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L’amour est partout, sous nos yeux, même quand l’actualité nous montre tous les jours son volet le plus sombre, estime Marianne Chaillan, la professeure de philosophie à Marseille et autrice de "A la folie, passionnément" (Equateurs). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end/l-invite-du-week-end-du-dimanche-26-mars-2023-3784712

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Transcription
00:00 aimer à perdre la raison, écrivait Aragon, chanté par Jean Ferrat.
00:04 Eh bien chiche, répond notre invité ce matin.
00:08 Perdons la raison tant nous avons à apprendre de l'amour.
00:12 Bonjour Marianne Chailland.
00:13 Bonjour.
00:14 Vous êtes professeure de philosophie à Marseille.
00:16 Votre dernier livre a pour titre "À la folie, passionnément".
00:19 Il paraîtra mercredi prochain aux éditions des Équateur.
00:23 Alors pour vous, l'amour est partout.
00:25 L'amour est sous nos yeux, même quand l'actualité nous montre tous les jours
00:29 son volet le plus sombre.
00:33 C'est plus encore que jamais une nécessité en effet.
00:35 Sinon, eh bien, on déprime totalement.
00:39 Entre le Covid, la guerre, l'inflation, la crise politique,
00:43 on a bien besoin de parler d'amour.
00:45 Vous êtes une grande amoureuse, vous, pour écrire un livre comme ça.
00:49 Oui, pour le meilleur et pour le pire.
00:51 Votre professeur au lycée, on va rentrer dans ce que vous racontez dans ce livre,
00:55 votre professeur au lycée a même essayé de vous guérir de la folie amoureuse.
01:00 On devient fou par amour ?
01:02 Oui, elle s'était alarmée parce que j'avais rédigé un essai qui vantait l'état amoureux.
01:08 Elle s'était dit "ouh là là, il faut la soigner avant que Kéros ne la brise".
01:16 Manifestement, ça a échoué.
01:18 L'attraction amoureuse, on va le définir, ça ne se limite pas au corps, évidemment.
01:22 C'est bien plus que cela.
01:23 Oui, le limiter au corps, ça serait rater quelque chose d'essentiel.
01:26 Il y a bien sûr quelque chose de très incarné, de très immanent.
01:29 J'en parle notamment dans le chapitre sur faire l'amour, il y a quelque chose de très incarné,
01:33 mais ça va au-delà.
01:35 C'est comme une fin sublime, il y a quelque chose de transcendant aussi dans le désir,
01:40 pas simplement d'immanent.
01:42 Et la rencontre amoureuse, elle survient, pas toujours, mais très souvent par effraction.
01:48 Ça nous tombe dessus ?
01:49 Oui, vous vous rappelez la scène de rencontre dans "L'éducation sentimentale" de Flaubert.
01:53 Ce fut comme une apparition, elle était assise au milieu du banc, toute seule.
01:58 Était-elle seule, Mme Arnoux ? Pas du tout, elle est sur un bateau, il y a des centaines de personnes.
02:02 Mais pour Frédéric, elle est seule, voilà qu'il la rencontre et sa vie bascule.
02:07 Le jeune Frédéric est amoureux de Mme Arnoux et s'amène aussi à quelques désillusions.
02:12 * Extrait de "Je l'ai trouvé devant ma porte un soir que je rentrais chez moi" *
02:18 * Extrait de "Je l'ai trouvé devant ma porte un soir que je rentrais chez moi" *
02:41 La solitude selon Barbara.
02:44 On passe ce morceau, parce que vous l'évoquez dans le livre, Barbara, et ce morceau "La solitude".
02:49 Pourquoi on en parle ? Parce que certains nous enjoignent de nous méfier de l'état amoureux.
02:54 * Les philosophes notamment. *
02:55 Les philosophes, au motif que la passion amoureuse nous conduirait à la souffrance et donc la solitude.
03:00 * Et c'est vrai, c'est vrai.
