"Un monde, un regard" avec Marc Lévy : Une rencontre passionnante

  • il y a 5 mois
Le 26 avril 2024, l'émission "Un monde, un regard" sur Public Sénat a eu le privilège de recevoir Marc Lévy, l'un des auteurs français les plus lus au monde.

Au cours de cet entretien captivant, Rebecca Fitoussi a retracé le parcours de cet homme discret et pudique, qui est devenu un véritable phénomène littéraire.

De ses débuts accidentels dans l'écriture à son succès international, Marc Lévy a évoqué ses sources d'inspiration, ses réflexions sur le monde et son rapport à la critique.

L'auteur n'a pas hésité à se confier sur ses doutes et ses fragilités, révélant ainsi une personnalité attachante et authentique.

L'émission a également été l'occasion de découvrir des anecdotes inédites sur la vie et l'œuvre de Marc Lévy, ainsi que ses projets en cours.

Les téléspectateurs ont été touchés par la sincérité et l'humilité de cet homme talentueux, qui a su conquérir le cœur de millions de lecteurs à travers le monde.

"Un monde, un regard" a offert un portrait intime et poignant de Marc Lévy, un auteur hors du commun qui continue de nous émerveiller avec ses histoires extraordinaires.

Voici quelques points clés abordés lors de l'émission :

Le parcours atypique de Marc Lévy : De sa formation d'ingénieur à son succès fulgurant dans le monde littéraire, Marc Lévy a emprunté un chemin inattendu.
Ses sources d'inspiration : Le quotidien, les voyages, les rencontres et les émotions humaines nourrissent l'imagination fertile de Marc Lévy.
Son rapport à la critique : L'auteur assume son statut d'écrivain populaire et ne se laisse pas influencer par les critiques négatives.
Ses engagements : Marc Lévy est impliqué dans plusieurs causes humanitaires et utilise sa notoriété pour faire avancer des combats qui lui tiennent à cœur.
Ses projets en cours : L'auteur travaille actuellement sur plusieurs nouveaux romans et envisage également de se lancer dans d'autres formes d'expression artistique.

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00:00 *Musique*
00:22 Notre invité est un écrivain dont vous connaissez les histoires mais pas l'histoire, pas son histoire à lui, intime, profonde, son parcours atypique, sa relation au monde.
00:33 Vous ne la connaissez pas parce que derrière les 50 millions de livres vendus, derrière l'auteur français le plus mu au monde, il y a un homme pudique, devenu conteur par accident,
00:43 qui aime écouter les autres et qui aime surtout décrire leurs sentiments et leurs aventures. Écrire c'est coucher sur le papier ce qu'on n'arrive pas à dire à voix haute, dit-il.
00:52 C'est sûrement pour cela qu'il prend peu la parole et que c'est une chance de la voir avec nous aujourd'hui.
00:57 Cela vous paraîtra surprenant mais sa vie d'écrivain c'est d'abord celle d'un travailleur acharné, seul, en ermite, en hibernation dans une caverne, dit-il.
01:06 Un auteur dont on dit un peu vite qu'il est celui des bons sentiments, des fins heureuses. Pourtant il est aussi un témoin anxieux et vigilant de l'époque et de ses menaces.
01:16 Chaque sortie de livre est d'ailleurs pour lui un saut dans le vide. Mon nouveau manuscrit plaira-t-il cette fois ? Mon public va-t-il me suivre dans les virages que je prends ?
01:25 Vais-je décevoir ? Est-ce qu'il se les pose toutes ces questions ? Et bien demandons-lui. Bienvenue dans un monde à regard, bienvenue Marc Lévy.
01:32 Merci d'avoir accepté notre invitation ici au Dôme Tournant au Sénat. Vous publiez un livre par an et j'ai lu que vous trembliez à chaque sortie de livre. Est-ce que c'est vrai et de quoi avez-vous peur ?
01:44 C'est vrai, à peu près, tous les 15 mois. Comme n'importe quel chanteur ou acteur qui entre en scène, il y a le track.
01:58 Le track de quoi ?
01:59 Le track des rencontres, le track des émissions, le track de l'exposition. Et puis évidemment, ça représente des nuits et des nuits et des nuits de travail. Il y a quand même un attachement.
02:17 À l'œuvre ?
02:19 J'imagine qu'un cuisinier qui a cuisiné pendant des heures et des heures avec amour, au moment où son plat entre en salle, il a le track. Il a le track de savoir si les gens vont prendre du plaisir, si les gens vont aimer.
02:31 Votre rencontre avec l'écriture et le succès a été… J'ai parlé d'accident, parce que l'histoire est quand même assez incroyable. En fait, ça arrive à un moment où vous êtes père célibataire, vous racontez des histoires à votre enfant, à votre fils tous les soirs.
