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Thibault Hénocque reçoit Didier Martin, député Renaissance de la Côte-d'Or sur le projet de loi "fin de vie".

Le débat sur la fin de vie dépasse les clivages politiques traditionnels car il concerne à la fois l'intime et l'universel, l'individu et la civilisation. Alors, quand la politique se penche sur des notions aussi fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité, comment faire la loi ? Faut-il autoriser l'aide à mourir ?
A l'occasion de l'examen de la loi sur l'aide à mourir qui s'ouvre à l'Assemblée nationale le 27 mai prochain, La politique et moi donne la parole dans 10 émissions spéciales, présentées par Clément Méric et Thibault Hénocque, à 10 députés qui ont décidé de défendre leurs convictions sur ce sujet.

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Transcription
00:00 Quand la politique se penche sur des notions aussi fondamentales que la vie et la mort,
00:05 la souffrance et la dignité, comment faire la loi ?
00:07 Dans le cadre des débats sur la fin de vie et l'instauration d'une aide à mourir,
00:11 nous recevons les députés en première ligne sur ce sujet.
00:14 Aujourd'hui, Didier Martin, député Renaissance de la Côte d'Or.
00:18 (Générique)
00:33 Bonjour Didier Martin.
00:34 Bonjour.
00:35 Alors vous êtes l'un des rapporteurs de ce projet de loi sur la fin de vie,
00:38 rapporteur du titre 1 pour être précis, qui prévoit un développement des soins palliatifs.
00:43 Vous êtes aussi médecin et neuroradiologue.
00:45 On verra quel rôle a joué ce parcours dans la formation de vos convictions sur ce sujet.
00:50 Vous êtes favorable à l'aide à mourir, sujet sur lequel vous avez évolué.
00:54 On va y revenir.
00:56 Pour commencer, je voudrais vous montrer deux visages.
00:58 Le premier est celui d'Alain Coque.
01:00 Le second, celui de Chantal Sébir, deux cas médiatisés de malades
01:05 ayant demandé en vain l'euthanasie en France.
01:08 Ils avaient un point commun avec vous.
01:10 Ils vivaient à Dijon, dont vous êtes le député, et vous avez exercé longuement à l'hôpital.
01:15 Quel rôle ont joué ces deux histoires pour vous ?
01:18 - Alors, tout d'abord, c'était Chantal Sébir,
01:21 qui était atteinte d'une maladie grave de la face qui déformait son visage et qui la faisait souffrir,
01:27 et qui ne voulait pas aller à l'hôpital pour s'allonger sur un lit
01:31 et recevoir des anthalgiques majeures pour s'endormir.
01:35 Et à l'époque, son médecin traitant, qui la suivait,
01:40 a essayé de la suivre jusqu'au bout, mais elle a voulu rester chez elle.
01:45 Elle n'a pas voulu aller à l'hôpital.
01:47 Et puis Alain Koch, lui, était gravement malade,
01:51 dans une maladie évolutive polypathologique, comme nous disons,
01:55 et lui, il s'est rendu en Suisse pour bénéficier d'une aide active à mourir.
01:59 - Ce sont des histoires qui ont compté dans votre prise de conscience de ces sujets ?
02:04 - Bien entendu. Ce ne sont pas les seules.
02:07 Moi, en tant que médecin, j'étais en face de différentes situations,
02:12 à tous les âges de la vie, les enfants, les adultes de tous les âges aussi,
02:18 avec le cancer, j'ai travaillé en centre anti-cancéreux,
02:21 et puis après j'ai fait ma carrière en neurologie,
02:23 où là, ce sont les maladies neuro-évolutives auxquelles j'étais confronté.
02:28 Donc j'ai eu une certaine...
02:29 Bien que radiologue, j'ai côtoyé ces malades en situation de fin de vie.
02:33 - Alors vous avez été médecin hospitalier jusqu'en 2017,
02:36 année où vous êtes devenu député.
02:38 En tant que médecin, est-ce que vous auriez imaginé un jour porter une loi sur l'aide à mourir ?
02:44 Je crois qu'à l'époque, votre vision était assez différente.
02:47 - Sincèrement, je ne pouvais pas l'imaginer.
02:49 Je ne pouvais pas d'ailleurs imaginer que je serais un jour député.
