"Le rêve européen est menacé de mort", estime l'historien Thomas Snégaroff

  • il y a 4 mois
Le rêve européen est-il vraiment en danger de mort ? C’est un argument de campagne que l’on entend à moins de trois semaines des élections européennes. Mais correspond-il à une réalité ? L’Europe est-elle à un tournant de son histoire ? À trois semaines des élections européennes, la journaliste Marion Van Renterghem et l'historien Thomas Snégaroff débattent sur le projet européenn.

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00:00 Le rêve européen est-il vraiment en danger de mort ? Voilà un argument de campagne que l'on entend à moins de trois semaines maintenant des élections européennes.
00:09 Mais correspond-il à une réalité ? L'Europe est-elle à un tournant de son histoire ?
00:14 Le standard 01.45.24.7000 et l'application de France Inter vous attendent pour réagir et poser vos questions à nos deux invités ce matin.
00:22 Marion von Renthergem, bonjour. Vous êtes grand reporter.
00:25 Votre dernier livre "Le piège Nord Stream" est sorti en septembre aux éditions Les Arènes.
00:30 Thomas Snégarov, bonjour.
00:31 Bonjour Simon.
00:32 Historien, journaliste, vous animez tous les samedis midi sur Inter, le grand face-à-face.
00:36 Et toujours pour Inter, vous produisez le podcast "Europe, anatomie d'une utopie" avec l'historien Léonard Laborie.
00:43 Et justement, Thomas, vous commencez chacun des six épisodes de ce podcast de la façon suivante.
00:48 Né du rêve d'une paix éternelle et d'une prospérité partagée, le projet européen est aujourd'hui attaqué de toutes parts, de l'intérieur comme de l'extérieur.
00:57 Alors, dois-je en déduire que vous allez répondre oui à ma première question ?
01:01 Oui, le rêve européen est menacé de mort aujourd'hui ?
01:05 Le rêve européen, bien sûr. L'utopie européenne, bien sûr. Le projet européen aussi.
01:09 Vous savez, dans l'histoire de l'humanité, les projets politiques sont nés et ont disparu. Tous.
01:16 Certains vivent encore aujourd'hui, mais dans l'histoire du temps long, il n'est pas aberrant d'imaginer la mort d'un projet, surtout d'une utopie.
01:23 À tel point qu'il faut rappeler à quel point l'Europe est un projet unique et inédit dans l'histoire de l'humanité que des pays décident,
01:31 en temps de paix et non pas par l'un qui envahit les autres, de se mettre ensemble, de plus en plus ensemble, au point d'avoir une monnaie unique, une monnaie commune puis une monnaie unique.
01:40 Donc oui, évidemment, oui. Après, on sait bien que quand le président le dit à la fin du mois d'avril dernier à la Sorbonne, c'est aussi pour réveiller, ce qui est paradoxal.
01:48 Parce que quand on veut rêver, il ne faut mieux pas se réveiller. Or là, il s'agit de se réveiller pour poursuivre ce rêve d'un projet européen,
01:55 d'une intégration européenne qui permettrait d'affronter ensemble les défis du monde contemporain.
01:59 Marion Vendrede-Terreguev, vous partagez ces inquiétudes sur l'avenir de l'Europe, de l'Union européenne, telle qu'elle existe en tout cas aujourd'hui ?
02:06 Oui, on dit toujours que l'Europe se construit dans les crises et elle l'a montré à tous les moments de son histoire.
02:12 Mais c'est vrai que là, on est dans un moment de crise particulier qui est un moment de vérité, finalement, puisqu'elle est attaquée de toutes parts.
02:20 Pour la première fois, on s'apprête à voter au Parlement européen à un moment où la guerre est arrivée sur le continent, menée par une puissance nucléaire
02:31 et où c'est non seulement un pays de l'Ukraine qui est attaqué, ce sont non seulement des pays frontaliers de l'Union européenne,
02:37 comme la Pologne ou les Pays-Baltes, qui sont directement menacés, mais ce sont les pays de l'Union européenne eux-mêmes
02:43 et l'Union européenne elle-même qui est attaquée par la Russie, qui a déclaré, Vladimir Poutine a déclaré qu'il faisait la guerre à l'Occident.
