Cerveau multitâche _ une illusion

  • il y a 3 mois
Effectuer simultanément plusieurs tâches devient banal, sinon obligatoire. Mais gagne-t-on vraiment en efficacité ? Avec quelles conséquences ? Analyse scientifique d’un phénomène que l’économie a diffusé dans toute la société.

Issu de la sphère informatique, le mot "multitâche" désignait à l'origine la capacité d’un système d’exploitation à exécuter plusieurs programmes en même temps. Ce terme spécialisé est peu à peu devenu commun, puisqu’il désigne ce que la plupart des gens font tous les jours : effectuer plusieurs tâches en parallèle. À l’ère de l’immédiateté et de la quête constante pour "optimiser le temps", cela relève non seulement du banal, mais aussi, parfois, de l’obligatoire. Est-il si judicieux de promouvoir ainsi le "multitâche" ? Sommes-nous vraiment faits pour cela ? Est-ce une question d’adaptation, de génération ? Des scientifiques et chercheurs du monde entier, issus des neurosciences, de la science du mouvement, de la psychologie cognitive ou encore de la sociologie, s’attellent à démêler les effets sur le cerveau et l’esprit de cette tendance à en faire toujours plus en même temps.

Si leurs points de vue divergent, les spécialistes interrogés s’accordent sur un point : cette manie occasionne pour le cerveau humain une forme de stress qui, à terme, peut endommager certaines des zones cérébrales de façon mesurable – dont les fameuses cellules grises, qui reçoivent les influx nerveux. On découvre aussi que le multitâche peut causer d’étonnants ravages dans le milieu industriel : dans certaines entreprises, il serait à l’origine de pertes pouvant atteindre 25 % du chiffre d’affaires. Comment dès lors identifier ces processus contre-productifs et échapper aux spirales infernales ?
Transcript
00:00Le multitâche, ou l'art de faire plusieurs choses à la fois, est désormais le quotidien
00:11de beaucoup d'entre nous.
00:13Mais y gagne-t-on vraiment ?
00:15Notre cerveau n'est pas doué pour traiter plusieurs tâches à la fois.
00:22Le stress que cela engendre est mesurable.
00:26Nous savons que le stress peut altérer différentes régions cérébrales.
00:31Qu'est-ce que le multitâche induit chez nous ?
00:34Son pouvoir magique réside dans l'illusion qu'on va pouvoir abattre énormément tout
00:41en étant hyper efficace.
00:43Un sentiment entretenu notamment par les technologies numériques.
00:49Irrésistibles tout autant que tyranniques, elles ne nous laissent aucun répit.
00:55On est dans cette logique d'alerte qui fait que votre propre mobilisation de votre attention
01:02faiblit parce que vous êtes disponible pour toute sollicitation.
01:05Être disponible en permanence tout en s'acquittant de tâches multiples et variées semble être
01:12devenu la norme.
01:13Le multitâche peut aussi être productif.
01:16Tout l'enjeu est de trouver la juste mesure et le cadre adéquat.
01:19Où se situent les limites ?
01:21Comment notre cerveau réagit-il lorsqu'il doit effectuer plusieurs tâches simultanément ?
01:27Et notre corps ? Y a-t-il des effets positifs ?
01:31Est-il vrai que certaines personnes sont plus prédisposées que d'autres pour le multitâche ?
01:51L'être humain est parfaitement capable de réaliser plusieurs choses en même temps.
02:11Mais tout dépend du type d'activité et des conditions.
02:16Par exemple, télétravailler tout en gardant ses enfants, le lot de nombreux parents pendant
02:23le confinement, sont deux activités difficilement conciliables.
02:27Mais qu'entend-on exactement par multitâche ?
02:32Il n'existe pas de définition bien arrêtée.
02:37Pour certains, le multitâche consiste à s'acquitter de plusieurs tâches en parallèle.
02:42Pour d'autres, il consiste plutôt à concilier différents domaines de la vie,
02:46comme la famille et le travail.
02:49Le multitâche est à l'origine un terme issu de l'informatique.
02:54Il s'agit de la capacité d'un système d'exploitation à exécuter plusieurs programmes de façon simultanée.
03:00Le cerveau humain est lui aussi un centre de calcul gigantesque et complexe.
03:05Mais la comparaison entre l'humain et l'ordinateur s'arrête là.
03:08Les ordinateurs fonctionnent en effet exclusivement selon des règles mathématiques.
03:13Ils se caractérisent par leur capacité à traiter en un temps record,
03:17puis à mémoriser un volume considérable de données.
03:21Notre cerveau, à contrario, travaille de façon très sélective.
03:25La plupart des informations qui nous parviennent n'atteignent pas notre conscience.
03:30La plupart des processus se déroulent sans que nous en ayons conscience.
03:35Ceux qui sont en mode automatique peuvent avoir lieu en parallèle les uns avec les autres.
03:40En revanche, les nouveaux processus, et en particulier ceux qui impliquent des réflexions complexes,
03:45ont une capacité très limitée.
03:49C'est le thalamus, une partie du diencéphale,
03:52qui est responsable de la sélection et du filtrage des informations entrantes.
03:57Centre de contrôle majeur des organes sensoriels,
04:00il transmet au cortex cérébral les informations pertinentes.
04:04Tout ce que nous voyons, entendons, touchons, gouttons ou sentons
04:08est traité par le thalamcéphale dans ses différentes régions.
04:12Celui-ci est aussi en charge de la réflexion, de l'apprentissage et de la mémoire.
04:17Enfin, le cortex singulaire antérieur, CCA en abrégé,
04:21focalise notre attention et oriente notre conscience.
04:27Si vous avez, disons, trois ou quatre tâches différentes à effectuer,
04:32la seule façon de les faire correctement et efficacement est la suivante.
04:37Se concentrer sur la tâche numéro un en mettant de côté les demandes des tâches deux et trois,
04:44puis passer à la tâche deux en mettant de côté les tâches une et trois, et ainsi de suite.
04:51En d'autres termes, il faut de la force, de l'attention et surtout de l'autodiscipline.
04:58Dans de nombreuses situations, nous surestimons nos capacités et nous nous mettons en danger.
05:04La conduite automobile reste une activité complexe, même quand on a de l'expérience.
05:10Ce n'est pas pour rien que le portable au volant est interdit.
05:14Des études menées en Allemagne et aux Etats-Unis ont montré que le fait de téléphoner
05:19diminuait la tension du conducteur de 40 %, un peu comme s'il avait entre 0,8 et 1,1 g d'alcool dans le sang.
05:35Cette conductrice expérimentée veut tester par elle-même ses limites
05:39et a décidé de suivre un stage de sécurité routière.
