Sexualité : “Quand on parle de désir et de plaisir, on parle toujours de problèmes”

  • il y a 5 mois
La sexualité contemporaine en question avec Alexandre Lacroix, directeur de la rédaction de Philosophie magazine et auteur de “Apprendre à faire l’amour” (Champs-Flammarion) et Olivia Benhamou, sexologue, et autrice du "Petit guide d’entrée dans la vie sexuelle" (Cherche Midi, 2022).

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Transcript
00:00 Qu'avons-nous fait de la libération sexuelle ? C'est un numéro exceptionnel de Philosophie
00:05 Magazine qui est consacré au sexe.
00:07 Sexe, où est-ce que ça coince ? Et on a voulu justement nous emparer de cette question
00:12 de l'amour physique, de l'érotisme, de ce qui devrait rester léger et qui pourtant
00:17 devient souvent grave.
00:19 Et on va en parler justement de la sexualité, de la représentation de la sexualité, de
00:24 la pratique de la sexualité avec deux personnes dont nous avions envie de croiser les regards,
00:30 Alexandre Lacroix et Olivia Benhamou.
00:32 Bonjour à tous les deux.
00:33 Bonjour.
00:34 Et bienvenue Alexandre Lacroix, vous êtes directeur de la rédaction de Philosophie
00:38 Magazine, essayiste, auteur de « Apprendre à faire l'amour ». Quant à vous Olivia
00:43 Benhamou, vous êtes psychologue clinicienne, sexologue, psychothérapeute, autrice notamment
00:48 de ce petit guide d'entrée dans la vie sexuelle qui a été publié au Cherchemidi.
00:52 Et vous connaissez très bien la question des jeunes, la question des étudiants notamment.
00:56 Les étudiants dont vous avez recueilli des témoignages Alexandre Lacroix pour ce numéro
01:01 de Philomag.
01:02 On va en parler dans un instant.
01:05 Nos auditeurs peuvent vous poser toutes les questions qu'ils veulent au 01 45 24 7000.
01:11 Vous jurez d'y répondre en transparence sur l'application France Inter.
01:16 Sexe, où est-ce que ça coince ? Alexandre Lacroix, très sincèrement, qu'est-ce que
01:20 la philosophie a à nous dire du sexe ?
01:23 Alors, les philosophes traditionnels, ceux qui peuvent tomber au bac consacrent peu de
01:27 pages au sexe.
01:28 Mais je me souviendrai toujours d'une phrase que m'avait dit un ami qui était écrivain
01:31 quand j'étais jeune.
01:32 Il me dit « tu sais, c'est très intellectuel le sexe ». Il m'avait fait hurler de rire
01:35 sur le moment.
01:36 J'avais 20 ans, je me suis dit « mais qu'est-ce qu'il est en train de me raconter ? Qu'est-ce
01:38 que ça a d'intellectuel le sexe ? » Et petit à petit j'ai compris ce qu'il voulait
01:41 dire.
01:42 Ce qu'il voulait dire c'est que pour avoir accès à sa propre sexualité, vivre bien
01:44 le rapport avec l'autre, il faut déconstruire un certain nombre de schémas, un certain
01:48 nombre d'attentes supposées, il faut vaincre certains interdits en soi-même.
01:53 Enfin, il y a tout un cheminement.
01:54 Et ce cheminement, j'ai l'impression qu'on peut le faire parfois en s'appuyant, alors
01:58 peut-être pas sur des philosophes classiques, mais sur une tradition littéraire et philosophique
02:01 et celle des arts érotiques.
02:02 On va en parler parce qu'il y a aussi malgré tout des slogans de la libération sexuelle
02:06 « jouir sans entrave ». Pourquoi est-ce que c'est malgré tout une apparence trompeuse
02:10 lorsqu'on évoque des slogans comme celui-là ?
02:12 Alors, la révolution sexuelle c'est une promesse de liberté intégrale dans la sexualité,
02:22 d'une sexualité qui serait vécue en fait sans négativité.
02:25 Ce dont on s'aperçoit, et c'est assez intéressant maintenant que 30 ou 40 ans se
02:29 sont écoulés, c'est qu'on ne peut jamais se libérer complètement des limites et de
02:34 la vulnérabilité d'une certaine forme de négativité dans la sexualité.
02:37 D'ailleurs, notre dossier part de deux actualités fortes qui sont dans la tête de l'esprit
02:41 des gens aujourd'hui.
