"Romanin, l'autre Jean Moulin" est un documentaire biographique français réalisé par Daniel Ablin, d'une durée d'environ 52-53 minutes . Ce film revient sur un aspect méconnu de la vie de Jean Moulin, le célèbre héros de la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale. Derrière son engagement, Jean Moulin cachait une autre facette sous le pseudonyme de "Romanin" : celle d'un dessinateur espiègle et satirique . Le documentaire explore cette double vie de Jean Moulin à travers ses dessins humoristiques publiés dans la presse de l'entre-deux-guerres, qui dépeignaient avec malice la société française de l'époque . En mêlant archives, témoignages et reconstitutions, le film montre comment cet artiste caricaturiste a dû abandonner son trait pour rejoindre la Résistance, devenant ainsi le "Jean Moulin" entré dans l'Histoire . "Romanin, l'autre Jean Moulin" lève donc le voile sur ce pan méconnu de la vie de ce résistant emblématique, offrant un éclairage inédit sur l'homme derrière le mythe
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00:00Résistez, ne rien dire, criez sa douleur mais se taire, jusqu'au bout, le corps hurlant,
00:29le visage stuméfié, le regard fixe, Jean Moulin vit ses derniers instants au fond d'un wagon fortement surveillé.
00:39Des jours et des jours durant, sous les tortures incessantes d'un Klaus Barbie éructant, il n'a jamais parlé.
00:47Dans cette ultime lueur de vie, il ignore que son combat déterminé contre le nazisme est en train de porter ses fruits.
00:54Sans relâche, soutenu par le général de Gaulle, il aura réussi à fédérer la résistance et à créer l'armée secrète.
01:03Il ignore qu'il deviendra un héros et que sa dernière sépulture sera le Panthéon.
01:12A ce Jean Moulin héroïque, chef du peuple de la nuit, ancien préfet, se juxtapose une autre facette inattendue, dans laquelle se révèle un autre Jean Moulin.
01:23L'art.
01:26Jean Moulin était un passionné d'art.
01:29Dessinateur, il vendait ses caricatures aux journaux, puis devint artiste à part entière.
01:35Et plus tard, en collectionneur averti, il achetait des œuvres d'artistes déjà célèbres et créa sa propre galerie.
01:44Tout au long de sa vie, l'homme de la République, Jean Moulin, avancera parallèlement à l'homme créateur, Romanin, son double.
01:53Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
02:24A bord de son Amilcar Grand Sport Rouge, Jean Moulin file, heureux.
02:35Six jours de route pour rejoindre Châtolin, petit bourg du Finistère.
02:41Avancer, vite.
02:44Du haut de ses 30 ans, il vient d'être nommé sous-préfet.
02:49En Bretagne, c'est un jeune ambitieux qui est attendu.
02:54Mais tout le monde ignore qu'il est aussi un caricaturiste renommé et un dessinateur de talent.
03:01Et lui-même ignore que son art, son existence, vont être profondément transformés pendant ses trois années bretonnes.
03:08Une prise de conscience entre deux chemins de vie.
03:15Dessiner, le dessin, son activité artistique qui le comble depuis sa plus tendre enfance.
03:22Jean était un enfant gracieux, espiègle, pas très bien portant, il était très nerveux, il ne pouvait tenir en place.
03:31Il n'était vraiment sage que quand il avait le crayon à la main et il était très doué, dès l'âge de 2 ou 3 ans.
03:41Ses visages avaient quelque chose d'un peu archaïque, mais il tenait debout.
03:44Les soldats, il les dessinait généralement en commençant par les pieds et puis il arrivait à la tête et ma foi, c'était pas en déséquilibre.
03:55C'est à Béziers que Jean Moulin passe toute sa jeunesse.
04:00Une enfance heureuse, choyée par sa sœur Laure et son frère Joseph, de 7 et 12 ans plus âgés que lui.
04:07Leur père, Antoine-Emile Moulin, est professeur d'histoire-géographie et conseiller général de l'Hérault.
04:13Républicain de gauche, laïque et fervent défenseur des droits de l'homme, il inculque à ses enfants ses valeurs dès leur plus jeune âge.
04:23Justice, vérité, tolérance.
04:29L'empreinte paternelle restera rivée au cœur de Jean Moulin.
04:32Sa mère, Blanche, est une femme effacée, timide et croyante.
04:37C'est elle qui donne l'éducation religieuse à ses enfants.
04:46Vélo, découverte des alpilles, baignade, Jean passe une petite enfance libre et heureuse, sous l'aile protectrice de son grand frère Joseph, son guide, son héros.
04:59Et survient le drame, abrupt, alors qu'il n'a que 8 ans.
05:05Joseph, alors âgé de 19 ans, tombe malade, une péritonite.
05:11Pendant la lente agonie de son frère, Jean Moulin, gardé par sa grand-mère, est mis à l'écart des affres quotidiennes endurées par ses parents, loin des cris de Joseph.
05:218 mois d'attente.
05:24Et puis l'adieu.
05:27La perte absolue.
05:32En ce début de siècle, chacun fait son deuil, seul, comme il le peut.
05:37Le cœur saigne, mais on n'en parle pas.
05:42Jean Moulin sera déchiré.
05:43Il écrira bien plus tard dans un carnet ces quelques mots.
05:47Les morts ne sont pas morts tant que l'on pense à eux.
06:02Alors que la France vient d'entrer en guerre, l'espoir de l'Empire de l'Allemagne, de l'Allemagne, de l'Allemagne, de l'Allemagne, de l'Allemagne, de l'Allemagne, de l'Allemagne.
06:13A l'école, Jean Moulin joue au trublion.