05:43Dernière recommandation et la voilà partie.
05:50Sa mission, parcourir une distance donnée sur un circuit qui comporte des difficultés et réserve quelques surprises.
06:05Elle doit en même temps lire et écrire des messages sur son smartphone ou passer des appels, comme dans la vie réelle en quelque sorte.
06:13Elle sait que l'exercice consiste à partager son attention entre plusieurs tâches.
06:20Et pourtant...
06:29En roulant à 50 km heure, une personne inattentive pendant 2 secondes seulement parcourt près de 30 m en aveugle.
06:38Je dois avouer que je regarde souvent mon téléphone portable au volant.
06:43Et comme toute mère stressée qui essaie tant bien que mal de faire 5 choses à la fois, j'envoie aussi des textos.
06:52On ne devrait pas faire ça, je viens de m'en apercevoir.
06:56A un moment donné, j'ai dû faire une embardée et ça m'a vraiment choquée.
07:01J'ai eu une peur bleue.
07:04Autre exemple de distraction due à une communication numérique omniprésente.
07:09Ce professeur d'université est en concurrence permanente avec l'ensemble du monde en ligne.
07:14Selon des études menées dans 5 universités allemandes, les performances des étudiants diminuent d'environ un tiers lorsqu'ils utilisent simultanément leur smartphone et leur ordinateur.
07:24Comment ça se passe pour vous ? Comment répartissez-vous votre attention ? Combien de canaux, de plateformes pouvez-vous utiliser en même temps sans avoir l'impression d'être submergé ?
07:34Je me rends compte que je ne peux pas discuter avec ma mère par exemple et faire en même temps mes lacets, je l'admets.
07:40Moi je n'y arrive pas.
07:42Je me rends compte que je ne peux pas discuter avec ma mère par exemple et faire en même temps mes lacets, je l'admets.
07:48Moi je n'y arrive pas.
07:50Je me rends compte que je ne peux pas discuter avec ma mère par exemple et faire en même temps mes lacets, je l'admets.
07:54Je suis un cours sur Zoom depuis mon ordinateur tout en prenant des notes sur ma tablette et en consultant parfois Instagram sur mon téléphone.
08:03Et je remarque que lorsque je reçois une notification, je perds momentanément l'attention que je portais au cours et je dois la rétablir.
08:10Je dirais donc que je ne suis pas capable d'être multitâche, ça ne fonctionne pas très bien chez moi.
08:15J'écoute de temps en temps Spotify, pas à plein volume mais en fond sonore et je n'ai aucun problème pour suivre le cours.
08:22Peut-on vraiment écouter de la musique tout en suivant un cours ?
08:27Notre cerveau peut-il crier sans difficulté les stimuli, impulsions et informations qui l'assaillent en permanence ?
08:35Des psychologues de l'université de Zurich ont étudié ce qui se passe dans notre cerveau lorsqu'il est confronté simultanément à des contenus pédagogiques et à de la musique.
08:46Après tout, de nombreuses personnes travaillent en musique, pensant que celle-ci favorise leur concentration.
08:53Certaines théories d'apprentissage soutiennent même cette hypothèse.
08:56Au cours de l'expérience de Zurich, les volontaires apprennent parfois avec, parfois sans musique.
09:02Ici, par exemple, une étudiante doit retenir du vocabulaire anglais tout en écoutant de la musique classique.
09:09Les scientifiques enregistrent son activité cérébrale.
09:13Matthias Krupp, professeur en psychologie de l'université de Zurich, s'est rendu compte qu'il n'y avait pas d'attention à la musique.
09:19Le jeune scientifique examine ensuite avec le professeur Lutzienke comment le cerveau maîtrise la double tâche.
09:27Le responsable de l'étude, lui-même grand mélomane, n'écouterait jamais de musique en travaillant.
09:33Et il s'est dit qu'il n'y avait pas d'attention à la musique.
09:36Lutzienke a donc découvert qu'il n'y avait pas d'attention à la musique.
09:40Lutzienke a donc découvert qu'il n'y avait pas d'attention à la musique.
09:43Le responsable de l'étude, lui-même grand mélomane, n'écouterait jamais de musique en travaillant.
09:49Et il sait bien pourquoi.
09:52Si par exemple vous apprenez du vocabulaire avec de la musique en fond sonore,
09:57vous allez devoir vous concentrer sur l'apprentissage des mots en mettant de côté ce que la musique déclenche dans votre cerveau,
10:04en le combattant pour ainsi dire.
10:06Et cela demande de l'énergie et des efforts.
10:09On ne peut pas tenir longtemps.
10:11Le professeur Jencke a mis en évidence en laboratoire
10:15comment un extrait de Vivaldi déclenchait dans le cerveau de véritables ondes orageuses.
10:20Il reste alors peu de place pour le traitement de tâches et d'impulsions supplémentaires.
10:30Il y a des exceptions à la règle.
10:32Par exemple, si vous travaillez dans un bureau ouvert et que vous êtes entouré de stimuli,
10:36le fait d'avoir un casque sur les oreilles et d'écouter de la musique prévisible,
10:41c'est-à-dire facile d'écoute ou simple, avec une structure claire,
10:45est un moindre mal par rapport à la multitude de stimuli inattendus qui changent constamment autour de vous.
10:53Objectif de l'expérience ?
10:55Déterminer à quel point notre attention est sollicitée.
10:59On peut calculer assez précisément que 11 millions de bits par seconde sont déversés sur notre sensorium,
11:06c'est-à-dire nos yeux, nos oreilles, notre sens tactile, etc.
11:10Sur ces 11 millions, l'individu ne peut en traiter consciemment que 11 à 60.
11:16Je vous laisse apprécier l'ordre de grandeur.
11:1911 millions d'un côté contre 11 à 60 de l'autre,
11:23que nous devons sélectionner et traiter consciemment.
11:27Comment y parvenons-nous ?
11:29Dans une chambre insonorisée de l'Institut Leibniz de Recherche sur le Travail,
11:33le professeur Wascher et son équipe étudient comment fonctionne notre perception de la parole.
11:38L'expérience porte sur l'effet « cocktail party », autrement dit la capacité à diriger son attention
11:45dans une ambiance où nous sommes exposés à de nombreux stimuli sensoriels,
11:48comme dans un cocktail.
11:50Ici, par exemple, on peut entendre trois personnes en même temps.
11:54Comment notre cerveau fait-il le tri ?
12:00Il opère d'une certaine manière comme un filtre,
12:03mais qui serait alimenté en permanence par des influences contraires,
12:07c'est-à-dire qu'il arbitre entre plusieurs informations,
12:10ou plutôt entre plusieurs zones neuronales qui traitent chacune certains types d'informations.
