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Par les temps qui courent, il est toujours intéressant de connaître les raisons du déclenchement d’une révolution. L’historien Daniel de Montplaisir s’est directement intéressé à ce processus dans "Ces nobles qui ont fait la Révolution" (Editions du Rocher).
Précurseurs, agitateurs, fondateurs… Toute une partie de la noblesse s’est placée d’emblée, à l’avant-garde des événements révolutionnaires. S’appuyant sur des sources souvent inexploitées, l’historien démontre que cette noblesse "libérale", avant d’être broyée, a joué pleinement son rôle dans plusieurs grandes réformes : de l’abolition des droits seigneuriaux à la rédaction de la Constitution.
Tout au long de l’ouvrage, Daniel de Montplaisir évoque le rôle important de la franc-maçonnerie, des philosophes des Lumière mais aussi des politologues antiques. Il démontre aussi qu’il convient de mettre un terme à l’idée reçue que la cause de la Révolution se résume en la confrontation d’une noblesse forcement privilégiée et du reste du peuple ployant sous le poids de la misère et des frustrations.
L’étude des mécanismes qui ont mené à 1789 et à la Terreur peut-elle aussi nous permettre de mieux comprendre la situation politique actuelle de la France ? Réponse dans cet entretien.

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Transcription
00:00Historien, conseiller honoraire de l'Assemblée nationale, Daniel de Monplaisir nous fait
00:10découvrir ces nobles qui ont fait la Révolution, un nouvage publié aux éditions du Rocher
00:15et disponible, cet ouvrage, sur la boutique du site tvl.fr.
00:19Il est toujours passionnant, surtout par les temps qui courent, de connaître le déclenchement
00:24et les prémices d'une révolution.
00:26Daniel de Monplaisir, bonjour.
00:27Bonjour.
00:28Vous avez évoqué cette Révolution de 1789 et vous avez utilisé, dites-vous, des sources
00:32souvent inexploitées.
00:33Il y avait encore des choses qui étaient inexploitées sur 1789.
00:37Oui et non.
00:38Il ne s'agissait pas de sources inconnues, mais de sources difficiles à analyser.
00:44Deux exemples, les débats aux États généraux devenus débats de l'Assemblée nationale,
00:50très longs, des milliers de pages, beaucoup de blabla, difficile d'en sortir la quintessence.
00:56Autre exemple, les cahiers de doléances.
00:59J'ai analysé 230 cahiers de doléances de la noblesse, la plupart encore manuscrits.
01:04Donc tout ça était disponible, mais, je ne dirais pas du mal de mes prédécesseurs,
01:09mais on a vu quelquefois un peu la fainéantise d'utiliser et d'analyser tout ce matériau.
01:14Ce qui est fait dans cet ouvrage.
01:16Tous les éléments que vous avez donc rassemblés concourent quand même à détruire quasiment
01:20des idées bien reçues.
01:22Avant même la tenue des États généraux à Versailles, vous démontrez que la noblesse,
01:27tout au moins une partie de la noblesse, s'est placée d'emblée à l'avant-garde du processus
01:32révolutionnaire.
01:33Vers la fin du règne de Louis XIV, un certain nombre de grands seigneurs autour de Fenlon,
01:40qui était le précepteur des enfants royaux, réalisent que ça ne peut plus durer comme
01:47ça, pour parler vulgairement.
01:49Monarchie administrative, autoritaire, arbitraire, méfiante, coûteuse, qui ne sait pas tenir
01:57ses comptes, injuste.
01:59Il y a un sentiment d'inadaptation de cette monarchie trop centralisée, trop autoritaire
02:05aux besoins du pays.
02:06Et ça vient effectivement de la noblesse du Duc de Beauvilliers, du Duc de Saint-Ignan,
02:10qui se réunissent avec Fenlon dans un château à Cholnes, dans le nord de la France, qui
02:14aujourd'hui n'existe plus, et dont est sorti les tables de Cholnes, qui sont le premier
02:17document véritablement pré-révolutionnaire, en 1712 quand même, trois ans avant la mort
02:23de Louis XIV.
