Couvre feu, internats, travaux d'intérêts généraux : quelles sont les mesures urgentes à adopter pour endiguer la violence des mineurs ? La Justice est elle encore adaptée à la montée de la délinquance des mineurs ? Pour en parler, Béatrice Brugère, magistrate pénaliste depuis 20 ans et à la tête du syndicat unité magistrats SNM-FO. Elle a publié "Justice : la colère qui monte" (L'Observatoire, 2024).
Regardez L'invité de RTL avec Amandine Bégot du 24 avril 2024
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00:00 RTL matin.
00:02 RTL 7h43, excellente journée à vous tous qui nous écoutez.
00:06 Amandine Bigot, vous recevez donc ce matin la magistrate Béatrice Brugère.
00:09 Béatrice Brugère, vous êtes secrétaire générale du syndicat Unité Magistrat FO
00:13 et auteur d'un livre dont on avait parlé il y a quelques jours ici même avec Yves en justice
00:17 "La colère monte" s'est publié aux éditions de l'Observatoire.
00:20 Trois adolescents de 14 et 15 ans qui lynchent à mort un jeune homme de 22 ans,
00:25 ça s'est passé à Grande-Synthe, l'un d'entre eux d'ailleurs toujours en garde à vue ce matin,
00:28 il y a trois semaines. C'est Shem Sedin, 15 ans, qui avait été tué à la sortie de son collège à Viry-Châtillon.
00:33 Ceux qui ont été mis en examen ont entre 17 et 20 ans.
00:37 Je pense aussi à Zakaria, 15 ans, tué à Romance-aux-Risères.
00:40 Ou encore Samara, très violemment agressé à Montpellier par des jeunes de son âge.
00:44 On a l'impression, Béatrice Brugère, qu'il n'y a pas une semaine qui passe sans un nouveau drame.
00:48 Est-ce que nos ados sont vraiment plus violents qu'avant ?
00:51 Oui, merci. Alors en effet, la série que vous venez d'évoquer
00:57 pourrait laisser penser qu'il y a une violence extrême qui est en train de monter.
01:01 La problématique pour nous de pouvoir répondre à votre question de façon précise,
01:06 c'est que nous n'avons pas une cartographie ni des statistiques extrêmement fiables.
01:11 Et d'ailleurs, ce n'est pas moi qui le dis, c'est un rapport que je vous invite à lire
01:16 de la Commission des lois qui a été faite en septembre 2022,
01:19 qui est assez claire sur le sujet, qui était sur la délinquance des mineurs,
01:23 et qui dit qu'aujourd'hui, en l'état des chiffres et des statistiques que nous avons,
01:27 nous n'avons pas de statistiques fiables sur l'augmentation de la délinquance.
01:31 Mais ce que l'on sait et ce que l'on voit, ça c'est intéressant,
01:35 c'est que si les chiffres ne disent pas tout, ou en tout cas ne disent pas exactement
01:39 ce qu'est cette augmentation de la violence, on s'aperçoit quand même que
01:43 là où il y avait beaucoup d'atteinte au bien, aujourd'hui il y a beaucoup d'atteinte aux personnes,
01:48 et notamment avec des armes, et de plus en plus jeunes.
01:51 - Donc c'est une nouvelle forme de violence, différente et plus jeune ?
01:55 - Oui, c'est pour ça que les chiffres ne disent pas tout, ne disent pas exactement ce qui se passe,
01:59 parce que si on les regarde, même si on met des guillemets, ils ne sont pas tout à fait fiables,
02:03 en tout cas on ne voit pas une explosion sur les chiffres, si vous voulez, de la délinquance.
02:08 En revanche, ce que l'on voit si on va de façon plus fine sur une étude statistique,
02:14 c'est que cette violence est beaucoup plus violente sur les atteintes aux personnes,
02:19 et surtout elle est de plus en plus jeune.
02:21 Les faits que vous avez cités montrent aussi quelque chose d'important,
02:25 c'est une gravité dans cette violence, puisque parfois on a même des actes de barbarie.
02:31 Un des faits que vous avez cités est épouvantablement barbare,
02:36 c'est la dernière agression du jeune homme de 22 ans,
02:39 les images sont innommables, donc je ne vais pas en parler,
02:43 mais on voit très bien qu'on a affaire à des profils,
02:46 ce que dit d'ailleurs le pédopsychiatre Maurice Berger,
02:49 qui sont quasiment des psychopathes très très jeunes.
02:52 - Des psychopathes ? C'est fort comme mot !
02:54 - C'est-à-dire qu'on a plus, c'est quoi en fait la psychopathie ?
02:57 C'est que vous n'avez plus d'empathie, c'est-à-dire que quand vous interviewez ou vous auditionnez ces jeunes,
03:02 en réalité ils n'ont aucun sentiment de culpabilité,
03:04 ils ne voient pas la frontière entre le bien et le mal,
03:08 et en vérité ils sont assez indifférents à la souffrance de la victime,
03:11 et c'est ce que l'on peut voir dans les affaires.