03:02 Bien sûr, à la souffrance, la souffrance par un sentiment d'incomplétude,
03:07 parce qu'on n'obtient jamais ce qu'on vise dans le désir amoureux,
03:10 parce que le désir amoureux nous conduit à des joies éphémères, c'est vrai.
03:14 On pourrait, à bien des raisons, vouloir fuir les flèches de Cupidon.
03:18 Et pourtant, dans cette chanson de Barbara, la solitude survient à la renifleuse des amours mortes.
03:23 Mais Barbara, qui le sait bien, puisqu'elle le chante, dit aussi
03:26 "Je veux encore rouler des anges, je veux me saouler de printemps,
03:29 je veux m'en payer des nuits blanches à cœur qui bat, à cœur battant".
03:32 Et c'est cette idée que, bien sûr, le désir amoureux, c'est l'envers, mais c'est aussi l'endroit.
03:36 Et on n'a pas de joie sans éprouver de la douleur.
03:39 * Mais les Français se protègent, on dirait aujourd'hui, malgré tout, du grand sentiment amoureux.
03:44 Même si je regarde des chiffres, parce que je me suis amusée à regarder quelques études,
03:47 il y a 21% des Français seulement qui considèrent que leur vie amoureuse est une priorité.
03:52 C'est pas beaucoup.
03:53 Et il y en a 20% qui pensent que l'amour-passion, c'est un peu trop.
03:58 Ils préfèrent évoquer l'amour complice, l'amour confiance, l'amour famille.
04:02 Est-ce que les Français aujourd'hui sont d'accord avec vos philosophes ?
04:05 C'est-à-dire, est-ce qu'ils ne croient plus vraiment en l'amour-passion ?
04:10 * Je me méfie toujours un peu des chiffres et des statistiques.
04:13 * Là, c'est quand même une étude très sérieuse, parue en 2020, il faut quand même que je le souligne,
04:18 * par l'Institut de sondage Harris Interactive.
04:21 Alors j'ai envie de dire que je comprends bien le désir des Français que vous évoquez.
04:25 * De se protéger.
04:26 De se protéger, on le comprend ce désir-là, bien sûr.
04:29 Jusqu'au moment où survient Eros.
04:30 C'est-à-dire qu'on va dire "oui, je préfère ce qu'Albert Cohen, que j'évoque dans le livre,
04:35 "rappelle l'amour conjugal fondé sur du réel plutôt que cette fulgurance de la passion qui survient
04:42 * et qui est parfois fondée sur de l'imaginaire, c'est vrai.
04:44 * Mais hélas, lorsque cela survient, nous n'avons guère le loisir d'échapper au foudre d'Eros.
04:49 Mais du coup, votre livre est surprenant parce qu'on a l'impression qu'il n'est pas à la mode en ce moment.
04:53 * Eh bien, peut-être qu'il, sans être pas à la mode, peut-être effectivement...
04:58 Ou dans l'air du temps.
04:59 * Voilà, mais peut-être essaye-t-il de dire "méfiez-vous, cela va frapper, tôt ou tard".
05:05 Vous évoquiez Albert Cohen, c'est la belle du seigneur, belle du seigneur.
05:11 En même temps, il nous encourage à faire des rencontres amoureuses et en même temps,
05:17 il y a tout le dépit et la face cachée d'une même pièce.
05:21 C'est toujours "les deux sont liés".
05:23 * Albert Cohen, c'est un peu comme ma prof de français que vous évoquiez.
05:26 Il écrit "Belle du seigneur" pour nous mettre en garde sur l'amour-passion.
05:30 Surtout, faites attention, ne devenez pas Ariane et Solal.
05:33 Et il oppose à l'amour-passion, l'amour conjugal dans "Mange-Clou"
05:37 ou à l'amour maternel dans le livre de ma mère.
05:39 Et pourtant, il y a des passages que j'évoque dans le livre où il nous dit
05:44 "Bientôt, et peut-être plus tôt que prévu, vous dormirez vous aussi étendus sous terre dans un cimetière.
