Marie Portolano reçoit Vincent Vantighem, grand reporter et chroniqueur judiciaire, et Xavier Nogueras, avocat de Jawad Bendaoud. Comment défendre l'indéfendable ? Voilà la question à laquelle tente de répondre Vincent Vantighem dans son livre "Les défendre tous" paru aux éditions du rocher. Il y retrace ses rencontres avec dix avocats ayant plaidé en faveurs de criminels, violeurs, terroristes ou encore tueurs en série.
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00:00 Bonjour Vincent Vantinghen, bonjour Xavier Nogueras, merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui.
00:05 Vincent Vantinghen, dans votre livre vous avez rencontré
00:07 dix avocats qui ont défendu des criminels, des violeurs, des terroristes, des tueurs en série, pour répondre notamment à cette question "comment on défend l'indéfendable ?"
00:15 vous avez la réponse ?
00:18 Oui je pense que le livre rapporte une partie de la réponse et vous avez raison de dire
00:21 "comment on défend" et pas "pourquoi il faut défendre l'indéfendable" parce que pour moi cette question là ne se pose plus.
00:27 Et ce qui est intéressant c'est de voir effectivement comment tous ces avocats vont dépasser leur fonction d'avocat,
00:32 vont mettre en avant leur humanité, leur engagement pour essayer de trouver ce que j'essaye d'appeler une petite lueur, une étincelle
00:39 au delà des faits qui ont pu être commis par leurs clients qui sont parfois
00:42 horribles. Comment ça s'est passé pour choisir les avocats dont vous parlez, les histoires que vous traitez, comment vous avez choisi ?
00:48 Ça a été assez compliqué parce que
00:51 au final il y a dix avocats dont on raconte l'histoire dans ce livre, il y en avait plus au départ que j'avais sélectionné,
00:56 il était important pour moi d'avoir
00:58 des hommes et aussi des femmes parce que je trouve qu'on a de brillantes
01:01 avocates pénalistes en France dont on parle peut-être pas assez et je voulais les mettre en avant et puis je voulais
01:05 effectivement parler de criminels comme Michel Fourniret mais aussi d'autres dossiers, des dossiers
01:11 politico-financiers comme Patrick Balkany ou même Adrien Quatennens. Je voulais parler d'un dossier
01:15 qui moi m'a beaucoup touché qui est le dossier d'une personne intersexuée qui a été défendue et dont j'aborde la défense aussi
01:22 dans ce livre. Je voulais panacher un peu tout ça pour avoir quelque chose d'équilibré.
01:26 Xavier Nogueras, vous êtes avocat, vous avez défendu des criminels très médiatisés, on va y revenir évidemment.
01:32 Ma première question elle est simple, est-ce qu'on est obligé de croire à
01:36 l'innocence de son client pour le défendre ? Alors pas du tout.
01:42 Ça vous est déjà arrivé de savoir qu'il était coupable ou qu'elle était coupable ? Alors moi je refuse de savoir, c'est-à-dire qu'en fait
01:52 il y a un dossier, nous arrivons, il y a un dossier, il y a des forces
01:56 vives,
01:58 il y a les forces de poursuite, les forces de
02:00 l'instruction, de l'enquête et puis il y a les avocats qui sont là pour contrôler, pour vérifier
02:07 que les choses se font dans les règles du droit.
02:10 Il ne faut surtout pas, à mon sens, être pollué par la question de savoir
02:15 si des faits ont été commis ou pas. Ah oui donc ça vous pensez que c'est ce qu'il ne faut pas faire ?
02:20 C'est une conviction qui peut être la nôtre sur
02:22 sur la
02:25 réalité, la transparence des propos qui sont tenus par nos clients dans l'intimité des parloirs et
02:31 la volonté qui est la nôtre de poursuivre
02:34 la défense de ces individus si la personne que vous défendez se met à vous mentir.
02:39 Ça c'est une autre question.
02:41 Mais vous parlez dans votre livre, Vincent, de cas de conscience. Ça vous est déjà arrivé d'avoir ce cas de conscience-là, de savoir
02:47 qu'une personne est coupable, de se dire
02:49 qu'est-ce que je vais faire moi en tant qu'homme ?
02:51 Ça m'est déjà arrivé
02:55 mais c'est une question qu'il faut vite évacuer en réalité puisque il y a entre ce que nous pensons nous et ce que révèle
03:01 véritablement le dossier, il y a un monde parfois et la question n'est pas de
03:06 regarder le procès sous le prisme du résultat
03:09 mais de comment est-ce qu'on est parvenu à ce résultat dans le respect des règles.
03:14 Donc concrètement vous êtes en train de dire que vous auriez défendu n'importe qui, Hitler par exemple, vous auriez pu le défendre ?
03:19 Je pense que le travail de l'avocat c'est justement de pouvoir défendre tout le monde.
03:24 C'est très important ce que je vais dire, si vous
03:27 mettez des catégories et si vous dites que vous pouvez plus défendre un
03:31 terroriste qu'un pédophile c'est que vous mettez un jugement de valeur sur l'horreur.
03:35 Et en réalité vous ne défendez pas les actes, mais vous défendez les hommes
03:39 qui sont derrière ces actes et mieux les droits qui sont attachés à l'homme qui était derrière ces actes.