03:13 Donc c'est très choquant, et c'est très angoissant,
03:16 et si vous mettez ça en parallèle avec les augmentations de violences qui se passent dans l'enceinte scolaire,
03:23 dans ce rapport il y a un chiffre qui est très intéressant dont personne ne parle,
03:27 c'est que pour les élèves de CM1-CM2,
03:30 donc CM1-CM2 on est sur... - 9-10 ans.
03:32 - 9-10 ans, merci !
03:33 Vous avez quasiment 23% des élèves qui viennent à l'école avec la boule au ventre
03:40 parce qu'ils ont déclaré qu'ils ont très peur de la violence au sein de l'enceinte scolaire.
03:45 - Un enfant sur 4 de 9-10 ans a peur d'aller à l'école.
03:49 - Vous voyez le rapport il date de septembre 2022,
03:52 donc il est déjà un petit peu ancien,
03:54 on parle de 23%, donc c'est pratiquement un élève sur 4.
03:57 Et je vous invite également à aller voir un autre rapport qui est très intéressant,
04:01 qui a été fait aussi récemment par la commission des lois sur les atteintes à la laïcité,
04:06 où vous avez une explosion des violences, y compris sur les professeurs,
04:11 sur des nouveaux, j'allais dire, enjeux, qui sont les enjeux de la laïcité.
04:15 Donc en fait ce qui est intéressant dans la violence que vous décrivez,
04:18 c'est de comprendre 1) qui sont ces mineurs,
04:21 quelles sont ces nouvelles formes de violences,
04:23 qui sont aussi à mettre en phase avec la cybercriminalité, le harcèlement,
04:28 qui sont une explosion.
04:30 Donc c'est quoi ces chiffres ?
04:31 Il faut aller derrière, les comprendre,
04:33 et pour bien analyser les causes de cette montée de la violence.
04:37 Et l'autre question c'est bien sûr, que faire face à ça ?
04:39 Le Premier ministre l'a dit la semaine dernière,
04:41 la délinquance a évolué, la justice doit s'adapter, dit-il.
04:45 Il y a eu une réforme de la justice des mineurs en 2021, elle n'a rien changé ?
04:49 Alors que faire ? Votre question est intéressante,
04:51 parce que c'est presque une question de méthodologie.
04:54 On entend le Premier ministre qui dit qu'il faut s'attaquer aux racines,
04:57 aux causes de la violence, faut-il encore la connaître ?
05:00 Alors, aujourd'hui, on légifère à l'aveugle.
05:03 Moi ça fait déjà quelques années que je participe, j'allais dire, aux auditions.
05:08 Nous n'avons aucune analyse criminologique, aucun renseignement criminel.
05:11 Nous n'avons pas de chiffres stables,
05:13 et en fait on légifère en permanence, sans se soucier de la réalité criminelle.
05:17 Or le dernier code de justice des mineurs,
05:20 il y avait déjà cette criminalité.
05:22 Depuis 2009, souvenez-vous, on a eu aussi des faits médiatiques
05:26 sur les bandes de jeunes qui faisaient des règlements de comptes.
05:29 On en a parlé, on s'est étonné.
05:31 Vous savez, les territoires, même des jeunes qui tiraient avec des armes de guerre.
05:35 Donc si on continue à légiférer sans s'occuper de la réalité,
05:38 la réalité, elle revient en boomerang un jour,
05:41 et elle est traitée de manière médiatique.
05:43 Mais l'urgence numéro 1, d'après vous, c'est quoi ?
05:46 On ne punit pas assez, par exemple ?
05:48 L'urgence numéro 1, c'est de connaître son terreau criminel.
05:52 Alors, 1, il faut connaître et avoir les chiffres.
05:54 Mais ensuite, une fois que vous avez compris ça, vous avez compris quoi ?
05:58 Qu'il y a une surreprésentation dans certains secteurs criminels.
06:02 Les trafics de stupéfiants, les atteintes aux personnes,
06:05 le cyberharcèlement, la déscolarisation avec toutes les atteintes et les violences,
06:10 et les violences sexuelles.
06:12 C'est un angle mort également, puisqu'il y a une explosion de violences et de viols sexuels,
06:16 de mineurs sur mineurs.
06:18 Et parfois de très jeunes mineurs, moins de 13 ans.
06:21 Dans certains cas, qui sont 30%.
06:23 Qui paraît complètement effarant à l'usine.
06:25 Il faut adapter notre législation, c'est-à-dire, pour ces mineurs-là,
06:28 pas tous les mineurs, il faut avoir des outils rapides.
06:32 C'est ce que dit d'ailleurs le pédopsychiatre Maurice Berger.
06:34 Aujourd'hui, c'est 9 mois minimum.
06:39 On est passé de 15 à 9 mois, d'après le ministère de la Justice,
06:41 pour juger en tout cas.
06:44 Et le problème de la justice des mineurs, c'est qu'aujourd'hui, elle se rend en deux temps.
06:48 1, on dit si le mineur est coupable ou pas.
06:50 Et 2, on met la sanction il y a 6 mois, souvent entre les deux.