06:16C'était un élève intelligent, mais ce n'était pas du tout le type du forentem.
06:21Ses professeurs disaient, plus de progrès que de travail.
06:26Et le professeur de dessin disait de lui, intelligent, mais quelle tête.
06:32Et il dessine beaucoup.
06:35Ses camarades rient devant les caricatures si justes de ses professeurs qu'ils croquent inlassablement.
06:43Espiègle et la tête dans les nuages.
06:47Les dessins dans la marge de ses cahiers envahissent la majorité des pages.
06:55La guerre omniprésente dans les conversations prend de plus en plus de place dans ses dessins.
07:05Sa personnalité se forge, celle d'un jeune patriote.
07:09En classe de première, Jean Moulin disserte sur son héros national préféré.
07:14Quelques phrases où se dessine déjà le résistant Jean Moulin.
07:20Versingétorix, le héros de l'indépendance gauloise, combattit et se sacrifia pour la liberté de sa patrie.
07:27C'est notre première gloire nationale, c'est lui que je préfère, entre tous.
07:33Par ses encouragements, il communiqua son ardeur aux gaulois qui firent taire toute leur querelle et se rallièrent sous leur jeune chef.
07:40Ce n'était donc pas simplement une révolte de tribus.
07:43C'était bien toute la Gaule qu'il soulevait.
07:48Les journaux que son père apporte à la maison représentent aussi une influence majeure.
07:53Il ne rate pas une ligne des hebdomadaires comme « Tout Bézier y passera » ou « Le Petit Méridional »,
07:58affectionnant particulièrement les dessins de presse et les caricatures.
08:03Il détaille inlassablement les illustrations de Poulbeau qu'il collectionne,
08:07où s'immerge dans les scènes de vie de Steinlen et les satires qu'Henriot ou Sème consacrent à la guerre.
08:17Dans ses dessins, le style s'affirme.
08:21Le sens du détail et de la répartie donne la part belle à la critique des Allemands.
08:25Mais aussi des embusqués, les planqués qui se tiennent loin du front.
08:35Les enfants, leurs jeux de guerre sont également au cœur de ces narrations.
08:44Une manière détournée de parler des affrontements, d'éloigner la mort.
08:48Ce début du XXe siècle a signé l'avènement de la caricature, du dessin humoristique dans la presse.
08:54Chaque journal a son écurie de dessinateurs.
08:57La rivalité est forte, la chasse aux nouveaux talents permanente.
09:03En octobre 1915, l'hebdomadaire satirique national « La Bayonnette » ne s'y trompe pas
09:09et offre à Jean Moulin sa première publication signée.
09:11Dont la couverture, « Suprême Satisfaction », est dessinée par Poulbeau.
09:18« Dis donc, pourquoi tu parles plus à Totor ? »
09:21« Penses-tu, il paraît qu'il a un cousin Germain. »
09:25Son dessin est publié dans une édition spéciale où se côtoient les plus grands caricaturistes.
09:31Une première exposition, en quelque sorte, dans un journal à France.
09:35Fierté évidente.
09:37Ce dessin lui rapporte ses premiers 10 francs.
09:40Presque deux fois le montant du salaire journalier d'un ouvrier.
09:45Une perspective s'esquisse.
09:48Gagner sa vie comme dessinateur.
09:54« Il n'avait pas de vocation très définie.
09:57Mon frère était un caricaturiste.
10:00Il ne s'inquiétait pas trop de l'avenir.
10:03Et alors, mon père étant vice-président du conseil général à Montpellier,
10:07et un préfet lui dit « Mais que faites-vous de votre fils ? »
10:10D'ailleurs, mon père avait bien cette idée derrière la tête.
10:13Alors quand il le dit à mon frère, mon frère dit « Ma foi, ça aussi bien qu'autre chose. »
10:18Jean Moulin entre à la préfecture de l'Hérault comme attaché au cabinet du préfet.
10:22Jeune étudiant en droit, ce premier emploi lui permet de payer ses études.
10:27Mais surtout, il va déterminer le reste de sa vie.
10:41Jean Moulin est mobilisé en février 1918 pour lutter contre l'extrême-droite.
10:46L'extrême-droite, c'est l'extrême-droite.
10:49L'extrême-droite, c'est l'extrême droite.
10:52À l'âge de 18 ans, il fait ses classes à Montpellier dans le génie.
10:59En septembre, son régiment monte dans les Vosges, dans le petit village de Saucour.
11:05Alors que les dernières batailles font rage à une soixantaine de kilomètres de là,
11:09l'attente et l'ennui s'emparent des conscrits.
11:14Jean Moulin, lui, dessine.
11:22La guerre terminée, il est démobilisé et reprend son poste à la préfecture de Montpellier,
11:27ainsi que ses études de droit.
11:37Ses talents de dessinateur sont mis à contribution dans les journaux étudiantins.
11:42Il obtient sa licence et remporte le concours de l'affiche
11:45du 10e congrès de l'Union des associations d'étudiants.
11:49Cette affiche sera le dernier dessin signé Jean Moulin.
11:53Une opportunité lui permet de devenir chef de cabinet du préfet de Savoie,
12:00et il s'installe à Chambéry.
12:04Remarquable promotion pour un jeune homme de 22 ans.
12:08Il a pris sa décision de son propre chef, sans impliquer son père.
12:15Mais à la préfecture, il déchante.
12:18Il juge son travail monotone pour ne pas dire austère.
12:23Alors il dessine encore et encore.
12:29Il ne se sépare jamais d'un carnet de croquis,
12:32ou sinon, menu de restaurant, programme de concert, dos de carte postale,
12:36coin de nappe en papier font parfaitement l'affaire.
