Marie Portolano reçoit sur le plateau de Télématin Adeline Toniutti, venue livrer un témoignage fort. La professeure de chant, victime de violences conjugales, publie un livre intitulé Incandescente pour toujours. « Je pense qu’il est de ma responsabilité en tant qu’artiste et personnalité publique d’aider à transformer la société et de faire porter ma voix pour les victimes qui n’en ont pas, ou qui n’en ont plus », explique la coach vocale. Elle espère que son témoignage encourage les victimes à prendre la parole et à sortir de cette situation. Adeline Toniutti rappelle son histoire, elle qui a été victime de violences conjugales, alors qu’elle venait de subir un accident qui lui avait fait perdre sa voix. Un moment difficile pour cette chanteuse lyrique. « Mon compagnon de l’époque décide de m’étrangler, alors que je ne peux plus crier », commente-t-elle. Pourtant, avant cet accident, elle confie qu’il n’était pas violent. Aujourd’hui, la jeune femme a réussi à s’enfuir et à se reconstruire et livre son histoire.
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00:00 Bonjour Adeline Tonnuti. Bonjour, merci pour l'invitation, je suis très touchée.
00:03 Merci d'être là, dans ce livre incandescente pour toujours,
00:06 vous parlez de tout, vous parlez de votre vie,
00:08 et vous dévoilez donc les violences conjugales
00:12 dont vous avez été victime pendant des années.
00:14 Pourquoi vous prenez la parole maintenant ?
00:16 Parce que je bénéficie d'une certaine douche de lumière
00:19 depuis maintenant plusieurs mois,
00:21 et je pense qu'il est de ma responsabilité en tant qu'artiste
00:24 et personnalité publique maintenant d'aider à transformer la société
00:28 et de faire porter ma voix pour les victimes qui n'en ont pas ou qui n'en ont plus.
00:32 Donc je me suis saisie de ce sujet des violences conjugales,
00:36 je me saisirai d'autres sujets, je suis une femme d'engagement,
00:39 et je me dis que si j'arrive à sauver une victime en vous parlant ce matin,
00:44 et c'est pour ça que je vous remercie pour l'invitation,
00:46 je me dis que ma peine valait d'être endurée,
00:48 et que je l'endurerai encore mille fois s'il le faut.
00:50 C'est pour encourager les femmes à parler, à prendre la parole ?
00:53 Oui, c'est pour que les victimes prennent la parole,
00:55 et pour que les victimes, en me voyant, prennent leur jambe et s'enfuient.
01:00 Alors justement, on va parler un petit peu de ça,
01:02 ce sont des violences qui sont apparues dans votre couple au moment où vous étiez au plus mal,
01:05 vous veniez de perdre votre voix, vous pouvez nous raconter ?
01:08 Au moment où j'ai cet accident qui m'enlève la voix alors que je suis chanteuse lyrique,
01:13 c'est là que mon compagnon de l'époque décide de m'étrangler alors que je ne peux plus crier.
01:19 Et ça va commencer avec de la jalousie, de la possession, du rabaissement,
01:23 et puis quand il y a des gestes qui dépassent ce que l'on peut accepter,
01:27 il se pose en victime, il va me menacer par exemple de se suicider,
01:33 et puis quand j'essaie de partir, il me menace de me tuer ou carrément de tuer ma famille,
01:39 donc je me retrouve enfermée.
01:40 Et avant cela, il n'était pas violent, avant votre accident, qui vous a coûté votre voix ?
01:44 Non, il n'était pas violent, il était un peu possessif.
01:47 Qu'est-ce qui a basculé selon vous ? C'est le fait que vous alliez mal ?
01:51 C'est vrai que je ne sais pas si toutes les femmes battues vont mal,
01:55 et c'est à ce moment-là que ça se déclenche, je ne peux pas le dire,
01:58 mais dans mon cas, je me retrouve en chute sociale,
02:01 c'est-à-dire que je suis en maladie parce que j'ai cet accident à la voix,
02:04 je vais même être au RSA, je vais être en précarité,
02:08 et donc je vais me retrouver beaucoup à la maison,
02:09 en train de maigrir à vue d'œil à cause d'une anorexie parce que j'ai perdu ma voix.