12:14Dans cette expérience, le groupe de recherche de Dortmund
12:18veut déterminer l'importance des informations visuelles annexes,
12:22comme les mouvements de bouche, sur la perception de la parole.
12:32La recherche sur ces processus d'attention revêt une importance croissante,
12:36notamment pour notre vie professionnelle.
12:39Il est certain qu'en raison des nouvelles technologies
12:42et de l'irruption du numérique dans de nombreux secteurs,
12:45nous sommes amenés à traiter nettement plus d'informations que par le passé,
12:49et que beaucoup plus d'emplois sont liés au traitement de l'information.
12:57La situation à ce niveau est sans commune mesure
13:00avec ce qu'on avait il y a 20 ou 30 ans.
13:08Dans les offres d'emploi, le profil multitâche est souvent recherché.
13:13Qui est donc cette perle rare ?
13:16Quelqu'un capable d'abattre une multitude de tâches différentes à la fois,
13:20tout en restant zen quand il est interrompu ?
13:30Communiquer avec les collègues, les clients, les chefs,
13:34être en permanence disponible et réactif,
13:35travailler non pas sur un, mais sur plusieurs appareils numériques simultanément,
13:40et garder en permanence un œil sur toutes les tâches qui arrivent.
13:44Telle est pour beaucoup l'image idéale de l'employé efficace.
13:51Le phénomène multitâche ne se cantonne pas au monde du bureau.
13:55Il est aussi répandu dans les secteurs de la production.
14:00L'évolution du monde du travail a également modifié la recherche
14:05sur le travail.
14:07Si jusqu'à présent on étudiait plutôt les contraintes physiques,
14:11aujourd'hui c'est aussi la charge mentale qui retient l'attention.
14:15Comment le cerveau réagit-il lorsqu'il doit par exemple traiter des informations
14:20alors que le corps est sollicité en même temps ?
14:23Dans cette expérience qui consiste à conduire une barque en réalité virtuelle,
14:27le ou la volontaire doit éviter des obstacles sans perdre l'équilibre sur un sol instable.
14:32L'exercice fait appel simultanément aux capacités mentales et motrices.
14:37Doté des dernières avancées technologiques,
14:40ce laboratoire permet de simuler sans danger des situations extrêmes.
14:47Conduire une barque est avant tout une affaire de coordination du corps,
14:51de stabilité et de planification des mouvements.
14:55L'expérience suivante requiert également une concentration soutenue.
14:58Cette fois, la volontaire doit traverser un pont suspendu.
15:02Cette simulation fournit de précieuses informations pour améliorer nos espaces de travail.
15:08Cela concerne aussi bien l'activité du couvreur que d'autres secteurs comme la logistique
15:14où le personnel traite divers types d'informations tout en se déplaçant.
15:21Certaines industries font aussi de plus en plus appel aux lunettes intelligentes
15:25qui affichent des informations en temps réel devant le champ de vision de l'utilisateur.
15:31Cette double sollicitation très courante reste peu étudiée.
15:35Nous n'en savons pas encore suffisamment pour affirmer d'une part
15:39que la sécurité est garantie lors de la marche
15:42et d'autre part que toutes les informations peuvent être traitées correctement.
15:47Sur les lieux de travail, l'interaction entre l'humain et la technologie est de plus en plus importante.
15:53Un champ de recherche émergent, la neuroergonomie cognitive,
15:58s'intéresse principalement aux nouveaux types de contraintes mentales dans l'univers professionnel.
16:04Comment parvenons-nous à gérer plusieurs dossiers de front ?
16:08Et quel intérêt cela présente-t-il ?
16:11Sommes-nous alors vraiment plus rapides et plus efficaces ou au contraire contre-productifs ?
16:24Les médecins et plus encore le personnel infirmier
16:28se plaignent eux aussi des charges multiples et des interruptions incessantes.
16:34Jongler constamment entre les soins aux patients,
16:37le travail administratif et l'organisation chronophage du service est une source de stress.
16:45Des chercheurs se sont penchés sur le quotidien dans les hôpitaux.
16:54Les études réalisées en milieu hospitalier ont montré que les infirmières en poste le matin
16:59étaient interrompues entre 60 et 120 fois selon la tâche effectuée,
17:03par exemple lors de la préparation de médicaments.
17:06Cela peut conduire à des erreurs médicales catastrophiques.
17:11Dans les services d'urgence, comme à l'hôpital Unfall Krankenhaus de Berlin,
17:16disposer de procédures de routine bien rodées et d'une grande flexibilité est d'une importance cruciale.
17:22Une réalité difficile à appréhender pour le grand public.
17:27Souvent les gens ne voient pas les blessés graves en salle d'attente,
17:31car ceux-ci passent par une autre entrée et sont admis directement en déchocage.
17:35Leur prise en charge mobilise un personnel nombreux.
17:38Cela prend beaucoup de temps et bien sûr nous les examinons immédiatement,
17:42ce qui signifie de laisser tomber tout le reste.
17:45Les gens ont du mal à comprendre pourquoi ils restent aussi longtemps en salle d'attente.
17:48Comme il ne se passe apparemment rien,
17:51certains se disent que les médecins ne travaillent pas, qu'ils sont en pause café,
17:55alors qu'ils sont peut-être en train de sauver des vies.
17:58Des écrans indiquent au personnel soignant dans quel ordre les urgences doivent être traitées.
18:03L'urgence est déterminée après une première évaluation médicale.
18:07Le triage au service d'urgence s'effectue selon des critères bien définis.
18:11Les couleurs indiquent le degré de priorité.
18:14Rouge signifie que le patient doit être pris en charge immédiatement,
18:18orange dans les 10 minutes, vert et bleu représentent les cas les moins graves.
18:23Tout ne peut pas être planifié pour autant.
18:26D'un côté, le triage est un système formidable.
18:29De l'autre, le travail d'équipe et la coopération sont, pour moi en tout cas, tout aussi importants.
18:35Par exemple, si une infirmière qui travaille aux urgences depuis 15 ans vient me dire
18:40« Johanna, je n'aime pas ce patient, est-ce que tu peux l'examiner ? »
18:44Je vais aller le voir, même s'il est vert et que je ne dispose que d'une heure.
18:49En général, les blessés graves sont annoncés 10 minutes à l'avance et sont attendus par l'équipe soignante.
18:56Mais qui dit urgence ne veut pas dire précipitation.
18:59Dans la prise en charge du patient, calme et concentration sont de rigueur.
