• il y a 8 mois
À 8h20, plateau autour du Festival du livre de Paris et la littérature du Québec avec Martine Delvaux, essayiste féministe et prof de littérature à l’université de Montréal et Hélène Dorion, romancière, essayiste et 1ère Québécoise à figurer de son vivant dans le programme du bac de français. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-we-du-samedi-13-avril-2024-6631621

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00:00 (Générique)
00:07 Le livre et la lecture en fête ce matin sur France Inter.
00:10 Le Québec et sa littérature sont à l'honneur au Festival du Livre de Paris qui se tient
00:15 ce week-end au Grand Palais Éphémère.
00:17 Inter est partenaire de l'événement avec un studio des émissions sur place en public.
00:22 Partagez votre passion pour la lecture et l'écriture, chers auditeurs, en nous appelant
00:28 au 01 45 24 7000 ou sur l'appli France Inter.
00:32 Et un grand entretien ce matin avec Marion Lourdes.
00:35 Nous avons la joie et le bonheur de recevoir deux formidables autrices québécoises.
00:42 Martine Delvaux et Hélène Dorion, bonjour.
00:44 - Bonjour.
00:45 - Et bienvenue.
00:46 Vous vous connaissez toutes les deux ?
00:47 - Un peu, oui.
00:48 - Alors justement, on va voir ce qui peut exister comme pont entre vos œuvres extrêmement
00:54 différentes.
00:55 Martine Delvaux, vous êtes romancière, essayiste, féministe, vous enseignez la littérature
01:00 à l'Université de Montréal.
01:02 Vous êtes notamment l'autrice de « Pompierre » et « Pyromane » qui est disponible en
01:07 France aux éditions Les Avril.
01:08 Hélène Dorion, poétesse, romancière, essayiste et surtout vous êtes québécoise, mais la
01:15 première femme à figurer de son vivant dans le programme du Bac français avec un livre
01:20 « Méforé » qui est absolument formidable et c'est important de le dire parce qu'il
01:26 y a donc énormément de jeunes hommes, de jeunes femmes, des élèves qui découvrent
01:33 la littérature, qui travaillent sur la littérature en vous lisant.
01:37 - Tout à fait, tout à fait.
01:39 La littérature, la poésie contemporaine du 21e siècle, alors c'est vrai qu'en même
01:46 temps ça induit je pense de nouvelles manières d'enseigner la poésie.
01:50 Mon texte n'a pas été abondamment lu, commenté, étudié, etc.
01:55 On n'est pas dans Rimbaud, on n'est pas dans France-Esponge, donc bien sûr il y a quelque
02:00 chose qui se passe aussi de différent pour les jeunes qui lisent une poésie qui sans
02:05 doute met en place des enjeux qui les touchent et qui les concernent directement.
02:10 - « Les pompières » et « Pyromane », lettres en état d'urgence Martine Delvaux.
02:15 Il y a cette phrase qu'on y trouve qui est une citation d'un auteur français, Édouard
02:19 Louis, « Mettre le feu à la littérature, notre tâche commune ». Je trouve ça formidable
02:24 au moment où vous allez participer à un festival littéraire.
02:27 - Absolument, oui.
02:28 - « Mettre le feu à la littérature », comment il faut comprendre ça ?
02:31 - Il faut comprendre que c'est une image bien entendu, il ne s'agit pas de brûler les livres,
02:35 mais oui, mettre le feu à la littérature ou voir la littérature comme un lieu d'engagement,
02:39 de militance, de passion, d'amour.
02:42 « Pompières » et « Pyromane », c'était une lettre en état d'urgence écrite à ma
02:45 fille, qui à ce moment-là allait avoir 18 ans.
02:48 Je me demandais comment parler de la crise climatique.
02:52 - De la fin du monde.
02:53 - De la fin du monde.
02:54 J'étais assez désespérée et j'avais devant moi une jeune femme à qui je voulais quand
02:57 même dire « Il faut se battre, il faut continuer à lutter ». La phrase d'Édouard Louis, c'est
03:01 dans cette perspective-là un auteur que j'adore.
03:03 - Est-ce qu'on peut définir quelque chose comme une littérature québécoise ? C'est
03:07 assez surprenant ou déconcertant de découvrir que l'expression même est jeune, récente.
03:14 Elle date de 1960.
03:15 Littérature québécoise, définition, Hélène Dorion ?
