Dans l'hypothèse ou le camp présidentiel n'obtiendrait pas une majorité aux élections législatives, il faudra, pour Emmanuel Macron, désigner un Premier ministre issu d'un parti d'opposition.
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00:00On en parle avec Mathieu Croissandeau qui continue de nous accompagner face à Emmanuel Rivière.
00:04Bonjour, vous êtes politologue enseignant à Sciences Po et à la fac de Paris la Sorbonne, Paris 1.
00:09Emmanuel Macron s'est donc à une nouvelle fois justifié hier sur sa décision de dissoudre l'Assemblée Nationale.
00:15C'était hier sur l'Île-de-Sein à l'occasion du 84e anniversaire de l'appel du 18 juin. On l'écoute.
00:22En mon âme et conscience, c'est une des décisions les plus lourdes que j'ai eu à prendre Madame.
00:26Mais je l'ai fait parce que j'ai dit je ne peux pas faire comme ça.
00:30Pour moi, c'est le plus confortable. Moi, je n'ai plus d'élection devant moi.
00:33Si je pensais à moi, vous savez, je serais resté à mon bureau et j'aurais dit on va continuer comme si de rien n'était.
00:39Mais on doit ouvrir les yeux. On ne peut pas laisser monter les extrêmes et la colère en disant que c'est comme si de rien n'était.
00:45Mais je dois redemander un vote de confiance aux Françaises et aux Français.
00:48Et moi, j'ai confiance dans le bon sens. Je pense qu'il y a une majorité silencieuse qui, comme vous, ne veut pas les extrêmes.
00:54Et les Français ne veulent pas la chianlie. Moi non plus. Et au Parlement, ce qui n'allait pas.
00:57Et ça aurait été la chianlie. Je vous le dis en mon âme et conscience. C'est pour ça que j'ai fait ça.
01:01Employer le mot chianlie, évidemment, le jour de l'anniversaire de l'appel du 18 juin, ce n'est pas un oda.
01:07C'est un mot qui appartient évidemment au général de Gaulle repris par Georges Pompidou sur les marches de l'Elysée en mai 1968.
01:15Monsieur le Premier ministre, le président de la République s'adressera-t-il aujourd'hui à la nation ?
01:20Je ne pense pas, n'est-ce pas. Mais si je puis vous résumer l'opinion du président de la République, c'est la réforme oui, la chianlie non.
01:28À l'époque, on est dans quelle situation ?
01:30Alors, on est le 19 mai 1968. Le mouvement élyséen étudiant a commencé. Il y a eu une grève suivie, même d'une grève générale.
01:36Bref, la France commence à être sérieusement bloquée. C'est cette situation-là.
01:40Mais il s'agit d'une colère sociale et d'une colère de la jeunesse qui s'exprime, pas d'une situation politique provoquée par le président, en l'occurrence, Emmanuel Macron.
01:47Alors, à l'issue des législatives, plusieurs cas de figures se posent pour la nomination du Premier ministre.
01:53Je vous dis d'abord qu'on regarde très précisément ce que dit l'article 8 de la Constitution pour la nomination du Premier ministre.
01:59Le voici, cet article 8. Le président de la République nomme le Premier ministre.
02:03Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement.
02:07Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions.
02:11C'est tout. La nomination du Premier ministre, c'est tout.
02:15Donc, on va prendre tous les cas de figures possibles, si vous le voulez bien.
02:17Premier cas, majorité absolue du Rassemblement national ou du Nouveau Front populaire. On se place dans cette situation.
02:26Emmanuel Macron doit-il choisir un Premier ministre dans le groupe qui dispose de la majorité absolue ?
02:32À vrai dire, il fera ce qu'il veut. C'est ce que dit l'article 8 de la Constitution.
02:36Il peut déjà constater qu'il y a deux cas de figure. Celui d'un Rassemblement national majoritaire et disposant de la majorité absolue.
02:45Apparemment, dans le cas contraire, Jordan Bardella ne veut pas y aller.
02:48Et dans ce cas-là, le Rassemblement national est quasiment en mesure d'imposer le nom qui lui convient.
02:54Pas dans la Constitution, mais politiquement.
02:56Ce sera très compliqué pour un président de la République totalement désavoué et face à un Rassemblement national ayant la majorité absolue
03:04de dire non, je ne veux pas Jordan Bardella, je veux telle autre personne.
03:07Dans l'autre cas, Fordi l'a dit hier sur BFM qu'il faudrait un vote pour désigner le Premier ministre au sein du Nouveau Front populaire.