02:24Et ensuite, pendant tout le XVIIIe siècle, un certain nombre de nobles, de nobles libéraux,
02:28qui sont essentiellement des nobles qui n'appartiennent pas à la cour de France, qui vivent sur leur
02:32terre, réfléchissent, en ayant lu les auteurs, notamment les auteurs antiques, mais également
02:37les philosophes, au moyen de moderniser la monarchie française.
02:41Est-ce que la cour est à conscience de ces prémices de révolte ?
02:46Quasiment pas.
02:48La France est divisée en deux zones, une zone minuscule et une zone immense.
02:52Ce qui la divise, c'est la grille d'entrée du château de Versailles.
02:55Vérité d'un côté, mensonge de l'autre.
02:57À l'intérieur de la grille, on ne sait pas ce qu'il se passe dans le pays.
03:00Je caricature un peu, évidemment, en disant ça.
03:02Et tout le bouillonnement des idées et le constat qu'il faut faire évoluer la société,
03:07c'est de l'autre côté de la grille.
03:09Alors, d'où viennent ces nobles qui éprouvent la nécessité, vous le dites, de revoir l'organisation
03:15de la société, à leurs yeux, une société qui est devenue finalement archaïque.
03:18Alors, vous faites trois groupes, trois distinctions, les précurseurs, les agitateurs et les fondateurs.
03:25C'est d'ailleurs le sous-titre de votre ouvrage, c'est des nobles qui ont fait la révolution.
03:28Qui sont les précurseurs par rapport aux agitateurs et aux fondateurs ?
03:32Alors, ça se mélange un petit peu quand même.
03:34Certains sont les trois à la fois.
03:36Dans les précurseurs, je citais Fennelon, mais on pourrait citer des gens comme le Marquis d'Argenson,
03:40comme le Comte d'Entraigues, le Comte de Boulainvilliers,
03:43des personnages oubliés de nos jours, mais qui ont écrit des livres absolument extraordinaires.
03:47Le Marquis d'Argenson, c'est le premier communiste de l'histoire.
03:51Il explique que la propriété doit devenir collective
03:55et que les gens doivent être rémunérés en fonction de leur travail.
03:58Le Comte de Boulainvilliers explique que la noblesse a perdu toute raison d'être,
04:03qu'elle a cessé d'éclairer le monarque et qu'elle a cessé de servir le peuple
04:07et qu'elle doit revenir à ses fondamentaux.
04:09Le Comte d'Entraigues estime que le Tiers-État représentant plus de 90% de la population,
04:14c'est à lui qu'on doit donner le pouvoir.
04:16Ça, ce sont les précurseurs.
04:17Et puis, nous avons les agitateurs.
04:18Dans les agitateurs, il y a un peu de tout.
04:20Il y a des gens comme le Duc d'Orléans, qui a envie un petit peu de se mettre en avant.
04:25Des fous furieux, comme un certain Marquis de Saint-Uruge qui lui aurait bien mis le feu à Versailles.
04:30Ces gens-là n'ont pas vraiment eu d'influence, sauf sur l'aspect révolution dans la rue.
04:35Et puis, il y a les fondateurs.
04:36Alors ça, c'est le groupe essentiel.
04:37Ce sont les gens qui, pendant un an, prennent la tête des États généraux et de l'Assemblée nationale
04:42pour faire voter les grandes réformes nécessaires à la modernisation du Royaume.
04:47On va voir ça.
04:48Alors, de qui s'inspire cette noblesse libérale, on va dire ?
04:52On va utiliser ce terme, la noblesse libérale,
04:54avant même d'entrer en scène lors des États généraux et des événements de 1789.
04:58Les seigneurs que nous suivons dans l'ouvrage, les premiers, viennent de Grenoble
05:03et vont siéger et vont être inspirés dans leur démarche par deux choses.