03:19 - Oui, en fait, elle date quand même avant les années 60.
03:23 C'est peut-être à partir des années 60 qu'elle a pris corps, qu'elle a pris forme,
03:26 qu'elle s'est affirmée en tant que littérature québécoise autonome.
03:29 Elle vient à la fois de la France dans l'histoire, dans le temps et dans l'espace.
03:35 Elle habite un territoire nord-américain.
03:38 Je pense que sa singularité, sa force aussi, c'est de poser un regard sur le monde et de
03:42 s'emparer d'enjeux contemporains à partir d'une langue qui est travaillée par un territoire,
03:48 une culture propre à l'Amérique du Nord.
03:51 - Même question, oui.
03:52 - Oui, c'est une littérature très diversifiée aujourd'hui.
03:54 C'était littérature canadienne-française.
03:56 C'est devenue littérature québécoise au moment où le Québec a eu un projet de nation,
04:00 si on veut, lors de la Révolution tranquille.
04:02 Mais aujourd'hui, cette littérature québécoise vient de partout puisqu'on est une terre d'immigration
04:07 aussi.
04:08 On reçoit les gens et les gens qui s'installent et qui écrivent, ils viennent eux aussi de
04:12 partout à travers le monde.
04:13 - Alors le Québec est un invité d'honneur, on le disait de cette édition du Festival
04:17 du Livre de Paris.
04:18 Il y a 42 auteurs et autrices québécois et québécoises qui sont présents.
04:22 Vous y serez, vous y êtes évidemment toutes les deux.
04:25 On a envie de vous demander quand même, est-ce que le français de France et le français
04:30 du Québec, c'est la même chose, Hélène Dorion peut-être?
04:34 - Je dirais oui et non.
04:36 C'est-à-dire que bien sûr, quand le public français prend un livre d'un auteur québécois,
04:43 québécoise, l'ouvre, c'est accessible.
04:45 Ce n'est pas comme la littérature italienne, tout le monde ne parle pas italien, donc il
04:48 y a un accès.
04:49 En même temps, ça peut créer un certain malentendu.
04:51 Parce que si on s'attend à trouver quelque chose d'identique, autant dans la langue que
04:56 dans la réalité qui est décrite, que dans la vision du monde, là, il va y avoir un
05:01 malentendu.
05:02 Ce à quoi on ne s'attend pas si, par exemple, on prend un livre traduit de l'islandais.
05:06 On lit en français.
05:07 On sait que la réalité qui va être là, la vision du monde qui va être portée va
05:11 être différente.
05:12 Alors avec nous, je pense qu'il faut laisser la langue et le regard s'exprimer à partir
05:18 de la différence tout autant malgré cette ressemblance de la langue.
05:22 - Marie-Nelvo, il y a aussi cette idée que le français du Québec, c'est peut-être
05:26 un français plus vivant parce que c'est une sorte de français de combat qui se défend
05:30 contre l'anglais autour de lui.
05:33 Alors qu'en France, on a peut-être tendance à délaisser un peu notre langue.
05:36 - Oui, ce sont des questions immenses qu'il faudrait y répondre longuement.
05:42 Je crois qu'en France, vous avez aussi différents français, différents accents, différents
05:46 lexiques selon les régions.
05:47 Le Québec, c'est un peu comme ça aussi.
05:49 C'est une langue qui est vivante et qui est modulée par la présence, par la proximité
05:55 des États-Unis, du Canada anglais et puis après par ces vagues d'immigration.
05:59 Évidemment, c'est une langue qui est appelée à changer dans le temps.
06:04 Ce n'est pas la même langue tout à fait, mais est-ce qu'il y a vraiment un français,
06:08 un seul français, une seule langue française?
06:10 - C'est une très bonne question.
06:12 - Je pense aussi que la lutte, cette résistance fait en sorte qu'au Québec, on croit beaucoup
06:17 dans la langue française pour dire le monde et pour l'affirmer de plusieurs manières.
06:22 - Plus même que les Français eux-mêmes.
06:23 - Pour moi, je peux penser que quand on utilise en France un anglicisme, c'est qu'on pense
06:28 que peut-être le français est insuffisant et on va aller chercher un mot ailleurs.
06:33 - Au Québec, c'est honteux, c'est la honte d'utiliser un anglicisme.
06:35 - Je ne sais pas si c'est la honte.
