[interview] Politique agricole
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00:00Bonjour et bienvenue. On va parler ensemble d'économie, de macroéconomie agricole.
00:11J'ai face à moi Christian Arbulot. Bonjour. Bonjour. Vous êtes alors directeur de l'école de guerre économique.
00:18Alors un terme assez particulier qu'on va aborder sous l'angle agricole. Selon vous, l'agriculture n'échappe pas à cette guerre économique.
00:28Et effectivement, les producteurs la vivent au quotidien, surtout ces derniers mois dans leur exploitation.
00:35Quel est le sens de cette notion de guerre économique appliquée au monde agricole et subie par les agriculteurs ?
00:42Pour répondre simplement, l'agriculture, ce n'est pas la loi du marché. C'est beaucoup plus que ça.
00:49Et depuis plusieurs décennies, on voit quand même que le principal compétiteur de l'Europe, ce sont les Etats-Unis.
00:57Et puis il y a les nouveaux entrants Chine, Brésil. Et lorsqu'on compare aujourd'hui les politiques menées par ces pays,
01:06on se rend bien compte que l'avantage pour les Etats-Unis, l'avantage pour la Chine, l'avantage pour le Brésil, c'est qu'il y a une vision politique.
01:16Alors qu'en Europe, c'est un monde très divisé où les pays partenaires se tirent plutôt dans les pieds, comme on dit,
01:25et où on considère l'agriculture plus comme un poids que comme une source de richesse qui profiterait à l'ensemble des pays membres.
01:33C'est pourtant l'agriculture. C'est pourtant ce qui a créé l'Europe. C'est la première politique véritable politique agricole qui a été conduite en Europe.
01:43Et c'est assez triste, entre guillemets, d'en arriver à ce constat aujourd'hui. Oui, parce que je crois que le problème, c'est que le monde agricole,
01:52en France en particulier, ne s'est pas donné suffisamment les moyens de faire comprendre ça au restant de la société française.
02:01C'était considéré comme un acquis, une évidence. Et cette évidence, petit à petit, eh bien, tout le monde l'a oublié parce qu'il suffit d'aller à un supermarché
02:10pour acheter ce qu'on a envie et ce dont on a envie. Pardon. Et on a oublié complètement l'évolution du monde actuel, la croissance de la population,
02:20le besoin d'alimenter cette population. Appel très, très important à des logiques de marché et un durcissement de la compétition.
02:28Et d'autre part, on a oublié que l'agriculture, c'était pas simplement les agriculteurs, mais c'était le devenir du territoire français.
02:38C'était le rapport entre l'alimentation et la santé publique. C'était la qualité de vie par les aliments qu'on consomme et en particulier ceux qui sont conçus
02:47grâce à l'agriculture française, etc., etc. Donc, on est sur un autre. On est sur une autre dimension que celle qu'on croyait avoir intériorisé depuis longtemps.
02:59On a oublié quand je dis on, c'est très large, mais on a oublié cette notion de sécurité alimentaire et cet objectif de sécurité alimentaire.
03:07C'est beaucoup moins une préoccupation de l'Europe. Disons que c'est pas. C'est vécu comme un principe humanitaire de plus en plus basculé vers les ONG.
03:19Et c'est pas vécu comme un principe stratégique, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, la priorité 1, c'est comment nourrir la population française dans les 20 ans,
03:27quelle que soit l'évolution du monde multipolaire, conflictuel, dangereux, divisé, quelle que soit aussi l'évolution de l'Europe avec ses politiques contradictoires,
03:36une Europe sous influence américaine, un commissaire européen qui n'a pas de vision stratégique en tant que telle, qui ne cesse de répéter qu'il faut que les agriculteurs
03:45s'adaptent aux lois du marché, alors que, je le répète, l'agriculture, ce n'est pas que le marché. C'est beaucoup d'autres choses.
03:52Les Américains l'ont compris avec une politique beaucoup plus interventionniste et protectrice, en tout cas.
03:58Oui, les Américains l'ont compris. S'ils donnent 500 dollars par agriculteur et alors que nous, on en donne 150.