02:43 Vous écrivez deux heures le soir et vous apprenez par cœur l'histoire pour sembler naturel le lendemain. Et puis un jour, votre fils a environ neuf ans et puis il vous fait sentir que la télé, c'est peut-être plus intéressant que les histoires de papa.
02:54 Sauf que vous, ça vous frustre et vous continuez d'écrire, toujours pour lui, toujours en pensant à lui. Et c'est comme ça que va naître votre premier roman.
03:03 Et si c'était vrai, publié en 2000 chez Robert Laffont, plus de 3 millions d'exemplaires vendus, traduits en 44 langues, repérés avant même sa sortie par Steven Spielberg, qui vous appelle pour vous proposer une adaptation.
03:16 Même un scénariste hollywoodien n'aurait pas pu imaginer cette histoire. Même vous, sous votre plume, une histoire pareille n'aurait pas pu voir le jour. C'est incroyable.
03:24 Oui, c'était une succession de chances assez incroyable. D'ailleurs, je dois avouer que j'avais moi-même du mal à y croire. J'ai mis longtemps à y croire.
03:36 Mais bon, c'était merveilleux. Ça m'a apporté beaucoup de joie, vraiment. Énormément de joie. Ça a changé évidemment le cours de ma vie.
03:51 Et surtout, j'avais 40 ans quand ça m'est arrivé. J'ai compris ce que je vais chercher à faire depuis toujours.
04:03 Je me suis découvert sur le tard, quoique la quarantaine, aujourd'hui, ça me paraît être un âge très jeune.
04:11 Mais j'ai su, en écrivant le deuxième, que c'était ça dont j'avais rêvé toute ma vie.
04:19 Et quand Spielberg vous appelle, vous réagissez comment ? Vous y croyez ?
04:23 J'aurais eu une nature à ne pas y croire. Mais comme ça se passait dans le bureau de mon éditeur, et qu'il y avait d'abord un rendez-vous avec...
04:34 Je dis ça en toute modéité, mais avant, on avait rendez-vous avec Julia Roberts au téléphone, qui voulait jouer dans le film.
04:44 On avait rendez-vous avec l'équipe de Working Title, donc il y avait une succession de rendez-vous.
04:49 Ce à quoi je ne m'attendais pas. Je savais qu'on avait rendez-vous avec DreamWorks, je ne savais pas que c'était Spielberg qui allait me parler au téléphone.
04:55 Mais j'ai reconnu sa voix tout de suite, et c'était incroyable. C'était un moment...
05:03 Suivrons plus de 20 romans, un par an environ, vous l'avez dit, depuis 2000.
05:08 Certains plus personnels que d'autres, je ne vais évidemment pas tous les citer, juste quelques-uns.
05:12 "Mes Amis, Mes Amours", "Les Enfants de la Liberté", "Le Voleur d'Ombre", "Ghost in Love", plus récemment "Noah", "Éteignez tout et la vie s'allume", "La Symphonie des Monstres".
05:20 Est-ce qu'il y a un point commun à tous ces livres, une ligne directrice ?
05:24 C'est drôle que vous disiez ça, parce que oui, il y a un point commun.
05:30 Que ce soit une comédie, un policier, un thriller politique ou un roman historique, comme ça a été le cas avec "Les Enfants de la Liberté",
05:40 ce qui est le plus important pour moi, c'est la mise en relief de l'humanité des personnages.
05:46 Qu'est-ce qui fait qu'à un moment donné de sa vie, je fais référence à un film qui ne date pas d'hier, mais qui a compté beaucoup pour moi,
05:54 qu'est-ce qui fait qu'on devient Jean Moulin ou Lacombe Lucien ? Qu'est-ce qui fait qu'on résiste à la haine ?
06:00 Qu'est-ce qui fait qu'on reste gardien de cette parcelle d'humanité qui nous est confiée ?
06:06 Et c'est valable dans les grands moments, mais aussi dans les tout petits moments de la vie.
06:10 Qu'est-ce qui fait que quand quelqu'un se fait agresser dans le métro, on se lève, on a faim de ne pas entendre.
06:21 Et si on a faim de ne pas entendre, comment on vit avec ça ?
06:26 Ce qui m'a toujours intéressé, c'est d'aller à la rencontre de personnages ordinaires,
06:32 et de les mettre dans une situation qui pour eux est extraordinaire, et de voir la façon dont ils vont évoluer.
06:42 Et de par l'humanité des personnages, et l'attachement qu'on va avoir aux personnages,
06:47 de faire passer le lecteur de la position de jugement à celle de la compréhension et du ressenti.
06:55 Dans vos derniers livres, vous avez quand même pris un virage,
06:58 et vous l'avez un petit peu dit, que vos lecteurs auraient pu ne pas prendre avec vous, vous y parlez géopolitique.
