Lundi 13 mai 2024, SMART BOURSE reçoit Pierre-Yves Dugua (Correspondant américain)
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 (Générique)
00:04 Pierre-Yves Dugas avec nous, notre correspondant américain chaque lundi pour passer en revue quelques éléments importants de l'actualité américaine
00:13 du côté de l'économie, du côté de la politique également. Bonjour et bienvenue Pierre-Yves.
00:17 Merci beaucoup d'être avec nous. L'économie cette semaine ce sera la publication de l'inflation aux Etats-Unis pour le mois d'avril, le fameux CPI.
00:27 On a derrière nous trois publications sur les trois mois précédents qui ont été plutôt des déceptions dans le sens où l'inflation a montré une forme de résurgence.
00:36 Elle a été ressortie au-delà des attentes des analystes et des observateurs. Que peut-on attendre de cette publication et ce rapport d'inflation qui sera publié ce mercredi pour le mois d'avril, Pierre-Yves ?
00:48 J'ai beaucoup aimé Grégoire la manière dont Laurie Logan, présidente de la réserve fédérale de Dallas, a présenté les choses sur cette mauvaise surprise de trois mois consécutifs de CPI à +0,4.
01:07 Elle a dit que s'il y a un élément saisonnier qui intervient pour expliquer cette performance excessive de l'inflation, très bien.
01:20 Ça veut dire que les choses vont se calmer en avril-mai-juin. Mais ça veut dire aussi que la désinflation spectaculaire observée en 2023 était probablement surestimée.
01:30 On ne peut pas gagner sur les deux tableaux. S'il y a un événement saisonnier, c'est que dans le rétroviseur, on avait probablement exagéré la bonne nouvelle.
01:40 Il faudrait qu'on fasse en dessous de 0,4. Je rappelle quelques chiffres. Bien évidemment, 2 % à peu près, c'est l'objectif de moyen terme de retour de l'inflation de la banque centrale américaine.
01:52 Mais on a quand même, au cours des 12 derniers mois, 5,3 % d'inflation dans les services aux États-Unis. On est très loin de 2 %.
02:02 Les services représentent 57 % du CPI, de l'indice des prix à la consommation, dans une économie américaine où les services représentent plus de 70 %.
02:13 Alors est-ce qu'on est dans un plateau de désinflation après avoir eu une belle performance de désinflation en 2023 ou est-ce que c'est le début de quelque chose de plus compliqué ?
02:26 Alors se pose la question quand on décortique ce qu'il y a derrière ces indices. L'énorme éléphant au milieu de la salle à manger, qui est l'estimation du coût du logement.
02:38 C'est un tiers du CPI. Ce n'est qu'un sixième de l'autre indice de mesure de l'inflation, celui qui est, semble-t-il, l'indice préféré par la réserve fédérale,
02:50 l'indice des prix des dépenses personnelles de consommation. Un tiers. Alors la théorie, c'est quoi ? La théorie, les circonstances atténuantes,
02:59 l'excuse donnée par la presse américaine, qui est très pro-Biden, c'est de dire non, non, vous allez voir, on accorde une importance excessive au coût du logement dans le CPI.
03:15 Les choses vont se normaliser parce que les nouveaux contrats de location, les nouveaux baux qui sont négociés, sont négociés avec des taux de progression bien plus lents.
03:26 Il faut que tout ça se répercute. Alors c'est vrai, ça fait un an et demi qu'on nous annonce que ça va se répercuter. Et pour l'instant, oui, les loyers se calment,
03:37 mais ils ne se calment pas aussi vite et ne se calment pas autant que prévu. Alors qu'est-ce qui se passe ? Alors on vient d'en parler. Il y a l'immigration.
03:47 Tous ces nouveaux immigrants, qu'ils soient légaux ou non, sont en âge de travailler et, quoiqu'on dise Donald Trump, viennent plutôt pour travailler.
03:58 Ils ont besoin de se loger et comme ils n'accèdent pas à la propriété dès les premières semaines, ils ont besoin d'accès au logement locatif.
