• il y a 8 mois
On a pu dire de la Loire qu’elle était indomptable, mais les hommes ne l’ont pas toujours perçue ainsi. Au XVIIIe siècle, de nombreux chalands la parcouraient pour transporter des marchandises aussi diverses que du savon de Marseille ou le sucre des colonies. Une navigation quotidienne, dense, mais qui n’était pas pour autant dénuée de dangers. À travers la découverte d’une épave de chaland du XVIIIe à Langeais, Virginie Serna, l’archéologue qui a dirigé l’équipe de fouille, nous permet d’imaginer ce que pouvait être une expédition commerciale sur la Loire.

Category

🗞
News
Transcription
00:00 *Musique*
00:11 On a pu dire de la Loire qu'elle était indomptable, mais les hommes ne l'ont pas toujours perçue ainsi.
00:16 Au XVIIIe siècle, de nombreux chalants la parcouraient pour transporter des marchandises
00:21 aussi diverses que du savon de Marseille ou le sucre des colonies.
00:24 Une navigation quotidienne, dense, mais qui n'était pas pour autant dénuée de danger.
00:29 On témoigne certains vestiges qui sommeillent encore dans son lit,
00:33 duquel émergent parfois des secrets inattendus.
00:36 Virginie Cerna, archéologue de métier, en a d'ailleurs fait l'heureuse expérience.
00:41 *Musique*
00:44 C'est une belle histoire, une très belle histoire.
00:47 En tant qu'archéologue, j'ai commencé à travailler sur la notion de naufrage et d'épave en Loire.
00:52 C'est ça qui m'intéressait pour les périodes médiévales et les périodes modernes.
00:56 Le 3 août 2015, je m'en souviendrai toujours, François Hérault, bâtelier, marinier, maquettiste,
01:01 très bon connaisseur de la Loire, me téléphone et dit
01:04 "Là, il y a une épave qui est sortie à Langer, il faut que tu viennes la voir."
01:08 *Musique*
01:13 Au XVIIIe siècle, sur la Loire, les naufrages de chalants n'étaient pas rares.
01:17 La disparition en 1772 de la communauté des marchands,
01:21 chargée de l'entretien du fleuve pour en faciliter la navigation, n'y est sans doute pas étrangère.
01:26 Obstacles immergés, coups de vent, passages de pont, de nombreux périls les menaçaient.
01:32 En cas d'accident, il n'y avait pas une minute à perdre.
01:35 *Musique*
01:39 Première chose, obligation d'enlever tout ce qui fait obstacle à la navigation.
01:44 Donc le bateau doit dégager, les cargaisons doivent dégager et les cargaisons, on les récupère aussi.
01:49 Parce que ce qui est le plus important, c'est vraiment de sauver les biens, de sauver toute la marchandise.
01:55 Donc après généralement le naufrage, on a quatre jours où là d'un seul coup,
02:00 toutes les communautés environnantes sont solidaires du pauvre marinier qui a fait naufrage
02:05 et hop, on récupère tout ce qui peut être récupéré.
02:07 Cette solidarité n'a pas permis de sauver toute la cargaison du chalant,
02:11 dont une bonne partie était soit trop abîmée, soit trop difficile à sortir de l'eau à cette période de l'année.
02:16 Toutefois une question demeure, comment se fait-il que l'épave n'ait pas été mise au jour plus tôt ?
02:21 *Musique*
02:25 La Loire est très changeante, sa dynamique fluviale est très changeante.
02:28 Donc on peut avoir un endroit où pendant très longtemps, la Loire a fossilisé, a amené des alluvions
02:35 sur des bancs de sable qui se végétalisent sur des sites archéologiques.
02:40 C'est exactement ce qui s'est passé pour l'épave de Langer.
02:43 En fait l'épave de Langer, épave immobile en 1795, pourquoi d'un seul coup on la découvre en 2015 ?
02:51 En fait elle a été sans doute recouverte très rapidement par je ne sais quel événement, peut-être une crue.
02:58 Sur les photographies aériennes, on voit une île qui s'est mise en place sur l'épave.
03:03 Donc entièrement végétalisée, très bien protégée, complètement fossilisée.