05:49 Il en sera fini des seaux de carpe d'Ariane et Solal.
05:53 Profitez-en, profitez-en".
05:54 Et donc, paradoxe.
05:56 À la fois, il nous dit "faites attention, gardez-vous de l'état amoureux"
05:59 et en même temps, il nous dit "soulez-vous de printemps", comme le dit Barbara.
06:02 Et à la fin des fins, si ce n'était pas ça, le sel de la vie, malgré tout, alors oui, on souffre.
06:06 Mais qu'est-ce qu'on est vivant quand on aime ?
06:08 Vous le dites sans embâge, pas la peine de demander ni à Nietzsche ni à Socrate de nous éveiller à l'amour.
06:14 Eux-mêmes n'ont subi pratiquement que des échecs amoureux, d'où leur théorie sur l'échec de l'amour.
06:19 Je me dis, si je veux faire prospérer mon argent, est-ce que je vais demander ça à quelqu'un qui a fait faillite ?
06:24 Et effectivement, les philosophes nous disent "méfiez-vous du désir",
06:27 mais quand on observe leur vie sentimentale, ce sont des assets, des gens esselés.
06:35 Alors bon, faut-il vraiment faire confiance à ces philosophes ?
06:39 Je dis aussitôt quand même qu'il y a un paradoxe, puisque dans le nom même de philosophie,
06:43 le désir est au cœur du nom de la philosophie.
06:45 - Toujours au nom de l'amour et de aimer.
06:48 Il y a des handicapés de la passion amoureuse, par exemple ceux qui ne savent pas reconnaître l'amour.
06:53 D'ailleurs, à quoi est-ce que l'on peut reconnaître que nous sommes amoureux ?
06:58 - Ça, c'est une bonne question. Les yeux qui pétillent.
07:03 Agnès Varda disait qu'on était amoureux quand un sourire venait au coin des lèvres en pensant à l'autre.
07:09 - Oui, c'est très joli comme formule.
07:10 C'est presque Spinoziste qui dit que l'amour, c'est la joie qui accompagne l'idée d'une cause extérieure.
07:16 C'est-à-dire si je suis en joie et je dis "tiens, je souris parce que tu es là devant moi, donc je t'aime".
07:21 - Donc on s'entraînera à la raison de Montaigne et la Boétie, parce que c'était lui, parce que c'était moi ?
07:27 - Alors ça, c'est l'idée, cette tragédie de toutes les personnes amoureuses
07:31 qui demandent souvent à la personne qui l'aime "pourquoi tu m'aimes ?"
07:34 Je ne sais pas si vous avez vous-même posé cette question ou si on vous l'a posée.
07:38 Il est bien difficile de donner des raisons, d'expliquer pourquoi survient l'état amoureux.
07:43 Montaigne a une réponse merveilleuse, c'est-à-dire "il n'y en a pas parce que c'est moi, parce que c'est toi".
07:48 - Tu parles mal, tu travailles mal, tu danses mal, tu grandis mal, mais tu ne me fais pas peur Isabelle.
07:54 - Je vis mal, mais ça ne te le fait pas.
07:57 - Ah oui, pardon, j'oubliais. Et c'est sans doute pour ça que tu as failli coucher dehors la veille de l'examen ?
08:00 Pour vivre autrement, c'est ça ? - Pas autrement, autre chose !
08:03 - Et avec quoi ? Avec lui qui ne peut pas mettre un mot devant l'autre et qui tombe de son vélo dès qu'on lui parle ?
08:07 C'est ça ? Pour toi un homme, c'est ça ?
08:10 Ce qui est intéressant dans cet extrait de la gifle avec Lino Ventura, c'est que vous le dites dans votre livre,
08:15 l'amour, il y a aussi la question de l'autorisation.
08:17 Pour aimer, il faut non seulement s'autoriser à le faire, mais il faut, et on l'entend là dans les relations entre le père et sa fille,
08:24 il faut aussi, surtout, y être autorisé. Pas d'amour sans autorisation, y compris de la famille ?
