Ce documentaire français, réalisé par Jérôme Lambert et Philippe Picard en 2019, nous plonge dans l'univers des couturières qui ont marqué l'histoire de la mode au XXe siècle. À travers des récits de vie, des témoignages, et des images d'archives, "Le Siècle des Couturières" met en lumière le rôle crucial de ces femmes talentueuses et souvent méconnues, qui ont contribué à l'évolution de la haute couture et de la confection. Un hommage inspirant à celles qui, dans l'ombre des grands créateurs, ont façonné la mode telle que nous la connaissons aujourd'hui.
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00:00:00 Les couturières ont habillé la France.
00:00:08 Dans les usines textiles ou les ateliers de confection, elles ont fabriqué nos habits
00:00:13 de tous les jours, comme les plus belles robes de la haute couture.
00:00:16 Patiemment, elles ont tissé l'étoffe de nos rêves, cousu les culottes de nos enfants
00:00:24 ou les uniformes de nos soldats.
00:00:26 Couturières, fileuses ou tisserandes, elles ont accompagné tous les moments de nos vies.
00:00:32 Mais qui connaît la leur ?
00:00:34 Ce n'était pas une vie facile.
00:00:39 On a l'impression qu'il y a 200 ans de ça, mais non, ce n'est pas si loin.
00:00:42 Pionnières de la révolution industrielle, ces femmes ont été exploitées pendant des
00:00:50 décennies.
00:00:51 Dans les usines, elles n'avaient pas plus de droits que les enfants aux côtés desquels
00:00:57 elles travaillaient, dans la chaleur et la poussière.
00:01:00 Sans relâche, elles se sont battues pour leurs droits et leur dignité.
00:01:11 Dans les ateliers, les gens en avaient marre.
00:01:16 On n'était pas beaucoup payés et puis les cadences devenaient infernales.
00:01:21 Ça a fini par exploser.
00:01:23 On était de la matière à travailler, en fait, on n'était pas plus considéré que
00:01:33 ça, surtout en plus en étant femmes.
00:01:34 Un siècle durant, elles sont restées invisibles, comme si le monde ouvrier n'était composé
00:01:45 que d'hommes.
00:01:46 Pourtant, leur savoir-faire ont fait de la France le leader mondial du textile et de
00:01:53 la mode.
00:01:54 Aujourd'hui, pour la première fois, ces couturières nous racontent leur lutte et
00:02:03 leurs espoirs.
00:02:04 Nous avons tous le souvenir d'une grand-mère penchée sur son ouvrage.
00:02:18 Des générations de femmes ont cousu les vêtements de leur famille.
00:02:24 Dans les campagnes, les travaux d'aiguilles sont aussi un moyen de subsistance.
00:02:29 Les mères et les filles passent les longs mois d'hiver à tisser, broder ou filer pour
00:02:36 les marchands de la ville.
00:02:37 Depuis le Moyen-Âge, elles ont développé des savoir-faire uniques.
00:02:43 Draps de Normandie, dentelles de Calais, velours d'Amiens, chaque région leur doit une part
00:02:50 de sa renommée.
00:02:51 Au XIXe siècle, le textile est la première industrie à être percutée par la révolution
00:03:01 industrielle.
00:03:02 Un événement qui va bouleverser la vie de ces femmes et transformer la France.
00:03:08 Pour faire tourner les machines, laver la laine ou teindre les tissus, il faut de l'eau,
00:03:21 beaucoup d'eau.
00:03:22 Cette ruée vers l'eau redessine les paysages.
00:03:28 Partout, au fond des vallées des Vosges, au bord des rivières de l'Isère surgissent
00:03:35 les hautes cheminées de ces cathédrales du textile.
00:03:38 Les femmes, qui depuis toujours cousaient, filaient, tissaient, vont massivement prendre
00:03:52 le chemin de l'usine.
00:03:53 Elles accèdent pour la première fois au travail salarié.
00:04:00 C'est un changement historique.
00:04:02 En quittant leur ferme, elles ont l'espoir d'une existence meilleure, moins dure que
00:04:08 cette vie paysanne qui est leur lot depuis des siècles.