02:51 Il y a des entreprises de cyberattaque, de désinformation, d'ingérence dans les élections,
02:57 de mise en cause de la présence française, par exemple, en Afrique.
03:02 Nous sommes attaqués directement et nous sommes attaqués de l'extérieur et de l'intérieur
03:08 par une vague de mouvements nationalistes populistes qui remettent en cause l'Union européenne.
03:12 Et dans l'équation, j'ajouterais une menace assez neuve qui est celle de l'éloignement définitif des États-Unis,
03:19 en cas évidemment de victoire de Donald Trump en novembre prochain.
03:22 Si on ajoute effectivement menace intérieure, menace extérieure et perte de l'allié historique,
03:26 qui a d'ailleurs, pour reprendre l'expression de Gérard Bossua,
03:30 été un allié très puissant au début de l'Europe, sous l'amicale et ferme protection,
03:36 ou au désir des Américains que l'Europe s'est construite,
03:38 on sent effectivement qu'il y a là une menace existentielle pour le projet européen.
03:42 Vous parliez, Marion Van Der Gheem, de ces menaces de l'intérieur,
03:47 représentées par les populistes historiquement hostiles au projet européen.
03:52 Pourtant, aujourd'hui, on voit qu'aux Pays-Bas, en Italie, en France,
03:55 ils jouent le jeu des institutions européennes.
03:59 Ça veut dire que cette menace est encore plus compliquée à appréhender ?
04:04 Alors, on peut le voir dans les deux sens.
04:07 Il y a une poussée nationale populiste réelle en Europe,
04:12 et en même temps, il y a une forme d'effet de loupe un peu trompeur.
04:16 C'est-à-dire que dans aucun des pays où l'extrême droite prend du pouvoir et monte en puissance,
04:25 dans aucun de ces pays, elle n'a la majorité.
04:28 Et le cas à Wilders est très intéressant.
04:30 - Le Premier ministre au Pays-Bas ?
04:33 - Qui n'est pas Premier ministre, mais qui a remporté une victoire législative.
04:37 - Le chef de l'extrême droite qui a remporté législative, vous avez raison.
04:39 - Et c'est intéressant les Pays-Bas, parce que c'est à la fois un tout petit pays,
04:42 mais quand même représentatif, d'abord c'est un pays fondateur de l'Union Européenne.
04:46 Et ce cas de Gerd Wilders, donc il y avait un programme extrêmement radical d'extrême droite,
04:52 ouvertement xénophobe qui voulait interdire le Coran, islamophobe.
04:57 Finalement, c'est un peu confondu.
05:00 C'est-à-dire que d'abord, il a été obligé, il n'avait que 23%,
05:03 il a été obligé de constituer une coalition avec trois autres partis,
05:06 dont un parti libéral, ce qui pose d'ailleurs des problèmes au groupe libéral.
05:12 - Oui, qui siège avec le parti d'Emmanuel Macron au Parlement européen.
05:15 - Absolument. Mais du coup, il a été obligé de constituer une coalition.
05:19 La condition, c'était justement qu'il ne soit pas Premier ministre.
05:22 Et il est obligé de mettre de l'eau dans son vin.
05:25 Et on assiste finalement à une forme de mélonisation, je dis ça en référence à Georgia Meloni,
05:31 qui avec un programme extrêmement dur, finalement est obligé de se mouler dans l'Union Européenne.
05:40 Marie Le Pen elle-même renonce à quitter l'Union Européenne.
05:44 Enfin, finalement, on a le sentiment qu'on ne peut pas accéder au pouvoir réellement
05:49 en étant contre le projet européen parce que les avantages sont trop énormes, sont trop évidents.
