaires l'œuvre
04:55du despotisme, des tyrans, des rois. Donc, hors de question d'exercer la terreur. Mais
05:02à partir de la fin de 1792, du milieu de 1793, les sans-culottes et une partie des
05:09jacobins réclament qu'il y ait une terreur exercée contre les ennemis. Et il va y avoir
05:16un jeu en septembre de 1793, entre les montagnards et les sans-culottes, pour dire, bon, on va
05:24organiser des armées révolutionnaires, on va vous donner les moyens d'exercer une
05:28terreur, mais on ne mettra pas de terreur à l'ordre du jour. Là, les montagnards
05:33passent à côté d'une façon absolument incroyable. Et pour faire bref, il va y avoir
05:39des oppositions systématiques à tout système de terreur, à plusieurs reprises, jusqu'à
05:45la veille de son exécution, Robespierre dira qu'il ne veut pas de système de terreur.
05:51C'est vrai qu'en février 1794, il aura tenu un discours très compliqué, mais qui
05:59dit, en gros, que l'exercice de la terreur fait partie des privilèges de ceux qui sont
06:07capables d'organiser la vie politique, c'est ce qu'il appellera le despotisme de la liberté,
06:13dit autrement, j'ai le droit, moi, avec la convention, de contrôler la violence et je
06:20vous interdis à vous tous de l'exercer librement. Dit autrement, il canalise la
06:26violence, mais en attendant, il refuse effectivement le système de terreur. Et tout ça renvoyé
06:32à l'inventeur, puisque quand Robespierre est mis à mort, il est mis à mort pour avoir
06:39tué les sans-culottes, Hébert, pour avoir mis à mort les indulgents, Danton, et donc
06:44d'un seul coup, tout ce qui vient d'arriver est incompréhensible pour les gens. Personne
06:48n'arrive à comprendre qu'il y ait eu tous ces coups d'état successifs, toutes ces éliminations
06:54de gens qui étaient puissants un jour et dénoncés comme contre-révolutionnaires
06:59le lendemain. C'est totalement incompréhensible. Donc on va dire que Robespierre est l'inventeur,
07:07le profiteur de cette terreur, qu'il a commis tout un tas de crimes, au passage inventés,
07:14mais d'un seul coup, reconnaissons un talien, qu'il donne une compréhension de ces événements
07:21qui étaient incompréhensibles et que ça range tout le monde, parce que ceux qui avaient
07:26participé à la chose disent c'est pas moi. Bon, ceux qui avaient suivi sans rien comprendre
07:31disent ah enfin on comprend. Et bien voilà, il y a une explication, la terreur a dévoré
07:37ces enfants et la terreur devient l'expression de la liberté qu'il faut contrôler, vous
07:44aurez compris que je cite Hegel, tout simplement, la phénoménologie de l'esprit. Les crimes
07:49d'un seul coup servent à la philosophie générale sur laquelle nous vivons toujours.
07:53JLM, vous vouliez intervenir. Là c'est un des points absolument essentiels
07:58de notre rencontre d'aujourd'hui, c'est que ce qui se produit à partir de septembre-octobre
08:051794, c'est que tous les gens qui ont participé effectivement aux répressions à Bordeaux,
08:11à Lyon et à Marseille, nommément Barras, Stalien, Fouché, vont faire porter le chapeau
08:17si je puis dire ça comme ça, à Robespierre d'abord, et puis ensuite ils vont charger
08:22Carrier qui est un personnage bizarre, mais ce personnage se retrouve marginalisé dans
08:28la convention et il y a quelque chose qui est absolument hallucinant, c'est que Baboeuf,
08:35le futur Gracchus, mais qui s'appelle encore François Noël dans l'automne 1794, a des
08:41comptes à régler avec Robespierre qui l'avait envoyé en prison et il est à l'évidence
08:47payé par Fouché pour produire un pamphlet, on parlait des pamphlets tout à l'heure,
08:53et là voilà un pamphlet absolument fondateur qui aujourd'hui encore est toujours lu, toujours
08:58cité pour dénoncer les crimes de la convention dans l'ouest, c'est Baboeuf qui invente
09:04cette idée de Populicide en Vendée qui aurait été commandé par Robespierre et
09:11exécuté par Carrier, alors quand on sait que c'est Robespierre qui a fait revenir
09:15Carrier à Paris en février 1794, qui devait le faire guillotiner et que Carrier a participé
09:22au complot contre Robespierre, imaginez que Carrier et Robespierre sont de mèche, c'est
09:27idiot, sauf que ça marche, voilà, et que ça marche toujours aujourd'hui et qu'encore
09:32aujourd'hui on estime que Populicide a été inventé par le couple Robespierre-Carrier
09:37et je cite quand même le titre d'une émission de télévision récente, Robespierre le bourreau
09:43de la Vendée, donc là on a affaire à quelque chose qui est absolument essentiel, on comprend
09:50qu'ensuite le malheureux Baboeuf se soit rendu compte qu'il a été un peu instrumentalisé,
09:55et il va en mourir, mais je voudrais aussi insister sur le fait que non seulement on
10:00est dans la presse, mais on est bien dans des écrits et on est dans un moment où le
10:06roman noir, le mélodrame, le roman gothique, toutes les atrocités possibles commises sur
10:13des malheureuses victimes de préférence des jeunes filles, c'est la mode de l'époque
10:19et qu'on comprend bien que tout ça trouve un écho absolument considérable dans l'opinion,
10:26ce n'est pas seulement de la politique, c'est vraiment de la culture collective, populaire,
10:31et nous en vivons toujours.