19:04Brûlure de 2ème et 3ème degré qui couvre 15% de la surface du corps
19:09suite à l'emploi d'un accélérateur de feu par le patient lui-même.
19:16Dans un premier temps, nous n'examinons pas le patient,
19:19mais nous prenons une minute pour écouter le compte-rendu du médecin urgentiste.
19:23C'est une procédure très formalisée.
19:25Que s'est-il passé ? Comment cela s'est-il passé ?
19:28C'est essentiel, surtout pour nous.
19:29Quel est le type de traumatisme ? A quel genre de blessure doit-on s'attendre ?
19:33Et qu'est-ce qui a été fait jusque-là ?
19:35C'est seulement après que nous transférons le patient et commençons la prise en charge.
19:41Lorsqu'il s'agit de gérer le multitâche,
19:44la fluidité dans les processus de travail et la clarté dans la communication
19:49sont des impératifs absolus.
19:51L'Université des Sciences Appliquées de Coblent
19:54étudie le phénomène multitâche dans un domaine complètement différent,
19:58celui des grandes entreprises.
20:01On dit toujours qu'il y a trop de multitâches dans le monde de l'entreprise.
20:05Et c'est ce que nous constatons sur le terrain.
20:08Le problème est donc bien identifié.
20:10C'est le changement de cap qui est compliqué.
20:14Pour l'employé, toute la difficulté consiste à ne pas perdre de vue l'entreprise.
20:19C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'entreprise,
20:21et toute la difficulté consiste à ne pas perdre de vue l'ensemble des tâches diverses et constamment renouvelées.
20:30Ce qui a été fait et ce qui reste à faire est noté ici, sur de petites feuilles de papier.
20:36Une méthode à première vue désuète à l'heure du numérique,
20:39mais pleine de bon sens.
20:44Plus les tâches sont abstraites, plus elles sont complexes et numériques,
20:47et plus il est important de les décomposer et de les représenter.
20:53Dans une usine, par exemple, il sera beaucoup plus facile pour les employés de voir,
20:58concrètement, dix machines en voie de fabrication,
21:01que d'être face à dix processus, forcément abstraits,
21:05comme dix demandes de clients en cours de traitement.
21:08Dans notre usine-école, à l'université de Coblence,
21:12nous rendons visibles les processus d'une usine fictive de camions,
21:16et donc compréhensibles.
21:20Cela commence par les achats, c'est-à-dire les fournisseurs.
21:24Puis nous avons la réception des marchandises,
21:27l'entreposage,
21:29ensuite, l'intralogistique.
21:31Avec les différentes étapes de production et d'expédition.
21:35L'exercice consiste à mettre en lumière le multitâche négatif
21:39et à trouver des solutions pour améliorer la situation.
21:44Une amélioration nécessaire dans de nombreuses branches.
21:48Le multitâche permanent dans la gestion de projets
21:51gaspille environ 20% des ressources,
21:54soit 1,5% par année.
21:56C'est ce qu'ont montré le professeur Comus
21:59et le cabinet de conseil Vistom à travers une vaste étude
22:02menée auprès de participants issus de 20 secteurs.
22:05Le résultat majeur de cette étude,
22:08c'est que la situation est effectivement aussi mauvaise qu'on le pensait.
22:11C'est même la principale conclusion.
22:14Il y a un manque de clarté dans les structures,
22:17dans les objectifs, dans la gestion de projets.
22:20C'est ce qu'ont montré le professeur Comus et le cabinet de conseil Vistom.
22:23Il y a un manque de clarté dans les structures,
22:26dans les objectifs.
22:29Les priorités ne sont pas suffisamment hiérarchisées.
22:32On peut donc supposer, en extrapolant,
22:35que le multitâche est trop présent dans les entreprises,
22:38dans les organisations.
22:41Et surtout qu'il n'existe aucune structure, aucun système pour le gérer.
22:44La société suisse Endres & Hauser,
22:47l'un des leaders mondiaux de l'ingénierie des process industriels
22:50et des technologies de laboratoire,
22:53est en train de s'améliorer.
22:56Ces dernières années, les exigences dans le développement
22:59d'instruments de mesure hyper spécialisés ont considérablement augmenté
23:02du fait de l'automatisation, de la numérisation
23:05et des enjeux de durabilité.
23:08Au fil du temps, nous avons constaté que les employés
23:11avaient beau travailler toujours plus et être soumis à un stress croissant,
23:14leur productivité était en baisse.
23:17Nous avons donc voulu utiliser les dernières découvertes scientifiques
23:20en la matière pour améliorer encore cette situation.
23:23Des questionnaires en ligne et des entretiens approfondis
23:26avec le personnel et la direction ont été réalisés,
23:29dans le but d'examiner des processus de travail sous différents angles.
23:32Question centrale, où se situaient concrètement
23:35les charges multiples et les sources de dérangements ?
23:42Le problème majeur était que les personnes qui effectuaient le travail,
23:45c'est-à-dire les équipes de développement,
23:48recevaient trop d'ordres différents de sources multiples.
23:50Et que chacune des tâches à effectuer
23:53était considérée comme une priorité absolue.
23:56Cela a conduit, de fait, à une surcharge de travail.
23:59Dans ces conditions, il n'est plus possible de travailler efficacement.
24:02Passer en permanence d'une activité à l'autre
24:05ne permet pas de se concentrer correctement sur une tâche donnée.
24:08Par conséquent, l'espace de bureau ouvert
24:11a été divisé en autant d'îlots que d'équipes.
24:14Les développeurs de logistiques,
24:16peuvent désormais travailler plus tranquillement
24:19et mieux se coordonner entre eux.
24:22La planification a été rendue plus visible
24:25grâce à un découpage en phase de 14 jours appelé « Sprint ».
24:28La direction, les clients et les employés
24:31définissent ensemble des objectifs réalistes,
24:34la priorité des tâches et la charge de travail de chacun.
24:37Une organisation intelligible et stable
24:40pour toutes les parties prenantes.
24:43Bienvenue à l'équipe d'entreprise.
24:46C'est la réunion du jour.
24:49Comme d'habitude, on va commencer par regarder
24:52le graphique d'avancement.
24:55Tout m'a l'air au top.
24:58Lors de brèves réunions quotidiennes,
25:01les informations clés du moment sont transmises
25:04de manière synthétique aux développeurs de logiciels
25:07qui, à leur tour, peuvent aborder les problèmes qu'ils rencontrent.
25:10Je dirais que nous avons multiplié notre efficacité
25:13par un facteur de 3 à 4.
25:17Des performances qui ont grimpé en flèche
25:20et des équipes plus satisfaites.