05:54 Et dans le monde, comme l'a rappelé Thomas, dans le monde tel qu'il est,
05:58 c'est-à-dire un monde inquiétant, qui nous menace directement,
06:03 l'Union Européenne est malgré tout un rempart.
06:08 (rires)
06:10 Oui, oui, ce que j'ajouterais juste, c'est que ce qui est frappant,
06:13 c'est que ces partis longtemps qualifiés d'europhobes, en fait, défendent une autre vision de l'Europe.
06:19 C'est-à-dire qu'il ne faut pas imaginer qu'ils sont devenus des fédéralistes qui disent...
06:23 Non, on a deux visions de l'Europe qui...
06:25 Depuis l'origine d'ailleurs, et c'est ce qu'on raconte avec Léonard Labori dans le podcast,
06:28 dès l'origine, il y a deux visions de l'Europe qui s'affrontent.
06:30 Une Europe intergouvernementale, c'est-à-dire qui considère que ce sont les États qui doivent encore prendre des décisions
06:35 et donc que toutes les décisions en Europe doivent se prendre à l'unanimité
06:38 et des fédéralistes qui ont comme espoir et comme utopie d'arriver un jour aux États-Unis d'Europe
06:43 où certains États pourraient se faire imposer par une majorité d'États des mesures.
06:47 Ce qui est intéressant aussi, au-delà de ça, c'est que les partis dits "eurosceptiques" ou "europhobes",
06:53 qui est aujourd'hui Caracol en tête, défendent à la fois cette vision de l'Europe,
06:56 mais ce qui est nouveau, défendent des valeurs européennes.
06:59 Ils considèrent que l'Europe est menacée de l'extérieur
07:02 et donc sur des valeurs plus culturelles et plus identitaires,
07:06 défendent une autre Europe que celle des pères fondateurs ou celle des fédéralistes d'aujourd'hui.
07:10 Ce qui me permet de dire à quel point aujourd'hui, la notion de valeur a été un peu comme le drapeau en France parfois,
07:16 confisqué par une extrême droite, là où ceux qui veulent l'Europe fédérale
07:22 ont abandonné largement, à mon avis, la notion de valeur et de culture
07:26 et la question de la culture européenne pourrait être remise au milieu du débat.
07:30 Le mot de culture, on l'emploie extrêmement peu dans la campagne actuelle,
07:34 sauf quand on est hostile au projet européen tel qu'il est aujourd'hui.
07:38 Et justement, on va parler de la façon dont on peut réformer l'Europe,
07:42 la rendre plus humaine, moins froide, moins technocratique.
07:45 Mais d'abord, pour continuer sur les menaces, on a parlé des menaces de l'intérieur,
07:48 les menaces de l'extérieur, on les connaît, la Chine, la Russie,
07:52 les Etats-Unis peut-être avec l'élection de Donald Trump, vous l'avez évoqué Thomas, en novembre.
07:58 On est d'accord pour dire qu'aujourd'hui l'Europe n'est pas suffisamment armée,
08:02 en tout cas c'est le constat qui semble partagé,
08:04 pour faire face au nouvel ordre mondial qui est en train de se mettre en place, Marion Van Retterghem ?
08:09 Elle n'est pas suffisamment armée, mais en même temps,
08:12 elle a fait des pas de géant dans une Europe de la défense.
08:16 On ne parle pas d'armée européenne, il y a souvent une confusion.
08:19 L'armée européenne, pour le coup, on est vraiment dans l'utopie et on est très loin d'y arriver.
08:23 En revanche, une mise en commun, une mutualisation, une mise en commun des moyens est en train de se faire.
08:30 Il faut dire qu'Emmanuel Macron a eu un rôle d'impulsion très bénéfique dans cette affaire.