02:42 Je pense d'abord qu'il y a eu toute une série d'affaires, qu'on pense à l'affaire
02:46 de Pardieu ou à la prise de parole de Judith Godrej qui font qu'on comprend bien qu'il
02:49 y a quelque chose qui coince du côté de la violence masculine et il y a une prise de
02:53 parole sur ces problèmes de société aujourd'hui.
02:55 Mais d'autre part, il y a eu un sondage, IFOP-Lilo, qui documente une réception sexuelle
03:01 chez la jeunesse et c'est notre deuxième point de départ.
03:04 Et ça c'est quelque chose d'assez surprenant.
03:06 Est-ce que vous le confirmez d'ailleurs, Olivier Benhamou ?
03:08 Ce recul ou cette mise en retrait ou cette moindre pratique de la sexualité chez les
03:14 publics jeunes, on va dire vite ?
03:15 Je suis un petit peu mitigée par rapport aux effets de ce sondage.
03:20 On en parlait tout à l'heure avec Alexandre.
03:21 J'estime que le fait de mettre en avant une quantification de l'activité sexuelle,
03:27 ça peut aussi véhiculer de nouvelles injonctions et de nouvelles normes dont les jeunes n'ont
03:31 pas besoin.
03:32 Puisqu'ils peuvent dire, même si je pense qu'ils tentent toujours d'avoir une vie
03:38 sexuelle, peut-être qu'ils parlent plus facilement des difficultés qu'ils rencontrent
03:41 sur ce chemin semé d'embûches qu'est la première expérience sexuelle, la première
03:46 rencontre amoureuse et tout ce que ça comporte comme difficulté.
03:50 Mais finalement, ils se débattent aussi à la fois avec des idéaux, une réflexion,
03:58 une connaissance de soi et une découverte de son propre corps, de son fonctionnement
04:02 face à l'excitation sexuelle, à la rencontre avec l'autre, au regard que l'autre porte
04:07 sur soi, etc.
04:08 Donc, il y a vraiment un mélange, je pense, entre faire avec l'idéologie, la faire
04:14 mitou, la politique, l'environnement, etc. et ce qu'ils ressentent dans leur propre
04:21 corps et toutes les questions qui se posent sur la norme.
04:25 Est-ce que je suis normale ? Si j'ai tel fantasme ? Si mon corps est comme si ? Si
04:29 j'ai telle quantité de sperme lors de mon éjaculation ? Il y a aussi la pornographie.
04:33 Il y a énormément de facteurs qui pèsent sur l'entrée dans la vie sexuelle aujourd'hui.
04:36 Mais Alexandre Lacroix, quand on titre un dossier, où est-ce que ça coince ? Est-ce
04:41 qu'il n'y a pas déjà l'idée d'une injonction ? Il y a quelque chose de coincé,
04:44 c'est un peu négatif, il faut le décoincer.
04:45 C'était une manière pour nous d'attraper les deux problèmes, c'est-à-dire le problème
04:50 de la violence, des agressions sexuelles et puis le problème de la récession sexuelle.
04:55 On peut discuter si elle a lieu ou pas, mais quand même un chiffre qui sort de ce sondage
04:58 qui est frappant, un quart des jeunes sexuellement initiés, c'est à 28%, admettent ne pas
05:03 avoir eu de rapport sexuel dans l'année écoulée.
05:05 Et c'est cinq fois plus qu'en 2006.
05:08 Or, il n'y aurait que ce sondage.
05:10 On pourrait dire "tiens, c'est étrange, c'est un chiffre qui a l'air de sortir
05:13 d'un chapeau magique", mais en fait, d'autres études menées au Royaume-Uni, en Allemagne,
05:19 en Italie, aux Etats-Unis depuis maintenant 7 ou 8 ans, montrent que cette récession
05:22 sexuelle dans les pays développés semble être documentée.
05:25 C'est pour ça qu'on se dit "mais qu'est-ce qui coince ? Qu'est-ce qui se produit ?"
05:27 Surtout qu'on a affaire à des jeunes gens qui sont rentrés dans la sexualité à l'époque
05:31 des plateformes, avec du porno disponible en streaming et à l'époque des applications
05:36 de rencontres.
05:37 Donc on commence à réfléchir à des interconnexions possibles entre ces différents phénomènes sociaux.
05:41 Mais ça impliquerait que c'est coincé parce qu'on n'a pas forcément envie d'une
05:44 relation sexuelle.