06:36 Moi, j'aime mieux le voir comme c'est une foi dans la capacité du français de dire
06:41 la totalité du monde, de dire les nouvelles technologies qui arrivent, de nommer toute
06:47 cette nouveauté qui est là.
06:49 Donc, la résistance fait aussi qu'on a une foi dans la capacité du français de nommer
06:54 le monde.
06:55 - On le protège la langue.
06:56 Je pense qu'en France, intégrer des mots en anglais, ce n'est pas tant une menace peut-être,
06:59 alors que pour nous, il y a une nécessité de défendre et donc de traduire.
07:04 - Mais vous avez des exemples?
07:05 - Bien, "parking".
07:06 C'est toujours l'exemple qu'on donne.
07:08 Mais vous dites "parking", ça vous vient naturellement.
07:11 Nous, c'est "stationnement".
07:12 C'est un stationnement.
07:13 On ne dit pas un "shopping center".
07:14 Il y a vraiment toutes sortes de mots.
07:16 - Un "attaché-caisse".
07:17 Il y en a plein.
07:18 - Oui, un "planning".
07:19 Nous, on ne dit pas ça.
07:20 On dit un "agenda".
07:21 On met à l'horaire.
07:22 - C'est vrai que vous revenez régulièrement sur l'histoire de ce combat mené par différentes
07:27 générations de Québécois.
07:29 La langue est le pays, ma langue est d'Amérique.
07:32 Je suis né de ce paysage.
07:33 Il y a donc une appartenance, une affiliation à cette dimension américaine.
07:38 Le Québec, on ne le mesure pas en France.
07:41 C'est trois fois grand comme la France.
07:44 Il y a 8 millions d'habitants qui parlent le français.
07:48 Est-ce que vous vous sentez appartenir à quelque chose comme à une communauté que
07:51 formerait la francophonie ? Une communauté de destin ?
07:54 Si on écoute par exemple Alain Mabancou, qui est un romancier formidable, il s'est
07:59 toujours opposé à cette idée de francophonie.
08:01 Comme si la littérature française n'était pas francophone.
08:04 Le mot même le gêne.
08:05 - Moi je suis assez d'accord avec Mabancou là-dessus.
08:09 Je ne suis pas complètement vendue à l'idée de la francophonie.
08:12 Il y a toutes sortes de populations de pays où le français se parle.
08:18 Mais cette idée de francophonie, oui, pour moi la France est un pays francophone.
08:22 - C'est ça, ça dépend de la manière dont on compose la figure.
08:25 Si on met la France et le français de France au milieu de la figure, la périphérie devient
08:30 la francophonie.
08:31 Là c'est sûr qu'on n'est pas à l'aise avec ça parce qu'il y a un rapport de force,
08:35 de domination qui s'installe et qui ne correspond pas à la réalité.
08:39 - Alors on va aller au standard justement parce qu'il y a de nombreux auditeurs qui
08:43 veulent dialoguer avec vous deux.
08:45 Bonjour Laurent ! - Bonjour !
08:47 - Et bienvenue sur Inter ! - C'était pas vrai, Ali Baddou en direct !
08:52 - Ah ben écoutez ! Si c'est vrai ! - Oui, je suis ravi à dire, grâce à votre
08:58 collègue Emmanuel Kherad, j'ai découvert Gabriel Filtochiba.
09:01 - De la librairie francophone.
09:03 - Voilà, voilà, c'est une super émission ce que ça nous reconnaît.
09:06 - C'est une émission formidable et elle sera d'ailleurs enregistrée en direct depuis
09:11 le Festival du Livre de Paris au Grand Palais Éphémère.
09:15 - Et ce que j'ai aimé dans le livre en cabané, c'est que justement, le style et le langage
09:24 parlés québécois, c'est-à-dire qu'on ne cherche pas à franciser dans le style,
09:29 dans les formules, on a toutes les expressions verbales, on a les tournures, on a les mots,
09:36 les expressions traduites comme "tomber en amour", ça vient de "fall in love".
09:40 Remarquez, nous on dit "bien trinqué", ça vient de l'allemand "trinken".
09:44 Donc il faut s'y faire.
09:46 En fait, ça donne une musicalité particulière et un rythme particulier, c'est ça qui différencie
09:52 finalement le style québécois du style français.