25:25Pour moi, c'est très valorisant
25:28car j'accomplis la tâche qui m'a été confiée.
25:31J'apporte une valeur ajoutée à mon équipe
25:34et je rentre chez moi plus content.
25:36Travailler de concert avec ses collègues
25:39et sans être dérangé
25:42est un soulagement pour tous.
25:45Le fait d'être entièrement absorbé dans une activité
25:48a généralement un effet positif sur la réussite
25:51et le sentiment de bonheur.
25:54C'est ce qu'en psychologie positive on appelle le flow
25:57ou l'expérience optimale.
26:00Être interrompu ou dérangé produit l'effet inverse.
26:03À l'université de Lubeck,
26:06on étudie précisément les conséquences du multitâche
26:09sur l'expérience optimale dans le cadre professionnel.
26:14Pour ce faire, nous avons interrompu des employés
26:17de manière aléatoire deux fois par jour pendant une semaine
26:20puis nous les avons questionnés sur leur ressenti
26:23de la dernière demi-heure.
26:26Les employés devaient tenir un journal de bord
26:29où ils quantifiaient la part de multitâche qu'ils avaient effectuée
26:32au cours de la dernière demi-heure
26:34pour voir que le multitâche a un impact négatif
26:37sur l'expérience de flow.
26:40Mais il existe aussi un multitâche intérieur
26:43que nous provoquons nous-mêmes.
26:46C'est ce que, dans la méditation bouddhiste,
26:49on appelle l'esprit singe.
26:52Tel un singe qui ne tiendrait pas en place,
26:55notre esprit saute d'une idée à une autre,
26:58accroît la pression, sème le désordre,
27:01nous plonge dans un état de stress et nous déconcentre.
27:04Beaucoup de personnes font l'expérience
27:07de la procrastination.
27:10C'est ce qui consiste à remettre à plus tard
27:13les tâches jugées désagréables.
27:16Or, le travail inachevé nous donne mauvaise conscience.
27:19Nous le gardons toujours dans un coin de la tête.
27:22La précrastination, c'est le contraire,
27:25puisqu'elle consiste à s'empresser
27:28d'accomplir les tâches qui nous sont assignées.
27:31C'est aussi très répandu.
27:34C'est ce qui nous fait passer au plus vite de la to-do list.
27:37Cela peut conduire à laisser en plan certaines tâches importantes.
27:42Une montagne de tâches commencées et non terminées
27:45qui nourrit une mauvaise conscience
27:48en étant toujours accessibles grâce au numérique.
27:51Voilà de quoi alimenter un stress chronique.
27:55Spécialiste de la sociologie du numérique,
27:58le professeur Dominique Boulier
28:01s'intéresse à l'impact social des nouvelles technologies.
28:04Il parle de l'influence du numérique
28:07sur les relations humaines et sur le monde du travail.
28:11L'idée du salarié polyvalent
28:14est directement liée à un modèle de management contemporain.
28:17Cela devient un modèle présenté comme
28:20je suis disponible à toutes les sollicitations,
28:23en permanence, au même niveau,
28:26et je suis capable d'y réagir à la microseconde.
28:29Si on parle de la finance, on est à ce niveau-là.
28:31Quand on oblige les gens à travailler à ce niveau-là,
28:34on atteint immédiatement des situations de burn-out
28:37qui sont très courantes dans les entreprises contemporaines.
28:40Beaucoup de gens, au bout d'un moment, n'en peuvent plus,
28:43de devoir en permanence répondre à tout de cette façon-là.
28:46Il ne faut pas oublier qu'à un certain niveau,
28:49il y a aussi un effet de défi
28:52où les gens se disent je suis capable, je tiens tout,
28:55je tiens tous les fils.
28:58En réalité, on s'épuise et à un moment, ça craque.
29:01Comme beaucoup d'autres,
29:04Franck Richter s'est retrouvé prisonnier de cet engrenage.
29:15J'ai été soulagé de recevoir du soutien.
29:18J'ai de moi-même été cherché de l'aide
29:21parce que je savais que ça ne pouvait plus durer comme ça.
29:24Pour sortir du piège du multitâche,
29:27il suffit souvent de prendre le temps de s'arrêter.
29:30M. Richter a été admis dans un état d'épuisement sévère.
29:33Suite à une longue phase de stress professionnel intense,
29:36il avait développé un burn-out,
29:39ou syndrome d'épuisement professionnel,
29:42qui se manifestait par ce que nous appelons une dépression agitée.
29:47Il était tourmenté, nerveux, tendu,
29:50souffrait d'insomnie,
29:53présentait des troubles de la concentration
29:56et avait tendance à ruminer.
29:59L'appareil psychique était donc dans un état
30:02à la fois de grande agitation ainsi que d'épuisement aigu.
30:05Un peu comme si on accélérait
30:08et on fredait en même temps.
30:11Dans des établissements spécialisés
30:14dans les maladies psychosomatiques et mentales,
30:17les victimes du stress renouent avec un rapport normal au temps
30:20et avec l'écoute de leurs propres besoins.
30:22Dans cette clinique de Magdebourg,
30:25la médecine traditionnelle chinoise
30:28fait partie intégrante de la prise en charge.
30:31Les exercices de pleine conscience
30:34constituent pour ainsi dire
30:37l'antidote parfait au multitâche,
30:40puisque la pleine conscience consiste précisément
30:43à diriger son attention sur le moment présent.
30:45J'évacue tout le reste.
30:48Où je suis, l'heure qu'il est, quel jour on est,
30:51les boucles de pensée, les ruminations,
30:54je suis entièrement avec moi-même
30:57et pleinement concentré sur moi.
31:00Les effets de la méditation sur un cerveau sursollicité
31:03peuvent être mesurés concrètement.
31:06Dans le service de neuroradiologie de cet hôpital,
31:09la médecine traditionnelle chinoise
31:11examine des volontaires placés dans un tomographe
31:14à résonance magnétique.
31:17Des niveaux de stress très élevés
31:20sur une période prolongée
31:23entraînent la libération
31:26d'une importante quantité de cortisol
31:29qui endommage les neurones,
31:32notamment dans l'hippocampe.
31:35C'est ce que l'on appelle un hippocampe.
31:37Nous observons que le stress réduit
31:40la densité de matière grise.
31:43Et à l'inverse, nous constatons qu'avec la méditation
31:46de pleine conscience, la densité de matière grise
31:49peut de nouveau augmenter.
31:52L'hippocampe n'est pas la seule région du cerveau
31:55à intéresser les chercheurs.
