• il y a 8 mois

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00:00 Une histoire qui remonte à quelques semaines, Anne, mais qu'on vous raconte ce matin.
00:04 Une histoire peu ordinaire, celle d'un homme qui a pris son courage à deux mains pour aller sauver ses voisins.
00:08 Et cet homme c'est Eman Sualmi qui est avec nous ce matin. Bonjour !
00:12 Bonjour, merci de me recevoir.
00:14 Avec plaisir. Vous, vous travaillez comme veilleur de nuit dans une résidence senior, c'est ça ?
00:19 Dans le quartier Boutonnet à Montpellier.
00:21 Et c'est justement en pleine nuit, pendant que vous étiez en train de travailler, qu'une résidente vous a alerté.
00:25 Exactement. J'étais en train de travailler la nuit vers 4h du matin.
00:29 Et c'est là que je reçois un appel peu commun. On m'annonce qu'il y a un incendie dans le bâtiment en face.
00:35 Donc je décide de quitter mon travail et aller intervenir.
00:39 Et une fois arrivé devant, j'essaye d'alerter tout le monde.
00:44 Et tout le monde commence à descendre. J'essaye de gérer un peu la situation.
00:49 Et en demandant s'il y a des personnes handicapées ou âgées dans le bâtiment,
00:53 on me répond qu'au troisième il y en a une. Ou au quatrième, plutôt.
00:57 Et du coup je décide de rentrer dans le bâtiment en feu.
01:00 Donc parce que pour reprendre, vous arrivez à faire descendre un maximum de monde ?
01:04 Un maximum de monde, c'est ça. Donc les alertes sont en bas du bâtiment.
01:07 Moi je vois l'étage au cinquième qui est en train de brûler.
01:10 Et comme c'était 4h du matin, tout le monde dormait.
01:13 Évidemment.
01:14 Et c'est quoi ? Vous avez sonné à chaque fois ?
01:17 Non, j'ai crié, j'ai sifflé, j'ai essayé de faire mon maximum pour que tout le monde m'entende.
01:22 Donc les résidents ouvraient leurs fenêtres et ils essayaient de regarder ce qu'il se passait.
01:27 Je leur disais de descendre par les escaliers.
01:30 Donc une fois qu'ils sortaient, j'essayais de les ranger par palier d'étage,
01:35 pour essayer de voir s'il manquait personne.
01:37 Alors c'est-à-dire, vous avez dit, dans le quartier habitant, il y aurait du chaussé ?
01:40 Les personnes du premier avec les personnes du premier.
01:44 J'ai essayé aussi d'envoyer deux personnes au niveau de la route pour avertir les pompiers qu'ils étaient prévenus.
01:50 Parce que c'est un bâtiment qui est difficile d'accès.
01:54 Pour leur indiquer que c'était là qu'ils allaient tourner ?
01:56 Exactement, parce que de la rue on ne voit pas le bâtiment.
01:58 Donc voilà, et pendant que les personnes se rangent, je demande encore une fois si personne handicapée ou âgée.
02:08 Et donc il y a une femme qui vient et qui me dit "oui, il y a une femme, une dame, elle a 93 ans, elle est sourde et elle ne peut pas marcher".
02:16 Compliquée de sortir du bâtiment du coup ?
02:19 Oui, j'entends ça, je suis obligé d'y aller.
02:21 Donc vous êtes rentré alors que l'immeuble était en train de prendre feu ?
02:25 Oui, exactement, donc je rentre, je monte les escaliers, en montant les escaliers je toque à toutes les portes en même temps.
02:29 Je me dis qu'il peut encore rester des gens qui ne m'ont pas entendu.
02:33 Donc il restait bien une famille avec un bébé.
02:36 Et arrivé au niveau de la porte de la mamie, j'essaye de la casser et ça ne passe pas.
02:43 Elle ne bouge pas d'un millimètre du coup je continue, je continue.
02:48 Et à un moment, il y a une voisine qui descendait aussi et qui me dit qu'elle a le double de ses clés.
02:53 Que sa famille, par souci de prévoyance comme elle est un peu âgée, elle lui avait donné le double.
02:59 Mais le double était resté chez elle au huitième.
03:02 Donc au-dessus de l'étage qui est en train de flamber ?
03:05 Du coup, moi je me dis que la solution elle a apparu pour la sauver, donc je décide de monter quand même.
03:09 Je passe par l'étage en feu, par les escaliers, c'était très chaud.