09:56 Je ne veux pas dire que tout est dans le style, bon, le contenu, l'histoire, l'environnement,
10:02 le lien à la nature qu'ont les Québécois, moi qui ai eu la chance de faire le tour du
10:06 Québec il y a 30 ans, c'est un rapport à la nature, un rapport à l'autre qui est très
10:12 direct.
10:13 - Merci Laurent pour cette intervention, c'est vrai que c'est magnifique "tomber en amour"
10:17 comme expression.
10:18 C'est vrai qu'il y a cette relation avec la nature dans "Mes forêts" par exemple, Hélène
10:24 Dorion, qu'est-ce que ça vous inspire justement ce que vient de nous dire Laurent ?
10:28 - Effectivement, je résonne beaucoup quand il dit le lien à l'autre, l'aspect très
10:34 direct aussi et c'est peut-être là aussi un lien à la nature, on a une nature très
10:38 forte, très présente.
10:39 On a tendance à penser qu'on la voit de façon assez bucolique, mais la nature a quelque
10:45 chose de très sauvage aussi, de menaçant, de fantomatique presque, de violent à la
10:51 limite et en tout cas moi quand je l'évoque dans mes livres, à la fois dans "Mes forêts"
10:56 mais aussi dans mon roman avec le fleuve, "Pas même le bruit d'un fleuve", donc le fleuve
10:59 Saint-Laurent a quelque chose aussi presque du prédateur et ça crée sans doute un lien
11:07 à la fois oui direct mais sensoriel dans la chair, dans le corps, non seulement avec
11:14 la nature mais entre nous c'est vrai qu'il y a une manière aussi d'être, de se parler,
11:19 d'être les uns avec les autres qui est sans doute assez directe.
11:24 - Martine Delvaux, quand on parle Québec en France, on pense aussi accent, alors évidemment
11:28 vous avez un accent de notre point de vue et de votre point de vue c'est l'inverse,
11:32 mais dans Libération vous évoquez aujourd'hui la glottophobie, donc cette discrimination
11:36 qui est liée à l'accent, vous racontez une scène avec l'animateur de télé bien
11:39 connu Thierry Ardisson qui vient d'être décoré par le président de la République,
11:43 qu'est-ce qu'il a fait racontez-nous?
11:44 - Il a reçu Nelly Arcan quand elle a publié son premier roman "Putain" et bon il a fait
11:51 ce qu'il faisait à l'époque, une interview, dans ce cas-là il y a été beaucoup question
11:56 de sexualité, de son rapport aux hommes et tout, elle était très jeune Nelly Arcan.
11:59 - Très jeune et très belle.
12:00 - Et très jolie oui et elle avait sans doute pas été bien préparée ou encadrée donc
12:05 on l'a un peu jetée dans la gueule du loup, mais ce qu'il a fait c'est qu'à la question,
12:09 il y avait l'interview "Open Down" et à la question "Qu'est-ce que vous avez de moins
12:12 sexy?"
12:13 elle bafouillait, elle ne savait pas trop comment répondre et il est venu vers elle
12:17 et il l'a chuchoté dans son oreille très fort pour que tout le monde entende "c'est
12:20 votre accent, vous devez vous débarrasser de cet accent, cet accent il est..."
12:23 - Il faut perdre cet accent canadien jusqu'à aller, cet animateur Thierry Ardisson, dire
12:29 que l'accent du Québec faisait déborder.
12:32 - Il l'a dit il y a quelques semaines, c'est pour ça que je l'ai cité dans l'article.
12:35 - Il l'a redit oui.
12:36 - Il l'a redit, il n'y a pas eu de "mea culpa" ou de retrait, non, il l'a répété au contraire.
12:41 Et ça c'est pas étonnant, c'est-à-dire que du point de vue d'une Québécoise, c'est
12:44 pas étonnant d'entendre des choses pareilles même si c'est absolument révoltant.
12:48 - Hélène Dorion, vous avez ce sentiment de glottophobie à l'égard, alors évidemment
12:52 c'est pas que les Québécois, mais à l'égard des accents dans la langue française?
12:56 - Ce que je déplorerais ce serait qu'on nous aborde d'abord avec ça.
13:02 C'est que nous on n'aborde pas forcément le monde à partir de l'accent et on a parfois
13:07 l'impression que la première chose qu'on voit, "ah oui, je vous ai reconnu, j'entends
13:11 l'accent québécois".
13:12 Et nous on se promène pas en France, on se dit "ah je vous reconnais, vous êtes français".