07:03 Dans "La Symphonie des Monstres", vous parlez d'un aspect assez peu traité du conflit entre la Russie et l'Ukraine,
07:08 ce sont les rafles d'enfants par les Russes, des rafles dont le but est de rééduquer des très jeunes Ukrainiens,
07:14 après les avoir arrachés à leur famille, et d'en faire des citoyens russes totalement désukranisés.
07:20 C'est l'état du monde qui vous inspire ce virage, vous l'avez dit, politique, dans vos ouvrages, dans vos livres ?
07:29 C'est une inquiétude ?
07:32 Je ne crois pas que l'époque soit plus terrible qu'elle ne l'était en 1937 ou en 1938,
07:39 et chaque siècle a connu ses années de barbarie.
07:45 Je crois résolument au fait que les forces du mal avancent quand les forces du bien restent immobiles.
07:53 Et quand j'entends aujourd'hui le discours de certaines personnalités politiques,
07:59 voire même de certaines personnes qui ont été érigées en tant qu'intellectuelles,
08:04 et quand je vois leur lâcheté, je retrouve et j'entends les mêmes lâchetés que celles qui étaient dites par certains intellectuels français,
08:22 les mêmes égoïsmes, et donc cette même vision à court terme sur l'avenir.
08:26 Vous pensez à qui ? Vous pensez à quoi ?
08:28 J'entendais hier Michel Onfray dans une émission, et j'étais consterné par son propos.
08:35 Parce que c'est vraiment un homme qui se sert de son intelligence, et il y a un manque de courage,
08:42 il y a un manque de lucidité, et d'ailleurs il en est tellement conscient de sa propre lâcheté
08:47 qu'il fait des parallèles douteux sur les causes de l'intervention américaine,
08:53 sur les raisons de l'intervention américaine, il est tout à fait lucide, mais il a quand même cette lâcheté.
09:03 Et je trouve ça consternant parce que le discours des souverainistes se mélange au discours de l'extrême-très-Union-Droite,
09:17 de cet égoïsme et de cet isolationnisme.
09:24 D'un repli sur soi, vous voulez dire ?
09:27 Oui, mais c'est simplement... L'égoïsme en politique, ou l'égoïsme intellectuelle,
09:34 c'est le fait de ne considérer que le temps de sa propre vie, et pas du tout celui de ceux qui vont venir.
09:40 Moi je pense qu'à mes enfants, ma vie elle est en grande partie derrière moi,
09:45 et quand bien même, ceux qui sont rentrés dans la résistance pendant la deuxième guerre mondiale,
09:54 et qui avaient 18, 19, 20 ans, pendant que des Onfray et d'autres tenaient des propos,
10:00 pourquoi est-ce qu'on irait entrer en guerre contre l'Allemagne ? Pour aller contre l'Autriche ?
10:05 Pourquoi l'Europe ? Ce sont les mêmes qui ensuite allaient manger au Bombeur,
10:11 ou aller faire leur course au Bombeur.
10:13 Et puis il y en avait d'autres qui étaient dans le maquis, et qui se faisaient arrêter,
10:17 torturer, déporter, mais qui se sont battus pour qu'aujourd'hui, Onfray soit à la télévision.
10:24 Et cette courte mémoire... Je suis quelqu'un d'une nature très calme,
10:30 mais c'est probablement la seule chose qui me met en colère.
10:34 Parce que, comment vous dire, on n'a pas le droit de...
10:38 Je ne comprends pas quel est le sens de la vie de quelqu'un qui se sert de son pouvoir,
10:44 de son argent, de sa notoriété, pour décourager les autres de se battre pour la liberté.
10:50 Ça, je ne comprends pas.
10:51 – Est-ce que vous pensez qu'avec vos romans, vous pouvez faire bouger les lignes ?
10:55 Je vous pose la question parce que vous avez dit un jour,
10:57 je me dis que si des écrivains populaires avaient raconté ce qu'était le nazisme dès 1933,
11:01 certains allemands auraient pu voir les choses différemment.
11:04 – Mais évidemment ! Et pas les miens, hein.
11:07 – Oui, vous, en tant que représentant des écrivains populaires.
11:10 – Mais tous, évidemment ! Qu'est-ce qui fait que...
11:15 Je disais ça hier à Lyon dans une rencontre avec des lecteurs.
11:19 Quand j'avais 18 ans, je suis entré à la Croix-Rouge.
11:21 Je travaillais dans une équipe de désincarcération routière.
11:24 Il y avait à l'époque 17 000 morts sur les routes de France.
11:28 Nous, on savait ce que c'était, quelqu'un qui meurt incarcéré dans une voiture.