05:09Vous dites la philosophie des Lumières, les philosophes des Lumières,
05:12mais aussi la pensée des politologues antiques.
05:15Ça, on le dit moins, Hérodote, Platon, Cicéron...
05:18Oui, alors si vous permettez, on peut s'arrêter, effectivement, une seconde à Grenoble.
05:21Bien sûr, bien sûr.
05:22Parce qu'il y a eu, en juillet 1788, la première tenue à l'Assemblée de Vizy, à côté de Grenoble,
05:28pour la première fois de l'histoire, les trois ordres, clergé, noblesse et tiers-État,
05:33décident de se réunir ensemble pour travailler à l'amélioration, à la modernisation du royaume.
05:38Le roi n'est pas là.
05:39Le roi n'est pas là.
05:40Et il y a deux nobles, dont l'histoire a complètement oublié les noms
05:43et que j'ai été heureux de sortir de leur tombeau,
05:46moi-même, je ne les connaissais pas au début, le Comte d'Agou et le Marquis de Blacon.
05:50Ce sont les deux premiers nobles élus aux États généraux qui réalisent
05:55qu'il faut faire une Assemblée nationale unique,
05:57rassembler tiers-État, noblesse et clergé, et non plus se séparer par ordre.
06:02Alors ce qui est un peu dommage, c'est que Grenoble est aujourd'hui,
06:04comme vous le savez, dans l'actualité, pour bien d'autres raisons.
06:07Aucun des deux n'a la moindre place, impasse, rue à Grenoble.
06:12Alors si M. le maire de Grenoble sort un peu de ses problèmes d'actualité,
06:17le pauvre, je lui demanderai de se souvenir du Marquis de Blacon et du Comte d'Agou,
06:21deux grenoblois qui ont beaucoup fait pour la révolution tranquille
06:26qui auraient dû se décider.
06:27Deux progressistes, donc ça devrait lui convenir.
06:29Les philosophes des Lumières, les politologues antiques,
06:32ce sont ceux qui ont imprimé leur marque pour la diffusion de cette pré-révolution ?
06:40Oui, pardon, alors en nous promenant à Grenoble, j'ai oublié de répondre.
06:43J'ai survenu.
06:44Exactement à votre question.
06:46Oui, cette noblesse libérale de province, elle a du temps.
06:50Elle n'est pas empêtrée dans les flagorneries de la cour.
06:53Donc, contrairement, là aussi à une idée reçue,
06:55ce sont des gens qui ont le temps de lire, de s'informer auprès des auteurs des Lumières,
07:02d'Hydrault, de Voltaire, de Rousseau,
07:04qui sont souvent beaucoup moins révolutionnaires
07:06que les précurseurs de la noblesse dont je vous ai parlé.
07:10D'Hydrault, il est beaucoup plus prudent qu'un d'Argenson, par exemple.
07:14Et puis également, ce sont des honnêtes hommes au sens de l'époque.
07:18Ils ont lu les auteurs anciens, ils ont lu Herodote, ils ont lu Cicéron,
07:23ils ont lu les auteurs également de la Renaissance, qui c'est important,
07:27à l'époque d'Érasme, les livreurs de la République, de Jean Baudin.
07:30La République, à ce moment-là, ça ne veut pas dire la République dans le sens actuel,
07:34ça veut dire le bien public.
07:35Et donc, ce sont des gens qui sont nourris de siècles et de siècles de réflexion
07:40pour la modernisation de la société.
07:42Et une nouvelle fois, ça ne franchit pas les portes de Versailles ?
07:44Ça ne franchit quasiment pas la grande grille de Versailles.
07:51Alors, autre source d'inspiration ou d'action, l'éloge franc-maçonne.
07:55Certains historiens, je pense à Pierre Caxote,
07:58ont montré du doigt le rôle de la franc-maçonnerie dans la Révolution.
08:01On a presque évoqué la notion de complot.
08:06Est-ce qu'on complot ?
