"On va être dans un monde où la quantité de contenus qui va être produite va exploser. Et ces algorithmes, eux, ne sont pas très bons pour trier les contenus", affirme vendredi Thierry Rayna, professeur de l’École Polytechnique, chercheur au laboratoire CNRS i3 et économiste de formation.
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00:00Bonsoir à toutes et à tous, on entend beaucoup de choses sur l'intelligence artificielle,
00:08sur chaque GPT notamment, sur son impact sur le travail et l'emploi.
00:11On va essayer d'y voir plus clair avec notre invité.
00:13Bonsoir Thierry Reyna.
00:14Bonsoir Camille.
00:15Vous êtes professeur de l'école polytechnique, chercheur au laboratoire CNRS iCube, économiste
00:20de formation.
00:21Ça tombe bien déjà.
00:22De quoi on parle quand on parle d'intelligence artificielle ? Il y a IA générative, IA
00:26discriminative.
00:27C'est quoi la différence ?
00:28C'est une très bonne question et je pense que c'est de là d'où vient le problème.
00:32C'est-à-dire que l'IA c'est devenu un vrai fourre-tout et qu'en fait des IA, il
00:36y en a de toutes les sortes.
00:38Il y en a qui sont à base de règles, il y en a qui sont à base de petits objets qu'on
00:42va rendre intelligents en collectivité et puis il y a les IA qu'on appelle à base
00:47d'apprentissage machine.
00:48Et là, que ce soit IA générative ou IA discriminative, elles fonctionnent de la même
00:54manière.
00:55Grosso modo, on va donner de l'information à un algorithme et essayer de lui faire deviner
01:01l'information manquante.
01:02Par exemple, quand on entraîne un chat GPT, on prend du texte, on va retirer des mots
01:06et on va demander à la machine d'apprendre les mots.
01:09Donc, l'IA traditionnelle, ce qu'on a cherché à faire, c'est qu'on prenait des gros jeux
01:13de données et on essayait d'en tirer du sens.
01:15Donc, quelle est la tendance ? Ce texte, de quoi est-ce qu'il parle ? L'IA générative,
01:20en fait, l'idée, ça a été d'inverser ça et de dire puisque finalement, l'IA n'est
01:25pas forcément si bonne que ça à faire le tri dans les données, on va lui faire créer
01:29des données additionnelles.
01:30Donc, on va créer du texte, on va créer des images.
01:32Et concrètement, quels nouveaux usages peuvent voir le jour quand on est une entreprise avec
01:36de l'IA générative ?
01:37Alors, ça, c'est une très bonne question parce qu'en fait, la plupart des cas d'usage
01:42de l'IA générative qu'on voit à l'heure actuelle, en fait, sont des cas d'usage d'IA
01:48générale recyclée.
01:49C'est-à-dire qu'on essaye toujours de prendre des données et d'essayer de comprendre ce
01:52qu'il y a dans les données.
01:53Alors que les vrais cas d'usage d'IA générative, c'est quand on va créer des choses.
01:57Et ça, ce n'est pas à dire qu'il n'y a pas de cas d'usage pour les entreprises,
02:02mais ce n'est pas du tout évident que ce soit forcément très, très intéressant
02:05pour elles, dans la mesure où, en fait, les entreprises, très souvent, ont déjà beaucoup
02:09de données.
02:10Elles ont accès à beaucoup de choses.
02:11Et ce qu'elles essaient de faire, c'est de donner du sens dans ces données.
02:13Donc, l'idée qu'on puisse créer une image ou qu'on puisse créer du texte, ça marche,
02:19mais ça a ses limites.
02:20Le problème, c'est que ce qu'on entend relativement peu, c'est qu'il y a une vraie
02:24asymétrie, en fait, dans cette IA à base d'apprentissage machine.
02:28Ces algorithmes d'IA sont très bons pour créer du contenu, mais très mauvais pour
02:32sélectionner du contenu.
02:34Donc, ça veut dire que, par exemple, même pour un usage aussi, on va dire, basique qu'un
02:37chatbot, par exemple, créer du texte pour le chatbot, c'est bien, mais le chatbot sera
02:42en général pas très bon pour comprendre le problème.
02:44Et donc, c'est pour ça qu'il y a beaucoup de cas d'usage qu'on voit à l'heure actuelle
02:48qui seront probablement...
02:50En fait, il faut les retenir, dans dix ans, on rigolera beaucoup, en fait.
02:53Parce qu'on entend beaucoup dire, l'IA va détruire des emplois, l'IA va remplacer mon
02:57poste.
02:58Quel regard il faut porter sur ça ?
03:00Alors, il y a beaucoup d'études qui ont été faites.
03:03Le problème, c'est que la plupart de ces études ont regardé uniquement l'aspect créativité.
03:08C'est-à-dire que, grosso modo, on va prendre le travail de quelqu'un et dire, cette personne
03:11écrit tant d'emails par jour, et donc, grâce à l'IA générative, au lieu de passer dix
03:15minutes à créer un email, ils appuient sur un bouton et l'email est écrit.
03:18Donc, ça veut dire que c'est des gains de productivité de temps, et ça veut dire qu'à
03:21la place d'avoir dix personnes comme cette personne, on en prend la moitié moins.
03:24Mais ce qu'on n'arrive pas à comprendre, c'est qu'en fait, oui, pour écrire des emails,
03:28c'est très bien, mais pour trier des emails, c'est très, très, très, très mauvais.
03:31Et donc, on va être dans un monde où, en fait, la quantité de contenu qui va être
03:35produit va exploser, et ces algorithmes, eux, ne sont pas très bons pour trier les contenus.