11:35 On savait ce que c'était que de retrouver une petite fille sectionnée en deux,
11:39 parce qu'elle avait été expulsée par la fenêtre parce qu'elle n'avait pas de ceinture.
11:42 On savait ce que c'était que de voir des gens qui se mettaient à hurler de douleur
11:46 parce qu'il fallait leur annoncer que quelqu'un était mort.
11:48 Mais il y avait des tas de Michel Onfray à la télévision
11:51 qui allaient vous expliquer que rendre la porte de la ceinture obligatoire,
11:54 c'était une atteinte aux libertés fondamentales.
11:56 Et puis un jour, il y avait un photographe qui a eu une idée de génie.
11:59 Il a demandé la collaboration d'une ville entière,
12:02 et 15 000 personnes se sont allongées dans la rue.
12:04 Et il y a eu cette fameuse photo avec marqué "Ca, c'est le bilan des morts sur la route".
12:08 Et tout à coup, ça a été un choc dans la société française.
12:10 Pourquoi je vous fais ce parallèle ?
12:12 Parce que la surenchère de l'actualité fait que l'actualité, aujourd'hui,
12:17 elle est totalement déshumanisée, elle n'est pas incarnée.
12:20 Quand je vous dis aujourd'hui "les Russes ont bombardé telle ville d'Ukraine
12:26 et il y a eu neuf morts",
12:29 ça vous fait moins de choses que si je vous dis
12:32 "il y a un gros orage qui va tomber sur Paris ou sur Lyon à midi".
12:35 Mais si vous lisez un livre et que vous lisez l'histoire d'un de ces personnages,
12:40 ou de son entourage, alors à chaque fois que vous allez entendre
12:44 qu'il y a eu un bombardement, cette histoire, elle sera incarnée
12:47 parce qu'elle va rentrer en vous.
12:48 Ça, c'est pas propre à mes romans.
12:50 - Donc l'écrivain humanise, vous voulez dire ?
12:52 - L'écrivain, le cinéaste...
12:54 - L'artiste, en fait.
12:56 - Oui, alors le mot "artiste", je sais pas si j'ai le talent d'être un artiste, mais...
13:02 À 14 ans, j'ai lu "Les raisins de la colère", ça a changé ma vie.
13:09 Et le nombre de livres...
13:13 À 23 ans ou à 24 ans, je venais d'être quitté par une fille
13:17 dont j'étais extrêmement amoureux.
13:19 Et donc j'étais malheureux comme les pierres,
13:21 et résolu à ne plus jamais aimer parce que ça faisait trop mal,
13:23 et que c'était complètement idiot, que ça servait à rien.
13:25 Et j'étais... Je dormais sur le canapé d'un copain,
13:30 et comme je dormais pas, j'ai pris un bouquin,
13:33 c'était "Clair de femme" de Romain Garry.
13:36 Et j'ai terminé le livre à 3h du matin,
13:39 et à 3h du matin, j'avais qu'une envie, c'était de retomber amoureux.
13:42 - C'est beau !
13:43 - Et c'est ça l'extraordinaire magie des livres.
13:47 - Vos livres, ceux que vous consacrez aux conflits russo-ukrainiens,
13:51 est-ce qu'ils sont traduits en ukrainien, en russe ?
13:54 Est-ce que vous savez comment c'est vécu,
13:56 perçu là-bas et notamment par votre lectorat russe,
13:58 qui je crois est assis dans un centre russe ?
14:00 - Alors c'est drôle que vous parliez de ça.
14:02 J'ai la chance d'avoir beaucoup de lecteurs en Russie.
14:06 Et beaucoup de lecteurs russes aussi en dehors de Russie.
14:09 J'ai fait beaucoup de tournées en Russie,
14:11 et des rencontres dans pas mal de librairies.
14:14 Mon éditeur russe, qui est aujourd'hui en exil,
14:17 avait réussi à publier le précédent "Noah".
14:20 J'ai été déjà très étonné, parce que comme dans "Noah",
14:23 c'est un roman qui raconte la chute du dictateur biélorusse,
14:27 mais que j'avais appelé "Luchine",
14:29 parce que c'était un mélange de Loukachenko et de Poutine.
14:32 Et c'est un roman dans lequel je racontais
14:34 que la guerre en Ukraine allait arriver.
14:37 Mais il avait réussi à le publier.
14:39 Ce qui était incroyable.
14:40 Là, quand il a reçu le manuscrit de la symphonie...
14:42 - Il a dit non. Ça va pas être possible.
14:44 - Il a dit "on peut pas".
14:46 Déjà, lui, il vit en exil.
14:48 Et on a pris la décision de le publier gratuitement sur Internet.
14:53 Dans cette même ligne d'esprit,
14:56 c'est qu'il faut faire une distinction
14:58 entre la Russie de Poutine et la Russie.