08:07Oui, l'abbé Baruel, qui est un des premiers à avoir écrit une histoire de la Révolution,
08:11croyait à un complot orléano-maçonnique.
08:14Il n'y a pas de complot, il y a des comploteurs.
08:17Ce qui n'est pas tout à fait la même chose.
08:19Notamment autour du duc d'Orléans, qui est franc-maçon,
08:23il y a des comploteurs qui disent, en gros,
08:24Monseigneur, si nous arrivons à pousser le désordre dans la rue
08:30qui nous conduira à une révolution, c'est vous qui allez hériter du trône.
08:34Sauf que le duc d'Orléans, il n'a pas vraiment envie de devenir roi de France.
08:36Il préfère faire la fête, se promener avec ses maîtresses.
08:40Alors, il fait un peu semblant, mais il ne croit pas vraiment,
08:43il n'a pas vraiment envie d'accéder au pouvoir.
08:47C'est pour ça qu'il n'y a pas véritablement de complot.
08:49Il y a un bouillonnement, il y a des complotistes,
08:52mais on ne peut pas dire que la révolution soit le fruit d'un complot.
08:54– Je demande ça d'un net de mon plaisir,
08:55parce qu'on peut dire que l'attitude du duc d'Orléans,
08:58s'il n'y a pas complot, est difficilement appréciable
09:01quand il décide de voter la mort du roi.
09:05S'il y a complot, on se dit qu'il va jusqu'au bout de son complot.
09:07S'il n'y a pas complot, on se dit qu'humainement, c'est inacceptable.
09:10– Oui, alors, il prétend qu'il a été piégé par ce vote,
09:15ensuite qu'il a changé d'avis.
09:16En plus, le vote n'est pas extrêmement clair.
09:18On ne savait pas très bien compter les voix, à ce moment-là.
09:21Il a ensuite essayé de faire croire
09:22qu'il n'avait pas vraiment voté la mort du roi.
09:25Ce qui est terrible quand même,
09:26c'est qu'on n'est pas sûr qu'il ait voté la mort du roi,
09:28mais une chose est sûre,
09:30il a voté contre la transformation de la peine en banniment.
09:33Donc, il a bien voté la mort du roi, à un moment donné.
09:36Est-ce que c'est pour accéder à…
09:38– S'il y a une manigance, on comprend la manigance,
09:40s'il n'y a pas de manigance, qu'elle pleutre.
09:42– Oui, je pense que c'est pour pleutrerie, vous avez tout à fait raison.
09:46Je pense qu'à ce moment-là, quand il vote la mort du roi,
09:48la révolution est allée bien au-delà de cette époque
09:51que je décris, de la construction par la noblesse.
09:54Le duc d'Orléans, c'est un homme qui a peur pour sa tête.
09:57Il pense qu'en votant la mort du roi,
09:59il mettra les révolutionnaires de son côté, il sauvera la sienne.
10:02Et comme vous le savez, ça ne l'a pas sauvé non plus.
10:04– Il y a une morale.
10:05Je parlais de remise en cause des idées reçues.
10:07Vous faites plusieurs affirmations qui rebattent l'écart.
10:09Tout d'abord, vous affirmez qu'il faut arrêter avec l'idée
10:12que la cause de la révolution, c'est d'un côté une noblesse
10:15et ses privilèges, et puis de l'autre, le peuple et ses frustrations,
10:18deux catégories qui seraient irréconciliables.
10:21Ça, il faut mettre ça à bas.
10:23– Oui, parce qu'il y a véritablement une lutte des classes au XVIIIe siècle.
10:27Mais ce n'est pas la noblesse contre le tiers État.
10:31Vous avez une lutte des classes à l'intérieur de la noblesse.
10:33La noblesse de cours, riches, privilégiés, pensionnés, oisives.
10:38La noblesse des campagnes, qui souvent est pauvre, sinon malheureuse.
10:43Vous avez une lutte des classes à l'intérieur du clergé,
10:46entre les riches évêques ou archevêques et le curé de campagne.