12:42Ses dessins s'inspirent de la vie mondaine locale,
12:45des sports d'hiver à Meugev, du casino d'Aix-les-Bains.
12:49Café, restaurant, marché,
12:51partout il caricature les attitudes pittoresques ou grotesques de ses contemporains.
13:00Il manie rudement bien le ballet.
13:02Je vous crois, il a été valet de chambre pendant 20 ans.
13:07Sa réputation grandit rapidement.
13:10Une multitude de caricatures sont publiées dans la presse locale ou nationale,
13:14aux côtés des plus grands caricaturistes.
13:16Les journaux satiriques comme le célèbre Gringoire ou l'Almana Savoyard,
13:20le Provençal de Paris, le Journal Amusant, se l'arrachent.
13:26Mais il a une bonne mine, votre malade !
13:29Voyons mon ami, tirez la langue !
13:33Devenu officiel de la République,
13:35il se doit de séparer le haut fonctionnaire du créateur.
13:39Ne pas mélanger les deux mondes.
13:42Il signe désormais ses dessins d'un nouveau nom.
13:46Ce sera Romanin.
13:49Romanin.
13:50Comme ce château médiéval ancré sur les contreforts des Alpilles,
13:54dans lequel il aimait se rendre à vélo.
13:58Son ambiance mystérieuse, sa lumière, son isolement le fascinaient.
14:04Romanin, comme ses beaux moments d'insouciance
14:07à escalader les rochers avec son frère Joseph.
14:11Romanin, comme l'affirmation de l'amour.
14:15L'affirmation de l'émancipation.
14:18Romanin, tout simplement, sans moulin.
14:27En 1922, première exposition au Salon des Beaux-Arts de Chambéry,
14:31où il présente dessins, aquarelles, pastels et sépias.
14:39Une reconnaissance pour Romanin.
14:41Son nouveau nom va faire les belles heures de la caricature
14:44pendant les dix années qui suivent.
14:48Monsieur le vétérinaire, vous qui avez su m'en soigner notre vache,
14:51vous pourriez pas guérir notre peture de la coqueluche ?
14:58Vous auriez pu, vous aussi, faire un bon magistrat.
15:00Vous avez du jugement, de grandes connaissances juridiques.
15:03J'ai bien songé, mon cher président, mais j'ai un terrible défaut.
15:06Je ronfle en dormant.
15:09Vous faites erreur, madame. Je suis spécialiste des maladies des enfants.
15:12Justement, docteur, il est retombé en enfance.
15:18Romanin impose un style instantanément reconnaissable.
15:23S'il se rit de tout, c'est surtout du monde qu'il côtoie,
15:26la vie mondaine dont il est spectateur.
15:29Mais jamais il ne se moque de la pauvreté, de la souffrance.
15:36Alors que les années sont de moins en moins folles,
15:38il s'amuse de l'absurdité d'un monde qui ne va pas tarder à s'enrayer.
15:43Romanin est le miroir déformant d'une société dans laquelle il se fond,
15:48d'une comédie humaine qu'il contemple avec jubilation.
15:52Il l'observe et en fait partie.
15:55À quoi penses-tu, mon chou ?
15:58Je pense que j'aimerais être un homme pour offrir un beau colis à mon chou.
16:04Jean Moulin aime les beaux vêtements, les bons repas,
16:06les belles voitures, le ski, les soirées,
16:09les joies de la plage et les conquêtes féminines.
16:13Tandis que les dessins de Romanin s'affinent,
16:16Jean Moulin, l'homme public, est de plus en plus ferme dans ses choix politiques.
16:20À gauche, indéfectiblement républicain,
16:23conscient de sa valeur qu'il met au service de son pays.
16:26Rigoureux, discipliné, mais aussi proche des gens.
16:32L'une de ses amies écrit de lui.
16:35Si au premier abord il pouvait paraître un peu réservé et distant,
16:39il était, dès qu'on le connaissait mieux,
16:41un ami incomparable, faisant preuve de cette gentillesse innée,
16:45si rare, qui vient du cœur.
16:49Ces idées généreuses qu'il exprimait simplement,
16:51mais avec foi, furent pour beaucoup de nous à l'origine
16:54d'une prise de conscience plus profonde de certains problèmes humains.
17:03C'est pendant cette période savoyarde
17:05que Jean Moulin se lie d'amitié avec Pierre Cotte,
17:07très bientôt député de Savoie.
17:09Leurs idées politiques convergent
17:11et leur engouement pour un sport nouveau, le ski,
17:14les rapproche fortement.
17:16Pendant leurs vacances, les deux amis se retrouvent à Meugev
17:19pour dévaler les pistes.
17:21Cette amitié va consolider la carrière politique de Jean Moulin.
17:25Pierre Cotte, devenu ministre en 1933,
17:28le fera entrer dans son cabinet.
17:34« Je ne sais ce qu'à ma fille à être ainsi constamment
17:37sur le dos. »
17:39« C'est de l'atavisme, cher ami ! »
17:45Et puis le choc, la rencontre décisive,
17:48la révélation, celle de l'art moderne.
17:51La liberté des compositions,
17:53l'exaltation des couleurs,
17:55l'affranchissement du réel.
18:00Il écrit à sa sœur
18:02« J'ai passé un mois agréable avec le fils d'un conseiller
18:05de préfecture d'ici, Jean Saint-Paul. »
18:09Il fait de la peinture moderne
18:11et appartient au groupement d'avant-garde.
18:13Actuellement, il expose avec un groupe de peintres modernes
18:16à la Galerie Bernheim, à Paris.