05:45 Et ça, Olivia Benhamou, est-ce que finalement, ce n'est pas aussi que les gens acceptent
05:50 plus, assument plus, peut-être parfois, des absences de désir ?
05:53 Par exemple, dans le même sondage, 12% disent qu'ils sont asexuels.
05:57 Il y a Ovidie qui intervient aussi, l'ancienne actrice porno dans cet essai, qui a fait un
06:02 essai dans "La chair est triste, hélas, et elle, elle défend la sexualité".
06:05 Donc est-ce que ce n'est pas aussi qu'on assume des sexualités peut-être différentes
06:09 sans pénétration ou une absence de sexualité ?
06:12 Je pense qu'il y a une difficulté à vouloir absolument traiter de la question de la sexualité
06:17 en généralisant alors qu'il s'agit au fond d'une histoire extrêmement individuelle
06:21 et singulière.
06:22 Ça n'est pas politique, ça n'est pas social ?
06:23 C'est-à-dire que, évidemment, j'ai un point de vue un peu biaisé parce que je rencontre
06:27 les gens seul à seul, en tête à tête, et on prend le temps d'aller dans le détail
06:33 de leur histoire, de comment effectivement ils se sont représentés la sexualité, quels
06:37 discours éducatifs ils ont reçus, qu'est-ce qu'on leur a appris, et avec quoi ils ont
06:42 grandi.
06:43 Et ensuite, évidemment, il y a les événements de vie qui, lorsqu'on vit un traumatisme
06:47 sexuel, bien évidemment, a un impact sur la manière dont on va aborder sa sexualité.
06:53 Donc, ce qui pose problème, ce serait à mon avis de dire que cette récession observée
07:00 par les sondages traduirait une baisse du désir et de l'envie de la sexualité.
07:06 Et à mon avis, là, il y a un vrai hiatus parce qu'en réalité, les jeunes ont très
07:10 envie de vivre des rencontres amoureuses et sexuelles.
07:13 En revanche, ils ne s'en sentent pas forcément capables, ils se sentent en difficulté.
07:16 Il y a une chose très importante quand même, c'est le Covid.
07:19 Parce qu'on n'en parle plus, mais les étudiants, ça, ils y reviennent tout le temps que je
07:23 les vois en groupe, dans les cafés sexuels ou dans les entretiens individuels.
07:26 Ils m'expliquent qu'ils ont commencé leur vie amoureuse et sexuelle à l'ère du Covid
07:31 et que pour leur génération, il y a quelque chose d'un empêchement à la rencontre.
07:36 Alors, on va nous dire oui, mais il y a les aptis de rencontre, etc.
07:39 Eh bien non, en fait, parce que ça a précipité peut-être des rencontres avec des inconnus,
07:44 des prises de risques parce qu'il y avait malgré tout une envie et il y a une pulsion.
07:48 Et ça, personne ne peut dire que cette pulsion n'existe pas.
07:52 Chez tous les êtres humains, et je pense que notre boulot dans la vie, notre boulot
07:56 d'être humain, c'est de faire avec cette pulsion, d'apprendre à vivre avec.
07:59 Et on fait ce qu'on peut.
08:00 Donc, parfois, on utilise les appis de rencontre pour rencontrer des inconnus et parfois, on
08:05 ronge son frein, on rumine, on regarde de la pornographie, on se dit qu'on n'est pas
08:09 capable, qu'on n'y arrivera jamais, etc.
08:10 Il y a énormément de choses qui pèsent là-dessus.
08:13 Une question qu'on peut se poser, c'est l'articulation du désir et de la surabondance
08:19 des représentations de la sexualité.
08:20 C'est-à-dire que si on vous voulait dégoûter quelqu'un de manger, de la nourriture, vous
08:25 pouvez le priver.
08:26 À mon avis, ça ne va pas marcher, il aura faim et s'il trouve à manger, il se jettera
08:29 dessus.
08:30 Mais vous pouvez dégoûter quelqu'un de manger en lui présentant chaque jour un buffet énorme
08:34 rempli de victoires.
08:35 Et les plateformes de streaming, c'est un peu ça.
08:38 C'est-à-dire que le premier accès à ces plateformes pornographiques, c'est vers l'âge
08:44 de 11 ans.
08:45 Mais en réalité, dès qu'un smartphone est entre les mains d'un jeune, ça y est, c'est
08:48 parti.