10:49Ce n'est pas du tout la même catégorie sociale.
10:51Et vous avez une lutte des classes à l'intérieur du tiers État,
10:54entre le petit laboureur ou l'ouvrier agricole et le grand financier de Paris,
10:58qui lui-même d'ailleurs fréquente la cour.
11:00Ce sont deux mondes différents.
11:02Donc il y a bien une lutte des classes, mais ce n'est pas ordre contre ordre.
11:04Cette lutte des classes, elle traverse les trois ordres
11:08qui marquent la société d'Ancien Régime.
11:10– Important ça, vous démontrez qu'avec la réunion des États généraux,
11:13la noblesse libérale, elle joue pleinement son rôle dans plusieurs grandes réformes.
11:17C'était l'abolition des droits seigneuriaux,
11:19l'affirmation des droits de l'homme et du citoyen,
11:21la rédaction de la Constitution.
11:24L'histoire a conservé deux noms de cette noblesse libérale,
11:27La Fayette et Rabot.
11:30– Oui. – C'est juste ?
11:32– Alors, ce sont les plus emblématiques.
11:34Quand on regarde justement les travaux de l'Assemblée Nationale,
11:38ce n'est pas forcément ceux qui ont le plus travaillé.
11:40La Fayette bénéficie d'une aura, d'un prestige extraordinaire
11:44qui est, comment on sait, le héros du Nouveau Monde.
11:47Mirabot, c'est assez spécial, c'est un noble qui a été élu par le Tiers-État.
11:52Il n'a pas été élu par la noblesse, il a été élu par le Tiers-État.
11:56Souvent, j'ai lu dans des livres d'histoire
11:58que Mirabot était le seul noble élu par le Tiers-État.
12:00Ce n'est pas vrai, ils sont quand même une cinquantaine de seigneurs
12:03que le Tiers-État a voulu comme député.
12:08La Fayette, il n'est pas très présent
12:09parce que, comme il devient assez vite chef de la Garde Nationale,
12:13il est surtout chargé de maintenir l'ordre dans Paris.
12:16Mais c'est quand même lui qui, le premier,
12:19a rédigé une déclaration des droits de l'homme et du citoyen
12:22qu'il a en gros recopiée de la déclaration américaine.
12:25Mirabot est le fils de son père, qui lui-même était un économiste,
12:30avait beaucoup travaillé sur l'amélioration
12:33de l'organisation économique de la société, sur les impôts.
12:37Mirabot, c'est à la fois un agitateur,
12:39mais également un homme de réflexion
12:41qui a beaucoup travaillé sur l'organisation de la société.
12:45On voit passer bien évidemment ces nobles
12:46qui ont fait la Révolution dans cet ouvrage.
12:48J'invite les téléspectateurs à se procurer pour les découvrir
12:52et les voir vivre cette période-là.
12:55Et cette noblesse que vous décrivez finalement, elle a échoué.
13:00Parce qu'elle a été broyée par la violence intrasèque,
13:03finalement, de la Révolution.
13:05Pour eux, la Révolution ne menait pas à la République,
13:07mais pas sûr que les fanatiques aient pensé cela, eux, une seule seconde.
13:11Est-ce qu'ils n'ont pas été les idiots utiles de la Révolution,
13:14vos nobles libéraux que vous appréciez tant ?
13:16Alors, idiots, non, parce que ce sont incontestablement
13:19des gens intelligents qui ont réfléchi.
13:21Naïfs, oui.
13:25Ils ont eu à faire face à deux types d'adversaires.
13:28D'une part, la révolte populaire qu'ils n'arrivent pas à maîtriser.
13:32Quand on regarde justement les débats de l'Assemblée nationale
13:34où tout se dit, la moitié du temps de cette noblesse
13:36consiste à préconiser à mettre en place des réformes,
13:39et l'autre moitié à se demander comment on peut mettre fin
13:42aux exactions, aux violences, la fameuse grande peur de l'été 89
13:47où on met le feu au château.