08:37 Ce qui a aussi, les deux personnes qui ont eu le rôle le plus bénéfique, paradoxalement,
08:43 sont Vladimir Poutine et Donald Trump, sachant que l'un et l'autre,
08:47 l'un en menant une guerre sur le continent européen
08:50 et en déclarant la guerre aux valeurs à l'Occident, d'une manière générale,
08:55 et Donald Trump en menaçant finalement que l'OTAN ne serait plus efficace et efficient,
09:01 en mettant en doute l'automaticité de l'article 5,
09:05 a obligé l'Europe à prendre ses responsabilités et à devenir adulte en constituant sa propre défense.
09:12 Donc on est encore loin du compte, mais malgré tout,
09:15 il y a eu des mesures qui sont prises en ce moment,
09:20 de réindustrialisation de l'industrie de défense, de mise en commun,
09:24 d'envoi de soutien militaire à l'Ukraine, tout ça va dans un sens positif.
09:30 Malgré tout, on voit que personne n'arrive à se mettre d'accord, France et Allemagne en tête.
09:33 Est-ce que Thomas Snegarov vous retenez surtout les progrès qu'évoque Marion von Renterghem,
09:39 ou finalement un éternel recommencement dans le podcast,
09:42 où vous évoquez l'histoire de la communauté européenne de défense ?
09:45 - Oui, de 1954. - 1954 déjà !
09:47 - Oui, oui, il y a à chaque fois le sentiment que ça sera ensemble, qu'on sera plus fort,
09:51 ça depuis le début de l'Europe, c'est une certitude et c'est une évidence.
09:55 Et en même temps, il y a tout le temps des forces exogènes ou endogènes
10:00 qui délitent l'unité européenne quand on en a besoin.
10:03 Et l'un des principaux acteurs de ce délitement, c'est les Etats-Unis.
10:06 Historiquement, les Etats-Unis, par rapport à l'Europe, ont une vision assez claire,
10:10 c'est de dire "il faut que les Européens soient suffisamment forts
10:13 pour pouvoir nous soutenir dans notre politique de puissance internationale,
10:18 mais pas assez soudés pour devenir des rivaux".
10:21 Et donc les Américains ne cessent de jouer avec les Européens,
10:25 et quand on est 27, peut-être demain 30 ou même encore davantage,
10:29 il est évidemment beaucoup plus facile de jouer de cette division-là,
10:32 qui est une division géopolitique.
10:34 Vous avez aujourd'hui en Europe des pays qui sont neutres,
10:36 vraiment neutres, des pays qui sont très atlantistes,
10:39 des pays qui ont une politique de puissance eux-mêmes.
10:41 Dans ces conditions, la phrase de Kissinger des années 70,
10:44 "Europe, which number?", on appelle qui en Europe quand il y a un problème ?
10:47 Elle reste aujourd'hui encore très actuelle.
10:49 - Une question au standard de Frédéric. Bonjour Frédéric.
10:52 - Oui, bonjour Inter. Marion Brantachem et Thomas De Ganaroff, bonjour.
10:56 - Bonjour.
10:57 - Il n'en devait pas que l'Europe meure, peut-être faudrait-il donner aux citoyens
11:01 l'envie qu'elle vive ?
11:03 C'est-à-dire d'une part en changeant peut-être des institutions,
11:06 je rappelle que les Français n'en ont pas voulu,
11:09 pour qu'ils se sentent mieux représentés, plus impliqués,
11:12 et peut-être leur offrir un projet moins macronien,
11:17 basé sur la concurrence entre les nations,
11:19 et un projet beaucoup plus fédérateur, sur un projet commun.
11:23 - Alors, grande question soulevée par Frédéric, et on vous en remercie Frédéric.
11:27 Comment réformer l'Union Européenne, redonner envie aux citoyens tout simplement
11:32 d'y adhérer ? Marion Vendredin-Targuem.
11:35 - La recette, c'est déjà dans la communication.