03:08 En 2011, en fait, on commence à avoir des travaux sur le pont de Langer.
03:13 Le tablier du pont de Langer était tombé pendant la seconde guerre mondiale.
03:17 Et là, on le re-souleve, on le re-dégage, et là ça fait un effet de chasse.
03:23 Tant et si bien que l'eau s'engouffre en fait dans cette nouvelle arche et érode complètement l'île végétalisée.
03:31 Profitant de la baisse des eaux et du fort étiage du fleuve, les archéologues découvrent alors à leur grand étonnement
03:37 un grand chaland de près de 26 mètres de long et de plus de 4 mètres de large.
03:41 Il y avait encore la partie, enfin pas complète du bateau, mais on va dire la coque en fait, les côtés du bateau.
03:51 Donc elle était, on va dire, en bon état, enfin au moins ce que l'on appelle archéologiquement complète.
03:57 Les bois se gardent très bien sous l'eau parce qu'on est dans un milieu qu'on appelle anaérobi,
04:03 donc sans oxygène, sans air. Donc on a finalement un matériel qu'on ne retrouverait sans doute en aucun cas en surface.
04:10 Et on s'aperçoit aussi tout de suite qu'il y a du matériel qui est associé, ce qui n'arrive pratiquement jamais en fait.
04:16 Virginie Cernat n'est pas au bout de ses surprises. Très vite en effet, une nouvelle pièce.
04:21 Un procès-verbal rédigé par un notaire local et découvert dans les archives départementales d'Indre-et-Loire
04:26 va la renseigner sur l'histoire de l'épave.
04:28 Et ce procès-verbal montre qu'on est au 5 mars 1795 et qu'un bateau, un grand châlon, qui descendait d'Orléans vers Nantes
04:38 avec six autres bateaux a coulé à cause d'un aménagement de berge mal fichu.
04:45 C'est là que c'est génial parce que le procès-verbal disait que le bateau descendait avec une cargaison pour le compte de la République.
04:52 Alors 1795, on est quand même dans une période trouble. On a les guerres de Vendée qui se trouvent donc plus en aval.
04:58 Et puis on a une marine française qui commence à se mettre en place pour partir en guerre contre les Anglais.
05:07 Ce bateau, comme les nombreux chalons organisés en train qui assuraient le transport des marchandises,
05:12 était chargé d'un fret éclectique et pour le moins exotique.
05:15 Alors on voit apparaître les caissons d'infanterie, les boulets de différents calibres, et puis un fret civil,
05:23 donc là des marchands, des pots de faïence, des pots de parfumeurs.
05:28 On a aussi des ballots d'estampes et de musiques, des nasses de tabac. Enfin on se prend à rêver.
05:35 Les roues, on les a retrouvées. Donc les caissons d'infanterie ont été montés sur le bateau, livrés sur le bateau,
05:44 en pièces détachées. Donc d'un côté les roues, d'un côté les caissons, d'un côté les boulets.
05:50 Et ça c'est une grande chance, lorsque la cargaison est encore en place, de la trouver dans cet état-là.
05:55 Rare, l'expérience de Virginie Cerna et de ses équipes ne constitue pas pour autant une fin en soi.
06:02 Car ni la Loire, ni les paves de Langeais n'ont fini de révéler leurs secrets.
06:07 Les étiages et les crues vont continuer de dévoiler des vestiges du passé
06:11 et nous éclairer sur la vie des communautés liées aux fleuves.
06:14 La Loire, c'est un peu un fleuve archive. Et c'est ça que j'aime bien.
06:20 C'est l'idée que le fleuve reste un conservatoire. L'histoire n'est pas finie.
06:23 Il y a encore des tas de choses à découvrir sur les paves de Langeais.
06:27 Ça appartient à d'autres générations. En archéologie, on laisse toujours un tiers du site archéologique en l'état,
06:34 ce qu'on ne touche pas, qui sont pour les générations suivantes, qui auront d'autres questions.
06:39 Et qui sauront aussi sans doute peut-être mieux traiter certaines choses que nous.
06:43 [Musique]
07:06 [Silence]

Recommandations