Au menu ce samedi : un débat sur l'inflation, un détour par Rome et un focus sur les véhicules électriques. Saura-t-on faire décoller un Airbus des batteries et pour cela, doit-on ouvrir une mine de lithium en France ? Reportage et entretien avec le patron d'ACC, la première gigafactory française.
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00:00 Et l'invité du Magéco en consomme du lithium, on va en parler.
00:03 C'est le directeur général d'ACC, Automotive Sales Company.
00:06 Bonjour et bienvenue Yann Vincent.
00:08 Bonjour.
00:09 Vous êtes donc le patron de cette co-entreprise de Stellantis, Mercedes et Total.
00:14 La première, votre première gigafactory de batteries pour voiture électrique a été
00:18 inaugurée à Douvrin, dans le Pas-de-Calais.
00:21 C'était il y a presque un an.
00:22 Presque un an, oui.
00:23 Yann Vincent, jusqu'à présent 100% des batteries, elles sont importées d'Asie.
00:27 Alors, dites-nous, est-ce qu'il y a déjà certains véhicules qui roulent avec vos batteries
00:32 ACC ?
00:33 Pas encore, mais cela va commencer cette année.
00:37 C'est effectivement tout le sens du projet d'ACC, c'est permettre d'avoir une alternative
00:43 en termes de supply chain, ce que l'on appelle supply chain, à un approvisionnement qui
00:48 est aujourd'hui exclusivement, ou quasi exclusivement, asiatique.
00:54 Donc, qui, quand ?
00:56 Notre usine a démarré à la fin de l'année dernière et on est dans la phase de montée
01:04 en cadence.
01:05 On a d'ores et déjà prévu une deuxième tranche de capacité qui est en cours de construction.
01:10 Et puis, cette année, nous allons aussi engager la construction d'une usine en Allemagne,
01:16 d'une usine en Italie, de manière à servir nos clients à partir d'une base européenne.
01:22 Mais je reviens quand même à la France.
01:24 Le but à terme, c'est de produire 500 000 batteries ?
01:29 En fait, avec la capacité que l'on aura installée dans les Hauts-de-France, on sera
01:34 effectivement en capacité d'équiper autour de 500 000 véhicules.
01:38 Tout dépend effectivement de la taille du véhicule sur lequel on met la batterie.
01:42 Et donc, si vous en produisez 500 000, pour donner une idée aux auditeurs, c'est un
01:47 quart de la demande espérée du nombre de véhicules qu'on produira en France.
01:50 Alors, il y a d'autres gigafactories qui vont sortir de terre.
01:54 Il y a aussi des sous-traitants, des centres de test.
01:57 On voit cette vallée de la batterie dans le nord de la France qui émerge.
02:01 J'imagine qu'elle recrute.
02:02 Est-ce qu'elle recrute, question importante, d'anciens salariés du thermique dont les
02:06 postes sont supprimés et qui cherchent du boulot ?
02:08 C'est au cœur de notre projet et c'est au cœur de nos choix d'implantation.
02:15 Nous sommes implantés à Billy-Berthelot-Douvrin, à côté de Lens, sur des terres que nous
02:22 avons achetées à Stellantis, des terres de la Française de mécanique.
02:26 Ce sont des terres où l'on fabriquait des véhicules et où l'on fabrique encore
02:32 aujourd'hui des moteurs thermiques.
02:34 On sait que cette activité de production de moteurs thermiques est appelée à diminuer,
02:37 à s'éteindre.
02:38 Il va y avoir des dizaines de milliers de postes.
02:40 Ce faisant, en s'implantant là, nous apportons une solution, peut-être pas totale, mais
02:47 en tout cas au moins partielle, à ce qui pourrait être dans les années futures un
02:52 drame social.
02:53 Donc aujourd'hui, vous avez quoi ?
02:54 On a aujourd'hui à peu près 500 personnes qui ont rejoint ce site.
02:59 Par ailleurs, nous avons un centre de recherche à Bordeaux, nous avons une usine pilote à
03:06 côté d'Angoulême, en Nouvelle-Équitaine.