11:40 Je pense que l'Europe est absolument nulle pour se vendre,
11:43 et pour vendre ses apports évidents, on n'aurait pas de crédibilité
11:51 sur les marchés internationaux, on n'aurait pas de capacité d'emprunt,
11:54 on n'aurait pas de plan de relance pendant la crise Covid,
11:57 il ne faut pas oublier qu'on a été la région du monde qui a le mieux résisté au Covid,
12:03 quand certains nous vantaient un vaccin russe qui n'a pas été capable
12:07 de se mettre en œuvre et qui a provoqué un million de morts en Russie.
12:11 Enfin, tout ce bénéfice, sans compter celui de la paix à l'intérieur de l'Europe,
12:17 elle arrive par l'extérieur, mais il y a eu 70 ans de paix en Europe,
12:21 mais l'Europe est absolument incapable de vendre les qualités qu'elle a apportées.
12:30 Il y a évidemment des défauts, mais souvent on a tendance à faire porter à l'Europe
12:38 et à la rendre responsable de dysfonctionnements qui relèvent des États et des nations elles-mêmes.
12:45 Par exemple, on accuse l'Europe, à juste titre, d'un excès de bureaucratie, de technocratie.
12:51 Je ne suis pas sûre que la France ait des leçons à donner sur l'absence, comment dire,
12:58 la facilité bureaucratique et technocratique.
13:01 Il y a par exemple autant de fonctionnaires à Bruxelles pour gérer 350 millions d'habitants qu'à Paris.
13:10 Il y a 50 000 fonctionnaires à Paris et il y a 540 000 fonctionnaires à Bruxelles.
13:13 Mais Marie-Paul, le verre était dans le fruit, dès l'origine.
13:18 Jean Monnet, quand il décide, avec d'autres évidemment, de construire l'Europe, il définit une méthode.
13:22 La méthode s'appelle le fonctionnalisme.
13:24 C'est de dire, on va commencer par des politiques économiques et commerciales,
13:28 parce que c'est plus facile à faire, très précises, le charbon et l'acier, puis d'autres choses,
13:33 on va lancer plein de choses comme ça, et il se dit, et après, par mécanique quasiment,
13:37 on va aller vers le politique et vers le culturel, et ainsi on aura une construction européenne.
13:41 Donc cette technocratie, cette bureaucratie, ce que dit notre auditeur, ce prima à l'économique,
13:46 il est posé dès le départ, mais ce que Jean Monnet dit aussi, il dit, je me fous du charbon et de l'acier.
13:51 Moi, c'est l'Europe politique que je veux faire.
13:53 Mais il s'est trompé en imaginant que c'est par le mécanisme économique qu'on arrivera ensuite au politique.
13:59 Et c'est là, sûrement, le péché originel de la construction européenne,
14:02 on est à la toute fin des années 40, début des années 50, c'est d'avoir pensé qu'il fallait d'abord passer par l'économique,
14:07 alors qu'on pouvait très bien imaginer que, dans les débris de la Seconde Guerre mondiale,
14:11 on pouvait aussi construire sur la culture, construire sur le politique,
14:15 avant d'imaginer que ça ne vienne pratiquement magiquement après l'économique.
14:19 Et c'est vrai que, pour beaucoup de citoyens aujourd'hui, l'Union Européenne, Bruxelles, qu'est-ce que c'est ?
14:23 C'est la règle des 3%, 3% de déficit maximum, obligatoire pour les pays.
14:29 Et c'est pas étonnant que l'auditeur, il cible immédiatement 2005.
14:32 Il n'a pas dit la date, mais il a dit, et on avait dit non, pour les Français, pour beaucoup de Français,
14:36 pour beaucoup d'Européens, c'est un acte fondateur de l'éloignement de Bruxelles des peuples.
14:42 La grande question, c'est comment est-ce qu'on arrive à ressouder ça ?
14:45 Et c'est intéressant, on parle d'un rêve européen qui ne fait pas rêver.
14:48 Comment un rêve peut faire rêver ça ? C'est une question philosophique.
14:50 Alors comment ressouder Marion Vendrettergheim ?