08:49 Ce sont des très courtes vidéos de quelques minutes qui sont spécialisées sur des pratiques
08:53 ou des types de partenaires, mais qui ne ressemblent pas à la relation réelle qu'on peut avoir
08:59 avec quelqu'un en face.
09:00 On fait son éducation sexuelle pendant 4-5 ans, comme ça, avant le premier rapport sexuel.
09:04 Et on peut se demander si cette surreprésentation, cette surabondance d'images, plus les applications
09:11 de rencontres, on a une surabondance de profils de partenaires possibles, ne crée pas une
09:14 forme de dégoût.
09:15 On ne vient pas, quelque part, faire passer le désir ou créer un état de vague écoeurement
09:20 latent où on se dit "bon, très bien, mais moi, peut-être que ça ne me correspond pas
09:24 tout ça, que j'aimerais vivre autrement".
09:25 Et on laisse le temps passer sans faire l'amour.
09:27 Mais pourquoi écrire un livre "Apprendre à faire l'amour" quand on est philosophe ?
09:32 C'est pour refuser les normes, refuser les schémas préétablis, refuser la manière
09:38 de faire la plus commune ?
09:39 Oui, exactement.
09:40 Moi, je me suis beaucoup intéressé à une théorie qui est la théorie des scripts sexuels,
09:45 c'est-à-dire qui nous dit que la sexualité est...
09:46 Des scripts sexuels ?
09:47 Oui, de John Gagnon et William Simon, c'est une théorie américaine qui dit que c'est
09:51 très simple, l'idée principale c'est que la sexualité est culturellement codifiée.
09:54 Et si vous réfléchissez au script standard hétérosexuel, si deux partenaires se retrouvent,
10:00 qu'est-ce qu'ils vont faire ?
10:01 Préliminaires, pénétration de plus en plus rapide jusqu'à l'orgasme au moins masculin.
10:05 C'est très normatif ce schéma.
10:07 Et l'idée, puisque c'est un code culturel, à travers un livre, c'était de proposer
10:14 une déconstruction de ce script et puis d'aller ailleurs, c'est-à-dire de proposer un autre
10:17 art érotique, une autre manière de faire l'amour, plus ouvert, plus libre.
10:19 Olivier Benhamou, vous partagez le diagnostic ou la manière de faire et la volonté de
10:24 rompre avec ce script ?
10:25 Oui, parce qu'il y a plusieurs choses.
10:27 On parlait de pornographie aussi.
10:28 Donc oui, le script sexuel, c'est quelque chose qu'on interroge de toute façon quand
10:32 on est en consultation de sexologie de manière extrêmement courante.
10:36 Parce que chacun a son script sexuel et peut-être que tout l'enjeu aujourd'hui, c'est d'aider
10:42 peut-être chaque individu et pas seulement les étudiants, mais à tout âge de la vie,
10:46 à inventer son propre script sexuel et qui ne serait pas un script effectivement hérité
10:53 de la pornographie ou plaqué sur des représentations liées aussi à notre éducation.
11:00 Moi, je rencontre aussi beaucoup de jeunes qui me disent qu'ils ne veulent pas faire
11:02 l'amour avant le mariage.
11:03 Aujourd'hui, encore.
11:04 Encore !
11:05 Mais bien sûr !
11:06 Donc si vous voulez, c'est assez…
11:07 Non, c'est surprenant.
11:08 En tout cas, ça fait sourire Alexandre Lacroix.
11:09 Et des mariages, il y en a de plus en plus.
11:12 C'est vrai.
11:13 On a un témoignage avec Thibault qui dit à peu près ça.
11:16 Il a l'air de considérer que c'est très important, très sérieux, l'investissement
11:20 dans une relation sentimentale.
11:21 Ce qui est intéressant dans les témoignages de jeunes qu'on a reconnus, c'est qu'on
11:24 a l'impression qu'ils sont soumis à des injonctions contradictoires.
11:26 D'un côté, jouir sans entrave, il faudrait jouir, il faudrait aller sur ses applications,
11:30 il faudrait être omnivore en matière de sexualité, tout tester.
11:32 Et puis de l'autre côté, l'aspiration à trouver une relation romantique…
11:35 Et les vieux schémas qui ont la vie dure.
11:37 Oui, qui ont la vie dure.
11:38 Et donc on doit négocier avec des… On les sent dans les témoignages, en tout cas
11:42 à tous, en train de négocier avec ces injonctions contradictoires.
