A 8h20, le réalisateur américain Francis Ford Coppola est l'invité du Grand Entretien. Son dernier film "Megalopolis" est présenté en compétition officielle au Festival de Cannes. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-we-du-vendredi-17-mai-2024-3128228
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00:00 Le cinéma à l'honneur ce matin, dans une quinzaine de minutes, bilan d'étape du Festival de Cannes.
00:06 Nous serons en duplex avec Laurent Delmas et Marie-Lou Duponchel des Unrock.
00:11 Vos questions sur le cinéma, votre consommation, comme on dit, du cinéma aujourd'hui, chers auditeurs.
00:17 A-t-elle changé au 0145 24 7000 ou sur l'application France Inter ?
00:22 Mais d'abord, un invité exceptionnel, en exclusivité sur Inter, le parrain du cinéma, un vrai monstre sacré, Francis Ford Coppola.
00:32 Un homme et un rêve, enfin devenu réalité.
00:36 Cela fait maintenant 40 ans que Coppola prépare son grand projet, Mégalopolis, en compétition officielle au 77ème Festival de Cannes.
00:45 Un film de science-fiction, mais plus que ça, une œuvre totale, épique, politique, puisqu'il y est largement question d'utopie.
00:54 Mégalopolis, c'est la transposition de la Rome antique dans le New York d'aujourd'hui.
00:59 Le lieu s'appelle New Rome et c'est là que se joue un conflit majeur entre César et un maire conservateur, Cicéron.
01:08 César rêve d'un avenir plus juste, Cicéron veut que rien ne change.
01:13 Francis Ford Coppola continue d'interroger, d'explorer les mythes américains.
01:18 Et nous avons eu la chance de le rencontrer à Cannes, juste avant la traditionnelle montée des marches et le triomphe qu'il attendait au Palais des Festivals.
01:27 Et nous sommes ici à l'hôtel Carleton, sur la croisette, Francis Ford Coppola, bonjour.
01:32 Bonjour.
01:33 C'est très intimidant de vous rencontrer, merci infiniment d'être au micro de France Inter.
01:38 Votre présence à Cannes avec Mégalopolis, c'est l'événement de ce festival.
01:42 Vous avez deux palmes d'or à votre actif, vous avez été président du jury, vous nous avez manqué, est-ce que Cannes vous avait manqué ?
01:50 La plupart de vos merveilleux compliments ont pour raison le fait que je suis maintenant vieux.
01:57 J'ai fait beaucoup de choses dans ma vie, j'ai 85 ans aujourd'hui.
02:01 Et je reviens à Cannes avec un film qui est essentiel pour moi.
02:06 Ça ressemble beaucoup à ma venue à Cannes avec Apocalypse Now.
02:12 Ce nouveau film, lui aussi, ne ressemble vraiment à aucun autre.
02:18 C'est un film de Francis Ford Coppola, donc il ne ressemble à aucun autre.
02:23 La comparaison ne s'arrête pas là, parce que dans Mégalopolis, il y a la transposition de la Rome antique, d'un moment très fort, la conjuration de Cattilina.
02:34 Et dans Apocalypse Now, vous avez transposé Conrad dans la jungle vietnamienne.
02:40 C'est l'un des points de passage, ou en tout cas l'un des points de comparaison entre les deux films ?
02:45 C'est vrai que les deux films sont inspirés par l'histoire.
02:52 Apocalypse Now est adapté du grand roman de Joseph Conrad, Au cœur de la ténèbre.
02:59 Mais Mégalopolis est, lui, inspiré par de très nombreux livres que j'ai lus, parce que je suis un grand lecteur et que je suis vieux.
03:11 Et donc, le film n'est pas tiré d'une source unique.
03:16 Vous avez raison, c'est la conjuration de Cattilina, le célèbre conflit dans la Rome antique entre Cattilina et Cicéron.
03:27 J'ai eu envie d'adapter ça dans un New York contemporain. J'ai eu envie que Cicéron en soit le maire.
03:34 Et Cattilina, une sorte de mélange entre un architecte et un urbaniste très important à New York nommé Robert Moses,
03:43 qui avait un grand pouvoir sur l'administration de la ville.
03:48 J'ai puiser dans beaucoup d'histoires vraies new-yorkaises et dans beaucoup de faits historiques.
03:54 Quoi de commun, malgré tout, entre la Rome républicaine, tout ce qui entoure cette conspiration, et le New York d'aujourd'hui, et l'empire américain d'aujourd'hui ?