13:49Et ils n'arrivent pas à rétablir l'ordre.
13:51Donc, ils sont débordés de ce côté-là.
13:53Et puis, ils sont débordés aussi par la cécité du roi et de la cour
13:58qui ne les aident en rien à essayer de faire évoluer le régime.
14:02Et donc, ces gens-là, ils se trouvent un peu entre le fer et l'enclume.
14:05Et ils ont beau essayer de faire quelque chose,
14:07ils se retrouvent débordés des deux côtés.
14:09Ce qui est intéressant, c'est que leur travail,
14:11vous l'avez rappelé, abolition des droits seigneuriaux,
14:14déclaration des droits de l'homme,
14:15mise en place d'une constitution qu'on pourrait dire objective,
14:19abolition de la noblesse.
14:20Le dernier acte de cette noblesse en juin 90,
14:23c'est de dire maintenant qu'il n'y a plus que des citoyens à égalité.
14:28Suppression de mon plaisir, non ?
14:29Non, eux-mêmes sont le duc de Liancourt, par exemple le duc d'Aiguillon,
14:32ils disent mais ça n'a plus de sens qu'il y ait une noblesse
14:35puisque maintenant nous sommes tous des citoyens à égalité de droits et de charges.
14:40Alors, dans toute votre réflexion,
14:42il y a un personnage qui, bien sûr, traverse cette période-là,
14:47c'est le roi Louis XVI.
14:48Et vous en faites une description presque à charge de Louis XVI,
14:53démontrant son manque de décision, ça c'est clair,
14:55ses décisions à contre-temps, ça c'était moins évident.
14:58Un roi qui ne comprend pas ou qui ne comprend rien.
15:00En fait, un roi qui n'est pas à la hauteur.
15:02Et pourtant, certains disent qu'il était acquis,
15:05peut-être même un peu trop, à cette philosophie des Lumières.
15:08Je n'en suis pas sûr.
15:10Louis XVI est un homme qui, bon,
15:13je pense que là-dessus, il n'y a plus beaucoup de doute,
15:15n'est pas fait pour le rôle.
15:16Le costume est beaucoup trop grand pour lui.
15:19Il n'y est pas préparé, il n'a pas le sens du pouvoir.
15:23Paradoxalement, il en a quelquefois le goût.
15:26C'est-à-dire, il pique des crises d'autorité,
15:29il commet énormément de maladresse.
15:32Mais il est également, je vais être un peu méchant,
15:34il est également mal intentionné.
15:36Il ne veut pas de la Révolution.
15:37Il n'a pas voulu des États généraux.
15:39Il se les ait laissés imposer, j'ai entendu,
15:41j'ai lu quelquefois des historiens qui disaient
15:43Louis XVI a essayé de s'appuyer sur le peuple contre les privilégiés.
15:47C'est tout à fait faux.
15:48Il suffit de regarder la manière dont les députés aux États généraux
15:51sont reçus par le roi à Versailles.
15:54On ouvre la porte à deux bâtants pour le clergé,
15:56à deux bâtants pour la noblesse.
15:58Le roi discute aimablement.
15:59Oh, Monsieur le Duc, il y a longtemps que je ne vous ai pas vus.
16:01Comment va votre famille, etc.
16:02Quand arrive le tiers État, on ferme un des deux bâtants
16:05et le roi, il discute avec ses amis, avec ses frères.
16:09Et le député du tiers État, il le salue comme ça, parce que le roi...
16:11Il a de mon plaisir, c'est un problème de communication.
16:13C'est un problème de communication.
16:14Des erreurs de communication, si vous permettez l'achronisme.
16:17Oui, il fait des erreurs de communication.
16:19Mais on sent bien que son cœur ne va pas vers le tiers État et vers le peuple.
16:23Son cœur va vers ce qui le rassure le plus,
16:25c'est-à-dire les flagorneurs qui sont autour de lui.