04:09On voit bien que contrairement à ce qui est dit, y compris par notre commissaire européen de l'agriculture,
04:16les agriculteurs américains sont beaucoup plus soutenus par le gouvernement des Etats-Unis que l'Union européenne soutient ses propres agriculteurs.
04:27Mais alors qu'est-ce qu'il faut faire ? Quel conseil vous donneriez aux responsables professionnels agricoles et aux agriculteurs eux-mêmes pour éventuellement participer à changer les choses ?
04:38C'est la moindre des choses. Et peut-être ne moins subir cette guerre économique.
04:44L'urgence, c'est d'abord de mettre en avant des avantages que le monde d'agricole français a su se créer, comme Magri,
04:51un think tank qui produit de la connaissance pour éviter justement que la France et l'Europe soient sous influence étrangère.
04:58C'est de produire de la connaissance hors du monde agricole pour former les politiques, parce qu'on en est arrivé à ce constat.
05:05Il faut reformer les politiques à une vision stratégique de l'agriculture.
05:10Et les agriculteurs, le monde agricole ne parvient pas à les former justement à ces questions stratégiques pour leur secteur ?
05:18Il a été trop longtemps, ça peut se comprendre de par les crises qu'il a subies, mais trop longtemps auto-centré sur ses problèmes.
05:25Alors il faut qu'il le reste, bien sûr, mais il faut qu'il dépense un minimum d'énergie, de moyens et de temps humain en jour homme pour travailler
05:38afin de créer ces centres de connaissances, de production de connaissances qui donnent aux politiques les capacités d'aider ce monde agricole
05:46dans l'affrontement de la guerre économique, ce qui n'est pas le cas en ce moment.
05:50À quel type de connaissances vous pensez quand vous parlez de production de connaissances ?
05:55Pour moi, il est évident que le monde agricole français devrait être capable de démontrer aux politiques qui soutient vraiment l'agriculture en Europe
06:04et qui est sous influence américaine, une cartographie du jeu des acteurs, ne serait-ce que celle-là au niveau des lobbyistes, au niveau des Syntang,
06:14même ceux qui se prétendent soutenir l'Europe alors qu'en fait ils sont instrumentalisés par les Etats-Unis.
06:20Cette grille de lecture-là, c'est au monde agricole de la bâtir. Il a l'information, il a la connaissance, mais il ne le fait pas.
06:28Ça commence tout doucement, mais ça devient vraiment urgent. Il faut que le politique ait sous les yeux, comme un général, une carte d'état-major
06:37pour savoir où sont les adversaires, comment bougent-ils sur le terrain et qu'est-ce qu'on doit faire.
06:43Je m'excuse d'utiliser cette métaphore, mais il n'y a que comme ça qu'on peut avancer.
06:47Et tant que le monde agricole ne fera pas cet effort, lui seul à la légitimité, pour démontrer que la connaissance produite,
06:55elle correspond à ce qui se passe dans la réalité, eh bien le politique sera à la traîne et le politique va gérer le monde agricole
07:02comme un poids et non pas comme une source de richesse, ce qu'il est fondamentalement.
07:06Pourtant, dans le paysage agricole français, on a des organisations, existent des organisations professionnelles, notamment syndicales, assez fortes,
07:14assez structurées et puissantes, non ?
07:16Oui, mais si vous regardez le fonctionnement, il n'y a pas forcément une unité sur cette question-là.
07:23On la cherche, l'unité. Je ne suis pas sûr qu'il y ait une unité entre la FNSEA et des FDSEA sur cette question.
07:30Donc, il faut dépasser ces divisions. Il faut avoir réellement un seul pilote dans l'avion pour définir la stratégie de l'agriculture française
07:42confrontée à l'évolution du monde actuel. On en est encore loin.
07:47Christian Arbulot, merci beaucoup pour cet éclairage extérieur, mais très intéressant.
07:52Et je vous invite à retrouver d'autres informations sur l'économie française et européenne agricole sur Ternet.fr.