03:16Bonpat a tout de suite dit non.
03:18Il dit non, c'est le groupe qui sera le mieux représenté qui fera une proposition.
03:22Qu'est-ce qui se passe dans ces cas-là ?
03:24Il se passe que probablement, autre chose pourra être tentée.
03:28En fait, ce que voulait faire Emmanuel Macron, ça apparaît maintenant de plus en plus clairement avec cette dissolution,
03:32c'est obliger, sous la menace du Rassemblement national,
03:35tous ceux qui pourraient s'allier avec lui à constituer une coalition dont Renaissance serait le centre de gravité.
03:42Mais on va y revenir.
03:43Parce qu'effectivement, dans le deuxième cas de figure, il y a majorité relative pour le Rassemblement national ou le Nouveau Front populaire.
03:49Dans ce cas-là, Bardella a dit, si je n'ai pas la majorité absolue, je ne veux pas être nommé.
03:54Il peut refuser.
03:56Ah oui, alors refuser d'aller à Matignon, c'est très facile, ce serait simple.
04:00Ça s'est déjà vu ?
04:01Que un parti ayant une majorité relative...
04:05Que le président de la République propose à une personnalité d'être nommée et qu'elle le refuse.
04:09Oui, d'ailleurs, je pense qu'avant les récentes désignations à Matignon, il y a eu un certain nombre de refus.
04:17Mais là, en général, on ne le sait pas.
04:19Exactement, ce sont des conversations officieuses entre le président et les personnalités.
04:24Oui, je pense à Christine Lagarde, il y a plein de gens qui ont refusé d'être Premier ministre
04:28parce qu'ils pensaient qu'ils n'avaient pas les conditions d'exercer le pouvoir d'une bonne façon.
04:32Il faut rappeler juste une chose, c'est que le Premier ministre, c'est le chef de la majorité.
04:35Donc, vous pouvez prendre quelqu'un qui vient de l'extérieur, qui vient de la bande,
04:38mais après, il va devoir se poser comme chef de la majorité, c'est-à-dire que la majorité va devoir voter pour lui.
04:43On rappelle que les parlementaires, ils ont une arme, qui est la motion de censure.
04:46Et s'ils ne sont pas contents, ils peuvent dessouder le Premier ministre et le gouvernement.
04:50Mais si le président de la République va chercher un Premier ministre dans le groupe minoritaire, ça fonctionne ou ça ne fonctionne pas ?
04:55Alors, c'est toute la question, en fait.
04:57Si ce n'est pas le Rassemblement national qui est la majorité absolue, là, il va se poser une autre question,
05:02c'est est-ce qu'il est possible de constituer une autre majorité ?
05:05Et le point faible du Front populaire, c'est qu'Olivier Faure et Manuel Bompard l'ont montré,
05:12ils ne sont pas d'accord sur les conditions de désignation de celui qui pourrait être leur futur Premier ministre
05:17en cas de majorité absolue ou relative.
05:19Et donc, là, il y a une faille dans laquelle Emmanuel Macron peut essayer de s'engouffrer
05:24et d'aller chercher un Premier ministre.
05:26Mais là, ça va être de l'arithmétique très, très compliquée,
05:28parce qu'il va falloir sans doute rassembler de l'aile gauche des Républicains,
05:33mais qui ne sont sans doute pas très, très nombreux à l'Assemblée nationale,
05:37aller chercher à gauche le plus loin possible, peut-être jusqu'à des insoumis, insoumis,
05:42c'est-à-dire ceux qui se sont désolidarisés de Jean-Luc Mélenchon,
05:45et trouver une figure qui soit acceptable pour tous ces gens-là, sans doute très, très provisoirement,
05:50parce que ce serait une majorité susceptible d'éclater à tout moment.
05:52— C'est là qu'on nomme un Premier ministre technicien ?
05:55— Alors on peut nommer dans l'absolu un Premier ministre technicien.
05:58Certains pays l'ont fait. Je pense à l'Italie récemment, en 2021,
06:01qui était allée chercher à l'issue d'une crise politique où il n'y avait plus de majorité
06:05une figure, une personnalité, Mario Draghi, qui avait été gouverneur de la Banque centrale européenne,
06:09pour jouer le rôle de Premier ministre.
06:10Ça a duré un peu plus d'un an et 6 mois, 8 mois de mémoire.
06:14En France, c'est compliqué. Vous pouvez aller chercher un Premier ministre technicien
06:17quand vous avez la majorité.