16:28Il y a quelque chose d'extraordinaire, c'est cette lettre que j'aime bien citer,
16:32qu'il écrit en octobre 1789 à son cousin, le roi d'Espagne,
16:36où il dit tout ce qui s'est fait depuis la réunion des États généraux,
16:39je suis contre.
16:40Et j'élève entre vos mains, mon cher cousin, une protestation solennelle.
16:45Sachez que tout ce qui s'est fait, s'est fait contre mon opinion.
16:49Alors qu'en même temps, il se fait voter restaurateur de la liberté française,
16:56il va coiffer le beaunier phrygien,
16:58il approuve la déclaration des droits de l'homme,
17:00il approuve l'abolition des privilèges,
17:02et derrière, il va écrire, non mais tout ça, ça s'est fait contre mon goût,
17:06contre mon cœur, contre ma volonté.
17:08Un homme d'État, pardon, ne se comporte pas comme ça.
17:10D'accord, et là, vous voyez de la rorie,
17:11où il y a peut-être tout simplement des éternements et des tiraillements,
17:14entre la tradition, la modernité, entre la tradition des pères
17:18et puis celle de la modernité, de la philosophie, qui est à la mode à l'époque.
17:21Alors, le tiraillement, c'est certain,
17:24si on ne veut pas aller jusqu'à la rorie,
17:26en tout cas, un manque sérieux de réflexion.
17:31Sa Majesté Louis XVI aurait mieux fait d'aller moins souvent à la chasse
17:35et de lire un peu plus les dossiers dans son bureau.
17:38Il change les gouvernements quand il le faut.
17:40Oui, mais généralement, ce n'est même pas lui qui change les gouvernements.
17:43Quand Calonne est remplacé par l'homilie de Brienne,
17:47que Necker est renvoyé, puis que Necker est rappelé, tout ça,
17:50c'est plus le résultat d'intrigues de cour que de la volonté du roi, hélas.
17:54Donc, il n'y a rien à sauver chez Louis XVI ?
17:56Pas grand-chose, son testament.
18:00Même si la question, allez, c'est la dernière question,
18:02je ne vais pas vous embêter plus sur Louis XVI,
18:03mais si la question peut paraître aussi un petit peu incongrue,
18:06les mécanismes, vous savez, étudiés,
18:08qui ont mené à la Révolution française de 1789 et à la terreur.
18:13Il faut bien les lier à un moment donné.
18:15Bien sûr.
18:15La Révolution a dérapé.
18:18Voilà, parce que tous les gens dont vous parlez, ils vont passer...
18:20Absolument.
18:21Ou dans l'émigration, ou sous la guillotine,
18:24et même certains, désespérés, se suicident
18:27en voyant comment les choses ont évolué alors qu'il n'évolait pas comme ça.
18:31Révolution et terreur.
18:32Est-ce que ça peut se retrouver en 2024 ?
18:34Certains le souhaitent.
18:35Je vois un député, Léphy, qui se revendique ouvertement de Robespierre,
18:38un autre qui appelle le peuple à marcher,
18:40et non pas vers Versailles, mais vers l'Elysée.
18:42On a un Dominique de Villepin, jusqu'à ce que j'apprenne qu'il n'était pas noble,
18:45mais qu'il était un bourgeois, bourguignon, puis lorrain de sa famille.
18:48Il est galus, ce Dominique de Villepin, pas lui.
18:50Appel à voter pour Mélenchon, ça c'est lui.
18:52Est-ce qu'on revit pas les prémices de la Révolution de 1789 en 2024 ?
18:58Oui, alors comme on dit, l'histoire ne se répète pas, mais elle bégaye.
19:01Ce qu'il y a de commun avec cette période,
19:03c'est qu'effectivement, nous avons à l'époque une France écartelée,
19:06comme elle est aujourd'hui, entre le roi et la noblesse de cour,
19:10qu'on pourrait assimiler à la technocratie politique de nos jours,
19:14mélange de très hauts fonctionnaires qui quittent rarement leur bureau,
19:20et de grands seigneurs électifs qui ont comme seul souci
19:25leur communication personnelle et leur réélection.