03:08 Donc on a à peu près 500 personnes.
03:10 Il y a environ un tiers de ces 500 personnes qui sont des anciens salariés de la Française
03:16 de mécanique et nous continuons à embaucher parce que nous continuons à monter en cadence.
03:20 Donc à la fin de l'année, on sera un petit peu moins de 1000 dans cette usine.
03:23 Et c'est une grosse formation ? C'est parce que c'est un métier totalement différent ?
03:26 Ce n'est pas du tout le même métier.
03:28 Ce n'est pas du tout le même métier.
03:29 Il y a des responsabilités de management qui sont finalement identiques à celles que
03:35 l'on trouve dans n'importe quelle entreprise industrielle.
03:38 Et puis il y a des activités de conduite d'installation, de maintenance d'installation
03:44 qui sont extrêmement sophistiquées.
03:46 Donc ces personnes sont formées.
03:48 On utilise notamment notre ligne pilote de Nersac à Angoulême pour former, pour apprendre
03:53 à ces gens ce nouveau métier.
03:55 Donc une filière qui naît, Yann Vincent, mais on a entendu le reportage avec un défaut
04:00 congénital, la dépendance aux minerais stratégiques.
04:02 Vous avez entendu les inquiétudes aussi des habitants autour de cette mine de lithium
04:07 potentielle.
04:08 Est-ce que pour vous, industriel, ouvrir une mine, ouvrir cette mine, c'est nécessaire ?
04:12 Je dirais que nous on se satisfait évidemment d'avoir le plus de fournisseurs, entre guillemets,
04:22 qui soient à proximité.
04:23 Je dirais que c'est notre règle générale.
04:26 Ensuite, nous, on n'achète pas directement aux mines.
04:29 Nous achetons à des entreprises chimiques qui elles-mêmes achètent à des raffineurs,
04:35 qui eux-mêmes achètent à des mines.
04:37 Pour autant, on est extrêmement intéressé à la qualité de cette supply chain.
04:43 On s'engage auprès de nos clients, Stellantis, Mercedes pour l'instant, sur la traçabilité
04:49 des matériaux.
04:50 D'où viennent les matériaux ? On s'engage sur la qualité des mines dont nos matériaux
04:56 vont provenir, de manière à ne pas avoir de mines qui ont des exploitations environnementales
05:05 non satisfaisantes, des mines qui ont des exploitations sociales non satisfaisantes.
05:11 Mais du coup, la question c'est, est-ce que vous achèteriez ce lithium français,
05:14 potentiellement plus cher d'ailleurs ?
05:15 On ne l'achètera pas en direct.
05:16 On ne l'achètera pas en direct.
05:17 On l'achètera à un de nos fournisseurs chimiques qui, potentiellement, achètera
05:22 cette mine.
05:23 Donc, c'est le marché mondial.
05:24 D'accord.
05:25 Donc, c'est le marché automatique.
05:26 On ne peut pas se dire ça.
05:27 Non, il n'y a pas de circuit court automatique.
05:28 Ce sont des investissements en milliards ce que vous êtes en train de faire.
05:31 Et il va falloir rentabiliser.
05:33 Bon, d'abord, il y a 40 autres projets de gigafactories au moins en Europe.
05:37 C'est déjà une compétition.
05:38 Mais surtout, aujourd'hui, il y a le problème de la Chine qui surproduit massivement des
05:42 batteries.
05:43 Et là, elle les met à prix cassé sur le marché.
05:45 Est-ce que la batterie made in France, elle peut être compétitive ?
05:47 D'abord, effectivement, on a commencé l'exploitation, enfin la production de batterie avec 15 ans
05:53 de retard ou 20 ans de retard sur la Chine.
05:57 Donc, évidemment, les entreprises chinoises ont une expérience qui est plus grande que
06:02 la nôtre.
06:03 Elles ont créé autour d'elles un écosystème.
06:06 Est-ce que la bataille est perdue ? Non, la bataille n'est pas perdue.