32:02Il y a quelques années, une étude a montré
32:04que les personnes qui effectuaient
32:07beaucoup de multitâches numériques
32:10présentaient une densité de matière grise plus faible
32:13au niveau du cortex singulaire antérieur,
32:16CCA en abrégé.
32:19Or, cette région du cerveau joue un rôle majeur
32:22dans les processus de régulation de la tension.
32:25Par exemple,
32:28lorsque nous sommes distraits par des stimuli,
32:31le CCA nous aide à nous concentrer
32:34sur la matière effectuée.
32:37Et nous constatons à travers diverses études
32:40que la pratique de méditation de pleine conscience
32:43permet de renforcer à la fois la fonction
32:46et la structure de cette région cérébrale.
32:51Le rétablissement passe par un véritable changement
32:54de mode de vie.
32:57Or, il n'est pas facile de changer sa façon de vivre,
33:00même quand on a passé 8 semaines en moyenne à l'hôpital,
33:02on n'est pas évidemment la même qu'avant.
33:05Pour se reconstruire sur des bases solides,
33:08il faut compter entre une et deux années supplémentaires.
33:11Si certains tombent malades,
33:14d'autres semblent réussir à jongler
33:17entre une multitude de tâches sans effort.
33:22Y aurait-il des profils plus doués que d'autres
33:25pour ce genre d'activité ?
33:28Les plus jeunes consultent leurs smartphones
33:30ou leurs tablettes jusqu'à 150 fois par jour.
33:33Conséquence de ces allers-retours permanents
33:36entre monde réel et monde virtuel,
33:39des personnes présentent dans leur vie par intermittence
33:42et qui s'ennuient rapidement.
33:45Les experts parlent de présence fragmentée,
33:48tant au travail que dans les loisirs.
33:51Un problème dont beaucoup ne sont même pas conscients.
33:54Dans le cadre de ce cours,
33:57le professeur et ses étudiants échangent autour du phénomène
34:00expérience personnelle à l'appui.
34:06Vous le savez certainement par vos parents et grands-parents,
34:09la durée d'attention de votre génération
34:12et plus encore de celles qui vous suivent n'est pas la même que la nôtre.
34:15Votre cerveau réclame de nouveaux stimuli à des échéances plus courtes.
34:18Et on peut mesurer le moment à partir duquel on devient agité
34:21dans l'attente d'un nouveau stimulus.
34:24Parfois, je me rends compte que je n'arrive pas à me contrôler.
34:27Par exemple, je vais brusquement trouver plus intéressant
34:30ou de visionner une vidéo YouTube
34:33que de continuer la série Netflix que je suis en train de regarder.
34:36D'ailleurs, parfois, je fais plusieurs choses en parallèle.
34:39Franchement, je ne sais pas si je peux agir là-dessus.
34:42Certains chercheurs jugent inquiétante
34:45cette recherche effrénée de stimuli
34:48et l'assimilent à une dépendance.
34:51Au centre de ce processus,
34:54le noyau Akimbens, situé dans le cerveau antérieur.
34:57Ces neurones sont impliqués dans le circuit de la récompense,
35:00au centre du plaisir, ainsi que dans les addictions.
35:03Le noyau Akimbens est stimulé par la dopamine,
35:06un neurotransmetteur.
35:09En se fixant sur certains récepteurs,
35:12la dopamine déclenche des sensations positives.
35:15Des sensations que nous cherchons à éprouver encore et encore.
35:23Au cœur de notre activité mentale,
35:26le circuit de la récompense oriente tous nos comportements.
35:28S'il est activé en permanence,
35:31il peut se dérégler et déclencher une forme de dépendance.
35:34Messages instantanés, likes,
35:37distractions constantes,
35:40telles sont les drogues omniprésentes dans notre quotidien multitâche.
35:43Résultat, notre centre du plaisir
35:46a besoin de stimuli toujours renouvelés
35:49pour activer la libération de dopamine,
35:52l'hormone du bonheur.
35:55Le design des interfaces sur les réseaux sociaux,
35:58permet de favoriser une forme de multitâche.
36:01En réalité, vous allez avoir
36:04des petits actionneurs,
36:07des actionneurs en termes d'interface,
36:10et des signaux qui vont être de très faibles amplitudes cognitives.
36:13Ce sont des tout petits signaux
36:16et des réactivités ultra rapides.
36:19Cela vous permet de faire beaucoup de choses
36:22et de voir en attention périphérique
36:25les choses qui se passent sur Instagram, sur Youtube,
36:28comment ils ont réagi au nom du compte,
36:31au hashtag ou au titre.
36:34Ce sont des choses que vous pouvez balayer très vite.
36:37Le système est tel qu'il suffit de voir un titre,
36:40ça parle de ça, j'appuie sur un bouton. Terminé.
36:43Vous n'avez pas mobilisé une grande énergie cognitive.
36:46Vous avez l'impression de faire beaucoup de choses à la fois,
36:49de suivre plusieurs files d'actualité en même temps,
36:52parce que vous ne prenez pas le temps de rentrer dans les contenus.
36:55Le design même des réseaux sociaux encourage encore
36:58et on a vraiment abaissé le niveau de mobilisation
37:01de votre attention sur seulement un régime d'alerte
37:04où vous réagissez.
37:07Ceux que l'on appelle les « digital natives »
37:10ont grandi dans un environnement numérique
37:13avec les réseaux sociaux et les technologies de l'information
37:16et de la communication. Ils manipulent ces nouveaux outils
37:19sans effort et semblent mieux préparés pour le multitâche.
37:22Mais les apparences sont trompeuses.
37:25En tant que spécialiste des neurosciences,
37:28je voudrais souligner le fait que le cerveau
37:31a besoin de mûrir.
37:34Il suit un processus de maturation relativement long
37:37qui permet à une zone spécifique, à savoir le cortex frontal,
37:40d'atteindre l'état adulte.
37:46A la puberté, cette structure cérébrale
37:49n'est pas encore en mesure de développer les processus
37:52d'inhibition permettant de réguler le bouillon
37:55d'impulsion émotionnelle.
37:58Or, le problème actuellement
38:01est que les jeunes gens, les adolescents,
38:04grandissent dans un monde qui les bombarde littéralement de stimuli
38:07alors qu'ils ne sont pas encore dotés de la boîte à outils
38:10pour contrebalancer ces sollicitations
38:13par les inhibitions qu'il faudrait.
38:19Dans le cadre d'un programme national,
38:22une vingtaine d'universités allemandes
38:25mènent des recherches sur différentes facettes du multitâche.
38:28L'une d'entre elles est Irin Kor,
38:31un professeur en psychologie cognitive à Aix-la-Chapelle.