08:31 - En tout cas, l'amour, oui, mais la capacité à le vivre, effectivement, nécessite une autorisation qui viendrait du dehors
08:38 et puis ensuite une autorisation qu'on se donne à soi-même.
08:40 Mais donc, à ce titre, encore, comme si ce n'était pas assez, Eros est un combat à mener pour être autorisé.
08:48 - Est-ce que les femmes, on parle d'autorisation, est-ce que les femmes s'autorisent autant que les hommes au grand amour ?
08:55 - Oh, je l'espère, je le crois et je pense, au moment où vous me posez la question,
09:01 je pense à ces grandes amoureuses qu'on voit dans la littérature et qui, effectivement, peuvent...
09:06 Je pensais à Madame de Morsoff dans "L'Olysse dans la vallée" ou à Naccarénine ou à Madame de Rénal.
09:12 On a des très grandes amoureuses qui, effectivement, ne s'autorisent pas à vivre complètement leur amour,
09:18 mais elles vivent, elles aiment.
09:22 - Alors, avec Isabelle Adjani dans cet extrait de "La Gifle", on pense aux jeunes.
09:26 Les jeunes sont un peu différents, malgré tout, j'ai le sentiment, aujourd'hui.
09:29 Ils se disent polyamoureux, c'est-à-dire qu'ils sont prêts à avoir plusieurs partenaires.
09:35 Certains se disent même pansexuels, c'est-à-dire qu'ils sont prêts à tout type de partenaire.
09:41 On parle même d'asexuels, c'est-à-dire certains repoussent complètement l'idée d'avoir une sexualité.
09:45 On est loin des sentiments, certes, mais quand même, la jeunesse donne l'impression, aujourd'hui,
09:49 d'être assez éloignée de l'amour-passion.
09:52 Vous adressez ce livre à qui ? Est-ce que vous l'adressez à ces jeunes-là aussi ?
09:55 - Oui, alors moi j'aime bien chez nos jeunes, justement...
10:01 - Parce que vous êtes professeure à Marseille, on l'a dit, en lycée.
10:06 Donc les lycéens, les jeunes, vous les voyez par rapport aux sentiments amoureux.
10:09 - Mais cette souplesse conceptuelle que vous évoquez, tous ces concepts qui n'existaient pas à mon époque, en tout cas.
10:14 Je trouve, permet à leurs désirs de couler dans des agencements qui, pour nous, étaient...
10:21 On n'avait même pas les concepts pour les penser, donc c'était difficile pour les vivre.
10:25 Mais ce concept de pansexualité est très intéressant, parce qu'en fait, il permet à un jeune de se dire
10:29 "eh bien, je sais qu'Eros peut frapper à tout moment et en tout lieu".
10:33 Ce qui est quand même un savoir tout plein. - Avec tout partenaire. - Exactement.
10:36 - Et vous évoquiez tout à l'heure l'éducation sentimentale de Flaubert.
10:41 Il a suffi d'un regard entre Frédéric, le jeune Frédéric qui a 18 ans, et Madame Arnoux,
10:46 cette femme qui est mariée, un peu inaccessible. Il a suffi d'un regard.
10:50 Ça donne aujourd'hui de la télé-réalité. Ça s'appelle "Marier au premier regard".
10:56 Comment la philosophe de pop-culture, enfin la pop-philosophie,
11:01 comment est-ce que vous appréhendez l'émergence de ces émissions qui promettent le pire ou le meilleur ?
11:07 Je ne sais pas bien.
11:08 - Là, en l'occurrence, je trouve qu'il y a quand même un postulat qui est totalement erroné.
11:12 C'est-à-dire de penser... J'ai bien compris ce genre d'émission.
11:16 Il y a même pire. Il y a maintenant une émission qui s'appelle "Cosmic Love"
11:19 où apparemment on peut déterminer qui est voué à s'aimer en fonction de leur signe astrologique.