18:20Le jeune peintre lui fait rencontrer
18:22Auton Friese et Suzanne Valladon,
18:24la mère de Maurice Utrillo,
18:26elles-mêmes peintres, amis de Renoir,
18:28Degas, Toulouse-Lautrec.
18:31Jean Moulin est témoin des discussions,
18:33des doutes, des hésitations,
18:35des envies des artistes.
18:38Le monde de l'art s'approche de lui,
18:40le touche et le fascine.
18:44À 24 ans, il se lance dans une collection de peinture,
18:48une collection qui prendra de plus en plus d'ampleur,
18:51de plus en plus de place au fil des ans.
18:55Il économise sous par sous
18:57pour pouvoir s'offrir une œuvre.
19:00L'art avant tout,
19:01même si parfois les fins de mois sont difficiles,
19:04même s'il faut quelquefois emprunter à ses parents
19:06ou à ses amis.
19:17À 26 ans, il devient sous-préfet d'Alberville
19:20et par la même occasion le plus jeune sous-préfet de France.
19:32Cette promotion rend enfin possible son mariage
19:35avec Marguerite Chérouty,
19:37qui vient tout juste d'avoir 19 ans
19:39et qu'il fréquente passionnément depuis deux ans.
19:43La riche famille bourgeoise et royaliste de la jeune femme
19:46voit d'un très mauvais œil l'arrivée de ce simple sous-préfet
19:50qui plus est de gauche.
19:53Est-ce à cause des fortes oppositions politiques
19:56ou est-ce parce qu'il n'y a pas d'argent ?
20:01Est-ce qu'entre les deux familles,
20:03des scènes de ménage régulière,
20:05de la fausse couche de Marguerite
20:07ou simplement par manque d'amour véritable,
20:11l'inattendue, l'incompréhension,
20:14Marguerite abandonne soudainement le domicile conjugal
20:18et n'y reviendra plus.
20:22Le divorce est prononcé le 19 juin 1928.
20:26Le mariage n'aura même pas duré deux ans.
20:35Si l'amertume le submerge,
20:37la vie et la liberté retrouvées vont vite reprendre le dessus.
20:47En ce début 1930,
20:49Jean Moulin s'installe à Châtolin, petit bourg du Finistère.
20:54Il vient d'y être nommé sous-préfet.
20:57Il sait que ce passage en Bretagne
20:59lui fera gravir les échelons
21:01mais s'annonce comme une corvée.
21:04Jean Moulin comprend vite que cette petite ville
21:06où il ne connaît personne
21:08est bien trop paisible.
21:11A ses parents, il écrit
21:13« Châtolin n'offre pas beaucoup,
21:15je dirais même pas du tout de ressources.
21:17Aussi je ne sors pas beaucoup,
21:19sinon pour aller matin et soir au restaurant
21:21où l'on nous sert une tambouille pas très soignée. »
21:35Le jeune secrétaire en chef de la sous-préfecture
21:37lui fait découvrir la région et ses richesses.
21:45Le contraste avec son sud natal est saisissant.
21:52Peu à peu, il se familiarise avec ce nouveau pays
21:55qui l'apprivoise.
22:12En ce début de siècle,
22:14le Finistère est plus que jamais Pen-Arbed,
22:16le bout du monde.
22:22La langue bretonne est bien vivante
22:24malgré l'exigence de l'Etat
22:26de faire du français la langue principale.
22:29Chaque pays a ses coutumes,
22:31ses tenues traditionnelles,
22:33ses coiffes.
22:44Il écrit à son père.
22:46L'aspect de la salle de séance du conseil général est curieux
22:49car de nombreux conseillers généraux
22:51portent encore le costume
22:53ou tout du moins le gilet breton.
22:55Soit par habitude,
22:57soit par une sorte de snobisme à rebours.
23:04Finalement, la Bretagne l'enchante.
23:06Carné toujours en poche à chaque déplacement,
23:09il croque des instantanées de vie.
23:11Un morceau de l'âme bretonne.
23:16Parallèlement, il continue la publication de ses caricatures.
23:20Il écrit à son ami d'enfance Marcel Bernard.
23:23Cette semaine encore,
23:25le rire inflige à ses lecteurs
23:27deux nouveaux romanins.
23:42Le succès toujours plus grand de ses dessins
23:45arrondit agréablement ses fins de mois.
23:48Il s'achète une nouvelle voiture
23:50et s'échappe à Paris dès qu'il peut.
24:01Se perdre avec délice dans la capitale.
24:04Depuis les années folles,
24:06Jean Moulin fréquente assidûment les brasseries de Montparnasse.
24:09Les caricatures qu'il en tire,
24:11toujours acides, souvent misogynes,
24:13comme tant de caricatures de l'époque,
24:15vont devenir emblématiques de leur dessinateur.
24:29Il se délecte de l'effervescence artistique parisienne
24:32avec ses écrivains désargentés,
24:34ses révolutionnaires en tout genre,
24:36ses ateliers de peinture où les prostituées sont modèles.
24:41Si Romanin s'imprègne de la vie artistique et cosmopolite,
24:44Jean Moulin, lui, s'en l'air du temps.
24:48Les évolutions et les dangers qui se profilent
24:51annoncent un sombre futur.
24:53La crise de 1929, venue des Etats-Unis,
24:56se propage en Europe avec son cortège de faillites,
24:59de ruines, de chômage de masse et de misère,
25:02qui ouvre la voie au populisme
25:04et aux régimes autoritaires.
25:10Alors, à son apogée,
25:12la caricature offre des instants de distraction bienvenus.
25:16La série de Romanin, intitulée « À mon Parnasse »,
25:19est exposée au Salon des humoristes de Paris en 1931.