10:32Voilà un texte d'une pièce qui aurait inspiré à Clémenceau la phrase suivante
10:35« la révolution est un bloc dont on ne peut rien distraire », une manière aussi d'accréditer
10:39l'idée de la terreur un siècle plus tard, cette imagerie est arrivée jusqu'au spectateur
10:44de cette pièce de Victorien Sardou et finalement c'est aussi l'idée de comment une image,
10:48un récit, un storytelling, une simplification, une grille de lecture, aussi arbitraire soit-elle,
10:54passe à travers les âges Jean-Clément Martin.
10:56Oui, alors si vous me permettez, je pense qu'il faut effectivement revenir à cette
11:01pièce qui a été jouée le 24 janvier 1891 et qui entraîne effectivement, et vous avez
11:07eu parfaitement raison de le rappeler, l'intervention absolument vigoureuse de Clémenceau qui va
11:14effectivement inventer cette formule « la révolution est un bloc » et il continuera
11:19même en disant « c'est que cette admirable révolution par qui nous sommes n'est pas
11:24finie, c'est qu'elle dure encore, c'est que nous en sommes encore les acteurs, c'est
11:28que ce sont toujours les mêmes hommes qui se trouvent aux prises avec les mêmes ennemis ».
11:32Et là c'est vraiment une formulation extraordinaire, d'autant plus extraordinaire quand on sait
11:37quand même que Clémenceau n'avait pas été partisan de la commune, qu'il avait
11:42des démêlés avec les autres républicains, c'est quand même quelque chose d'assez
11:45je dirais à la fois étonnant et compréhensible.
11:48Si on redit les choses autrement quand même, en 1794 c'est une partie de la convention,
11:55la partie majoritaire de la convention qui dit « une minorité a fait la terreur » et
12:00tout le monde oublie.
12:01On fait comme si de rien n'était pendant cinq ans et on accuse aussi les opposants
12:07d'avoir créé la « terreur blanche » en 1815 et en 1795 pour dire que finalement
12:13entre la terreur de Robespierre et la terreur des royalistes, il y a une espèce d'équivalence.
12:20Et il y a aussi quelque chose moi qui me frappe absolument, c'est qu'on ne s'interroge
12:26jamais et pour cause sur le début de la terreur.
12:29La terreur on sait quand elle est théoriquement terminée.
12:32Le 9 termine, alors tout le monde descend et la terreur, il n'y a plus de terreur.
12:36C'est au moins ce qu'on dit.
12:37Mais on ne dit pas quand est-ce qu'on est monté dans le train, parce que tout le monde
12:40est monté dans le train depuis le début.
12:42Si bien que pour un certain nombre de gens, moi je dirais encore aujourd'hui, la terreur
12:47a commencé le 14 juillet 1789 quand même.
12:51Et donc il va y avoir là un gigantesque embarras des partisans de la révolution à dire « il
12:59faut admettre qu'il y a eu des divisions dans le camp des républicains et il faut
13:04admettre qu'il y a eu cette manipulation » et ça traduit aussi le fait que quand on
13:09est, grosso modo pour faire bref, partisans de la révolution, on ne sait pas comment
13:14parler de la violence de la révolution.
13:17Ce qui permet aux opposants de dire « c'est toute la révolution qui est violente ».
13:21Et donc il a fallu attendre quand même, je vais dire jusqu'à la fin du 19e siècle
13:28pour qu'on essaie de détricoter un peu tout ça.
13:31Et il a fallu attendre quand même la fin du 20e siècle pour qu'on essaie aussi de
13:36séparer et d'expliquer historiquement, parce que si la révolution a commis des
13:42crimes, sans rentrer dans trop de polémiques, bon, moi je dirais quand même que la révolution
13:49a commis beaucoup de violences, mais qu'au même moment l'empire napoléonien a commis
13:55quand même des crimes, notamment dans la guerre d'Espagne ou la guerre en Italie,
13:59qui mériteraient quand même d'être comparés à ce qui s'est passé en France dix ans
14:03plus tôt.
14:04Alors on va arrêter la polémique, les comparaisons sont toujours embêtantes, mais il faut quand
14:08même bien voir que nous sommes tellement obnubilés par les crimes de la révolution
14:15que ça arrange les mémoires nationales et que ça permet ces grandes manifestations
14:20d'enthousiasme et de défense et de critique qui nous occupent tout le temps quand même.
14:25Et qui font l'objet encore, on l'a compris, d'un travail d'historien et d'historienne.
14:31Quant au crime de Napoléon, j'imagine qu'on en fera peut-être l'objet d'une prochaine
14:34série noire à la Une, bref, il y aura peut-être d'autres voiles à lever à ce moment-là.
14:38Merci à vous, à tous les trois, Jean-Clément Martin, Suzanne Lévin et Corinne Gomes-Lechementon.
14:42Merci de nous avoir éclairés sur la question, je mets les guillemets, des crimes de la terreur.

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