11:25 C'est-à-dire qu'il y aurait une recette de l'amour et les producteurs, les productions
11:30 devraient faire sur la base de critères rationnels déterminer qui est compatible.
11:36 Est-ce que l'amour est véritablement une affaire de critères rationnels ?
11:40 Donc je pense que toutes ces émissions qui reposent sur l'idée qu'il y aurait une rationalité du processus amoureux
11:45 reposent sur un contresens philosophique sur la nature du désir.
11:48 - Cela dit, les agences matrimoniales et aujourd'hui les sites de rencontres ne font pas autre chose
11:53 que d'essayer de vouloir mettre en relation des critères compatibles.
11:56 - Oui, et bien...
11:58 - On ne peut pas être amoureux via les sites de rencontres.
12:02 - On peut ! On peut ! J'en ai parlé avec des... Non, mais je pense que c'est pas...
12:06 C'est pas grâce aux critères qui ont réuni les personnes.
12:09 C'est-à-dire que s'ils tombent amoureux, tant mieux, mais je ne suis pas convaincue
12:14 que l'état amoureux puisse surgir sur la base d'une équation tout à fait rationnelle.
12:19 Il y a quelque chose, et c'est bien là qu'il est affolant dans l'affaire du désir.
12:22 - Qui nous dépasse ! - Il y a quelque chose qui nous dépasse et c'est ça qui fait peur.
12:25 - Donc inutile de vouloir déchiffrer les codes de l'amour.
12:29 Y a-t-il des codes de l'amour d'ailleurs ?
12:30 - Alors... Non.
12:32 Si on entend par là des raisons objectives qui donnent la clé du phénomène amoureux,
12:40 je n'y crois pas.
12:41 - Alors Marianne Chailland, on les graine régulièrement.
12:44 Vous avez mis beaucoup de références dans ce livre à la folie passionnément.
12:49 Vous faites référence aussi à l'opéra Carmen dans votre livre,
12:52 "Grande opéra sur l'amour-passion", si l'on est, qui finit par un crime passionnel
12:57 puisque Don José aime tellement Carmen que quand elle lui échappe, il la tue.
13:01 C'est ce qu'on appelle aujourd'hui malgré tout un féminicide.
13:03 - Complètement.
13:04 - Cet amour-passion que vous défendez, Marianne Chailland,
13:08 est-ce que vous comprenez que certaines féministes le critiquent ?
13:11 - Absolument.
13:12 Si on revient sur Don José, justement, j'en parle pour dire qu'il n'a rien compris à ce que c'est la passion.
13:19 Et c'est pour ça que je...
13:22 - On n'emprisonne pas quand on est amoureux, c'est ça que tu veux dire ?
13:27 - C'est-à-dire que Don José n'a pas compris que tomber amoureux, ce n'était pas une assurance-vie.
13:33 Tomber amoureux, c'est aller au casino, c'est la roulette russe.
13:36 Alors oui, il a beaucoup engagé sur cette histoire.
13:38 Il a sacrifié sa carrière professionnelle, il a sacrifié l'amour que Micaela pouvait...
13:44 la vie conjugale qu'il pouvait espérer.
13:46 Ok, très bien, il a misé, il a perdu.
13:49 Et c'est parce qu'il ne comprend pas cette essence éphémère, aléatoire, du désir
13:56 qu'il en vient à cette extrémité.
13:59 Il pense qu'on peut posséder l'autre, mais ce n'est pas la passion qui le conduit à cet acte.
14:05 C'est d'autres traits de son caractère qui sont parfaitement insupportables,
14:10 mais je ne pense pas que la passion conduise à ça.
14:14 Je pense que c'est un rapport à l'altérité, c'est un mauvais rapport à la vie,
14:18 un mauvais rapport à ce qu'est l'autre, au respect de l'autre.
14:21 Et on peut être tout à fait passionné sans être pour autant dans la chosification de la personne qu'on aime.
14:28 À la folie, passionnément, votre titre, le titre de votre dernier livre, Marianne Chailland,
14:34 dans lequel vous tentez de réhabiliter Eros.