06:18Par exemple, imposer Raymond Barr, meilleur économiste de France,
06:20ou aller chercher Jean Castex, qui n'était pas une figure politique connue des Français.
06:24Quand vous n'avez pas de majorité, que vous demandez à cette personnalité
06:27à la fois de conduire la politique du gouvernement, donc celle que vous lui proposez,
06:31et de la faire passer à l'Assemblée nationale, sans légitimité, c'est très compliqué.
06:35— Mais franchement, est-ce que le président d'un public,
06:36et on l'a entendu d'ailleurs dans ce qu'il a déclaré il y a quelques instants,
06:38ne fait pas le pari du vote de la majorité silencieuse,
06:41qui constituerait une forme de troisième voie si, par exemple,
06:45eh bien ça se passe un peu mieux que prévu pour les députés sortants,
06:49et s'il y a un potentiel d'accord avec ce que j'appellerais les LR canal historique.
06:54Là, est-ce qu'il y aurait moyen, pour le président de la République,
06:57de nommer un Premier ministre issu de cette forme de coalition ?
07:00— De toute façon, s'il est obligé de former une coalition,
07:03c'est-à-dire qu'il est très improbable que le camp présidentiel ait la majorité absolue,
07:07même très improbable qu'il ait la majorité relative.
07:09Donc c'est plutôt probable, c'est qu'il soit peut-être 100, dans les bons cas, 150 députés,
07:14mais qu'il n'arrivera pas à gouverner tout seul.
07:15Donc il faut aller chercher des alliés, et généralement, vous leur donnez des gages à ces alliés.
07:18Alors vous pouvez leur offrir des gros ministères,
07:20vous pouvez leur offrir des réformes qu'ils demandaient depuis longtemps,
07:22mais quand vous êtes aussi faible que ça, vous êtes parfois obligé de leur proposer Matignon.
07:25Donc c'est plus tout à fait la politique que vous vouliez mener,
07:28c'est la politique de vos alliés qui prédomine.
07:30Et encore faut-il que vos alliés soient d'accord pour sauver votre mise,
07:33d'une certaine façon, ce qui est loin d'être assuré.
07:35— Est-ce que dans ce cas de figure, Gabriel Attal peut rester à Matignon ?
07:39— Ça paraît compliqué, Gabriel Attal reste à Matignon dans ce cas de figure,
07:42parce que comme Mathieu vient de le dire,
07:44le camp gouvernemental risque de ressortir très affaibli.
07:48Donc c'est là où la question est très ouverte,
07:50et elle est ouverte aussi parce qu'on est en France,
07:52parce que très franchement, une absence de majorité absolue,
07:54c'est le cas normal dans la grande majorité des pays européens.
07:58— Et ça fonctionne.
07:59— Et ça fonctionne.
08:00Mais pourquoi ça n'a pas fonctionné, ou difficilement fonctionné en France ?
08:02C'est d'abord que vous avez rappelé qu'il y avait trois blocs
08:05qui considèrent chacun que les deux autres sont totalement infréquentables.
08:08Donc ça rend quand même un petit peu difficile de faire des coalitions dans ces conditions.
08:11Et puis derrière, il y a la perspective de la présidentielle,
08:14que tout le monde a en tête de manière obsessionnelle,
08:17et avec l'idée qu'en risquant de se compromettre,
08:21on risque d'affaiblir ses chances pour la présidentielle.
08:24Et la présidentielle, elle arrive vite, elle arrive dans trois ans maximum,
08:27parce qu'un autre scénario, c'est qu'évidemment, une France devenue ingouvernable,
08:31eh bien ça pourrait obliger, en le privant de toute marge de manœuvre,
08:34Emmanuel Macron à un moment à envisager de se retirer.
08:36— Donc si je vous écoute et en reprenant ma question du début,
08:39la dissolution ne va pas éviter la chienlit ?
08:41— La dissolution, en tout cas, ne va pas éviter l'incertitude et le désordre.
08:45— Vous êtes très poli, Emmanuel.
08:46— Si on pensait prendre des vacances le 8 juillet, je ne suis pas complètement sûre.
08:50— Il n'est pas possible.
08:51Le 7 juillet au soir, la chienlit commence.
08:53Eh bien, nous verrons ça.
08:54Il y a encore une dizaine de jours de campagne.
08:57Et on voit bien que les choses évoluent quand même si vite
08:59que les lignes peuvent bouger d'ici là.