38:34Lui-même s'intéresse particulièrement
38:37au potentiel d'entraînement du cerveau.
38:41Nous lui demandons de regarder la performance de Harry Kane,
38:44un artiste de variété des années 1920
38:47qui se produisait en tant que prodige mental
38:50et qui était célébré par le public
38:53pour ses aptitudes hors du commun.
38:58Maître du divertissement et auteur de livres,
39:01Harry Kane fit la promotion de programmes d'entraînement mental
39:04pour le grand public.
39:28...
39:41Dans cet exemple, on voit très bien comment,
39:44à force d'entraînement, on peut parvenir
39:47à mener de front plusieurs tâches difficiles.
39:50Mais on voit aussi que la performance n'est pas très fluide.
39:58Si on regarde de plus près les mouvements d'écriture,
40:01on s'aperçoit que les différentes tâches
40:04sont combinées les unes aux autres,
40:07de sorte qu'elles ne se chebouchent pas.
40:10Il en résulte des pauses plus ou moins longues
40:13entre les mots et un manque de fluidité.
40:18Pratiquer le multitâche ou l'éviter,
40:21c'est aussi une question de caractère.
40:24Certaines personnes se sentent mieux
40:26quand elles réalisent plusieurs choses en même temps.
40:29Mais cela ne veut pas dire qu'elles y arrivent bien.
40:34Si on demande aux gens
40:37s'ils sont adeptes du multitâche
40:40et s'ils pensent bien faire leur travail,
40:43on constate que ceux qui répondent par l'affirmative à la première
40:46et plus encore aux deux questions
40:49ne sont en fait pas du tout doués pour cela.
40:52On peut donc supposer que les personnes
40:54qui pratiquent beaucoup le multitâche
40:57ne le font pas parce qu'ils ont des facilités dans ce domaine,
41:00mais plutôt parce qu'elles se laissent facilement distraire
41:03et ont tendance à sauter d'une tâche à l'autre.
41:07Il y a de fait un apprentissage,
41:10malgré tout, de toute une génération
41:13de personnes qui se sont connectées dès le début
41:16et qui se sont améliorées dans la capacité
41:19à gérer plusieurs flux attentionnels en même temps.
41:21C'est-à-dire qu'elles ont des capacités cognitives.
41:24Mais dans tous les cas, ils sont obligés de trouver des techniques
41:27pour distribuer leur attention de façon séquentielle
41:30ou, comme je le disais, en mettant des choses un peu en arrière-plan,
41:33mais il n'y a pas vraiment de possibilité
41:36d'avoir deux flux attentionnels de même niveau.
41:40On prétend souvent que les femmes
41:43auraient des aptitudes naturelles pour le multitâche.
41:46Dans une enquête menée notamment aux Etats-Unis,
41:48aux Pays-Bas et en Allemagne,
41:51la moitié des personnes interrogées, hommes et femmes confondus,
41:54étaient d'avis que le multitâche était une affaire de sexe.
41:57Et parmi celles-ci, 80 % pensaient
42:00que les femmes surpassaient les hommes dans ce domaine.
42:04La psychologue Patricia Hirsch
42:07de l'Université technique de Rennani-Westphalie
42:10a testé le bien fondé de cette hypothèse
42:13dans le cadre d'une expérience en laboratoire.
42:18D'où vient cette idée reçue ?
42:21Et contient-elle une part de vérité ?
42:33On pense que les femmes sont plus capables
42:36d'être multitâches que les hommes,
42:39parce qu'elles doivent souvent porter plusieurs casquettes à la fois.
42:42Par exemple, gérer l'entretien de la maison
42:45tout en menant une carrière professionnelle.
42:48Pour l'étude de Patricia Hirsch,
42:51des sujets de sexe féminin et masculin ont dû effectuer
42:54des tâches de réaction simple sur un écran d'ordinateur.
42:57Par exemple, distinguer les consonnes des voyelles
43:00ou les chiffres pairs des chiffres impairs.
43:07Une attention accrue était requise
43:10lorsque les tâches étaient présentées en parallèle,
43:13c'est-à-dire dans un contexte multitâche.
43:15La chercheuse a enregistré le temps que mettaient les sujets
43:18et le nombre d'erreurs qu'ils commettaient
43:21lorsqu'ils devaient se concentrer sur plusieurs tâches en même temps.
43:25Les résultats de notre étude montrent
43:28qu'il n'y a pas de différence entre les hommes et les femmes
43:31en matière de performance multitâche.
43:34Il n'existe aucune preuve empirique convaincante
43:37que les femmes sont plus multitâches que les hommes.
43:40Et bien que d'autres études concluent au même résultat,
43:43le stéréotype a la vie dure.
43:46Peut-être parce qu'il est bien commode.
43:50Et qu'en est-il des seniors ?
43:53En Europe, la proportion des plus de 50 ans
43:56dans la population active est élevée
43:59et en progression constante.
44:02Les capacités cognitives diminuant avec l'âge,
44:05on pourrait penser que ces personnes ont plus de mal avec le multitâche.
44:08Si on compare les aptitudes professionnelles
44:11des plus jeunes avec celles des plus âgés,
44:14ce stéréotype ne tient pas la route.
44:17C'est même tout le contraire.
44:20Les personnes qui, au fil du temps,
44:23ont acquis des compétences dans leur domaine
44:26sont plus performantes dans leur travail.
44:29Les plus jeunes compensent ce manque d'expérience
44:32en étant mentalement plus réactifs.
44:34Et les aînés utilisent des raccourcis.
44:40Si l'âge moyen de la population active
44:43dans les pays industrialisés est en augmentation constante,
44:46les exigences professionnelles sont, elles,
44:49en perpétuelle évolution.
44:52Comment maintenir le plus longtemps possible
44:55capacités de travail, compétences et qualité de vie
44:58chez les seniors ?
45:01Georgios Atanasiou travaille sur ces questions
45:04avec SoStage, un programme de recherche
45:07financé par l'Union européenne.
45:10L'un des sites qui participe au programme
45:13est une usine automobile, avec sa chaîne de montage.
45:18L'analyse des données vitales des monteurs seniors
45:21permet aux chercheurs d'identifier les moments de surmenage.
45:25On observe des phénomènes tels que la fatigue.
45:30Avec SoStage, nous essayons d'obtenir,
45:32via l'utilisation de capteurs,
45:35des informations sur la condition du travailleur.
45:41Le but étant de suggérer des actions préventives
45:44grâce à un système de recommandations.
45:47Soit nous recommandons des micro-pauses de 5 minutes,
45:50pour que la personne puisse récupérer de sa fatigue,
45:53soit nous recommandons un roulement de poste.