15:00 - Et les Russes.
15:02 - Et les Russes.
15:03 Comme il fallait faire une distinction entre les Allemands et les Nazis.
15:05 - La critique littéraire n'a jamais été tendre avec vos oeuvres,
15:08 mais ça semble glisser sur vous.
15:10 Vous répondez avec beaucoup de sérénité.
15:12 Je dis aux critiques, rassurez-vous,
15:14 je n'ai jamais pensé que j'avais inventé le vaccin contre le cancer.
15:16 Je n'ai jamais prétendu être Camus.
15:18 Nous sommes quelques écrivains dits populaires,
15:20 souvent agressés par les écrivains dits littéraires.
15:22 La pire des choses que l'on puisse faire,
15:24 c'est de redonner goût à la lecture,
15:26 ce qui n'est pas très grave.
15:27 Il y a une forme de snobisme dans ce monde littéraire.
15:31 - Écoutez, il y a des trucs tellement plus graves dans le monde
15:34 que je n'ai jamais été dans une...
15:36 Je ne me suis jamais senti victime.
15:38 Surtout que ce n'est plus vrai maintenant.
15:41 - C'est en train de changer ?
15:43 - Oui, ça a beaucoup changé depuis dix ans.
15:45 - Depuis dix ans ? Pourquoi, d'après vous ?
15:47 - Je les ai eus à l'usure.
15:49 Non.
15:50 Mais vous savez, je vais vous dire pourquoi.
15:52 Et là aussi, il faut voir ça avec beaucoup d'humilité.
15:56 À force de travail.
16:00 Ce qui crée la jalousie et l'agacement,
16:04 c'est le succès qui arrive trop tôt.
16:07 À part quelques cas d'école,
16:09 même la critique a beaucoup changé.
16:11 Pas seulement à mon égard.
16:13 Elle a changé parce que finalement,
16:16 c'est le public qui a gagné.
16:19 C'est le public qui a fait évoluer la critique.
16:21 Alors, vous avez toujours à Paris un petit milieu littéraire
16:23 qui est un entre-soi ultra conservateur et très...
16:27 Bon, mais c'est pas grave.
16:30 - Ça glisse sur vous.
16:31 - Non, non, non, mais je veux dire, c'est très bien.
16:33 À la rigueur, c'est représentatif d'un petit noyau du livre.
16:40 Et puis, il y en a d'autres qui ont trouvé d'autres moyens de vivre.
16:42 On n'a plus cette concentration,
16:45 comment vous dire, d'influence, voyez,
16:48 par un tout petit noyau très élitiste.
16:52 Et la critique, au sens large du terme,
16:56 elle a fini par rencontrer le public.
17:00 Et elle a fini non pas par s'intéresser
17:02 à ce qu'elle estimait être ou ne pas être,
17:05 elle s'est vraiment intéressée à ce que le public aime.
17:08 Et ça, je crois, ça a contribué énormément
17:13 à se rapprocher pour perpétuer l'envie de lire.
17:18 - Vous n'étiez pas du tout parti pour être écrivain,
17:21 vous rêviez d'être médecin.
17:22 Ça a même été une souffrance de ne pas pouvoir le devenir,
17:25 ni les moyens intellectuels, ni les moyens financiers, dites-vous.
17:28 En revanche, vous grandissez dans un univers
17:30 où l'écriture et la lecture sont omniprésentes,
17:32 de même que le cinéma et la musique.
17:34 Chez vous, on connaissait par cœur les dialogues des films de Claude Sauter,
17:37 on écoutait du Barbara, du Léo Ferré, du Brassens, du Brel.
17:40 Vous avez vraiment baigné dans la culture.
17:42 Et en lisant ça, je me suis dit qu'en fait,
17:44 l'accident de votre vie, c'était plutôt d'avoir fait des études
17:46 de gestion et d'informatique, parce qu'en fait, vous êtes...
17:48 - Je ne peux pas faire... - On est d'accord ?
17:50 - Oui, mais c'est drôle que vous disiez ça,
17:52 parce que c'est... Je crois que c'est aussi...
17:56 C'est peut-être aussi le fruit des angoisses de mes propres parents, vous voyez ?
18:02 - C'est-à-dire ?
18:04 - Parce que c'était un milieu...
18:06 - Votre père était éditeur ? - Mon père était éditeur,
18:08 et puis comme vous le disiez, tout l'entourage de mes parents,
18:11 c'était des acteurs qui se voyaient plus, d'ailleurs, comme des saltimbans,
18:15 parce qu'il y avait beaucoup de modestie et beaucoup d'humilité dans tout ça,
18:18 et beaucoup d'envie de joie de vivre et de rire et de déconnade,
18:22 et le seul interdit était celui de se prendre au sérieux.