02:52 Et évidemment, ma formation, mon éducation médicale ne m'a pas préparé.
02:58 En radiologie, on n'était pas préparé à cela du tout.
03:01 Et d'autre part, il y a un principe de respecter la vie
03:07 dans le serment d'Hippocrate et de ne jamais donner délibérément la mort.
03:11 Donc j'ai évolué par rapport à ces principes de base.
03:15 J'ai aussi appris en tant que député l'évolution de l'histoire des droits des patients,
03:20 qui est une évolution qui s'est accélérée dans le dernier quart de siècle,
03:25 où effectivement, débouchant sur cette loi Claes Leonetti de 2016,
03:31 j'étais rapporteur d'une mission d'évaluation et là je me suis complètement immergé dans le sujet.
03:35 - Alors c'est en 2017 que vous devenez député,
03:38 et au cours de cette première législature, pour vous,
03:40 vous avez une première fois à vous prononcer sur ces questions de fin de vie,
03:43 puisqu'une proposition de loi avait été portée à l'époque pour légaliser l'aide à mourir.
03:48 Elle n'avait pas été adoptée.
03:49 Je vous propose d'écouter ce que vous disiez à ce moment-là.
03:51 - À ce moment assez solennel, où l'émotion traverse l'hémicycle,
03:59 où les convictions aussi s'expriment,
04:01 nous sommes dans ce dilemme classique entre une éthique de conviction et une éthique de responsabilité.
04:08 Moi, je rejoins l'avis de M. le ministre,
04:12 qui a posé comme préalable la nécessaire évaluation de la loi Claes Leonetti.
04:19 C'est cette évaluation qu'il nous faut pratiquer
04:23 et avoir bien conscience des enjeux et des possibles risques et dérives avant de légiférer.
04:28 - On entend que vous êtes finalement assez prudent.
04:30 Vous défendez la loi Claes Leonetti de 2016,
04:33 qui ouvre la possibilité d'une sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès,
04:37 mais qui exclut l'aide à mourir.
04:39 Vous vous abstenez sur la proposition de loi, alors en débat. Pourquoi ?
04:43 - Alors, à l'époque, pour recontextualiser,
04:47 cette proposition de loi, elle vient dans une niche parlementaire,
04:50 portée par un collègue de la majorité,
04:53 mais qui, à mon avis, ne me donnait pas personnellement satisfaction,
04:58 parce que nous n'avons pas suivi, à cette occasion,
05:02 la démarche d'une loi bioéthique traditionnelle.
05:04 La France s'est dotée d'un moyen particulier
05:07 pour légiférer sur ces questions de bioéthique,
05:10 concernant la reproduction, la naissance, la fin de vie,
05:13 et ce n'était pas la démarche suivie.
05:15 - Est-ce que, sur le fond, à cette époque, vos convictions ne sont pas encore arrêtées ?
05:19 - Mes convictions sur le sujet sont prudentes.
05:21 Je reconnais la nécessaire progression des droits des patients,
05:26 d'entendre leurs demandes,
05:28 mais je reste attaché à des soins curatifs,
05:31 à des soins d'accompagnement, des soins palliatifs,
05:33 tout au long de la vie, quand la maladie grave survient.
05:36 - Alors, vous dites qu'il faut évaluer la loi Claslownity,
05:38 c'est ce que vous choisissez de faire,
05:39 vous vous engagez plus avant sur ces questions,
05:41 vous êtes co-rapporteur de la mission d'information de l'Assemblée,
05:44 chargé de l'évaluer, et cette loi,
05:45 c'est cela qui va faire évoluer votre réflexion ?
05:49 - Oui, bien sûr, parce que, déjà, nous constatons la difficulté
05:52 de savoir précisément comment cette sédation est mise en oeuvre.
05:57 Nous n'avons pas de chiffres très précis,
05:59 nous n'avons pas d'indices sur la qualité des soins apportés
06:04 à ce moment-là, ce qui est d'ailleurs un peu frustrant
06:07 pour des évaluateurs, et puis, il nous apparaît très clairement
06:12 que certaines situations très particulières,
06:15 très exceptionnelles, ne trouvent pas de solution
06:18 à travers la sédation profonde et continue.