45:57C'est-à-dire que nous exploitons le côté positif du multitâche.
46:02C'est-à-dire que le changement de poste peut être sauvateur
46:05dans le cadre de tâches répétitives.
46:09Autre site à participer au programme,
46:12le port d'Héraclion, en Crète.
46:15Là aussi, l'équipe de recherche a d'abord identifié
46:18les sources de stress spécifiques à chaque poste de travail.
46:21Par exemple, l'effort physique, la surcharge mentale
46:24ou le multitâche non nécessaire.
46:27L'équipe de recherche s'intéresse également
46:29à l'effort physique, la surcharge mentale
46:32ou le multitâche non nécessaire.
46:35Nous travaillons avec deux profils de postes très différents,
46:38qui présentent des exigences bien distinctes.
46:43D'une part, les dockers.
46:46Ce sont les personnes qui manutentionnent les conteneurs,
46:49les arriment ou les désarriment,
46:52pour que la grue puisse ensuite les charger ou les décharger.
46:56C'est un travail très dur, très physique.
46:59D'autre part, les grutiers.
47:02Leur tâche est de nature principalement cognitive.
47:05Ils doivent manœuvrer la flèche de la grue
47:08vers le pont ou vers le quai,
47:11tout en gardant toujours un œil sur l'endroit
47:14où se trouvent les dockers, au cas où quelqu'un
47:17se trouverait sous un conteneur.
47:20Dans les deux cas, ce sont des métiers à risque.
47:23Afin d'aider les seniors en poste,
47:26le projet pilote a mis au point
47:29un système d'assistance intelligent.
47:32Aussitôt levés, les participants au programme
47:35se connectent à l'application dédiée.
47:39Tout au long de la journée,
47:42des données sur leurs conditions physiques et mentales
47:45sont recueillies via une montre connectée.
47:48Le système a été conçu par une équipe internationale
47:51composée d'ingénieurs, de développeurs de logiciels
47:54et de psychologues, avec une attention particulière
47:56portée à la protection des données personnelles.
48:00En se fondant sur le rythme cardiaque
48:03ou l'analyse de la voix, le système détecte
48:06les moindres signes de fatigue ou de manque de concentration
48:09lors de tâches complexes.
48:12L'application informe alors la personne concernée,
48:15parfois aussi le chef d'équipe,
48:18et envoie des conseils concrets et individualisés.
48:21Car tel est l'objectif du projet pilote,
48:23c'est d'obtenir des données personnelles
48:26qui stimulent et maintiennent à niveau
48:29les performances des travailleurs les plus âgés.
48:32Des jeux vidéo font aussi partie intégrante du programme.
48:35Du simple mémory jusqu'aux activités multitâches
48:38plus complexes, ils sont conçus de manière
48:41à ce que leur niveau de difficulté augmente progressivement.
48:44Chacun d'entre eux mobilise des types particuliers
48:47de mémoire, une façon ludique pour les seniors
48:50d'entretenir leur capacité intellectuelle.
48:53Une capacité qui, sans entraînement, diminuerait.
49:01Nous savons désormais que même âgé,
49:04le cerveau est doué de plasticité et change lorsqu'on apprend.
49:07J'aimerais voir des personnes de 50, 60 voire 70 ans
49:10travailler dans le calme et la concentration
49:13ne serait-ce qu'une heure par jour.
49:16Cela donnerait aussi un énorme coup de pouce à l'innovation.
49:19Car je pense que les capacités des seniors sont loin
49:21de leur potentiel.
49:24Des capacités dont nos sociétés vieillissantes ne peuvent se passer.
49:27D'où la nécessité de remodeler notre monde du travail
49:30de manière à nous protéger contre le surmenage
49:33et l'usure prématurée.
49:36L'Union européenne tente par exemple de définir
49:39un droit à l'indisponibilité en complément
49:42des lois sur le temps de travail.
49:45Dans ce domaine, la France montre la voie.
49:48Les syndicats allemands négocient également dans ce sens.
49:51Les premières avancées sont au rendez-vous.
49:54Ce que l'on sait, c'est qu'il y a un certain nombre d'entreprises
49:57et même des très grands, comme HP par exemple,
50:00qui limitent les moments où on répond aux mails.
50:03Parce que contrairement à ce qu'on croit,
50:06ce n'est pas seulement les réseaux sociaux.
50:09Les mails eux-mêmes peuvent générer beaucoup de pression.
50:12Il y a des heures le matin et en fin de service l'après-midi
50:15qui font que vous répondez aux mails à ce moment-là
50:18mais vous avez tout le reste de la journée
50:21qui est terminée.
50:24Ajouter des nouveaux, protection contre le flot croissant d'informations
50:27et meilleure gestion du quotidien numérique,
50:30autant de sujets qui font actuellement l'objet de nombreuses recherches.
50:33Dans ce domaine, pas de solution miracle.
50:36Sans compter que des modes de fonctionnement
50:39comme le télétravail émergent et nécessitent
50:42de nouvelles règles afin de préserver la frontière
50:45entre vie professionnelle et vie privée.
50:48Les employeurs sont appelés à créer un cadre approprié.
50:51et de la discipline de chacun et chacune.
50:54De nombreux conseils pour échapper à la spirale du multitâche
50:58semblent aller de soi.
51:00Cocher les tâches effectuées au fur et à mesure,
51:03s'octroyer des pauses,
51:06faire de l'exercice
51:08et savoir s'arrêter.
51:11Qu'en pensent nos experts de la matière grise ?
51:15Éviter complètement les situations multitâches,
51:18surtout avec deux enfants à la maison, ce n'est pas gagner.
51:21J'établis une liste des choses à faire
51:24et j'essaie de la respecter scrupuleusement.
51:27C'est encore mieux que ça, c'est-à-dire que quand j'écris,
51:30je m'isole dans un monastère
51:34et je vais travailler à une époque si possible sans connexion.
51:38On pourrait prendre la bonne habitude
51:41de s'accorder le temps de faire les choses les unes après les autres.
51:46J'aimerais pouvoir dire que,
51:49fort de mes connaissances théoriques sur les exigences cognitives
51:52requises par le multitâche,
51:55je suis bien armé pour ne pas tomber dans le piège.
51:58Mais ce n'est pas le cas.
52:03C'est vrai que ça demande une vraie volonté
52:06et un pari sur le fait
52:09qu'on peut accepter d'être déconnecté comme ça.
52:12Mais c'est très rare, je le dis
52:15parce que je le fais de temps en temps,
52:18mais c'est là où j'en perçois la valeur.
52:45Sous-titrage Société Radio-Canada

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