03:14 Et je récupère la clé qui était à l'entrée dans un pot et je redescends et j'arrive à ouvrir la porte.
03:21 Donc elle était dans son lit endormie.
03:23 Pas du tout consciente de ce qui se passait ?
03:25 Pas du tout, elle n'entendait pas et j'avais même un peu peur de la réveiller brusquement.
03:30 Donc j'essayais d'y aller doucement en disant "Bonjour madame, je suis là pour vous sauver, ne vous inquiétez pas".
03:35 Elle était en usine donc je l'ai habillée un peu vite fait.
03:39 Tout ça, ça se passe en combien de temps ?
03:41 Entre le moment où vous avez été prévenu qu'il y a un incendie et...
03:43 10-15 minutes.
03:45 Je suis resté longtemps dans le bâtiment, il y avait beaucoup de fumée, c'était assez incroyable comme situation.
03:50 Vous avez eu peur à un moment donné ?
03:52 Pas vraiment.
03:55 J'ai eu peur vraiment quand tout était fini, c'est là que j'ai commencé à avoir peur.
04:00 Après, tout se passait très vite, même mon cerveau réfléchissait très vite.
04:07 Vous nous racontez que vous avez trié les gens par étage, vous avez pensé à ci, à ça.
04:13 Ça vient d'où cette organisation incroyable ?
04:15 Comme je l'ai dit à Midi Libre, je leur ai dit "Je l'ai vu dans un film".
04:20 Tout simplement, je regardais un film de science-fiction et ils faisaient ça.
04:23 Donc j'ai trouvé ça intelligent et je l'ai reproduit.
04:27 Et tout de suite ça a tilté quoi ?
04:28 Je sais pas, j'étais dans une situation où mon cerveau réfléchissait très vite.
04:32 Je pourrais pas l'expliquer, tout me revenait vite.
04:38 Donc vous avez réussi à faire sortir tout le monde ?
04:41 J'imagine que les secours sont arrivés. 70 personnes au total.
04:44 C'est ce que la police m'a dit après, parce que moi je les ai pas vraiment comptés.
04:47 La police m'a dit "Vous avez sauvé 70 personnes, vous vous rendez pas compte".
04:51 J'étais content.
04:54 Vous êtes retourné, puisque vous êtes veilleur de nuit, donc vous finissez le travail vers 8h du matin.
04:58 Il était 4h, vous êtes retourné travailler comme si de rien n'était ?
05:01 Exactement. J'avais un peu peur de quitter mon travail, parce que j'ai lâché mon poste.
05:06 Et j'avais peur de me faire gronder en me disant "T'as pas à intervenir, t'es payé pour faire la sécurité ici".
05:14 Donc je suis retourné immédiatement à mon travail comme si de rien n'était.
05:17 Un peu tremblant quand même ? Ou sans vraiment vous rendre compte encore à ce moment-là ?
05:22 Ouais, un peu. C'est vraiment quand je suis sorti du bâtiment que j'ai commencé à avoir peur.
05:27 Parce que c'est là où on commence un peu à réaliser qu'on aurait pu mourir.
05:31 Parce que moi, quand j'étais dans le bâtiment et que j'ai décidé de monter 8ème, je frôle le mur.
05:35 Le mur on dirait qu'il est en train de fondre. La chaleur était intense.
05:40 Et c'est là qu'on se souvient un peu de tout ce qui se passe et on commence un peu à avoir peur.
05:45 Mais oui, je suis retourné au travail comme ça.
05:48 C'est l'enquête de police qui m'a retrouvé.
05:53 Et ensuite avec les journalistes. Parce que c'est plutôt les habitants qui ont prévenu les journalistes.
05:58 Qui m'ont vu. Parce qu'ils avaient vu un premier article.
06:02 Et ils auraient aimé qu'ils parlent de moi. Du coup ils ont contacté un peu.
06:07 Mais moi j'étais pas du tout au courant.
06:09 Parce que eux se souvenaient de vous et ne risquaient pas de vous oublier.
06:12 A priori. Vous êtes veilleur de nuit. Est-ce que ça veut dire que dans votre travail,
06:17 vous êtes souvent confronté à ce genre de situation ? Vous avez eu des formations particulières ou rien à voir ?
06:22 Non rien à voir. C'était vraiment sur le moment.
06:25 J'avais l'impression qu'il n'y avait que moi qui pouvais intervenir.