03:40Donc, il faudra toujours de l'humain.
03:41Il faudra encore plus d'humains, parce qu'en fait, ce qui se passe, c'est qu'à l'heure
03:44actuelle, tout le monde reçoit trop d'emails, mais en fait, on n'en reçoit pas autant que
03:47demain, parce qu'écrire un email, ça prend du temps.
03:49Demain, déjà aujourd'hui, on appuie sur un bouton, le texte est généré, mais ça
03:55n'empêche pas qu'il faut toujours de l'humain pour trier les emails, parce qu'un algorithme
03:59est simplement capable d'identifier l'email moyen.
04:02Mais l'email urgent de votre boss, par exemple, ça, ça va typiquement passer à la trappe.
04:05Il y a quelque chose, on répète souvent ces nouveautés, c'est de la rupture avec
04:10des algorithmes comme celui d'OpenAI, mais parfois, on découvre un petit peu la lune.
04:14Les GAFAM avaient eux-mêmes des algorithmes.
04:16Là, qu'est-ce qui change, en fait ?
04:18Alors, en fait, c'est très intéressant, parce que ça s'est produit pour à peu près
04:22toutes les autres technologies numériques.
04:24Effectivement, contrairement à ce qu'on entend, dans ce qu'a fait OpenAI avec ChatGPT, technologiquement,
04:30il n'y a rien de neuf.
04:31En termes de data et quantité de data, il n'y a rien de neuf.
04:35On est vraiment sur une progression assez continue, à la fameuse loi de Moore, donc
04:39tout à fait prévisible.
04:41Et même l'IA générative, ce n'est pas quelque chose de neuf.
04:44La seule chose qui est réellement neuf, en fait, c'est que cette entreprise, qui n'avait
04:48pas les meilleurs algorithmes, qui a pris d'ailleurs une vieille version de son algorithme,
04:51elle a mis en accès illimité à tout le monde.
04:54Et en fait, comme à chaque fois, comme ça avait été le cas avec le web, avec le MP3,
04:59ce qui fait la rupture, en fait, c'est qu'au lieu que ce soient des entreprises qui essayent
05:03de deviner ce que les gens peuvent faire de ces technologies, les gens s'emparent
05:06de ces technologies et commencent à faire tout et absolument n'importe quoi, comme
05:10écrire du code avec ChatGPT ou faire des encyclopédies collaboratives.
05:14A la base, c'est des idées qui, honnêtement, ont l'air d'être complètement débiles
05:17et qui pourtant fonctionnent.
05:18Donc c'est de là que vient la rupture.
05:20Ce n'est pas qu'on a fait des progrès technologiques, c'est en fait l'ouverture
05:23et l'accès massif à ces technologies qui fait que tout le monde peut les utiliser
05:27pour faire ce que bon leur semble, y compris des choses qui n'ont pas du sens pour les
05:31entreprises, qui créent finalement les usages et la rupture.
05:34Par exemple, concrètement, que change l'intelligence artificielle pour une usine ?
05:38En fait, l'IA générative, absolument rien.
05:41Puisqu'une usine, ce qu'on veut, c'est maîtriser des process, avoir des réponses
05:44exactes, alors que là, on va chercher à rajouter des données.
05:49Donc peut-être que ça pourrait changer, par exemple, si l'idée c'était qu'on
05:53avait besoin dans l'usine de personnaliser un produit, ça pourrait permettre de personnaliser
05:58le produit plus rapidement, changer les couleurs, faire des images, etc.
06:03Mais encore une fois, il ne faut pas se leurrer.
06:05Ces algorithmes fonctionnent sur une moyenne.
06:07C'est des statistiques, c'est la moyenne.
06:09Donc en fait, la seule innovation qu'on peut avoir, c'est la moyenne.
06:12Donc si on veut des personnalisations moyennes, ça marche très bien.
06:15Si on veut une vraie œuvre d'art, là il va falloir des gens qui sont bien câblés
06:19et qui sont capables de faire le travail.
06:20Donc il y aura toujours quelqu'un derrière un poste, l'IA ne va pas bouleverser nos
06:23vies, mais l'adapter peut-être ?
06:25Alors en fait, ce qui est assez clair, c'est que l'IA ne va pas bouleverser nos vies
06:28parce qu'on va travailler de plus en plus.
06:30On va travailler de plus en plus puisqu'en fait, on va avoir encore une fois de plus
06:33en plus de contenu, de plus en plus de news, d'ailleurs probablement beaucoup de fake
06:37news, on a vu les deepfakes, beaucoup plus de choses à filtrer.
06:40Et on va avoir aussi tout un tas d'opportunités.
06:42Tout le monde peut s'improviser musicien, tout le monde peut s'improviser artiste,
06:45tout le monde peut s'improviser écrivain.
06:47Encore une fois, vous ne deviendrez pas un musicien fantastique ou un artiste extraordinaire.
06:50Vous serez un artiste moyen, mais c'est déjà pas mal.
06:53Donc ça c'est clair qu'on va travailler beaucoup plus.
06:55En revanche, ce qui est aussi sûr, c'est que cette IA générative permet à peu près
06:59à tout le monde de devenir moyen.
07:01Et ça, ça veut dire qu'il y a beaucoup de travail que les entreprises auparavant faisaient
07:07seules, que maintenant les individus vont être capables de faire.
07:10Merci beaucoup Thierry Reyna, vous êtes professeur de l'école Polytechnique et vous êtes l'invité
07:14Echo de France Info ce soir.