03:46 Qu'est-ce que vous avez envie de dire dans votre livre ?
03:49 Moi j'avais envie
03:50 déjà de rendre hommage au métier d'avocat parce que c'est un métier que j'observe depuis que je suis chroniqueur judiciaire depuis une dizaine d'années.
03:56 C'est un métier que je serais totalement incapable d'exercer et j'ai une forme d'admiration pour ce métier. Je voulais rendre hommage aussi parce que
04:02 les gens tels que Xavier Nogueras que j'ai pu rencontrer,
04:05 ils sont tous animés vraiment de cette humanité, ils vont au-delà
04:10 pour aller aider quelqu'un que la société honit d'une certaine manière et je trouve que c'est admirable.
04:15 Donc je voulais raconter aussi à cette relation humaine qui vient se tisser entre un avocat et son client,
04:21 au-delà des actes monstrueux qui ont pu être commis,
04:23 comment on fait pour parler à quelqu'un comme Michel Fourniret, comment on s'adresse à lui,
04:26 comment on rentre un petit peu en relation avec lui,
04:29 qu'est-ce qu'on peut lui dire pour tenter de l'accompagner.
04:33 Il y a une phrase qui est intéressante qui est prononcée par Fabienne Roin-Ancien, une avocate dans ce livre.
04:36 Sa cliente lui dit "j'ai pas besoin d'avocat, je suis pas défendable" et elle lui répond "à ce moment-là je vais vous accompagner".
04:42 Je trouve ça très joli.
04:44 Donc concrètement, il faut évidemment créer le lien avec la personne que vous défendez,
04:48 mais en gardant une distance quand même. Comment vous faites ?
04:50 Alors je voudrais juste revenir d'abord sur ce bouquin qui réussit un pari incroyable.
04:55 Ce bouquin raconte le procès de Jawad Ben Daoud, que j'ai eu l'honneur de défendre.
05:00 Et le challenge, le pari...
05:03 Alors vous dites quand même "l'honneur de défendre".
05:05 Oui, pour chaque personne que l'on défend, c'est toujours un honneur de les défendre.
05:09 C'est quand même un mot fort de dire "un honneur de défendre".
05:12 Absolument, parce que vous mettez de côté déjà ce qu'on lui repose.
05:15 Je rappelle quand même que Jawad Ben Daoud a été relaxé en première instance,
05:19 contre toute attente, et alors que la salle était remplie de contradicteurs,
05:24 des dizaines et des dizaines d'avocats de parties civiles, des dizaines de journalistes,
05:27 c'était le pré-procès du 13 novembre, et il a été relaxé.
05:30 La cour d'appel en aura décidé autrement plus tard,
05:33 mais c'est toujours un honneur de porter la voix de quelqu'un qui se défend.
05:37 Et il se trouve qu'aujourd'hui, il est inscrit dans le marbre que cet homme a été condamné,
05:43 mais il a été relaxé en première instance,
05:46 et ça reste un honneur pour moi de l'avoir défendu.
05:48 Je veux juste une chose, le pari qui réussit avec ce bouquin,
05:50 c'est de faire parler des avocats sur le récit de ces grands procès,
05:53 tout en préservant, et c'est très important,
05:56 l'intimité de la relation entre un avocat et son client,
05:58 qui relève, c'est véritablement sacralisé, qui relève du secret le plus profond.
06:03 Ça c'est le challenge de ce bouquin, pouvoir raconter ce que sont ces procès,
06:06 sans rentrer dans l'intimité qui nous lie en réalité à nos clients.
06:09 Je reviens sur Jawad Ben Daud, le logeur des terroristes du 13 novembre.
06:12 Vous dites que vous l'avez défendu parce qu'il vous faisait de la peine.
06:15 Est-ce que c'est une bonne raison pour défendre quelqu'un ?
06:18 Non, je ne l'ai pas défendu parce qu'il me faisait de la peine,
06:21 j'ai dit que j'ai ressenti beaucoup de peine lorsque ce matin du 17 novembre,
06:26 il apparaît à la télévision.
06:30 C'est drôle parce que ce n'est pas du tout le sentiment qu'il donne,
06:32 c'est-à-dire que tout le monde le trouve un peu prétentieux, un peu ridicule,
06:36 mais quand vous avez une machine à broyer,
06:38 vous avez tout le monde face à vous, il n'y a plus personne.
06:42 Il y a aussi ça qui nous anime dans le métier d'avocat,
06:45 c'est que parfois on est la dernière main tendue.
06:47 Et quand il n'y a plus personne,
06:49 et que vous êtes au fond d'une cellule à l'isolement,
06:53 il y a peut-être encore une main qui se tend vers vous,
06:55 c'est celle de votre avocat.
06:56 Vous êtes la dernière main tendue.
06:57 Merci à tous les deux, j'ai encore plein de questions à vous poser,
06:59 malheureusement on n'a pas le temps.
07:01 Je rappelle votre livre, Vincent Lantinghem,
07:03 "Les défendre tous", aux éditions du Rocher, actuellement en livrairie.
07:06 – Merci d'être venu en parler ce matin. – Merci.