13:16 Mais si on commence à demander aux gens "mais d'où ils viennent, d'où ils viennent?"
13:19 ils viennent même pas forcément d'ici.
13:21 - Il y a ça, mais il y a même le sous-titrage des films, c'est-à-dire que nous on sous-titre
13:25 les films québécois au Québec, l'inverse n'est pas vrai.
13:28 - Mais non, nous on vous comprend.
13:29 - C'est ça le malentendu.
13:30 - Oui c'est ça, en réel.
13:31 - Ou on fait l'effort, on fait l'effort pour comprendre, vos films sont pas traduits.
13:35 On dirait qu'on fait vraiment, c'est le cas de le dire, tout un plat avec l'accent.
13:39 - Mais oui, alors qu'un film où il y a de l'argot, du verlan, c'est pas traduit.
13:43 Pour nous on comprend, on est capable de vous suivre.
13:46 Ici tout de suite on nous dit "ah oui, vous êtes du Québec, non mais je comprends pas"
13:50 ou "ah vous le dites comme ça" ou "on répète hier dans un café, le serveur a répété
13:53 ce que j'avais dit parce que bon, ma formulation elle était québécoise, elle était pas française".
13:57 Et il y a vraiment une hiérarchie, c'est-à-dire que le serveur me regardait de haut.
14:01 - Le français de France est au-dessus des autres, hein, de type de français.
14:04 - Bien sûr, bien sûr.
14:05 - Bonjour Dominique.
14:06 - Bonjour France Inter, bonjour à vos invités.
14:10 - Bienvenue.
14:11 - Merci, je voudrais poser une question, donc la France qui a toujours été historiquement
14:17 une terre d'accueil, qui a toujours accueilli avec tolérance, est-elle toujours justement
14:26 cette terre d'accueil avec une vision vue de l'extérieur?
14:29 - Bien merci pour votre question, qui veut répondre, Hélène Dorion, Martine Delvaux?
14:35 - Je sais pas, c'est à nous de répondre, c'est peut-être aux français qu'il faut
14:40 demander si leur pays est toujours une terre d'accueil, mais le problème se pose, ou la
14:44 question se pose pour nous aussi en ce moment.
14:46 Donc toute cette panique, cette peur de perdre le français par exemple, elle est présente
14:50 ici, je le sais dans les discours politiques, elle est présente chez nous, votre premier
14:54 ministre est chez nous en ce moment, et puis ça parle beaucoup d'offense de la langue
14:58 française, mais si on est une terre d'accueil, il faut aussi accepter que le français change,
15:02 qu'il bouge, que cette langue soit vivante et qu'elle accueille justement d'autres
15:06 parler, des gens qui viennent d'ailleurs.
15:07 - Et qu'on arrête de dire «c'est-à» par exemple, puisque ce n'est pas francophone
15:11 justement.
15:12 - Exactement, qu'elle travaille dans le temps en tout cas, qu'elle puisse bouger,
15:16 une langue c'est d'abord et avant tout quelque chose de vivant et quand on veut l'affiger,
15:20 c'est plutôt qu'on va arriver à la tuer, donc c'est ça, sa possibilité.
15:25 - Qu'est-ce qui fait que vous écrivez de la poésie Hélène Dorion, ce livre méforé
15:30 et magnifique ? C'est une forme fragile de parole la poésie, c'est quasiment une
15:36 espèce en voie de disparition en tout cas, c'est rare, de plus en plus rare, et vous
15:42 écrivez des poèmes.
15:43 - Oui, à ça j'en suis pas certaine par contre, que c'est une espèce de plus en
15:46 plus rare, au contraire, moi j'ai plutôt l'impression, et on me disait justement
15:50 hier que la poésie revenait, que les jeunes allaient vers la poésie, je pense que quand
15:56 on va vers eux et qu'ils la découvrent, ben ils vont en être intéressés, il faut
16:00 lui faire la place pour dire voilà ce qui existe, s'ils ne savent pas que ça existe,
16:05 c'est sûr que ça va être difficile.
16:07 - Mais que permet la parole poétique ?