14:52 2005 c'est très intéressant, parce que c'est devenu une sorte de point de fixation,
14:57 et comment dire, d'acte fondateur du populisme.
15:00 Moi ce qui me fascine toujours, quand on invoque ce référendum de 2005,
15:04 qui a en effet été géré en dépit du bon sens, du début à la fin,
15:07 du référendum lui-même jusqu'au traité de Lisbonne ensuite.
15:11 Mais c'est que les gens ne savent pas pourquoi ils ont voté.
15:15 C'est-à-dire qu'on entend toujours, ah oui, 2005, le traité de Lisbonne,
15:19 c'était une manière de revenir sur la volonté des peuples.
15:22 Mais on n'a pas voté pour la sortie de l'Union Européenne,
15:24 on avait voté pour un traité constitutionnel qui de fait n'a pas eu lieu, n'a pas été mis en place.
15:30 Et qui a été en effet, il y a eu un traité de Lisbonne qui reprenait certains éléments, mais pas tous.
15:35 Et quand on parle de déficit démocratique, au contraire, on fixe toujours,
15:43 on se focalise sur la Commission Européenne.
15:45 Mais la Commission Européenne, qui n'est pas élue, ne décide pas.
15:49 La Commission Européenne propose, et ce sont les États et le Parlement qui disposent et qui légifèrent.
15:55 Donc si, comme Thomas le rappelait, il n'y a eu qu'un...
16:00 L'Europe est essentiellement un marché, pourquoi ?
16:03 C'est parce qu'elle n'a pas voulu se fédéraliser dans les autres domaines qui manquent aujourd'hui.
16:09 Si l'Europe était plus fédérale en matière de politique étrangère, en matière de défense, on n'en serait pas là non plus.
16:15 Alors vous plaidez-vous, Marion, pour plus d'intégration européenne, plus d'Europe ?
16:20 Est-ce qu'au contraire, ça c'est une autre solution qu'on entend ?
16:23 Il faudrait renoncer au principe de l'unanimité dans la prise de décision.
16:28 Thomas Négaroff, ça vous paraît une bonne idée de revenir sur ce principe fondateur du compromis et de l'égalité entre États ?
16:33 Alors, on est revenu dessus largement.
16:35 Il y a la majorité qualifiée, mais la majorité qualifiée, elle est tellement difficile à obtenir.
16:39 C'est une majorité qui impose à un certain nombre d'États, qui représente un certain pourcentage de la population européenne.
16:44 Il y a un droit de veto dans certaines décisions.
16:46 Si un État dit non, tout est bloqué.
16:49 Que de fait, on est sur l'unanimité.
16:51 Et à ce moment-là, ça fait partie des lignes rouges.
16:53 Et vous savez que lorsque le général de Gaulle, en 1965, à la fin de l'année 65, décide de la politique de la chaise vide,
16:59 à savoir de ne plus aller siéger, que la France ne siège plus, c'est parce qu'il y a dans les clous le projet de l'unanimité.
17:06 Donc c'est un vieux débat qui malheureusement sera très difficile à régler.
17:10 Surtout, si ça se fait, malheureusement, et je suis désolé de ne pas être en accord absolu avec Marion là-dessus,
17:16 ça se fait assez loin des peuples, parce que ça fait quand même 20 ans qu'on n'a pas demandé,
17:20 à part lors des élections européennes qui sont très nationales en vrai,
17:23 l'avis des gens, des Européens, sur la construction européenne.
17:26 Et quand on l'a demandé, ça a été le Brexit.
17:28 Donc on sent quand même qu'il y a une inquiétude.
17:30 On voit le résultat.
17:32 Oui, mais d'accord, mais le résultat, il était aussi électoral.
17:35 Et donc on sent bien qu'il y a une inquiétude de la part des dirigeants européens
17:38 à poser la question aux Européens, parce que c'est aussi le signe de l'échec
17:42 de ce que vous appeliez de la communication, de l'échec aussi d'un projet
17:46 qui était celui de faire un grand espace démocratique.