06:20 - Alors, prenant conscience de ces situations,
06:22 vous devenez officiellement, on va dire,
06:24 partisan de l'aide à mourir,
06:25 vous justifiez notamment sa nécessité par le besoin
06:28 de faire sortir l'euthanasie de l'illégalité.
06:31 Ça veut dire qu'aujourd'hui, elle existe déjà en France,
06:33 cette pratique de l'euthanasie ?
06:34 - Il faut le reconnaître, elle existe depuis très longtemps.
06:39 Il y avait autrefois ce qu'on appelait les cocktails litiques,
06:42 qui étaient une association de médicaments
06:45 pour endormir définitivement les patients
06:47 en quelques heures, en quelques jours.
06:49 Et puis, ces soignants qui agissaient en concertation,
06:54 dans une démarche également collégiale,
06:56 ce n'était pas un geste individuel,
06:59 ces soignants se trouvaient dans une situation illicite, illégale,
07:04 parce que non protégés par la loi.
07:05 La sédation, on est protégés par la loi,
07:07 mais si on doit faire une sédation accélérée,
07:10 voire rapide, on n'est pas protégés par la loi.
07:12 Et dans certaines situations, je pense que,
07:16 on va revenir à les conditions pour l'aide active à mourir,
07:19 pour l'aide à mourir.
07:20 Ces conditions doivent être précises, bien cadrées,
07:23 et là, il faut un nouveau texte.
07:25 - Pour autant, Didier Martin, on entend vos convictions,
07:28 mais le corps médical est encore divisé aujourd'hui sur ces questions.
07:32 Vous faisiez tout à l'heure référence au serment d'Hippocrate.
07:35 Il dit notamment "je ferai tout pour soulager les souffrants,
07:39 je ne prolongerai pas abusivement les agonies",
07:41 mais il dit aussi "je ne provoquerai jamais délibérément la mort".
07:45 Alors, ce serment, vous l'avez prêté,
07:47 que dites-vous face à ces apparentes contradictions ?
07:49 - Alors, je dis que le serment d'Hippocrate,
07:53 il a une valeur très symbolique, très fort, un engagement moral,
07:57 mais il a aussi évolué dans le temps.
07:58 Souvenez-vous, avec la légalisation de l'interruption volontaire
08:02 de grossesse, il a fallu également modifier le serment d'Hippocrate.
08:06 Donc, c'est un serment qui évolue dans le temps
08:08 en fonction des lois de la République
08:11 dont nous débattons et que nous votons.
08:13 - C'est à la loi de la République de décider,
08:16 et pas une éthique médicale aussi importante, soit-elle ?
08:19 - C'est à la loi de la République de fixer le cadre
08:22 et c'est à l'équipe soignante, au médecin avec son éthique,
08:26 de l'appliquer au mieux en fonction des situations qu'il rencontre.
08:30 - Alors, la nouvelle loi qui prévoit cette aide à mourir
08:32 est composée de deux parties.
08:34 La seconde qui ouvre cette possibilité
08:36 est la première qui porte sur une extension
08:38 et un accompagnement plus fort en soins palliatifs.
08:41 Le fait que ces deux aspects soient liés dans une même loi
08:44 est critiqué par certains.
08:45 Au contraire, il y a une logique ?
08:47 - Oui, tout à fait.
08:48 Je pense que, d'ailleurs, la ministre, madame Vautrin, l'a dit,
08:52 nous allons mettre en oeuvre,
08:54 le gouvernement va mettre en oeuvre un plan décennal
08:58 pour renforcer les soins palliatifs,
09:00 pour installer ces soins d'accompagnement
09:02 bien en amont de la période des quelques derniers jours
09:05 de la fin de vie,
09:06 et cette démarche, elle est logique
09:08 pour ensuite être confrontée à des situations
09:11 où, effectivement, devant un patient qui le demande,
09:15 qui a son discernement, qui exprime clairement sa volonté,
09:18 qui est atteint d'une maladie incurable
09:21 et qui présente une souffrance réfractaire
09:23 qu'on ne peut pas soulager,
09:24 on peut entendre sa demande d'aide à mourir.
09:26 - Il n'y a pas de rupture entre les soins palliatifs
09:29 et l'aide à mourir,
09:30 entre le laisser mourir et le faire mourir ?