04:07 La demande de logement locatif a progressé bien plus que prévu au cours des trois dernières années. Premier point. Deuxième point, l'énorme augmentation des taux hypothécaires,
04:19 en particulier des taux à 30 ans, fait que les primo-accédants, plus que jamais, sont écartés du marché. Donc ils restent dans leur logement locatif.
04:27 Ils ne le libèrent pas et ceux qui forment de nouveaux ménages cherchent eux aussi à louer. Donc la demande de location est plus élevée que prévu.
04:38 Et puis il y a les vieux, comme votre serviteur, qui constatent que, bien qu'ils aient une hypothèque à 20 ans, à taux fixe, la mensualité qu'ils doivent payer
04:52 à leur banque tous les mois a considérablement augmenté depuis deux ans. Comment cela est-il possible ? Alors il faut savoir qu'aux États-Unis, la plupart des propriétaires
05:04 de logements, comme moi, font un versement mensuel qui comprend les intérêts, le principal, mais aussi, mensualisé, l'assurance et la taxe foncière.
05:19 Et tout ça fait un seul versement mensuel. Si vous avez emprunté, comme moi, à taux fixe, vous n'avez pas à vous inquiéter. Les montants du principal et de l'intérêt
05:29 sont connus à l'avance pour toute la durée du prêt. En revanche, nous avons une explosion des coûts de l'assurance. Plus 15% en ce qui me concerne il y a deux ans,
05:41 plus 15% de nouveau l'année dernière. Et à cela s'ajoute une augmentation de la taxe foncière parce que, comme beaucoup de gens qui habitent dans des quartiers
05:51 à peu près corrects, les démocrates locaux sont persuadés qu'il faut faire exploser les taxes locales pour financer les pauvres. Et qu'est-ce qui se passe ?
06:00 Les classes moyennes qui habitent dans des quartiers corrects sont en fait soumises à une forme de taxation de leur patrimoine au niveau local, qui n'existe pas au niveau fédéral,
06:09 mais qui ressemble un petit peu d'un point de vue idéologique à ce que l'on veut pratiquer en France et à l'impôt sur la fortune. Et du coup, vous avez des tas de baby-boomers
06:19 qui ont vu s'envoler de 20-30% leurs déchéances mensuelles. Qu'est-ce qui se passe ? Un, ils vont consommer moins. Deux, ils sont de très mauvaise humeur.
06:28 Ça se ressent probablement dans leurs intentions de vote, surtout quand le président Biden, qui cherche à se faire élire, leur dit depuis un an et demi
06:38 « Ne vous inquiétez pas, l'économie va très bien, l'inflation ralentit ». Non, elle ne ralentit pas. Nous constatons quotidiennement que les prix augmentent de manière spectaculaire,
06:47 pas simplement sur les produits alimentaires, qui ne baissent pas, quoi qu'on en dise, mais qui augmentent spectaculairement sur des choses incontournables,
06:54 qui sont des points centraux de nos budgets mensuels, à savoir le logement. Donc ça, c'est un problème. C'est un problème qui se répercute sur la mesure de l'inflation,
07:04 sur la propension à consommer, sur l'humeur des Américains, et qui complique la manière dont la Réserve fédérale doit lire les anticipations inflationnistes.
07:13 Un dernier point, si je peux, Grégoire, sur les anticipations inflationnistes. Les sondages de la Réserve fédérale de New York nous ont montré il y a quelques jours
07:23 qu'elles progressaient légèrement. Ce n'est pas bon signe. Il y a six mois, il était très difficile de trouver un certificat de dépôt, c'est-à-dire de bloquer
07:34 de l'argent à la banque pendant six mois, un an ou deux ans, à plus de 2 ou 3 %. Maintenant, vous pouvez trouver un certificat de dépôt à 5,40, 5,50 sur 12 mois.
07:45 Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les marges des banques sont en train de baisser parce que pour rémunérer leurs déposants, ils sont obligés de payer plus,
07:54 ce qui explique les inquiétudes sur les valorisations borsières des banques. Mais ça veut dire aussi que les anticipations inflationnistes des épargnants ont augmenté
08:02 et qu'ils ne veulent plus se satisfaire d'un taux de rémunération de 2 % dans un environnement où l'inflation de leur vécu est nettement supérieure à 5 %.