06:09 La bataille n'est pas perdue.
06:10 Nous en sommes convaincus.
06:11 Nous en sommes convaincus parce que d'abord, nous appuyons sur non seulement notre propre
06:17 intelligence, mais aussi l'intelligence de nos actionnaires.
06:20 Parmi nous, SAFT qui produit des batteries depuis très longtemps, qui a une très grande
06:25 expertise dans le produit.
06:26 On s'appuie sur les laboratoires, sur les universités européennes.
06:30 On a un certain nombre de partenariats avec des entreprises industrielles.
06:34 Mais il y a le prix, je vous entends, je suis sûre que c'est… Bien sûr, mais il y a le prix.
06:36 Ensuite, on achète les mêmes machines que les entreprises chinoises.
06:39 On achète les mêmes matériaux que les entreprises chinoises.
06:42 Le coût du travail n'est pas un coût qui est très important dans celui d'une batterie.
06:49 Nous avons une énergie, notamment en France, décarbonée à un prix compétitif.
06:54 Nous ne supportons pas les coûts logistiques depuis la Chine.
06:59 Donc, je suis pas en train de dire…
07:01 Je formule ma question autrement, je vous entends.
07:03 Est-ce qu'il faut laisser faire le marché ou est-ce qu'il faut faire comme les Américains
07:06 et faire un peu de protectionnisme ? Pour vous, les fabricants de batteries ?
07:09 Je ne crois pas beaucoup au protectionnisme.
07:12 Je crois que nous devons nous muscler, nous devons nous battre.
07:17 Nous devons collectivement utiliser les ressources européennes, les ressources d'intelligence,
07:25 plutôt que de monter des barrières qui, de toute façon, sauraient surmonter.
07:30 Dans les dix prochaines années, il va falloir réduire le poids des batteries de moitié.
07:34 Ça sera une évolution plus satisfaisante pour l'environnement et qui aidera à résoudre
07:38 le problème de rareté du lithium.
07:39 Ça, c'est le patron de Stellantis qui l'a dit il y a trois jours, Carlos Tavares.
07:43 Alors, je sais que c'est votre actionnaire principal et votre client, mais dites-nous
07:45 quand même, est-ce que de plus petites batteries, c'est votre axe de travail ?
07:48 C'est un axe fondamental d'innovation.
07:51 C'est faire en sorte que finalement, à même volume, on puisse mettre plus de densité
07:58 énergétique.
07:59 Plus de densité énergétique voulant dire plus d'autonomie.
08:01 Donc, nous y travaillons et cela passe par la chimie.
08:07 Cela passe par la dimension des cellules que l'on utilise pour effectivement, à terme,
08:15 réussir à réduire le poids des batteries.
08:18 Yann Vincent, ces derniers mois, il y a eu des doutes sur les ambitions écologiques
08:21 et environnementales de Bruxelles.
08:23 Est-ce que dans un coin de votre tête, il y a un scénario où l'interdiction des
08:26 ventes de moteurs thermiques qui est prévue pour 2035, elle est repoussée ?
08:30 Ce que l'on a comme règle de comportement, c'est une prudence extrême.
08:37 On voit bien que l'environnement est extrêmement incertain, est extrêmement volatil.
08:42 Vous l'avez mentionné tout à l'heure, le coût des investissements est considérable.
08:46 Une giga factory, c'est environ un milliard d'euros.
08:50 Donc, autant dire que nous sommes extrêmement prudents sur la compétitivité des coûts.
08:56 On ne construit pas une giga factory si on n'est pas sûr d'avoir un montant d'investissement
09:00 maîtrisé.
09:01 Et puis, on cherche à le faire au plus près possible de la demande.
09:06 Donc, on est très vigilants.
09:08 Vous ne me répondez pas tout à fait sur l'interdiction.
09:12 Vous pensez que c'est possible ou pas ?
09:14 Vous voyez, c'est important pour vous, j'imagine, si on dit ou pas qu'en 2035, les ventes de
09:19 moteurs thermiques sont interdites.