06:28 Parce que tout le monde était en train de dormir. J'étais tout seul.
06:31 Et même les gens qui descendaient, ils n'avaient pas la tête à... Ils étaient encore dans leur sommeil.
06:37 Donc j'ai décidé de faire le maximum que j'ai pu. Et ça s'est bien passé.
06:43 Et le plus fou dans cette histoire, s'il y a un plus fou, parce que tout est quand même assez fou.
06:46 Vous dites "en vrai j'ai très très très peur du feu".
06:50 C'est ça. En fait, quand j'étais jeune, j'avais mis un peu le feu, un départ de feu que j'ai pu vite éteindre.
06:57 Avec une marmite. Et depuis j'ai vu des flammes.
07:00 Chez vous.
07:01 Et depuis ce jour-là, j'ai vraiment peur du feu.
07:05 Je ne peux plus quitter la cuisine, le plat en train de cuire des yeux.
07:10 Mais sur le moment, je n'ai pas du tout pensé à ça.
07:13 Le patron, au final, il a dit quoi ? Il était fier ? Vous ne lui avez pas dit ?
07:17 Ils ont été au courant. Il y a plusieurs journalistes qui sont venus à mon travail pour essayer de me rencontrer.
07:22 Donc ils m'ont félicité.
07:26 Finalement, il n'y a pas eu de sanctions ?
07:28 Non, ils ont été très compréhensifs. Ils m'ont dit "c'est plus important de sauver des gens que..."
07:33 Dans tous les cas, j'étais dans une pièce à surveiller rien du tout.
07:37 Ça doit le rassurer un petit peu aussi.
07:39 Ça a fait une bonne pub pour l'entreprise.
07:44 Je surveille des personnes âgées et du coup, ils se sentent plus en sécurité.
07:48 C'est vrai qu'ils me le disent. Ils disent "on est rassurés que le soir vous êtes là".
07:52 Donc ça fait plaisir.
07:54 Vous pouvez continuer de regarder des films de science-fiction au boulot.
07:56 Pendant que vous bossez, apparemment, ça donne des bons réflexes.
07:59 C'est instructif.
08:00 Vous allez en faire quelque chose de cette histoire dans votre vie personnelle ?
08:04 Ou c'est juste un fait insolite comme ça qui vous est arrivé ?
08:09 Je n'ai pas réfléchi à ça.
08:11 Je pense que c'est juste un passage.
08:14 Pour le moment, je suis un peu sollicité pour raconter l'histoire.
08:18 Mais je pense que même l'histoire ne m'appartient plus.
08:20 Tout le monde me parle de l'article de Miguelib qui était très bien écrit par la journaliste.
08:25 On me parle plus de l'article qui est bien écrit que de mon histoire.
08:30 Je pense que maintenant, ça lui appartient.
08:33 C'est bien écrit parce que vous racontez bien aussi.
08:36 On est captivés par votre histoire.
08:39 Il faut peut-être en faire un film et ça pourra sauver d'autres personnes.
08:44 Peut-être si ça peut instruire des gens.
08:47 Mais je pense que ça peut être dangereux et il ne faut pas agir sur le coup.
08:53 En faisant n'importe quoi non plus.
08:54 Parce qu'effectivement, vous avez pris des risques.
08:56 Il se trouve que tout ça se termine très bien.
08:59 Les premiers réflexes étaient les bons.
09:01 Traverser un étage en flamme, il faut être sûr de sa condition physique.
09:04 Et puis on prend des risques en faisant ça quand même.
09:07 C'est ça. C'est ce que j'ai dit.
09:09 La femme qui avait le double des clés voulait absolument m'accompagner chez elle.
09:12 Je lui ai dit "Madame, on peut mourir brûlés tous les deux.
09:16 Donnez-moi vos clés s'il vous plaît."
09:19 C'est là qu'elle m'a regardé avec des yeux grands ouverts.
09:22 Ça fait peur.
09:25 On se dit qu'on peut mourir brûlés.
09:27 Vous les avez revus ces gens depuis ? Ces 70 habitants ?
09:29 Ils sont venus me voir samedi.
09:32 Ils m'ont offert des petits cadeaux.
09:34 Ça fait plaisir.
09:37 Il y a même un enfant qui m'a fait un bracelet.
09:40 Franchement, j'étais très surpris.
09:43 J'étais content. Ça fait plaisir.
09:45 Ils m'ont dit merci mille fois.
09:47 Ils ne m'oublieront jamais.

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