25:24Alors, mon pauvre Bouboule,
25:26ils n'ont pas voulu t'admettre au club nudiste ?
25:28Non, ils ont dit comme ça que le noir était trop habillé.
25:34Ces œuvres, une fois de plus,
25:36jouxtent les plus grands noms du dessin humoristique,
25:39comme Poulbot, Faurin, Cabrol ou Ribes.
25:43Une nouvelle consécration,
25:45savourer ce nouveau succès.
25:48Tu viens pas te baigner ?
25:50Alors tu te figures que j'ai acheté un maillot de 450 francs
25:54pour aller le mouiller ?
25:57À Paris, les expositions deviennent des lieux essentiels,
26:00tout comme les galeries qu'ils fréquentent avec assiduité.
26:04Ils racontent dans une lettre à ses parents
26:07« Il y a en ce moment une très belle exposition rétrospective
26:10Toulouse-Lautrec aux arts décoratifs.
26:13C'est vraiment un des plus grands artistes de l'époque moderne.
26:16Ces toiles, et surtout des lithographies,
26:18vieilles de 40 ou 50 ans,
26:20sont d'un modernisme inouï.
26:23Je suis très content d'avoir vu ça. »
26:27En collectionneur passionné,
26:29Jean Moulin revient régulièrement en Bretagne
26:31avec ses nouvelles acquisitions,
26:33souvent d'artistes renommés.
26:35Vivre pour l'art, vivre entouré d'art.
27:04Jean Moulin se lie d'amitié avec Jean-Baptiste Lucas,
27:07son chef de bureau, qui, comme lui, est passionné d'art.
27:12Grâce à lui, il va accéder au cercle des artistes quimperois.
27:17Il entre dans les ateliers,
27:19passe du temps avec eux, discute technique,
27:22s'initie à la céramique, aux eaux fortes,
27:25à la gravure sur bois ou sur cuivre.
27:28Comprendre, apprendre, aller plus loin.
27:34Parmi ses nouvelles amitiés,
27:36le docteur Augustin Tuzé, sculpteur à ses heures perdues,
27:40qui ouvre volontiers son salon pour des débats
27:42avec les artistes et intellectuels locaux.
27:47Jean Moulin devient un intime de la famille.
27:49Le docteur Tuzé lui offre plusieurs portraits et gravures
27:52qu'il joint à sa collection.
27:57Il passe aussi beaucoup de temps avec Lionel Flock,
28:00peintre renommé de la Bretagne.
28:03Dans son atelier, il se laisse séduire
28:05par la richesse des œuvres et la maîtrise de l'artiste.
28:30Autre rencontre décisive,
28:32le poète Saint-Paul Roux, l'ermite, le rebelle,
28:36une figure de proue du surréalisme,
28:38installée depuis plus de trente ans dans son manoir à Camaray.
28:43Jean Moulin raconte à sa sœur Laure.
28:46Le poète Saint-Paul Roux, dit le magnifique,
28:49m'a reçu très aimablement.
28:51Bien qu'il soit depuis des années retiré sur un rocher de Bretagne,
28:54il est originaire de Marseille,
28:56et c'est en Provençal que notre conversation s'est terminée.
29:00Jean Moulin s'échappera souvent à Camaray,
29:03parfois même accompagné de ses parents.
29:06Il reste fasciné par l'esprit libre de Saint-Paul Roux
29:09et son regard sans concession
29:11sur la marche du monde de ce début des années 30.
29:23Mais la rencontre la plus déterminante
29:25est celle de Max Jacob, de 25 ans son aîné.
29:29Quimperois, il séjourne très régulièrement dans sa région natale.
29:35Max Jacob, le poète, artiste peintre, érudit,
29:40ami du tout Paris, intimement lié à Picasso,
29:43Aragon, Apollinaire, Malraux, Cocteau.
29:52Un respect mutuel naît entre les deux hommes
29:54au fil de longs échanges,
29:56au centre desquels l'art est majeur.
30:00Au contact de Max Jacob,
30:02le regard de Jean Moulin sur l'art moderne se transforme.
30:06Il y découvre une profondeur jusque-là insoupçonnée
30:09qui donne du sens à ce qu'il émeut dans les œuvres.
30:20Durant les trois années bretonnes,
30:22il vit en immersion dans l'art moderne,
30:24grâce à son groupe d'amis.
30:27Il les regarde travailler,
30:29découvre les œuvres en devenir,
30:31perçoit les cheminements qui mènent à la création.
30:38De par ses influences, un premier doute se diffuse en lui.
30:45Qu'est-ce qu'un artiste ?
30:47Les caricatures sont-elles des œuvres d'art
30:49ou de simples dessins futiles ?
30:51Faut-il creuser,
30:53puiser ailleurs au plus profond de son être,
30:55là où on n'a jamais osé aller ?
31:04Alors Romanin réorganise la sous-préfecture où il vit
31:07et transforme une pièce en atelier d'artiste.
31:13Son premier atelier, son lieu de création.
31:19Il abandonne petit à petit la caricature,
31:21le cœur n'y est plus,
31:23la tête est définitivement ailleurs.
31:26Laisser l'intime émerger, créer.
31:31Il se lance alors dans la gravure sur bois
31:33en faisant revivre les lieux emblématiques de Saint-Andiol.
31:37Son père travaille à l'écriture d'un livre historique
31:40sur le village familial
31:42et a demandé à son fils d'en faire les illustrations.
31:45Une longue correspondance complice au sujet de ces gravures
31:48se développe entre eux.
31:51Il écrit à sa sœur.
31:53« Ces jours-ci, j'ai revu mes bois gravés,
31:56car je pense que le livre de papa doit avancer.