09:21 C'est un élan ou pas ?
09:22 Au premier ordre, c'est très important pour le constructeur automobile.
09:25 Au premier ordre, c'est pour le constructeur que c'est important.
09:28 Je suis convaincu que l'électrique qui a un impact favorable sur le CO2, donc sur
09:36 la protection de la planète, va croître.
09:40 Est-ce que ça croîtra aussi vite qu'on le pensait il y a quelques mois ?
09:45 Je pense que non.
09:46 Je pense que non.
09:47 Ça, c'est une réponse.
09:48 Cette semaine, le grand débat et la grande tension entre écologie et économie, ça
09:52 a été au sujet des polluants éternels.
09:54 Une proposition de loi a été adoptée pour mettre des limites à la fabrication et à
09:58 la vente de certains produits.
09:59 Alors, les poils y échappent, les poils anti-adhérents.
10:02 Il y a des pifas, ça s'appelle comme ça, dans les batteries pour véhicules électriques.
10:06 Est-ce que vous êtes concerné ?
10:07 Oui, les pifas sont des produits fluorés dont effectivement la toxicité apparaît
10:14 comme critique.
10:15 Nous avons des pifas dans les batteries.
10:17 Nous avons des pifas dans les machines pour fabriquer les batteries.
10:21 Nous n'avons aucun rejet de pifas.
10:23 Donc, il n'y a aucun pifas qui part dans l'eau, qui part dans le sol comme conséquence
10:29 de notre production.
10:30 Le point qui est important, c'est que nous travaillons pour, à terme, pouvoir les supprimer.
10:37 Les fabricants de machines y travaillent aussi.
10:40 Aujourd'hui, il n'y a pas de solution.
10:42 C'est-à-dire que si à court terme, on nous disait "vous ne devez plus mettre de pifas
10:47 dans vos batteries, vous ne devez plus utiliser de pifas dans les biens d'équipement",
10:50 on ne saurait pas faire des batteries en Europe.
10:52 Donc, vous n'avez pas d'alternative.
10:53 Mais ce que j'ai envie de vous dire, c'est que ce n'est quand même pas un nouveau sujet
10:55 ces pifas.
10:56 Comment se fait-il que les industriels, tous, n'aient pas cherché avant des alternatives ?
11:02 C'est-à-dire qu'en fait, on ne les rejette pas.
11:06 La toxicité vient finalement du fait que ces pifas puissent être dans l'eau, puissent
11:13 être dans la terre.
11:14 Le fait qu'elles soient dans des batteries protège complètement finalement le citoyen.
11:21 A propos de technologie, vous allez voir, je reviens au chinois, je lis qu'il maîtrise
11:26 une autre technologie que la batterie à lithium-ion, celle justement que vous avez.
11:31 Et je lis aussi que cette technologie de batterie LFP est moins chère.
11:35 Est-ce que ça, c'est une inquiétude ?
11:36 En fait, la technologie LFP, c'est ce que l'on appelle lithium phosphate de fer.
11:42 C'est une chimie qui est beaucoup moins coûteuse, qui est aussi beaucoup moins dense énergétiquement.
11:50 Donc toujours la même chose, à même volume utilisé, vous aurez moins d'énergie, donc
11:58 moins d'autonomie possible sur la voiture.
12:01 C'est évidemment des sujets sur lesquels nous travaillons en termes d'ingénierie.
12:04 Ils ne vous ont pas déjà mis sur le bord de la route ? Vous êtes en train de bosser
12:09 là-dessus aussi, c'est ça que vous nous dites ?
12:11 Non, c'est comme sur le reste.
12:12 C'est-à-dire que nous sommes dans une course où nous avons à rattraper celui qui est
12:19 parti avant.
12:20 Donc on redouble d'efforts.
12:22 Yann Vincent, le directeur général d'ACC Enthousiastes sur le défi.
12:27 Merci d'avoir accepté l'invitation d'En Arrête Pas L'Écho.