02:14 Qui fait suite à une cheminée mal fermée avec des émanations.
02:18 Une petite fêlure dans le tubage qui va faire frondre les isolants thermiques
02:22 et qui vont provoquer des émanations toxiques.
02:26 Et voilà, je vais perdre ma voix.
02:28 Une nuit, je vais me réveiller, je vais vomir du sang.
02:31 Je raconte tout ça dans ce livre.
02:32 Alors justement, le témoignage est très fort.
02:34 Vous écrivez "Quand on vit avec un homme qui vous frappe,
02:36 c'est tous les jours qu'on risque sa vie jusqu'au jour où on décide d'y mettre un terme soi-même.
02:41 Me donner la mort, mon unique solution."
02:44 Oui, il y a eu ça comme...
02:46 À un moment donné, c'est tellement dur parce qu'on sait que quand on essaie de partir,
02:50 il double la mise, il double les violences.
02:53 En fait, quand on fait un pas vers l'extérieur,
02:55 on nous ramène deux pas à l'intérieur avec plus de blessures physiques et psychologiques.
02:59 Et à un moment donné, comme il menace votre famille, c'est souvent ce qui se passe,
03:03 c'est une prison et on décide de se dire
03:06 "Je préfère reprendre le contrôle de ma vie en mettant fin à mes jours."
03:09 Mais il y a une autre manière de reprendre le contrôle de sa vie, c'est de demander de l'aide.
03:12 Alors justement, parce que moi ce qui m'intéresse, c'est de savoir comment vous avez réussi à vous enfuir,
03:17 comment vous avez réussi à vous reconstruire.
03:19 Parce que vous disiez tout à l'heure, si je sauve la vie d'une seule femme en étant là ce matin,
03:23 il y a certainement des femmes qui nous regardent et qui vivent ce que vous avez vécu.
03:27 Comment ça s'est passé pour vous ?
03:28 Par la peur de souffrir plus.
03:30 J'ai une amie qui m'a dit "Tu sais qu'un jour, il va te tuer,
03:33 il va te pousser dans les escaliers, ta colonne vertébrale va se briser en deux
03:37 et tu risques de finir sur un fauteuil roulant et ce sera ce mec-là ton aide-soignant."
03:40 Elle m'a fait peur quand elle m'a dit ça.
03:41 C'est parce que vous en aviez parlé à cette amie ?
03:43 Non, elle a vu.
03:44 C'est ça le problème quand on a des violences domestiques, etc.
03:48 C'est que souvent on est tellement prisonnière qu'on ne peut pas parler.
03:50 Et c'est là que j'alerte la population en disant "Ouvrez l'œil,
03:53 un sauvetage ne dure pas dix ans, il peut durer juste trois minutes,
03:57 voir que quelqu'un va mal et lui demander ce qu'il se passe."
03:59 Et elle m'a fait peur, elle m'a dit "Aline, tu risques de souffrir encore plus."
04:02 Et là, elle m'a dit "T'as encore tes deux jambes, tu peux t'enfuir et il faut demander de l'aide."
04:07 Et au moment où j'ai appelé le numéro pour les femmes battues,
04:10 que j'ai annoncé "Je suis victime de violences conjugales",
04:13 j'avais ouvert un nouveau chapitre du livre.
04:15 Et vous avez été écoutée tout de suite ?
04:17 Bien sûr.
04:17 Alors vous décidez de porter plainte.
04:20 La plainte est classée sans suite comme 86% des plaintes.
04:23 Vous allez dire 80% ?
04:24 86, non, le chiffre est sorti aujourd'hui, c'est un chiffre colossal.
04:27 86% des plaintes sont classées sans suite.
04:30 Pourquoi elle n'a pas de suite, cette plainte ?
04:32 Moi, dans mon cas particulier, il s'est violenté lui-même
04:35 pour dire qu'il y avait des violences réciproques.
04:37 D'accord.
04:38 Donc ça va jusque-là, c'est-à-dire quand il sait que moi je fais une démarche,
04:41 il se met en scène dans quelque chose.
04:44 Mais la plupart du temps, je ne sais pas, je pense que...
04:47 Pourquoi je suis là aujourd'hui, c'est parce que j'ai envie de...
04:49 Je sais que le gouvernement est au courant que c'est difficile, etc.