04:05 On sait bien que l'Amérique a été construite par des puritains venus en Amérique depuis l'Angleterre.
04:15 Et au sortir de la révolution américaine, ils n'ont pas voulu se doter d'un roi.
04:22 Ils se demandaient du roi George III et ils n'en voulaient plus.
04:25 Rome a fondé sa république également pour éviter d'avoir un roi.
04:29 Le roi tarquin l'ancien était assez exécrable.
04:33 On trouve donc une similarité dès les fondements, entre la république romaine et l'Amérique moderne.
04:41 De plus, de nombreux colons, parmi les plus éduqués, avaient étudié le latin.
04:49 Ils connaissaient la conjugation de Catalina, la rivalité entre Cicéron et Catalina, ils connaissaient Jules César.
05:00 En imaginant cette colonie nouvelle, ils ont repris les lois romaines.
05:06 Beaucoup d'expressions dans le droit américain sont d'élocution latine.
05:11 Abia Scorpus, Pro Bono, tout ça vient du droit romain. Ils ont repris beaucoup d'usages et de traditions de la république romaine.
05:20 L'ironie de la chose, c'est que ce qui est arrivé à Rome, l'effondrement de la république, suivi par une nouvelle période gouvernée par un empereur ou un roi,
05:33 semble se passer en Amérique de nos jours. C'est une analogie qui est complètement d'actualité entre la république de Rome et l'Amérique moderne.
05:44 Et c'est impossible de ne pas y penser justement, à cette analogie avec l'Amérique très contemporaine.
05:51 Dans Mégalopolis, parmi les spectateurs, il y a deux camps.
05:55 Il y a ceux qui pensent qu'il y a l'idéaliste en vous qui s'est exprimé, et il y a les autres qui voient un empire en train de mourir. Qui a raison ?
06:04 Mais quand vous dites empire, qu'est-ce que vous voulez dire ? Pourquoi il y a-t-il des empires ?
06:14 Qui donc s'est saisi de la planète Terre, qui est un don divin, pour la diviser ?
06:21 De quel droit des gens se disent propriétaires de la planète ? Je vois que maintenant on se partage la mer.
06:27 On peut s'acheter un bout de mer, un bout d'espace.
06:33 Il faut qu'on se débarrasse de cette pensée archaïque usée, pour admettre que nous sommes tous la famille humaine, et que cette Terre est notre maison.
06:44 Notre responsabilité est de protéger toutes ces formes de vie, et de protéger la planète elle-même, et de nous protéger les uns les autres, comme une famille.
06:54 Ça c'est de la pensée moderne.
06:56 Il nous faut admettre que nous sommes une famille de créatures douées de génie.
07:03 Chaque nouveau-né, chaque nouveau-né humain, est un Mozart en devenir, un Archimède en devenir, un Galilée, un nouvel Einstein.
07:15 Quand on voit dans le monde le nombre d'enfants tués, c'est pire qu'un péché, c'est un excès de folie.
07:25 Notre espèce humaine doit retrouver ses esprits, et se rendre compte de notre véritable nature.
07:31 Accepter que nous sommes des êtres supérieurs, que cette Terre est sublime, et que nous avons le devoir de la préserver pour les générations futures.
07:39 Quand on voit Mégalopolis, il y a l'histoire du film qui est arrivé ici à Cannes avant même qu'on puisse voir le film.
07:48 300 versions du scénario, 40 ans de préparation, de maturation.
07:54 Quel regard portez-vous sur ce film maintenant qui va être regardé par tout le monde ?
07:58 Vous savez, c'est drôle. Les gens sont étranges quand ils envisagent la vie d'un réalisateur de film.
08:06 Ils se disent "sa vie consiste à faire un film tous les ans".
08:09 Mais moi, il y a 20 ans, j'ai réalisé mon dernier film professionnel.
08:15 C'est l'idéaliste, d'après John Grisham.
08:19 Après ça, j'ai passé mon temps à étudier, à vivre, à réfléchir, à faire mon travail personnel.
08:29 Les gens disaient "ah, il n'a pas fait de film depuis 20 ans".
08:33 Comme si c'était mal.
08:36 Pour moi, la vie, ce n'est pas que le cinéma.
08:39 Il y a l'étude, la compréhension, la réflexion, l'amour pour sa famille, l'amour de notre Terre.