18:26 Mais en même temps, pour chacun, de faire extrêmement sérieusement son métier.
18:31 Il y avait un profond amour du travail, et bref...
18:38 Et je sais pas...
18:41 - Est-ce que vous êtes devenu chef d'entreprise ?
18:43 Vous vous êtes lancé dans un univers...
18:45 - Plus créateur que chef, parce que j'ai jamais été un très bon chef,
18:47 mais...
18:49 Mais d'ailleurs, j'ai été chef d'entreprise parce que c'était un prétexte pour moi
18:53 pour voyager, pour parcourir le monde, et pour découvrir d'autres cultures.
18:58 - À l'allure de celui que vous êtes aujourd'hui,
19:00 quel conseil donneriez-vous aux petits garçons, aux jeunes hommes
19:03 qui s'apprêtent à se lancer dans la vie ?
19:05 Qu'est-ce que vous lui diriez ?
19:07 - D'en profiter, parce que ça va passer très vite.
19:15 Non mais vraiment, si...
19:18 Les regrets, les remords...
19:20 J'ai toujours l'impression, dans ce rapport justement,
19:25 de la responsabilisation, du travail,
19:28 de pas en profiter assez.
19:32 - J'ai un document à vous proposer, Marc Lévy, c'est un...
19:37 Non, sans lunettes, c'est pas grave, je vais vous le décrire, vous inquiétez pas.
19:39 C'est un document délivré par nos partenaires, les archives nationales, quand même.
19:43 C'est écrit très gros, mais quand même.
19:45 - Il s'agit de la deuxième demande de naturalisation d'un certain Missak Manouchian,
19:49 document manuscrit qui date du 12 janvier 1940.
19:52 Sa première demande en 1933 avait été rejetée parce qu'il était au chômage.
19:55 Manouchian, je le rappelle pour les gens qui nous écoutent,
19:58 c'est une grande figure de la Résistance, survivant du génocide des Arméniens.
20:01 Il est entré au Panthéon le 21 février 2024,
20:04 et je vous en parle parce que votre père, Raymond Lévy,
20:06 fut aussi un grand résistant, engagé comme Manouchian
20:09 dans la Résistance, franc-tireur et partisan, main-d'oeuvre immigré.
20:12 Votre père, c'était Jeannot, et votre oncle, c'était petit Claude, c'est ça ?
20:16 Le jour de la panthéonisation de Manouchian,
20:18 vous avez trouvé que c'était une juste réparation de l'histoire ?
20:23 Vous avez pensé à votre père ?
20:25 - Oui, bien sûr, mais je sais que mon père aurait voulu
20:29 que je pense aux enfants d'Ukraine et aux enfants de demain.
20:32 Le symbole était magnifique, c'était magnifique que Manouchian...
20:41 - Vous êtes plus tourné vers l'avenir que vers le passé ?
20:43 - C'est-à-dire que vous allez dans la même journée,
20:45 Manouchian entre au Panthéon, c'est magnifique,
20:48 le symbole est merveilleux, mais au même moment,
20:51 la Russie perpétue des crimes de guerre épouvantables en Ukraine,
20:56 la situation dans la bande de Gaza est terrifiante,
21:00 donc, comment vous dire...
21:02 "Leur", vous savez cette expression, "leur État",
21:06 leur État a sauvé le monde.
21:09 - Ce sont les résistants d'aujourd'hui qui vous intéressent plus que ceux d'hier ?
21:12 - Bien sûr, et en même temps, je...
21:14 Je descends de l'un d'eux.
21:18 C'est tout ce que je crois que mon père m'a transmis,
21:23 c'est de déporter son centre de gravité de son ombrile vers les autres,
21:27 et que c'était la condition du parfait équilibre.
21:30 Parce que sinon, vous voyez, ça vous pèse dessus...
21:33 Il était bien mon boupe ?
21:35 - Parfait !
21:36 - Je l'avais répété.
21:37 Et donc, c'est ça...
21:39 - Oui, parce que c'est un très grand résistant, votre père.
21:41 Sauf que vous l'apprenez relativement tard,
21:43 vous comprenez relativement tard ce qu'il se passe.
21:45 Le jour où il est décoré, d'ailleurs.
21:47 - Je l'apprends le jour où il est décoré, 20 ans après les faits.
21:50 Et d'ailleurs, je me souviens toujours,
21:52 pour moi, l'image la plus marquante de cette décoration,
21:55 donc on est à Toulouse,
21:57 et c'est Charles Ernu qui décore les survivants de la 35ème,
22:01 et papa n'a jamais parlé de ça avant, quoi.