11:44 Et c'est peut-être ça qui rend les choses aujourd'hui peut-être plus compliquées
11:49 en fait.
11:50 Bonjour Chantal.
11:51 Bonjour.
11:52 Et bienvenue sur France Inter.
11:54 Vous avez une question pour nos invités Alexandre Lacroix et Olivia Benhamou ?
11:58 Oui, oui, oui.
11:59 J'ai un certain âge qui me permet d'apprécier la question du désir entre les hommes et
12:06 les femmes.
12:07 Et je me demande si justement la qualité du désir entre les hommes et les femmes n'a
12:13 pas changé, étant donné la différence aujourd'hui de relations possibles entre
12:19 les hommes et les femmes.
12:20 La question du consentement, etc.
12:23 Merci pour votre question Chantal, Olivia Benhamou.
12:25 La qualité du désir, je n'ai pas bien compris ce que l'auditrice entendait par
12:28 là.
12:29 Chantal, qu'entendez-vous par là ?
12:30 Avoir envie pour un homme d'une femme, est-ce que ça n'a pas été amoindri par tout
12:38 ce qu'on a dénoncé du côté des hommes ?
12:41 Et est-ce que ça n'a pas donné à la femme la capacité de dire non quand elle n'avait
12:47 pas envie ?
12:48 Et donc peut-être de diminuer la quantité et la qualité de son désir ?
12:54 C'est beaucoup plus clair.
12:55 Oui, alors merci pour cette précision.
12:57 En effet, je rencontre des couples de tous âges aussi au cabinet et justement, là
13:01 ça me fait penser à une situation d'un couple où pendant des années, la sexualité
13:04 a été vécue sur le mode du diapason masculin, je dirais.
13:08 Et à un moment donné, malheureusement, un cancer de la prostate arrive, une érection
13:15 qui est perdue, un âge pas si avancé que ça et une redéfinition de la sexualité
13:22 qui n'est plus du tout autour d'une érection mais d'une créativité à découvrir, à
13:28 inventer, qui remet vraiment en question les choses.
13:30 J'ai aussi beaucoup de couples qui effectivement, à partir de la soixantaine, remettent en
13:36 question la manière dont cette sexualité a été vécue.
13:39 Et chez les jeunes, il y a aussi beaucoup d'interrogations mais plutôt sur le versant
13:43 de « je dois donner mon consentement », ça les jeunes femmes le disent.
13:47 Mais elles me disent « mais je ne sais pas comment ». C'est-à-dire qu'à partir
13:50 du moment où ils m'embrassent, je suis d'accord, mais après, est-ce qu'il doit
13:55 encore me demander s'il veut me caresser, s'il peut soulever mon t-shirt ?
14:00 C'est-à-dire que je pense qu'aujourd'hui, on a parlé bien évidemment du consentement
14:06 et ça je pense que maintenant c'est à peu près acquis, mais il va falloir aller
14:09 plus loin.
14:10 C'est-à-dire, ça s'applique comment, jusqu'où et ça crée aussi le doute.
14:14 Beaucoup de jeunes me disent « je ne sais plus ce que je veux vraiment, je ne suis pas
14:18 sûre de moi finalement, à quoi je consens vraiment ».
14:21 Il y a un mot qu'on n'a pas encore prononcé, c'est le mot de plaisir.
14:24 Alexandre Lacroix, c'est quand même quelque chose d'extrêmement fort lorsqu'on parle
14:28 de sexualité.
14:29 Comment est-ce qu'on peut parler de sexe sans évoquer cette dimension-là ?
14:33 Oui, on vient de parler de désir, le désir et le plaisir sont évidemment liés.
14:38 Moi, ce qui me frappe aujourd'hui, c'est que de la culture pornographique, sans doute
14:42 émane une forte injonction à la performance.
14:44 Et donc, non seulement une injonction à la performance, il faudrait avoir un corps comme
14:48 ça, mais il faudrait aussi avoir un orgasme à chaque fois.
14:51 C'est-à-dire que finalement, on réduit la conception qu'on a du plaisir à, j'allais
14:56 dire, les quelques secondes de crampes, d'orgasme final, là où on pourrait au contraire considérer
15:02 que si on prend plaisir à faire l'amour pendant non pas trois minutes, mais peut-être
15:07 plus longtemps, c'est qu'on va chercher un plaisir plus étal, plus diffus, plus complexe,
15:12 plus complexe, plus complexe, plus complexe.