32:00Tu trouveras si joint un projet pour une page.
32:03C'est un intérieur provençal.
32:05Qu'en penses-tu ? »
32:09« J'ai pensé à ça.
32:12Le livre sera hélas laissé de côté.
32:17Mais il poursuit avec la série
32:19« L'enfant prodigue » transposée en Provence,
32:22destinée à illustrer un nouvel ouvrage de son père
32:25qui n'aboutira pas non plus.
32:30Le trait asserré de ses dessins préparatoires
32:32et de ses gravures
32:34exprime une émotion profonde
32:36qui marque l'intimité de son fils.
32:39On ne peut s'empêcher d'y voir Antonin
32:41tenant dans ses bras Joseph, son fils disparu.
32:45Ou peut-être est-ce le jeune Jean
32:47dans les bras de son père,
32:49à la recherche du réconfort.
32:51Son père, le Roch.
32:55La connivence entre Jean Moulin et son père
32:57a toujours été forte.
33:01« J'ai pensé à ça.
33:03Tu trouveras si joint un projet pour une page.
33:07»
33:08Tous les deux avancent dans la vie
33:10avec les mêmes idées, les mêmes valeurs,
33:12le même regard sur le monde.
33:15Et le travail sur ces deux livres
33:17restera un moment de complicité
33:19qui renforcera les liens entre les deux hommes
33:21jusqu'au décès du père en 1938.
33:25Un père qui aura été fier du parcours
33:27sans faute de son fils.
33:37Chaque été, Jean Moulin se laisse volontiers
33:39emporter par les pardons,
33:41ces moments religieux d'intense communion,
33:43comme à Sainte-Anne-la-Palue
33:45ou la Grande Troménie de l'Aucrenant.
33:57Même s'il ne croit pas en Dieu,
33:59il est frappé par la forêt
34:01et par l'eau.
34:03Même s'il ne croit pas en Dieu,
34:05il est frappé par la force religieuse des Bretons,
34:07tout comme celle des calvaires
34:09qui se dressent au milieu des enclos paroissiaux.
34:18C'est le modeste calvaire
34:20du petit village de Braspar
34:22qui fascinera Jean Moulin,
34:24lui le laïc, profondément athée.
34:27Est-ce la tristesse pétrifiée
34:29qui se dégage de cette piéta
34:31qui le frappe ?
34:33La mater dolorosa ?
34:35La femme qui pleure ?
34:37Sa mère ?
34:39Ou Joseph dans les bras de sa mère ?
34:45Cette statue qui traverse les siècles,
34:47cette mort figurée, minérale,
34:49son immortalité le transcende.
34:52Les morts ne sont pas morts
34:54tant que l'on pense à eux,
34:56mais après.
35:02Épaulé par son ami Giovanni Leonardi,
35:04peintre et graveur sicilien installé à Quimper,
35:06il s'attèle à poser
35:08ce qui l'a touché
35:10sur 35 carreaux de faïence.
35:14Aux couleurs primaires un peu éteintes,
35:16répandu par le soleil,
35:18il s'attèle à poser
35:21les visages graves, déchirants,
35:23tristes et mélancoliques.
35:25Pour la première fois,
35:27Romanin illustre la douleur,
35:29le chagrin, son chagrin qui s'échappe,
35:31auquel il a toujours résisté
35:33dans ses représentations,
35:35voire dans sa vie.
35:37Ses amis ignoraient l'existence
35:39de son frère perdu.
35:44Emporté par la puissance artistique
35:46qui émerge, Jean Moulin met alors
35:48un point final à ses caricatures.
35:52Et puis vient l'œuvre de sa vie,
35:54comme une évidence
35:56qui tient en un mot.
35:59Armand.
36:02Tristan Corbière, poète breton.
36:05Le poète maudit.
36:08Se ressignole de la boue
36:10ce crapaud, c'est moi,
36:12s'autodécrit-il dans un de ses poèmes.
36:17Le poète maudit.
36:19Se ressignole de la boue
36:21ce crapaud, c'est moi,
36:23s'autodécrit-il dans un de ses poèmes.
36:27Le poète maudit.
36:30Le poète sera révélé par Verlaine
36:32aux côtés d'Orimbeaux, mal armé.
36:36Mort à 29 ans de la tuberculose
36:38en 1875,
36:40il écrit un seul recueil de poésie.
36:42Amour jaune.
36:44Comme on rit jaune.
36:47Tristan Corbière rêvait de devenir marin.
36:50La mer, le pays de la mer.
36:52Armand.
36:55Armand est un recueil constitué
36:57de sept poèmes.
36:59Romanin décide d'en illustrer six.
37:24Plongé au plus profond de soi
37:26pour en extraire les images
37:28les plus noires.
37:30Romanin offre une vision sombre,
37:32griffée, aux lignes violentes,
37:34dans une approche fantastique
37:36quasi démoniaque.
37:53A l'opposé du sacré intériorisé
37:55dans la piéta de faïence,
37:57ici tout est jaillissement
37:59et ne demande qu'à sortir du cadre,
38:01à s'épandre sur la terre.
38:04Mais une de ses gravures frappe
38:06particulièrement, celle illustrant
38:08la pastorale de Conlis.
38:12Guerre de 1870
38:14dans le camp de Conlis, près du Mans.
38:1825 000 soldats bretons
38:20attendent leur formation au combat,
38:22dans la boue formée par des pluies
38:24qui s'abattent sur le camp.
38:26Pas de barraquements, pas assez de tentes,
38:28plus de nourriture,
38:30puis la neige.
38:32Varioles,
38:34typhoïdes.