22:03 Donc je suis là, enfin, moi je suis ici
22:05 parce que ma mère m'a appelé la veille en me disant
22:07 "il faudrait que tu viennes avec nous à Toulouse demain"
22:09 et elle était restée très mystérieuse.
22:11 Et donc...
22:13 Je me marre aujourd'hui, je me dis à quel point mes parents étaient fous.
22:17 Quand je dis fous, c'est avec amour, vous entendez bien.
22:20 - Bien sûr.
22:21 - Mais le moment le plus marquant, c'est...
22:24 Donc Ernu...
22:26 Donc ils étaient comme ça une quinzaine sur les strades,
22:28 et Charles Ernu accroche les médailles.
22:30 - Ministre de la Défense, en fait.
22:32 - Après un discours absolument... Lui qui était bouleversant.
22:34 Bref, que j'ai reproduit d'ailleurs dans "Les enfants de la liberté"
22:37 parce que c'était un discours magnifique,
22:39 et...
22:40 Papa est descendu de l'estrade,
22:43 et il a immédiatement enlevé sa médaille, il l'a rangée dans sa poche.
22:45 - Pourquoi ? Par humilité ?
22:47 - Oui, parce que...
22:49 - Vous supportez pas les décorations ?
22:50 - Non.
22:51 Mais je lui ai demandé...
22:53 Et d'ailleurs ça va faire le lien avec la question que vous m'avez posée
22:58 par rapport à Manouchian.
23:02 Quand on est rentrés de Toulouse,
23:04 j'ai demandé à mon père, je lui ai dit "mais pourquoi tu m'as jamais dit ?"
23:06 Et mon père, avec son petit sourire en com, a dit "te dire quoi ?"
23:10 Et je lui ai dit "ben écoutez, moi quand j'étais à l'école,
23:13 j'aurais aimé savoir que mon père avait été un héros."
23:15 Et il m'a dit "ah, je t'arrête tout de suite.
23:17 On n'a pas du tout été des héros. On a fait ce qu'il fallait faire."
23:20 Parce qu'il n'y avait pas d'autre chose à faire que ce qu'on a fait.
23:23 Il n'y avait pas d'autre choix.
23:25 Et...
23:26 Quand j'ai écrit "Les enfants de la liberté",
23:28 des années après, j'ai rencontré les survivants
23:31 de la 35ème brigade.
23:32 Et ils avaient tous cet état d'esprit-là.
23:34 On a fait ce que nous devions faire.
23:36 Et c'est peut-être pour ça que ma réaction tout à l'heure
23:40 sur la lâcheté de certains propos,
23:45 elle est plus emportée qu'elle ne devrait l'être.
23:48 En tout cas, c'est comme ça que je la vis.
23:50 Et un jour, mon père m'a dit cette phrase
23:52 qui a probablement conditionné toute mon écriture
23:56 et tout mon parcours de vie.
23:58 "Tu sais, la victoire, on l'a obtenue très longtemps après la guerre."
24:03 Et je lui ai demandé pourquoi,
24:05 parce que mathématiquement, ça ne collait pas.
24:07 Il m'a répondu parce que, tu vois,
24:09 ils nous ont interdit de vivre,
24:12 ils nous ont dépossédé de notre identité,
24:14 ils nous ont arrêtés, ils nous ont torturés,
24:16 ils nous ont assassinés.
24:18 Mais pour tous ceux qui ont survécu,
24:20 on a travaillé, on s'est mariés,
24:23 on a eu des enfants.
24:24 - On a aimé. - Et on a aimé.
24:26 Et jamais ils n'ont pu nous prendre notre humanité.
24:29 Et c'est pour ça que...
24:31 Comment vous dire ?
24:33 La vraie réponse à votre question,
24:35 au moment où Manouchian entre au Panthéon,
24:39 pour moi, ce que ça représente,
24:41 c'est l'espoir que ceux qui le regardent entrer
24:45 comprennent l'importance
24:47 de protéger les résistants d'aujourd'hui.
24:49 Voilà.
24:50 - J'ai des photos à vous proposer maintenant, Marc Lévy.
24:53 Alors on ressort les lunettes.
24:54 (musique)
24:58 Vous allez tout de suite voir de quoi il s'agit,
25:00 alors de qui il s'agit.
25:01 Là, je vous présente Rikudan,
25:03 peut-être que vous la connaissez,
25:04 les lauréates du prix littéraire japonais
25:06 le plus prestigieux du pays.
25:07 C'est l'équivalent de notre Goncourt.
25:09 Et pendant la cérémonie,
25:10 elle a admis avec beaucoup de naturel et de simplicité
25:12 qu'elle avait utilisé Chachipiti
25:14 pour écrire une partie de son roman.
25:16 5% des lignes de son roman
25:18 viennent de l'intelligence artificielle.
25:20 Est-ce que ça vous choque ?