08:50 Je n'ai pas fait de film pendant 20 ans, pas parce que ça m'était impossible, mais parce que je l'avais choisi.
08:58 À la place, je me suis lancé dans des expérimentations.
09:02 Alors on a dit "son dernier film, c'est un petit truc idiot".
09:05 Oui, j'avais envie de m'amuser.
09:09 Aujourd'hui, j'ai décidé qu'il était temps d'y revenir.
09:15 Je deviens assez âgé pour ne pas savoir le temps qu'il me reste, même si j'ai la santé, ma mémoire est bonne, j'ai de l'énergie.
09:26 Mais j'ai senti qu'il était temps d'essayer.
09:30 Bien sûr, le milieu du cinéma n'est plus...
09:35 Disons que le business du cinéma est devenu un business.
09:39 Ça ne devrait pas s'appeler le business du cinéma.
09:42 Ça devrait s'appeler "pour la beauté de l'art".
09:47 Moi, je crois que tout le monde sur Terre a reçu un don, un talent.
09:51 Pas forcément celui qu'il désire, mais un talent.
09:53 Et on est tous dans l'obligation d'exercer ce don.
09:57 C'est ce que j'essaie de faire.
10:00 Il était temps pour moi de tenter de faire ce film. Je l'ai fait.
10:05 Et je l'ai fait en bonne collaboration. J'ai beaucoup aimé les comédiens.
10:09 Ils sont tous merveilleux dans le travail.
10:12 Les monteurs, les caméramans, les décorateurs, tous ces gens avec lesquels on travaille sur un film.
10:22 Ça a été une vraie collaboration. On a fait ce film ensemble.
10:26 Alors, quelque part, c'est inhabituel.
10:30 Ce n'est pas un film que je peux définir facilement.
10:33 Ce n'est pas comme ci, il n'est pas comme ça.
10:36 Ce que j'espère, c'est qu'il soit nouveau.
10:41 Je pense qu'il n'est jamais ennuyeux.
10:44 Je pense que ses acteurs sont fantastiques.
10:49 Je crois que les gens sortent du film en ayant envie de le revoir.
10:54 Il est vraiment riche. J'espère que les gens y retourneront.
10:58 C'est vraiment comme Apocalypse Now. Les gens vont revoir Apocalypse Now 40 ans après.
11:03 Et on parle aussi de la façon dont ça a été fabriqué.
11:05 Quelle leçon de liberté, Francis Ford Coppola ?
11:08 Quelle leçon de liberté justement par rapport au studio, d'être aussi indépendant,
11:14 d'avoir pu prendre sur vos deniers personnels pour tout investir ?
11:20 Est-ce qu'il y a un côté joueur chez vous ?
11:22 Non, mais en fait, je m'en fiche.
11:25 La seule chose qui m'importe, c'est que ce soit un film à l'avenir
11:31 que les gens auront envie de voir chaque année pour le réveillon.
11:37 Vous savez, chaque année, on fait des bonnes résolutions.
11:40 On décide qu'on va arrêter de fumer. On arrête de trop manger.
11:44 On va perdre du poids.
11:48 Moi, je veux que les gens voient ce film et se demandent
11:53 est-ce que la société dans laquelle nous vivons est la seule qui soit vraiment possible ?
11:59 Ou peut-on pas l'améliorer ?
12:01 Si ils se disent ça, ils l'amélioreront.
12:04 Et ça, c'est mon rêve. Ce serait l'ultime récompense.
12:06 Plus que l'argent, les médailles, plus que tout.
12:11 Que les gens se parlent et travaillent à améliorer la vie humaine.
12:17 Et la société à apporter le bonheur à l'humanité.
12:23 "Time stop" !
12:26 "Time stop", c'est une phrase de votre film, Megalopolis.
12:29 Mais vous savez, les gens savent bien que n'importe quel artiste peut arrêter le temps.
12:36 Que fait un peintre avec son tableau ? Il arrête le temps.
12:39 Que fait un danseur qui bouge dans un espace ?
12:43 L'art est une manipulation du temps.
12:46 C'est le don qu'ont tous les artistes.
12:49 Et c'est ça que ça veut dire. C'est une métaphore dans le film.
12:53 Les artistes manipulent le temps.
12:57 Et vous, vous êtes le maître du temps. En tout cas, le maître du cinéma.
13:00 Merci infiniment, Francis Ford Coppola, d'avoir été l'invité de France Inter.
13:04 Merci beaucoup.
13:06 Bon festival !