38:36Les soldats sont décimés,
38:38les fosses communes sont creusées,
38:40les corilles sont jetées puis recouvertes de terre.
38:45Tristan Corbière apprend cette offense
38:47au peuple breton.
38:49Il en écrira la pastorale de Conlis,
38:51dont les derniers vers étreignent
38:53particulièrement Jean Goulin.
38:57La chair plaquée après nos blouses engueunies,
38:59fumier tout seul rassemblé,
39:01ne mangez pas ce pain,
39:03mères et jeunes filles,
39:05l'ergot de mort est dans le blé.
39:13Romanin tirera une vision saisissante
39:15de ce poème.
39:17Devant cette puissante composition,
39:19on ne peut s'empêcher de frémir.
39:21Armors deviendra un livre d'art
39:23édité à 150 exemplaires.
39:25Les auforts de l'art
39:47pourront être vendus
39:49exemplaires. Les eaux fortes seront exposées au Grand Palais à Paris, au prestigieux Salon
39:54de la Société Nationale des Beaux-Arts, ultime reconnaissance. Mais de ce voyage au plus
40:01profond de lui-même, qu'en a-t-il retiré ? A-t-il calmé ses démons ? S'est-il réellement
40:07senti un artiste ? La signature Romanin s'éteint définitivement.
40:15En juin 1933, Jean Moulin quitte la Bretagne. Il prend la route pour sa nouvelle affectation
40:30à Tonon-les-Bains, en Haute-Savoie. De mutation au nouveau poste, Jean Moulin se
40:40laisse absorber par la vie préfectorale, gravir les échelons, foncer dans la vie.
40:46A 35 ans, il devient secrétaire général de la préfecture de la Somme, remarquable
40:51et sur toute dernière étape avant celle de préfet.
40:54Alors que les fascismes montent en Europe, la lutte s'organise. En France, les gauches
41:08réunissent et forment le Front Populaire, qui remporte les élections de 1936.
41:18Proche du parti radical socialiste et partisan actif du Front Populaire, Jean Moulin est
41:28appelé en tant que chef de cabinet par son ami Pierre Cotte, devenu ministre de l'air.
41:35Jean Moulin se passionne pour les avions, les raids et les records en tout genre. Il
41:40accueille Maryse Bastier à son retour du Brésil. L'aviatrice vient de battre un record de vitesse
41:45en traversant l'Atlantique en 12 heures. C'est l'unique enregistrement de la voix de Jean Moulin.
41:51Maryse Bastier, je félicite en vous l'aviatrice et je félicite aussi la charmante ambassadrice
42:00qui a su porter au-delà des mers le vrai visage de la France, souriante et pacifique.
42:08Maryse, permettez-moi de vous donner la collage.
42:10La France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne nazie. Jean Moulin se démène pour
42:22être mobilisé, être face à face avec l'ennemi. Mais son ministre lui interdit de quitter Chartres,
42:29dont il est dorénavant préfet. Le 10 mai 1940, les Allemands entrent en France et progressent
42:39rapidement. Ils prennent Paris le 14 juin et le 17 juin sont à Chartres. Aussitôt,
42:53des officiers allemands menacent Jean Moulin, exigeant qu'il signe un document qui accuse
42:57des soldats noirs de l'armée française d'avoir violé et massacré des femmes et des enfants.
43:01Comprenant que c'est un mensonge, il refuse. Jean Moulin est alors battu, cogné, insulté pendant
43:12des heures. Il ne cède pas. Enfermé pour la nuit, il utilise un morceau de verre brisé pour se
43:20trancher la gorge, se suicider plutôt que signer. Rester fidèle à ses convictions, ne rien lâcher.
43:28Il sera sauvé in extremis. Ce sera son premier face à face avec l'ennemi.
43:39Après cinq mois de cohabitation forcée avec l'occupant, il est mis à la retraite par le
43:44gouvernement de Pétain en novembre 1940. Sa carrière préfectorale s'arrête nette. Il a 41 ans.
43:51Avant de quitter Chartres, déjà décidé à l'action clandestine, il prend soin de se fabriquer une
44:00fausse carte d'identité où il choisit de s'appeler Joseph Mercier, utilisant le prénom de son frère.
44:06Un premier pas vers la résistance. Être un autre, une ombre. Il se démène dans une totale
44:18improvisation pour dresser un état des lieux de la résistance naissante. Il prend tous les
44:25risques pour quitter la France et parvient à Londres en octobre 1941. Jean Moulin se présente
44:33au général de Gaulle. L'entente est immédiate. Ce sera en tant que représentant du chef de la
44:39France Libre que Jean Moulin sera parachuté dans les Alpilles en janvier 1942. Partant de très peu,
44:48il va créer l'armée secrète et le conseil de la résistance. Il sera Régis, Rex puis Max,
44:56entre autres pseudonymes. Il craint que ses absences répétées, ses voyages incessants
45:03ne deviennent suspects. Il lui faut une couverture solide, crédible. Ce sera l'art. Il adopte la
45:13profession de marchand de tableaux qui justifie ses fréquents déplacements des deux côtés de
45:17la ligne de démarcation en tant que Jean Moulin, ancien préfet. Il consolidera ce nouveau statut
45:26en créant à Nice une galerie d'art en octobre 1942 qui l'appellera tout naturellement Romanin.
45:39Depuis la défaite de 1940, la Côte d'Azur est devenue un refuge pour les
45:43artistes et les collectionneurs qui ont fui Paris et la zone occupée.
45:48Le marché de l'art y a pris de l'ampleur, au milieu d'une certaine effervescence.
45:55C'est dans ce contexte que Jean Moulin choisit d'ouvrir sa galerie.