16:09 - Ben je vous dirais d'abord et avant tout qu'elle permet d'affirmer cette fragilité,
16:14 cette vulnérabilité, on est dans un monde où il y a beaucoup d'écrans de toutes sortes,
16:19 et je parle pas forcément des écrans cathodiques, mais aussi les écrans, une protection, quelque
16:23 chose de très dur qui se construit entre les êtres, des rapports aussi de domination
16:31 de la nature, donc tout est assez tendu, on parle beaucoup de santé mentale, on parle
16:37 de pauvreté, de racisme, il y a beaucoup d'éléments de tension, et je pense que la
16:42 poésie est une forme, j'allais dire, très souple de manière d'être dans la langue
16:48 et de regarder le monde avec cette vulnérabilité, cette capacité d'être et de proposer quelque
16:57 chose de fragile qui s'appelle très souvent des questions.
17:00 - Vous écrivez beaucoup d'ailleurs sur cette question des écrans dans ce livre, "Mes
17:05 forêts", il fait rage virale sur nos écrans, "Qui jamais ne dorme propage des mots sur
17:10 la surface", ce sont vos mots, et vous proposez même d'en inventer un nouveau, Facebook,
17:15 Twitter, Instagram, à lire, tout attaché, je vous cite, "Mes forêts sont un dessin
17:20 de nature morte, ignorant les écrans, mes forêts sont un verbe qui se conjugue lentement".
17:25 - Martine Delvaux, puisqu'on parle d'écran, justement, nous on a une enquête qui a été
17:29 publiée cette semaine justement en amont du festival du livre qui montre que les français
17:33 âgés de 7 à 19 ans, les enfants et les adolescents, lisent de moins en moins, justement,
17:37 à cause de la concurrence des écrans, on est passé de 2h13 par semaine l'an dernier
17:43 à 33 minutes de moins, donc, qu'en 2022.
17:49 On a perdu 33 minutes en un an.
17:51 Vous avez le même sentiment chez vous, au Québec, que la lecture est menacée par les
17:57 écrans, c'est quelque chose d'universel ça ?
17:59 - J'ai l'impression que oui, après ils lisent, il et elle lisent, mais ils lisent sur l'écran,
18:05 ils lisent autre chose.
18:06 C'est sûr qu'on a l'impression que la littérature est menacée, bon, il y aurait
18:09 plein de...
18:10 Il faudrait faire l'effort dans les écoles, dans les familles pour défendre la littérature,
18:17 mais...
18:18 - Ce n'est pas fait aujourd'hui.
18:19 - Pardon ?
18:20 - Ce n'est pas fait aujourd'hui.
18:21 - Je crois qu'on est dans des campagnes pour essayer d'encourager les parents, les enseignants
18:25 à le faire, il y a plein de campagnes qui ont cet objectif-là, mais moi, je ne suis
18:29 pas très fataliste dans la vie, et donc je me dis, non, il et elle ne lisent pas comme
18:34 nous on lisait avant, mais ils lisent autrement, et vont peut-être arriver à la lecture autrement,
18:39 et peut-être que la littérature va entrer dans leur vie un peu plus tard, mais ce n'est
18:42 pas si grave.
18:43 - Et l'écriture aussi, puisque vous écrivez en écriture inclusive, par exemple, ce qui
18:48 est un geste militant.
18:49 - Hélène Dorion ?
18:50 - Pour moi, en fait, ce qu'il y a dans mes poèmes, ce n'est pas une critique des écrans,
18:54 en fait, comme toute la technologie, il s'agit de savoir qui dirige notre vie.
18:59 Est-ce que l'écran dirige ma vie ou est-ce que moi, je l'utilise ? Et encore là, pour
19:05 ce qui est de la lecture, moi, je pense que c'est beaucoup un rapport au temps.
19:08 On l'a vu au moment de la pandémie, du confinement, le livre, en tout cas au Québec, a pris une
19:13 ampleur très, très grande.
19:14 - Ici aussi, oui.
19:15 - Je pense que c'est un rapport au temps, et c'est de se dégager un peu de ce tourbillon
19:21 d'accélération de la société, de nos vies, de nos vies intimes aussi, et de faire place
19:27 à autre chose.
19:29 Dans mon roman, « Pas même le bruit d'un fleuve », je pose la poésie, je pose l'art
19:33 en général comme une passerelle pour justement nous donner autre chose dans la vie et nous
19:40 donner notamment ce temps.
19:42 Il y a cette espèce de ralentissement qui vient aussi avec une pratique de l'art, qui
19:47 n'est pas forcément dans la création, mais aussi dans ce qu'on pourrait appeler la consommation,
19:51 bien que je n'aime pas le mot, mais en tout cas aller vers l'art et laisser l'art venir
19:54 vers soi.