17:49 Un mot de l'enjeu du siècle, l'environnement, la lutte contre le réchauffement climatique.
17:52 On assiste à une remise en cause des normes environnementales partout sur le continent
17:57 et de ce fameux pacte vert qui est censé permettre d'atteindre la neutralité carbone en 2050.
18:02 Est-ce que l'Europe, en tout cas l'Union Européenne, vous paraît, Marion Van Renterghem, à la hauteur de l'enjeu ?
18:07 Ça a été très mal ficelé ce pacte vert, parce qu'on n'a pas pris en compte
18:13 les retombées, notamment sur les agriculteurs.
18:16 Mais là encore, je reviens sur ce que disait Thomas, on peut accuser l'Europe,
18:20 le projet européen dans son ensemble, mais qui est responsable du projet européen ?
18:24 Ce sont les chefs d'État et de gouvernement élus par les citoyens de chaque État.
18:29 Ce sont eux qui font l'Europe et la Commission européenne,
18:33 et l'émanation d'un Parlement qui l'a désigné président de commission.
18:36 La Commission a un but, pour le coup, son objet, son objectif et sa raison d'être
18:42 est totalement technocratique. On lui demande d'être technocratique,
18:46 on lui demande de rédiger des dossiers techniques sur des projets
18:51 et d'avoir des propositions dont disposent ensuite les chefs d'État et les parlementaires.
18:56 Donc c'est toujours facile d'accuser une entité indépendante de notre volonté.
19:01 Et vous citiez aussi les 3%, ce dogme de déficit budgétaire à ne pas dépasser.
19:11 Mais c'est simplement une proportion, un pourcentage raisonnable.
19:15 Le Royaume-Uni qui est sorti de l'Union Européenne, il se fixe la même règle
19:19 des 3% de déficit budgétaire. Les États-Unis aussi, l'Australie aussi,
19:23 ils ne sont pas dans l'Union Européenne.
19:25 C'est simplement parce que... - Enfin, les États-Unis vont bien au-delà.
19:28 - Et nous aussi on va bien au-delà, on passe son temps à dépasser ces 3%.
19:31 C'est simplement une proportion raisonnable pour ne pas créer un endettement
19:35 qui pèse sur les contribuables.
19:37 Ça n'est pas un dogme, on le présente comme un dogme, comme une baguette d'instituteurs
19:41 sur laquelle on se servirait pour taper sur le doigt des pays.
19:44 Non, ce sont les pays qui le demandent.
19:46 - Un petit mot Thomas Négaroff et la question de Michel Austanda.
19:49 - Très rapidement, on a longtemps dit que l'Europe était un peu l'idiot du village global
19:52 et c'est vrai que les Américains, quand ils ont dit "OK" pour l'Europe communautaire,
19:55 ils ont dit "OK, vous faites entre vous un libre-échange,
19:58 mais vous êtes plus ouverts que les autres sur le reste du monde
20:01 et on est encore malheureusement dans ce temps-là".
20:03 - Bonjour Michel. - Bonjour.
20:05 - On écoute votre question.
20:07 - Vous avez fait un très bon historique de l'Europe.
20:10 Moi j'étais entièrement d'accord de passer d'une Europe économique à une Europe politique,
20:14 mais elle se faisait avec les pays voisins.
20:17 L'Europe qui se construit maintenant...
20:21 - Oui ? Michel ?
20:24 - Oui ? Je ne la comprends plus.
20:27 - Vous ne comprenez plus l'Europe ?
20:29 - Non.
20:31 - Et ça vous émeut ?
20:33 - C'est un rêve.
20:38 Maintenant on parle d'intégrer la Georgia, la Moldavie.
20:43 Mais c'est quoi ça ?
20:45 - Pour vous l'élargissement, Michel, si je comprends bien,
20:50 compromet, voire met fin à ce rêve européen.
20:55 Effectivement, neuf pays, Thomas Négarov, sont candidats à l'adhésion,
20:59 dont la Georgia, dont l'Ukraine.
