Il rentre tout juste de Venise, où il est le premier artiste franco-caribéen à représenter la France à la Biennale d’Art Contemporain ! Julien Creuzet est ce matin l'invité de Mathilde Serrell. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes/nouvelles-tetes-du-mercredi-01-mai-2024-4524627
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00:00 Place aux nouvelles têtes Mathilde Serrel ce matin, un artiste du tout monde, Julien
00:06 Creuset dans notre studio Portrait sonore.
00:09 * Extrait de « Montez la rivière haut » de Julien Creuset *
00:24 La musique qui baire son enfance c'est celle de Kali avec un K.
00:27 Avec lui, la langue créole représente la France pour la première fois à l'Eurovision
00:31 en 1992.
00:32 Lui, il a 6 ans à ce moment-là et grandit dans la cité de Dillon à Fort-de-France
00:38 en Martinique.
00:39 Son père l'emmène souvent se promener dans les bois de l'Anse-Coulevre, une immersion
00:44 en pleine nature qui marquera son art.
00:46 Ses premiers textes lui viennent quelques années plus tard au collège où il écoute
00:59 surtout ça.
01:00 * Extrait de « Montez la rivière haut » de Julien Creuset *
01:28 Le « Mis-Education » de Laurie Neal, première écoute et première référence adolescente
01:32 absolue.
01:33 Après le lycée, il intègre le campus caribéen des arts à Fort-de-France, conserve ce goût
01:38 pour le sampling qui lui vient du hip-hop et poursuit son cursus dans les écoles d'art,
01:43 cette fois en métropole.
01:44 Caen, Cherbourg, Lyon et enfin Tourcoing, le voilà devenu artiste contemporain, bientôt
01:51 exposé dans le monde entier.
01:52 Et aujourd'hui, à 37 ans, premier artiste caribéen à représenter la France à la
01:57 Biennale de Venise.
01:58 * Extrait de « Montez la rivière haut » de Julien Creuset *
02:19 Les mots de la ministre, avec lui le pavillon français devient un espace multisensoriel
02:24 de vidéos, de sculptures, de musiques, de sons et même d'odeurs aux confluents des
02:29 mondes.
02:30 Julien Creuset, bonjour !
02:31 Bonjour, vous allez bien ?
02:32 Et vous ?
02:33 Ça va.
02:34 Vous arrivez de Venise ? En gondole ?
02:35 Non, j'arrive de Montreuil.
02:37 Où vous habitez maintenant ? Vous étiez donc à cette 60ème Biennale d'Art Contemporain
02:43 de Venise, vous avez monté puis présenté le pavillon français.
02:46 Quand on dit « le premier artiste franco-caribéen » ou « le premier artiste ultramarin à
02:51 représenter la France », ça vous évoque quoi ?
02:54 Je pense que c'est stigmatiser aussi des individus.
02:58 J'aime bien répondre à chaque fois que je ne suis pas le premier, que j'appartiens
03:01 à une grande famille de l'histoire de l'art, qu'il y a des artistes depuis toujours en
03:09 Martigny, que je repense à Ernest Breuler et à plein d'autres, Christian Bertin,
03:16 Victor Anisset.
03:17 J'ai appris beaucoup de ces personnes.
03:20 Et puis je cite souvent Zan Palsy qui gagne la Mostra de Venise avec le film « La rue
03:27 Cazenègre ».
03:28 Mais c'est quand même la première fois qu'on confie le pavillon français à un
03:31 artiste franco-caribéen.
03:33 Vous dites que vous acceptez cette charge, ce sens, à condition de bien l'explorer.
03:40 Oui, je pense que c'est une responsabilité aussi d'offrir aux autres une exposition.
03:47 Donc là, offrir un pavillon national, ça prend une autre mesure.
03:52 Mais l'idée, c'est que l'exposition soit en tout cas une expérience à vivre
03:58 et que les autres puissent s'en saisir.
03:59 Vous avez gardé quelque chose du hip-hop dans ce pavillon français puisque c'est
04:04 votre élan premier, votre expression première.
04:07 Le hip-hop me tient à cœur.
04:10 Tout à l'heure, on a écouté Louis T, on a écouté Laurie Neal, on a parlé de Senna.
04:15 Ça me fait penser à un titre de Dokinéko Nirvana aussi.
04:19 Et puis, je crois que ça m'accompagne.
04:21 L'art contemporain, par exemple, se référence toujours à une histoire de l'art.