46:01Colette Ponce, jeune femme rencontrée au sport d'hiver quelques mois plus tôt,
46:04en devient la directrice. Ses opinions sur le régime de Vichy ne laissent aucun doute à Jean Moulin
46:11sur sa fiabilité. J'avais été frappée par son silence et par son calme. Je lui ai demandé ce
46:18qu'il faisait. J'étais étonnée parce qu'il n'était pas en costume de ski, parce qu'il ne
46:22semblait pas être venu là pour faire du sport du tout. Et je me demandais ce que faisait cet
46:26homme silencieux, un peu triste. Il m'a répondu qu'il était maraîcher à Cavaillon. Je ne l'ai pas
46:36cru naturellement. Il n'avait pas l'air d'un maraîcher du tout. Le premier vernissage de la galerie
46:43Romanin a lieu le 9 février 1943. L'exposition s'intitule « Les maîtres modernes », en rupture
46:52avec les offres plus classiques des autres galeries. Jean Moulin n'hésite pas à mettre en avant
46:59l'essentiel de sa propre collection, pour asseoir sa couverture et sa crédibilité de galeriste.
47:07Mais surtout, Jean Moulin s'épanouit, heureux d'avoir un instant, l'occasion de discuter
47:13d'oeuvres et d'artistes. Vivre dans l'art, vivre pour l'art.
47:25Le succès sera au rendez-vous, succès que Jean Moulin n'a pas le loisir de savourer.
47:31Jour et nuit, être sur tous les fronts, la tâche est énorme et risquée. Le soir même,
47:39il quitte le vernissage pour préparer son départ dans le plus grand secret pour Londres. Il va
47:44rendre compte au général de Gaulle des avancées dans l'organisation de l'armée secrète et du
47:49projet d'un conseil de résistance. Avant de s'envoler, il prend le temps de laisser des
47:55consignes à Colette Ponce. Une longue liste de tableaux à acheter, d'oeuvres à mettre en vitrine,
48:00de factures à régler. Un instant de normalité au cœur du combat.
48:06À son retour de Londres, Jean Moulin, épuisé, anxieux, s'accorde un peu de repos familial et
48:17passe les fêtes de Pâques avec sa mère et sa sœur. Seul Laure est au courant de ses activités
48:25clandestines. Il me dit, je vais faire quelque chose de très important, sans me dire quoi. Tu
48:33ne me reverras pas de quelque temps. Dès que ce sera fait, je tâcherai d'aller outre-Manche,
48:39passer une période de repos. Je lui dis, mais si maman est malade, comment faire ? Ne m'avise
48:47pas, je sens que je suis maintenant traqué, je suis trop connu. Et si elle venait à mourir ? Non,
48:53on profiterait de cette occasion-là pour me prendre. Le but est proche, l'urgence totale,
49:02le danger imminent. De retour à Paris, Jean Moulin organise dans le plus grand secret
49:08la première réunion du CNR qui fédère toute la résistance derrière de Gaulle.
49:12Un succès remarquable qu'il fête discrètement en s'enivrant d'oeuvres d'art dans une galerie
49:22parisienne. Le 17 juin, il écrit une lettre à sa mère et à sa sœur. Ici, tout va bien et les
49:31affaires ne marchent pas trop mal, malgré un ralentissement assez sensible de la vente des
49:35objets de luxe en général. Le mois dernier, très belle exposition Autumn Freeze avec 14
49:41pièces de qualité. J'espère que vous êtes toutes deux en bonne santé. Ce sera sa dernière lettre,
49:49écrite du petit village de Beauregard au nord de Lyon où il se cache. L'attente, l'ennui. Il sort
49:57de sa poche ce carnet qui ne le quitte jamais et d'un geste assuré croque l'église du village.
50:02L'ultime dessin de l'artiste enfoui en Jean Moulin. L'histoire s'achève brusquement quatre jours
50:12plus tard. Jean Moulin ainsi que sept autres responsables de l'armée secrète sont arrêtés
50:19à Caluire dans la banlieue de Lyon par le SS Klaus Barbie. Colette Ponce reçoit de
50:27l'or moulin un laconique télégramme lourd de sens. Vendée comme prévu.
50:33Résister, ne rien dire, crier sa douleur mais se taire jusqu'au bout.
50:45Le visage tuméfié, le regard fixe, Jean Moulin vient de s'éteindre.
50:55Les SS dateront son décès au 8 juillet 1943 en gare de Metz d'un arrêt cardiaque.
51:00Les sévices infligés par le bourreau Klaus Barbie ont tué Jean Moulin.
51:05On pense que son corps fut incinéré à la hâte à Paris dès le lendemain soir.
51:11Ne surtout pas laisser de traces de la barbarie qui s'est abattue sur Jean Moulin.
52:00Jean Moulin s'est arrêté à Caluire en septembre 1943 et a été arrêté en septembre 1944 à l'hôpital de Caluire dans la banlieue de Lyon par le SS Klaus Barbie.
52:07La mort de Jean Moulin n'est pas la seule victime de la barbarie de Caluire.
52:13Il y a eu une autre victime de la barbarie de Caluire dans la banlieue de Lyon au mois de septembre 1944.
52:20La victime de la barbarie de Caluire n'est pas la seule victime de la barbarie de Caluire dans la banlieue de Lyon au mois de septembre 1944.
52:28La victime de la barbarie de Caluire n'est pas la seule victime de la barbarie de Caluire dans la banlieue de Lyon au mois de septembre 1944.
52:35La victime de la barbarie de Caluire n'est pas la seule victime de la barbarie de Caluire dans la banlieue de Lyon au mois de septembre 1944.