06:52 La justice des mineurs a été faite à contre-temps et à contre-sens.
06:56 Donc on s'est trompé depuis des années.
06:58 On a rallongé et on n'a pas pris en compte cette criminalité extrêmement violente,
07:01 sur laquelle, et Gabriel Attal a raison, il faut ouvrir le débat sur des comparaisons immédiates,
07:05 sur des faits très graves pour les sanctionner très vite.
07:08 Donc des comparaisons immédiates, même des 16 ans avant ?
07:11 Oui, sur des faits très graves et sur des mineurs qui sont déjà très délinquants, oui.
07:16 On a réduit les possibilités de détention, je pense que c'est une erreur.
07:20 Ça veut dire qu'il faut envoyer des mineurs en prison ?
07:22 Il faut, quand c'est nécessaire, envoyer des mineurs.
07:24 A partir de quel âge, Béatrice Brugère ?
07:27 Alors, vous savez, aujourd'hui, le problème, c'est que la criminalité est de plus en plus jeune.
07:32 Donc aujourd'hui, avant 16 ans, c'est très difficile de mettre un mineur en détention.
07:36 Et c'est normal. Alors ce sont des détentions spéciales.
07:39 Aménagées dans des centres particuliers.
07:41 Mais surtout, ce qu'il faut voir, c'est qu'un mineur sur deux fait l'objet d'une assistance éducative.
07:46 Si vous n'avez pas une vision macro, en fait, aussi, de toute l'assistance éducative des mineurs,
07:51 qui est aussi en grande difficulté parce qu'on manque de moyens,
07:54 que les délais de prise en charge de la protection judiciaire et des départements sont extrêmement lents,
07:59 parce qu'il n'y a pas assez de moyens, il n'y a pas assez d'éducateurs,
08:02 il faut absolument faire un plan massif de réinvestissement sur la justice des mineurs,
08:06 tant en assistance éducative qu'au pénal, avec des nouveaux outils pour aller plus vite, pour être plus sévère.
08:12 Mais également, il faut voir que du côté de l'éducation nationale,
08:15 nous avons une énorme problématique parce que les mineurs qui sont délinquants,
08:18 c'est surtout des mineurs qui sont déscolarisés ou qui traînent la nuit,
08:22 puisque j'ai entendu dire aussi qu'on avait aussi des mineurs très très jeunes qui traînaient la nuit.
08:27 Mais le couvre-feu partout, par exemple, vous y êtes favorable ?
08:29 Tout est bon !
08:30 Tout est bon !
08:31 Il faut un plan massif, en réalité, pour reprendre en main cette délinquance
08:35 et ces mineurs qui sont aussi en danger et qui parfois, d'ailleurs, tombent dans la délinquance,
08:39 et on n'est pas au rendez-vous.
08:41 Mais vous nous dites, il faut aller plus vite, frapper plus fort.
08:44 On nous dit régulièrement que les magistrats, et je pense notamment au juge des enfants,
08:47 qu'ils sont débordés. Ils ont les moyens aujourd'hui d'aller plus vite ?
08:50 Mais c'est qu'un problème de moyens ou c'est un problème de logique ?
08:53 C'est les deux philosophies.
08:54 C'est les deux. En réalité, il y a un problème de moyens et il y a un problème de philosophie,
08:58 c'est-à-dire qu'il faut arrêter d'avoir de l'idéologie,
09:00 il faut regarder la réalité criminelle telle qu'elle,
09:02 il ne faut pas faire de généralités excessives,
09:04 parce qu'encore une fois, c'est une petite minorité de délinquants,
09:08 donc il faut faire comme ce que font les anglo-saxons de la criminologie,
09:11 connaître son bassin de délinquance,
09:13 mais également il faut ne pas oublier toute l'assistance éducative
09:16 qui aujourd'hui est effondrée.
09:18 Le principal syndicat des éducateurs, vous parliez des éducateurs,
09:21 à l'instant dénonce une course à l'échalote avec l'extrême droite.
09:24 Qu'est-ce que vous leur répondez ?
09:25 Justement, en fait, il faut avoir cette vision globale,
09:27 parce qu'en fait, vous ne pouvez pas penser la délinquance des mineurs
09:30 sans penser l'effondrement de l'éducation nationale,
09:33 le manque de moyens pour la prise en charge éducative qui est liée,
09:36 et toutes les dérives sur la violence, l'hypersexualisation,
09:40 la pornographie, les réseaux, etc.
09:43 Donc, il ne faut pas avoir une vision segmentée, il faut avoir une vision globale.
09:46 Donc, pour l'instant, on ne prend pas la bonne route ?
09:48 Si, parce que les annonces de Gabriel Attal sont plutôt intéressantes,
09:52 mais elles ne sont pas suffisantes.
09:54 Merci beaucoup, Béatrice Brugère.
09:55 Et je rappelle, votre livre "Justice, la colère monte"
09:58 publié aux éditions de l'Observatoire.
10:00 Vous restez avec nous, Béatrice Brugère.