14:37 Mais pourquoi y a-t-il besoin en ce moment particulièrement de réhabiliter ?
14:41 Il souffre de quels préjugés ?
14:44 Bien, tout à l'heure, vous évoquiez le besoin de confort, de sécurité.
14:49 Et particulièrement quand les temps sont difficiles, on a envie de quelque chose, d'un cocon pour nous rassurer.
14:56 Peut-être à ce sens, plus que jamais, Eros a besoin d'être réhabilité,
15:00 comme, à mon sens, l'essence même de la vie.
15:04 C'est-à-dire que oui, il est éphémère, oui, il est emprunt de douleurs,
15:08 quel que reux qu'il puisse être.
15:09 Oui, tout ça, c'est la vie même qui est ainsi.
15:12 La vie même est éphémère, la vie même est douloureuse.
15:15 Et aimer, oh, à la fin des fins, c'est vivre.
15:17 En tout cas, vous suivez toujours un peu le même fil, Marianne Chailland.
15:21 Je me souviens de votre précédent ouvrage « Où donc est le bonheur ? »
15:24 J'avais même eu l'immense plaisir de vous recevoir déjà sur France Inter pour en parler.
15:28 Et vous disiez, si je me souviens bien, qu'il fallait souffrir,
15:31 qu'il fallait endurer certaines difficultés pour accéder au bonheur.
15:35 Et là, finalement, vous tenez le même discours.
15:36 Si on vous entend bien depuis une quinzaine de minutes, vous nous dites
15:39 qu'il faut accepter d'endurer la souffrance amoureuse pour se sentir immensément vivant.
15:44 C'est votre philosophie de vie ou c'est la philosophie des philosophes ?
15:47 De certains philosophes et que je fais mienne.
15:50 C'est-à-dire, effectivement, dans mon livre précédent sur le bonheur, je disais
15:53 la notion de bonheur peut être très, très dangereuse.
15:56 Elle peut nous rendre très malheureux quand on croit à tort
15:58 que le bonheur, c'est le ciel bleu sans nuages.
16:00 Quand on a compris que c'était impossible et qu'il fallait, pour être heureux,
16:03 aimer et le ciel bleu et les nuages, et qu'il fallait accepter cette règle du jeu de la vie,
16:08 eh bien alors, quand on l'accepte, on est heureux.
16:10 Il en va de même pour le désir.
16:12 Quand on demande au désir d'être éternel, il vécure heureux et fière beaucoup d'enfants.
16:16 On se promet à la souffrance.
16:18 Pour terminer, Marianne Chailland, je lis en quatrième de couverture,
16:20 vous êtes présentée comme une icône de la pop-philosophie.
16:23 Alors le mot icône, on en fera ce qu'on en veut.
16:25 Mais en tout cas, vous êtes de cette école-là, inventée par Deleuze dans les années 70.
16:30 C'est une théorie qui a beaucoup évolué chaque décennie,
16:32 avait sa propre conception de la pop-philosophie.
16:35 Aujourd'hui, 2023, la pop-philosophie, c'est quoi ?
16:37 Pour moi, en tout cas, sans prétendre la définir pour tous,
16:40 c'est à la fois montrer que dans la culture populaire, il y a une sagesse qui est présente
16:44 et qu'elle n'est pas simplement le divertissement inconsistant de certains.
16:47 Et que par ailleurs, la philosophie, elle est pérenne, elle est éternelle.
16:51 Et ce n'est pas parce qu'elle a été fondée en Grèce ancienne
16:55 qu'elle n'a plus rien aujourd'hui à nous dire.
16:56 Et n'oublions pas de nous aimer à la folie, passionnément.
16:59 C'est le titre de votre dernier livre, "À la folie, passionnément".
17:03 Marianne Chailland, merci d'être venue en parler ce matin.
17:05 Le livre sortira mercredi aux éditions des Équateur.
17:09 Merci beaucoup et bonne journée.
17:10 Il est 8h38.

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