04:53 et que ces plaintes ne donnent pas suite.
04:54 Il faut qu'on se réveille.
04:56 Parce qu'il y a la violence, il y a la guerre dans les pays du monde, etc.
04:59 Mais il y a des guerres aussi dans nos maisons,
05:00 il y a des guerres dans nos cocons où on habite,
05:02 il y a des enfants maltraités, il y a des femmes maltraitées,
05:04 il y a aussi des hommes maltraités.
05:05 Il faut se saisir de ce problème-là.
05:07 Et le temps entre la plainte et l'éventuellement prise en charge de cette plainte
05:11 est trop long et souvent ça ne donne pas suite.
05:13 Donc voilà, j'ai fait mon clip "Vivre" pour alerter là-dessus.
05:17 Je sors ce livre pour parler de plein de sujets de société
05:19 mais surtout des violences conjugales.
05:21 Je fais cet album qui parle de ça aussi
05:25 parce que j'ai envie que le gouvernement prenne ça en main
05:28 et qu'on se saisisse de ce sujet
05:30 et qu'on ne soit pas obligés de toujours passer par les médias.
05:32 Je voudrais que ça passe aussi par la justice.
05:34 Pour sauver des femmes, il y a trop de femmes qui meurent sous les coups de leurs compagnons.
05:37 Alors, vous parlez aussi de votre reconstruction,
05:39 de ce qui vous a permis d'être la personne que vous êtes aujourd'hui.
05:42 Quels seraient aujourd'hui vos conseils
05:45 si une femme, là, vous regarde,
05:47 est dans votre situation et se dit "je dois partir",
05:50 quel est le conseil que vous lui donneriez ?
05:52 Déjà qu'elle ne culpabilise pas parce qu'elle ne part pas tout de suite,
05:54 parce que sortir, c'est compliqué.
05:56 Quitter ça.
05:57 Ces gens-là, on arrive à éteindre la lumière.
06:00 Vous savez, quand vous entendez un bruit et qu'il y a de la lumière, on n'a pas trop peur.
06:03 Quand on entend un bruit dans le noir, on angoisse plus.
06:05 Ces gens-là nous mettent dans la peur et nous soufflent le chaud et le froid.
06:08 Donc, prendre conscience de ça, déjà.
06:10 Ne pas culpabiliser parce qu'on ne part pas tout de suite.
06:12 Et première chose, c'est parler à quelqu'un.
06:14 On ne va pas vous juger de ces vices que vous avez vécus.
06:17 Moi, je vais vous dire une chose, c'est très compliqué,
06:19 par exemple, d'aller parler à mes parents et de leur dire que
06:21 j'ai été, par exemple, sodomisé hier et que je ne le voulais pas
06:24 et que c'était forcé, vous voyez ?
06:25 C'est compliqué de dire ça. On se sent sale, on se sent humilié.
06:28 Et ces gens-là nous disent sans arrêt que c'est de notre faute.
06:30 Donc non, ce n'est pas de votre faute. Non, vous ne méritez pas ça.
06:33 Non, oui, ce n'est pas normal.
06:35 Et appelez les numéros. Il y a des gens pour vous entendre.
06:38 Parlez à votre famille, parlez à vos amis.
06:40 Ne restez pas dans cette situation. Voilà, c'est ça que j'ai envie de dire.
06:42 - Et le numéro, je le rappelle, c'est un numéro d'écoute,
06:45 d'information, d'orientation pour les femmes.
06:46 Et d'ailleurs, ceux qui sont témoins peuvent aussi appeler ce numéro.
06:50 C'est le 3919. C'est anonyme, c'est gratuit, c'est accessible 24 heures sur 24,
06:54 7 jours sur 7. Merci beaucoup, Adeline Tognetti,
06:56 d'être venue partager votre histoire.
06:58 Le témoignage est très fort, incandescente pour toujours.
07:00 Incandescente, ça veut dire qu'on ne s'éteint jamais.
07:02 - Oui, je vous conseille de ne jamais vous éteindre.
07:04 On s'éteindra le jour où on nous ferme les yeux, mais pas avant.
07:06 - Merci beaucoup d'être venue. - Merci.
07:08 - C'est moi qui vous remercie. - Merci beaucoup.