21:01 La Georgia dont on parle beaucoup en ce moment, il y a des manifestations historiques
21:04 contre un projet de loi qui est vu comme une tentative de contrôle de la Russie sur le pays.
21:10 Ça veut dire que l'Europe fait toujours rêver ?
21:14 Ou comme Michel, que c'est la fin d'un projet européen ?
21:17 - Il y a les deux dimensions.
21:19 Parce qu'on a longtemps dit que l'Europe était une puissance normative.
21:21 C'est-à-dire qu'elle émet des normes, notamment démocratiques.
21:23 Et effectivement, le fait que des pays veulent entrer et en entrant,
21:26 adoptent ces normes-là, parce que quand on entre dans l'Europe,
21:29 il y a tout un acquis communautaire à intégrer dans son droit national.
21:31 Donc on est transformé.
21:33 Et en même temps, c'est vrai que ça pose une question fondamentale,
21:35 au-delà d'émotion de notre auditeur.
21:37 C'est la question de, finalement, qu'est-ce que l'Europe et jusqu'où doit-elle aller ?
21:41 Et en 1992, l'Europe avait répondu,
21:43 il n'est ni nécessaire ni opportun de définir les frontières de l'Europe.
21:47 Parce que, et ça pose une question très importante,
21:49 c'est dire quelles sont les frontières de l'Europe,
21:51 ça veut dire où doit s'arrêter le projet européen.
21:54 Et ça revient sur la question des valeurs du début.
21:56 Si on dit que les valeurs européennes sont des valeurs universelles,
21:58 où doit s'arrêter l'Europe ?
22:01 Et ça, c'est une question qu'on n'ose pas se poser en Europe.
22:03 C'est une question taboue et qui est une question fondamentale
22:05 pour savoir quel est l'avenir de ce projet européen.
22:07 - Très rapidement, le mot de la fois, Marion.
22:09 - C'est très compliqué. Il y a eu un grand élargissement en 2004,
22:12 qui a été économiquement tout à fait positif.
22:15 Tous les pays ont gagné par cet élargissement.
22:17 En revanche, politiquement, c'était plus compliqué.
22:20 Mais il y avait une raison éthique en 2004,
22:22 c'est-à-dire qu'on ne pouvait pas punir une deuxième fois
22:24 les pays qui avaient été exclus après la Deuxième Guerre mondiale
22:28 par le découpage du fait qu'ils se sont tombés du mauvais côté du rideau de fer
22:34 après la Deuxième Guerre.
22:36 Pour l'élargissement d'aujourd'hui, qui s'étendrait à la Géorgie,
22:39 à l'Ukraine, aux Balkans, à la Moldavie, c'est en effet plus compliqué.
22:43 Et là, la raison invoquée est une raison de stabilité stratégique.
22:49 C'est-à-dire qu'on ne peut pas laisser des zones grises
22:51 tomber sous l'influence de pays de puissance qui nous seraient hostiles.
22:56 Mais c'est extrêmement compliqué et c'est un problème.
22:59 Mais je salue l'émotion de cet auditeur.
23:02 Je trouve ça très émouvant de considérer que la politique européenne
23:08 est un sujet d'émotion à ce point.
23:11 Et on aurait encore beaucoup de choses à dire.
23:12 Merci beaucoup à tous les deux.
23:13 Marion Vendredi-Terghem, je rappelle le titre de votre livre,
23:15 "Le piège Nord Stream" aux éditions Les Arènes.
23:18 Thomas Négaroff, deux podcasts, "Europe, Anatomie d'une Utopie"
23:22 et "Israël, Palestine, Anatomie d'un Conflit" sur France Inter.
23:26 Ce dernier est d'ailleurs sorti en livre aussi aux éditions des Arènes.
23:30 Et vous serez sur scène Thomas du 29 juin au 21 juillet.
23:34 Tous les soirs sauf le lundi à Avignon pendant le festival.

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