15:15 Et donc, on a besoin de plaisir de se rapprocher de l'autre, d'échanger dans un lieu très
15:20 intime, de se découvrir soi-même et de découvrir l'autre, de nourrir la relation.
15:25 Au fond, quand on parle du désir et du plaisir dans le couple, on parle toujours de problèmes.
15:31 Moi, je suis frappé du fait qu'on parle toujours d'érosion, on parle toujours de quelque chose
15:34 qui vient se déliter avec le temps.
15:36 Et la représentation du couple, c'est bon, c'est la routine, l'obligation, le devoir
15:40 conjugal.
15:41 On peut identifier ce qui se produit dans un couple, qu'il soit hétérosexuel ou non
15:45 d'ailleurs, et se dire qu'un couple peut essayer de cultiver sa sexualité, de l'enrichir
15:50 par des lectures, par des conversations et par la pratique.
15:53 Et là, tout d'un coup, on se rend compte que le plaisir, c'est bien autre chose que
15:59 les quelques secondes d'orgasme.
16:00 C'est quelque chose d'ailleurs qui peut se diffuser et imprégner, je dirais, la vie
16:05 quotidienne tout entière.
16:06 Et Olivia Benhamou, si on mêle cette question du plaisir justement à celle du consentement,
16:10 qui est le problème tout à l'heure, qu'est-ce que vous dites vous à vos patients sur la
16:13 question du consentement ?
16:14 Toutes les cinq minutes, il faut dire oui, ça c'est bon, oui, etc.
16:16 Ou alors j'ai une application où je clique, ok, je suis d'accord.
16:20 Et comme ça, on retrouve la voie d'un plaisir sans se poser de questions, un peu plus libre
16:25 et un peu plus épanouissant peut-être ?
16:27 Alors moi, ce que j'encourage les jeunes patients à faire, c'est surtout à déjà
16:32 apprendre à se connaître eux-mêmes et à connaître leur corps aussi en état d'excitation
16:38 parce qu'on parle du désir et du plaisir, mais entre les deux, et nous les sexologues,
16:41 on tient beaucoup à ça, il y a la question de l'excitation sexuelle parce que finalement,
16:46 les rapports sexuels qui se passent mal et qui ne sont pas consentis sont des rapports
16:49 sexuels où il n'y a pas d'excitation sexuelle suffisante et il y a effectivement une pénétration
16:56 qui arrive de manière beaucoup trop précipitée et pas du tout, et potentiellement pas consentie.
17:02 Mais donc dans la découverte de soi, c'est là qu'il y a les clés pour justement savoir
17:07 ce qu'on veut, puisqu'on ne peut pas attendre, et ça, il y a encore trop de personnes individuelles,
17:13 quelles que soient les générations, qui s'en remettent à leur partenaire pour déterminer
17:17 ce qu'elles aiment, ce qu'elles veulent, ce dont elles ont envie si vous voulez.
17:20 Et moi, je pense que chacun est responsable individuellement de son plaisir et le fait
17:24 de s'en remettre complètement à l'autre, comme beaucoup de patients, même de tous
17:29 âges, continuent à avoir énormément de réticence à se masturber pour des raisons
17:33 culturelles, parce que ça reste un tabou, comme si finalement, ah ben non, moi je ne
17:38 masturbe pas parce que je suis en couple.
17:39 Donc en fait, c'est mon partenaire ou ma partenaire avec qui je dois avoir du plaisir,
17:44 sauf que je ne me rends pas compte que…
17:45 C'est ce que dit Sylviane d'ailleurs sur l'application France Inter, l'importance
17:47 de la masturbation qui fait partie de la sexualité y compris pour les femmes.
17:51 Sinon le rapport sexuel, juste pour terminer, c'est je me masturbe sur ou avec le corps
17:55 de mon partenaire.
17:56 Et là, ça donne lieu effectivement à des débordements, à non prise en compte du consentement
18:01 et à des rapports sexuels vraiment, je dirais, pauvres finalement, puisqu'ils aboutissent
18:05 à un petit orgasme qui n'a rien à voir avec le grand plaisir et la jouissance qu'on
18:09 peut éprouver dans une relation vraiment partagée.