19:27Bon, je ne désigne personne,
19:29il y a une certaine ressemblance avec la cour de Versailles de l'époque.
19:32À l'autre bout, il y a le peuple dans les années 1780 qui manque de pain,
19:37et aujourd'hui, nous avons l'extrême-gauche
19:42qui prétend représenter finalement un peuple sinon misérable,
19:46du moins, dont le problème majeur aujourd'hui, par exemple, est le pouvoir d'achat.
19:50Donc nous avons deux composantes qui ressemblent un peu,
19:53un peu, à ce qu'était la situation des dernières années du XVIIIe siècle.
19:58Ce qui manque peut-être, mais peut-être que ça existe,
20:01peut-être que notre Premier ministre va réussir à trouver ce groupe,
20:04ce qui manque peut-être, c'est justement l'équivalence
20:06de cette noblesse éclairée de gens qui ont comme souci le bien public
20:11avant de se préoccuper de leur poste, de leur communication, de leur réélection.
20:14Peut-être que ces gens-là, ils existaient dans le royaume de France,
20:18est-ce qu'ils existent dans la République d'aujourd'hui ?
20:20Ils viendraient à mon avis plutôt de la société civile, comme on dit,
20:24que des appareils des partis politiques.
20:26C'est en tout cas à souhaiter.
20:28– Est-ce que vous avez noté que ces nobles qui ont fait la Révolution,
20:30qui sont morts de la Révolution, qui ont disparu à cause de la Révolution,
20:33ensuite les rois sont venus et il y aura les mêmes intermoiements,
20:36à la fois des rois qui seront plus conservateurs,
20:38on peut penser à Charles X bien évidemment,
20:39des rois qui seront plus libéraux, on peut penser peut-être à Louis-Philippe,
20:45tout ça se terminera mal, Daniel, à mon plaisir, l'histoire bégaie.
20:49– Oui c'est vrai, ce qui est vrai c'est que les leçons de la Révolution
20:51ont été tirées de façon assez positive en 1814 avec la charte constitutionnelle
20:57qu'a voulu Louis XVIII et qui est quand même l'ancêtre
21:00de notre constitution parlementaire actuelle.
21:02Le régime parlementaire français, il s'est développé
21:04à partir de la charte constitutionnelle de 1814.
21:07Là aussi, ça aurait pu assez bien se passer sans la Révolution de 1830
21:13qui est le fruit de nombreuses erreurs.
21:16Enfin on ne va pas parler ici de la Révolution de 1830,
21:18j'en profite pour dire que j'ai consacré un livre à la Révolution de 1830
21:23qui s'appelle les Trois Glorieuses, la Révolution de 1830 démystifiée.
21:271830 c'est un mai 68 qui a réussi.
21:30Si Charles X avait eu le courage du général de Gaulle en mai 68,
21:33quand de Gaulle en mai 68, 30 mai 68, il fait appel au peuple français.
21:38Si en juillet 1830 Charles X avait dit
21:40ben moi je fais appel au peuple français,
21:42j'instaure le suffrage universel et j'interroge le peuple,
21:45il avait un plébiscite à 90%.
21:47Mais ce n'était pas l'époque, ce n'était pas l'esprit, c'est peut-être dommage.
21:52– Les hauteurs de Saint-Cloud ne lui ont pas été profitables.
21:54Merci Daniel de mon plaisir.
21:56On revient à ces meubles qui ont fait la Révolution,
21:57on parle des précurseurs, on parle des agitateurs,
21:59on parle des fondateurs et on parle des conclusions aussi.
22:02Merci de vous être plongé dans cette époque
22:05qui peut peut-être nous rappeler quelques prémices que nous vivons aujourd'hui.
22:09– Merci à vous. – Merci à vous.

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