09:32 - Je ne pense pas qu'il faut dire "faire mourir",
09:35 il faut dire, précisément, répondre à la demande
09:39 d'un patient en fin de vie qui souffre
09:42 et dont la situation répond au cadre que la loi fixera.
09:47 - À propos des soins palliatifs,
09:49 la Cour des comptes estime que 50% seulement
09:51 des besoins palliatifs sont aujourd'hui couverts en France.
09:54 Le texte du gouvernement prévoit une montée en puissance sur 10 ans.
09:59 Est-ce qu'on n'introduit pas cependant un déséquilibre ?
10:01 Parce qu'on dit que l'aide à mourir doit rester l'exception
10:05 et les soins palliatifs devront être la norme.
10:08 Mais en même temps, on ouvre l'aide à mourir dès aujourd'hui
10:11 et on renvoie une grande partie des moyens à plus tard.
10:14 Est-ce qu'on n'a pas fait les choses dans le mauvais ordre ?
10:17 - Je ne crois pas.
10:18 Je ne crois pas parce que, d'abord,
10:20 les unités de soins palliatifs sont complétées
10:23 par des équipes mobiles de soins palliatifs.
10:25 Il y a dans les services de médecine,
10:26 dans les services de chirurgie,
10:28 tout un travail qui est fait pour accompagner
10:30 les personnes en fin de vie.
10:31 Il y a l'hospitalisation à domicile.
10:33 Donc, il ne faut pas réduire la situation des personnes en fin de vie
10:37 à ceux qui sont en unité de soins palliatifs.
10:41 Il y a beaucoup plus de décès de patients en France aujourd'hui
10:46 que de lits ouverts en soins palliatifs,
10:48 mais ça ne veut pas dire qu'on les abandonne à leur sort.
10:50 Pour revenir à votre question,
10:52 est-ce qu'on n'a pas fait les choses à l'envers ?
10:54 Non, je ne crois pas.
10:56 Je crois qu'il faut faire simultanément les deux choses,
10:59 c'est-à-dire qu'après tous ces débats citoyens,
11:02 après les auditions que nous avons conduites,
11:04 je crois que nous sommes mûrs, nous sommes prêts,
11:07 pour débattre et légiférer,
11:09 et en même temps, le gouvernement va mettre en oeuvre
11:12 ce plan décennal pour les soins d'accompagnement
11:15 et les soins palliatifs.
11:16 Pour finir, je voudrais entendre votre avis sur un mot.
11:19 Certains des partisans de l'Aide à mourir
11:20 disent qu'il doit s'agir d'un droit, qu'il s'agit d'une liberté.
11:24 Vous, vous préférez parler de possibilité. Pourquoi ?
11:28 Je crois que si on prend le terme de droit,
11:32 vient un peu en écho qu'il doit y avoir une obligation
11:36 de répondre à ce droit.
11:37 En quelque sorte, que ce droit serait opposable
11:40 à qui que ce soit, un soignant, une tierce personne,
11:44 à partir du moment où l'individu le demanderait,
11:46 cette aide à mourir.
11:47 Donc le droit ne correspond pas à un droit tel que...
11:51 Un droit opposable ne correspond pas à ces situations, je pense.
11:54 Est-ce que ça veut dire aussi que pour vous,
11:55 cette loi doit être la dernière,
11:57 qu'il ne faudra pas aller plus loin dans l'avenir ?
12:00 Nul ne sait ce que sera l'avenir.
12:03 Aujourd'hui, nous constatons qu'il faut répondre à certaines situations.
12:08 Nous voulons, avec ce texte, ce projet de loi,
12:11 ouvrir une possibilité, n'est-ce pas ?
12:14 C'est pas forcément une liberté dans l'absolu non plus,
12:18 c'est une liberté de s'exprimer de la part du patient,
12:22 de faire cette demande, dans la mesure où il ne subit pas
12:25 de pression extérieure, que ce soit ses proches,
12:28 que ce soit la société, les plus vulnérables en général,
12:31 et que ce patient est parfaitement informé
12:34 de ce que l'on ne peut plus faire pour lui,
12:38 ni pour apaiser ses douleurs,
12:39 ni pour, je dirais, adoucir ses derniers jours,
12:44 et donc cette possibilité de répondre à la demande du patient.
12:47 Merci, Didier Martin, d'avoir été notre invité.
12:50 (Générique)
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