18:13 Et Alexandre Lacroix, du coup, est-ce que le blocage, est-ce que ce qui coince, ce n'est
18:16 pas justement cette arrivée de la notion de consentement et le temps d'inventer une
18:20 nouvelle grammaire, d'arriver à retrouver la voie de la relation avec le consentement
18:26 à l'intérieur ? C'est ce dont vous parlez dans votre livre, il faut arriver à rééquilibrer,
18:31 à réinventer.
18:32 Oui, mais je pense aussi que la notion de consentement ou le critère du consentement
18:37 est aujourd'hui très critiqué, y compris par des féministes, je pense à Manon Garcia
18:42 notamment, et il me semble que le consentement éclairé du patient en médecine, c'est
18:49 le patient est dans un état rationnel, il a bien compris ce qu'on lui disait, il
18:52 consente au traitement, le protocole est clair.
18:55 C'est étrange comme comparaison.
18:56 Oui, c'est l'autre domaine d'éthique appliquée où le critère du consentement
18:59 se pose.
19:00 D'abord, on voit bien qu'en matière de sexualité, ce consentement éclairé, rationnel
19:04 etc. n'est pas toujours garanti, que le jeu de séduction est là, il peut y avoir
19:07 quelques verres d'alcool, il y a un trouble, il y a du désir mutuel.
19:10 Moi j'aurais tendance à dire qu'un critère important c'est le principe de non-nuisance,
19:15 ce qu'on appelle le "no harm principle", c'est faire attention à ne pas blesser
19:18 l'autre, c'est déjà pas mal.
19:19 Parce que le problème du consentement, c'est que ça met toute la responsabilité du fait
19:23 de dire non sur la victime potentielle.
19:25 Alors que ne pas nuire à autrui, c'est du côté de l'agresseur potentiel que ça
19:29 se pose.
19:30 Et ça peut être lié autrement, éthiquement, aux enjeux de la relation sexuelle.
19:34 Revenons quand même, puisque c'est la fin de cet entretien sur la dimension du plaisir
19:37 et du désir, mais vous critiquez très durement la notion de "fantasme" dans votre édito
19:41 Alexandre Lacroix.
19:42 Le fantasme, c'est quelque chose d'important et qui doit être, je ne sais pas, une piste,
19:48 une idée régulatrice de la pratique sexuelle ?
19:52 Ah oui, je pense que le fantasme est à la base de la construction de notre imaginaire
19:55 érotique et que c'est un peu comme un muscle, c'est quelque chose à quoi il faut s'entraîner,
20:00 ça ne fait pas mal à personne, c'est quelque chose qu'on peut cultiver de manière solitaire
20:05 mais qu'on peut aussi partager à l'occasion avec son ou sa partenaire.
20:09 Alexandre Lacroix, pour conclure.
20:11 Oui, alors deux mots contre le fantasme.
20:14 D'ailleurs, la plupart des lecteurs m'ont dit "je suis d'accord avec toi, mais tu vas
20:16 te faire attaquer pour cet édito".
20:18 Deux mots contre le fantasme.
20:19 La première chose, c'est que ça crée un arrière-monde, c'est-à-dire ça crée un
20:23 scénario idéal de ce que devrait être la relation qui nous coupe de vivre la relation
20:26 complètement au présent.
20:27 Et d'autre part, quand on commence à parler de ses fantasmes à son partenaire, il y a
20:31 quelque chose qui est de l'ordre de l'ordre ou de l'injonction.
20:33 On lui demande de se conformer à un scénario qu'on a en tête et peut-être qu'il n'en
20:36 a juste rien à cirer.
20:38 C'est un peu comme quand vous racontez vos rêves à quelqu'un, il n'en a peut-être
20:40 rien à cirer de votre rêve.
20:41 Et de votre fantasme.
20:44 C'était un édito en forme de pied de nez.
20:48 Et on peut terminer en citant Lacan, il n'y a pas de rapport sexuel.
20:51 On discutera un jour pour savoir ce que ça veut dire.
20:54 Philosophie magasinée dans les kiosques, sexe, où est-ce que ça coince ? Merci Alexandre
20:58 Lacroix.
20:59 Olivia Benhamou, petit guide d'entrée dans la vie sexuelle, c'est aux cherches midi
21:03 et c'est distribué aux étudiants essentiellement ?
21:06 Oui, c'est acheté par les universités principalement et offert gratuitement aux étudiants.
21:10 Mais il est aussi en vente en librairie.
21:12 Merci à tous les deux.
21:13 Merci.

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