19:55 - Les moraies sont des aiguilles du temps d'ailleurs, écrivez-vous.
19:58 Il y a Myriam qui est une auditrice d'Inter et qui nous envoie ce magnifique texte par
20:05 l'application France Inter.
20:06 « La littérature, dit-elle, est l'antidote à la médiocrité de la vie.
20:09 Elle devrait faire l'objet de prescriptions par plus de passeurs de littérature pour
20:13 aider des gens à sortir des mots que la vie installe parfois.
20:16 Les bienfaits sur le cerveau sont prouvés.
20:19 Dopamine, hormone du bonheur, et c'est un formidable antidote à l'accélération morbide
20:24 du temps technologique qui est contraire au rythme de la biologie.
20:28 La littérature, elle permet de soigner le monde.
20:30 - Martine Delvaux ?
20:31 - J'espère qu'elle permet de soigner le monde.
20:33 J'espère qu'elle permet de soigner le monde aussi par son engagement.
20:36 Sur les écrans, ce qu'on trouve, c'est par exemple de l'instapoésie.
20:40 Il y a de jeunes poètes qui se servent des écrans pour écrire.
20:43 La littérature, elle sert à ça.
20:46 Elle est un lieu d'engagement, de militance, de passion, d'amour.
20:51 Voilà comment elle soigne le monde.
20:52 - A Radio France, on a toute une offre de podcasts qui permet aussi aux enfants de venir
20:57 à la littérature.
20:58 Il y a Oli, il y a Toudou, il y a toute une offre.
21:01 Hélène Dorian, je voulais vous poser une dernière question parce qu'on va arriver
21:04 à la fin.
21:05 Il y a une information au France Inter ce matin de notre spécialiste littérature.
21:09 Le grand éditeur Antoine Gallimard, président du groupe Gallimard, s'oppose à la publicité
21:13 pour les livres à la télévision.
21:15 Autrement dit, on ne peut vendre aujourd'hui un livre à la télévision depuis une semaine
21:18 et lui, il est contre comme une grande partie du monde de l'édition.
21:21 Est-ce que vous le comprenez ?
21:22 Est-ce qu'on peut vendre un livre comme un paquet de lessive ?
21:24 - Non, c'est sûr, ce n'est pas un paquet de lessive, ce n'est pas des carottes, ce
21:30 n'est pas ça.
21:31 Je pense qu'il faut trouver aussi à adapter finalement le lieu extérieur où on va déposer
21:38 le livre.
21:39 On le voit par exemple, les librairies sont des lieux qui sont faits pour le livre, pour
21:44 rencontrer le livre.
21:45 Comment on peut rencontrer le livre dans la publicité, c'est sans doute à repenser
21:51 et surtout à inventer.
21:52 Mais je ne pense pas que c'est forcément la manière de considérer le livre comme n'importe
21:57 quel autre produit qui va l'aider, qui va faire en sorte qu'il soit plus vu, plus lu,
22:02 plus acheté en fait.
22:03 - Le mot de la fin Martine Delvaux, l'être en état d'urgence, c'est la situation dans
22:07 laquelle on est ?
22:08 - Oui, absolument.
22:09 Oui, quand on parlait des forêts, pour moi l'image de la forêt, c'est la forêt qui
22:12 brûle en ce moment.
22:13 - Et vous, vous écrivez beaucoup sur cette forêt qui brûle.
22:16 Je sais que d'ailleurs Hélène Dorion, vous écrivez un érable en feu.
22:21 Merci infiniment d'avoir été les invités du grand entretien d'Inter ce matin.
22:26 - Merci beaucoup.
22:27 - Martine Delvaux, je recommande très chaleureusement la lecture de Pompières et Pyromanes, c'est
22:31 aux éditions Les Avrils.
22:32 Hélène Dorion, mais forêts, de toute façon les lycéens vont être obligés de penser.
22:39 Et c'est une chance ! C'est une magnifique reconnaissance, c'est une magnifique nouvelle.
22:43 - Oui, tout à fait.
22:44 - Et pour les autres, je recommande chaleureusement de lire Mes forêts, c'est aux éditions
22:49 Bruno Doucet.
22:50 Bonne journée et bon séjour en France à toutes les deux.
22:53 À suivre la Revue de presse.

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