08:15 On verra quelle place l'économie jouera-t-elle dans la campagne, ça il n'y a pas de doute, mais dans le résultat de l'élection présidentielle, en référence à
08:26 "It's the economy, stupid", un classique, est-ce qu'on en est toujours là ou est-ce que la part politique, géopolitique, va prendre de plus en plus d'importance ?
08:35 Il nous reste à peine une paire de minutes, Pierre-Yves, mais comment est-ce que vous voyez évoluer la relation entre États-Unis et Israël ?
08:43 Et comment est-ce que cette relation va avoir un impact dans la campagne présidentielle et quel est l'enjeu pour un Joe Biden aujourd'hui, notamment ?
08:51 Je crois que la communauté juive aux États-Unis, qui est extrêmement diverse et qui ne peut pas se résumer simplement à une intention de vote,
09:03 est absolument déchirée de voir ce qui se passe à Gaza et que l'unanimité du début octobre s'est considérablement délitée.
09:15 Joe Biden va probablement souffrir d'un moindre taux de participation de toute cette constituency, de tout cet élément, de ce socle dur de l'électorat démocrate,
09:30 qui est le vote juif américain. Dans l'ensemble, les Américains juifs votent démocrate. C'est une tradition qui remonte aux années 30.
09:40 Je ne les vois pas voter tout d'un coup pour Donald Trump, certains d'entre eux peut-être, mais je pense qu'au niveau de la participation,
09:48 et à cela s'ajoute chez les jeunes qui sont très mobilisés, notamment sur les campus universitaires, les intentions de vote des jeunes pour Joe Biden
09:59 seront affectées par la manière dont les États-Unis cherchent une voie moyenne de soutien à Israël, en particulier pour qu'Israël se défende contre l'Iran.
10:09 Mais qui ne peut plus accepter la manière dont Israël est en train d'écraser le Hamas et les populations civiles dans la bande de Gaza.
10:18 Le mouvement dans les campus, les manifestations dans les campus américains, c'est quelque chose qui va marquer cette élection jusqu'au moment du scrutin, Pierre-Yves ?
10:27 C'est quelque chose qui est exploité par les Républicains de manière assez malhonnête, mais de cette bonne guerre, on est en campagne électorale.
10:33 Parce qu'ils veulent faire le rapprochement avec 1968 et le soulèvement des Américains contre la guerre du Vietnam.
10:43 Il y a une énorme différence, bien évidemment par rapport à 1968, d'abord parce qu'il n'y a pas d'Américains qui combattent Gaza.
10:50 Ensuite, il n'y a pas de mobilisation, il n'y a pas de draft. Personne dans les campus universitaires ne craint d'être enrôlé de force sous les drapeaux pour aller combattre au Moyen-Orient.
11:02 Il y a une forte réaction émotionnelle de la part d'une jeunesse qui est fortement influencée par les valeurs qu'on leur enseigne dans les universités américaines.
11:15 Et qui sont des valeurs, on le sait, qui sont des valeurs très différentes de celles du lobby américain traditionnel qui soutient Israël, quoi qu'il arrive.
11:27 Et cette situation est compliquée. Les appels au boycott vont peut-être poser problème à certaines sociétés.
11:36 Je trouve qu'on n'en a pas beaucoup parlé en France. Il y a des sociétés françaises qui sont directement concernées par les appels au boycott,
11:42 qui sont proclamées sur le campus de Columbia, de Harvard et de MIT.
11:48 AXA, Carrefour, Orange en particulier, sont en première ligne accusés de travailler étroitement avec les autorités israéliennes.
11:57 Merci beaucoup Pierre-Yves. Merci pour votre éclairage hebdomadaire sur l'actualité économique et politique américaine.
12:03 Pierre-Yves Dugas, notre correspondant américain, quart d'heure américain que vous retrouvez évidemment en replay et en podcast.
12:09 [Musique]