04:27 Le hip-hop aussi se référence toujours avec cette idée du sampling.
04:31 Et puis, il y a toujours des liens étroits comme ça avec la littérature, l'acte en
04:37 tout cas d'écrire, de savoir comment on peut amplifier le réel.
04:40 Je crois que produire des formes visuelles comme de la sculpture, des installations,
04:46 des films, c'est aussi prendre cette charge, voir comment on traduit nos vies, comment
04:53 on le ressent, comment tout cela peut se réinterpréter.
04:57 Et la culture hip-hop a 50 ans, donc quand on a 37 ans, on est de toute façon infusé.
05:01 Infusé dans le hip-hop.
05:04 Et infusé dans votre exposition.
05:07 Il y a de la poésie, il y a votre voix aussi qu'on entend.
05:10 Il y a quand même aussi la musicalité que vous avez gardée.
05:13 Et vous êtes toujours poète.
05:14 Il y a tous les sens qui sont convoqués, donc particulièrement l'odorat aussi.
05:18 Pourquoi c'était important pour vous d'avoir… Vous dites, on verra à quel point les senteurs
05:24 sont têtus et ténus.
05:26 Je crois qu'une odeur peut nous donner une meilleure approche sur l'acte de regarder.
05:33 Je crois qu'on minimise certains sens, comme le nez et les oreilles.
05:39 Je crois que regarder aussi, ça s'écoute et ça se sent.
05:43 Je pense que ça amplifie en tout cas ce que l'on voit.
05:47 Il y a peut-être une mode de l'immersif, du tout immersif dans les projets culturels,
05:54 les projets d'art contemporain.
05:55 Vous voulez le prendre vraiment le plus sérieusement possible et aussi parce que vous êtes convaincu
05:59 peut-être que la vue ne suffit plus au XXIe siècle ?
06:03 Je crois qu'une exposition, c'est un espace dans lequel on est là avec tout son corps.
06:08 Et puis, je ne sais pas, la vie qui m'entoure, elle grouille, elle n'est pas silencieuse,
06:15 elle n'est pas sans odeur.
06:16 Je crois que c'est aussi accepter de rendre ces espaces vivants.
06:21 Il y a aussi une idée de la mémoire qui est particulière avec un sens comme l'odorat.
06:26 Vous dites que dans l'art caribéen, dans la pensée caribéenne, c'est essentiel
06:30 la question de la mémoire.
06:31 C'était aussi pour ça que vous vouliez convoquer les odeurs ?
06:34 Je crois que les odeurs, ça revient toujours à différents types de mémoire.
06:41 Ça convoque des souvenirs et que tout un chacun, on a des multiples expériences.
06:48 Donc quand on sent par exemple de la lavande, peut-être qu'elle va nous renvoyer comme
06:53 ça dans notre imaginaire de tout un chacun à quelque part.
06:56 Et je crois que c'est cette zone que ça peut créer chez l'autre, m'intéresse en tout cas.
07:00 Parce que ça fait plusieurs mondes au même endroit et plusieurs temps.
07:05 Parce qu'en fonction de qui l'on est, d'où on vient, on peut en tout cas avoir son propre
07:11 espace pour pouvoir apprécier, comprendre, interpréter.
07:16 Et je crois que c'est important de laisser cet espace aux autres.
07:19 Vous avez voulu aussi lancer cette expérience du pavillon français près de la maison de
07:26 Mécésar, c'était important pour vous et qu'est-ce que vous vouliez donner comme symbolique
07:31 à cette conférence de presse, ce geste-là ?
07:34 Cette fois-ci, on n'était pas près de la maison de Mécésar.
07:37 On était un peu plus loin de Fort-de-France, dans la ville du Diamant où a habité Édouard Glissant.
07:44 Et symboliquement, je crois que c'était important de commencer dans un lieu où il
07:52 peut y avoir un imaginaire fort, fertile et puissant, comme une sorte de comment on va
07:59 appréhender la vie et le monde tous ensemble.
08:02 Je réduis, c'est un peu réducteur comme formule, mais je crois que c'est important
08:08 d'apprendre à partager l'essentiel, l'air, l'eau, les ressources et qu'il y a quelque
08:15 chose de ça dans les textes de Glissant qui m'ont intéressé.
08:19 Merci Julien Creuset, c'est jusqu'au 24 novembre 2024 à la Biennale de Venise.
08:26 A bientôt et bonne route.