25:21 Est-ce que ça vous intrigue ?
25:22 Est-ce que ça vous inquiète ?
25:23 (silence)
25:28 Non.
25:29 Enfin, est-ce que ça me choque ?
25:32 Vous dites 5% ?
25:34 Oui, 5% de son livre.
25:35 Oh, 5%.
25:37 La vraie gueule...
25:38 Non, mais ce qui sera intéressant,
25:40 c'est de savoir si les 5%
25:42 pondus par l'intelligence artificielle
25:44 font partie des 5 meilleurs pourcents de son bouquin,
25:47 ou des 5 plus mauvais,
25:51 ou surtout, comment vous dire...
25:55 à quel dessin ?
25:57 Parce que, comment vous dire...
26:00 Est-ce qu'elle aurait pu le faire elle-même ?
26:02 Est-ce que ça lui a fait gagner du temps ?
26:04 Est-ce que...
26:06 Enfin, vous n'y aurez pas l'idée, à vous,
26:08 d'utiliser l'intelligence artificielle.
26:10 Non, parce que...
26:12 (silence)
26:14 Moi, je n'arrive même pas à sous-traiter mes recherches.
26:16 Une deuxième photo ?
26:17 Allez.
26:18 Allez.
26:19 C'est une manifestation pour le droit à l'avortement
26:20 aux États-Unis,
26:21 votre pays d'adoption.
26:23 Depuis juin 2022,
26:24 une quinzaine d'États supplémentaires
26:26 ont interdit l'IVG sur le territoire.
26:27 Dans d'autres États, il est très sérieusement menacé.
26:30 Comment le franco-américain que vous êtes
26:33 voit ce virage que prennent les États-Unis aujourd'hui ?
26:36 C'est très instructif.
26:38 Ce qui se passe aux États-Unis,
26:40 c'est une très grande entreprise
26:43 de reprise du contrôle sur les libertés des femmes.
26:46 Ça va bien au-delà...
26:48 Il ne faut pas du tout croire.
26:50 Il y a ce qu'on va dire, les pro-life.
26:53 Les pro-life, particulièrement aux États-Unis,
26:56 sont d'une hypocrisie flagrante
26:58 parce qu'ils se battent
27:01 comme des hystériques pour défendre
27:03 le droit à la vie d'enfants qui ne sont pas nés,
27:05 mais une fois qu'ils sont nés,
27:06 pour légiférer sur le port d'armes
27:08 et sur la sécurité des enfants,
27:10 ils n'ont rien à foutre des enfants qui sont nés.
27:11 Donc ça, c'est...
27:13 C'est un combat des ultraconservateurs
27:17 pour contrôler les droits et les libertés des femmes.
27:20 Et ça n'est rien d'autre.
27:21 Et c'est une croisade qui est menée.
27:23 - Mais il fait toujours bon vivre aux États-Unis ?
27:25 Ou vous envisagez un retour en France ?
27:27 - Alors, moi, je crois que c'est quand...
27:30 Vous savez, au moment où on parlait beaucoup en France
27:33 de l'arrivée du Front National,
27:35 j'ai entendu beaucoup d'artistes dire
27:37 "Si elle est élue, moi, je m'en vais."
27:39 Moi, je crois que c'est quand les choses vont mal
27:42 qu'il faut rester résisté.
27:44 - Marc Lévy, j'ai une dernière question
27:45 qui est en lien avec le lieu dans lequel nous sommes.
27:47 Nous sommes entourés de quatre statues
27:49 qui représentent chacune une vertu.
27:50 Il n'y a pas la résistance, mais il y a la sagesse,
27:52 la prudence, la justice et l'éloquence.
27:55 Laquelle de ces vertus vous parle le plus ?
27:57 - La justice.
27:58 - La justice.
27:59 C'est votre mot.
28:01 - Oui, oui, la justice.
28:03 C'est ce qu'il y a de plus important.
28:05 Enfin, je sais pas...
28:07 Ce que je ne supporte pas, c'est l'injustice.
28:12 C'est quelque chose qui me...
28:16 Oui, oui, qui est très douloureux.
28:20 Et même l'injustice faite aux autres,
28:23 je peux pas la supporter.
28:25 - Ce sera votre mot, votre vertu à vous.
28:26 La justice.
28:27 Merci, Marc Lévy, d'avoir accepté notre invitation,
28:29 d'avoir été avec nous aujourd'hui au Sénat et au Dôme-Tournon.
28:31 Merci beaucoup, on a été ravis.
28:32 Et merci à vous de nous avoir suivis,
28:34 comme chaque semaine, émission à retrouver en podcast.
28:36 Vous le savez maintenant.
28:37 À très bientôt, merci.
28:39 (indicatif musical)
28:42 Sous-titrage Société Radio-Canada
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