00:04:10 Elles n'imaginent pas ce qui les attend.
00:04:14 Elles découvrent un univers brutal, le fracas des machines, la vapeur qui colle à la peau,
00:04:27 le rythme saccadé des métiers à tisser.
00:04:30 Ce choc, les ouvrières nous le racontent aujourd'hui, avec les mêmes mots que leur
00:04:45 mère ou leur grand-mère.
00:04:47 Une fois arrivés à l'atelier, lorsqu'ils ont ouvert la porte, j'ai reculé.
00:04:53 Déjà, en premier lieu, le bruit et des néons à perte de vue et des machines les
00:05:02 unes derrière les autres, c'était immense.
00:05:05 La première chose, c'est le bruit.
00:05:07 C'est épouvantable, le bruit.
00:05:09 On ne s'entend pas à toutes les machines.
00:05:11 Ça fait un boucan du diable.
00:05:13 C'est ça, le monde, le bruit.
00:05:16 Et la première chose que je me suis dit, je ne vais pas y aller.
00:05:19 Au fil du temps, ces femmes se succéderont dans les ateliers et les usines.
00:05:28 Pour suivre le rythme, pour tenir le coup, elles ne cesseront de chanter leur quotidien,
00:05:35 fait de douleurs, de combats et de solidarité.
00:05:38 Le matin des 7 heures, s'en vont d'un pas pressé, les petites ouvrières qui vont à
00:05:48 l'atelier.
00:05:49 Unimètre prend sa navette, Marmont prend son puzzle, et c'est le cœur alerte qu'elles
00:05:58 se mettent au boulot.
00:06:00 Petite plaque des métiers, le roulement des moulins, à l'hivre, il faut se presser,
00:06:06 car voici l'heure du turbin.
00:06:08 Me lever, il était 3 heures, et je me mettais en route à 3h30 de chez moi.
00:06:16 Dès le premier jour, il y a une contre-dame qui est venue m'apprendre à faire les nœuds,
00:06:22 parce qu'il fallait faire des nœuds tisserands, des nœuds ronds, m'expliquer la machine,
00:06:27 et puis en avant tout.
00:06:28 Avant de filer la laine et de la tisser, il faut la peigner et la carder pour la débarrasser
00:06:41 de ses impuretés.
00:06:42 Les premières semaines, c'était les cardes.
00:06:45 Alors la filature et les cardes, c'est vraiment le bruit, la poussière, j'avais les yeux
00:06:51 qui pleuraient, c'était vraiment très dur.
00:06:54 Moi je prenais des canettes de fil dans des gros bacs qui pouvaient avoir une vingtaine
00:07:00 de kilos, je les accrochais à la machine, et puis on raccrochait le fil pour faire une
00:07:05 grosse bobine qu'on mettait après sur des chariots.
00:07:07 Des nœuds, des nœuds, des nœuds, et ça, toute la journée.
00:07:12 Quand je rentrais à la maison, parfois je m'endormais, quand maman avait préparé
00:07:16 le repas, je m'endormais sur la table tellement on était épuisés.
00:07:20 L'histoire des ouvrières de la lanière de Roubaix commence en 1851, lorsque l'industriel
00:07:28 Hamet-des-Provost ouvre sa première usine.
00:07:31 Les machines qui transforment la laine en fil puis en tissu viennent d'Angleterre, le
00:07:38 pays pionnier de la révolution industrielle.
00:07:40 Grâce à ces monstres d'acier, une seule ouvrière produit autant que 126 rangs auparavant.
00:07:48 Depuis la révolution industrielle, le travail n'est plus une question de force physique.
00:08:00 Hommes et femmes sont désormais égaux face aux machines.
00:08:04 Le Havre est l'un des principaux ports français.
00:08:16 Sur les quais, les dockers débarquent chaque jour des tonnes de coton brut, de fibres de
00:08:23 jute ou de laine venues du monde entier.
00:08:26 Ces matières premières sont convoyées vers les usines du Nord, véritable cœur battant
00:08:35 de l'industrie textile.
00:08:37 Dans les années 1850, cette industrialisation à marche forcée pousse les paysans les plus
00:08:49 pauvres vers la ville.
00:08:50 C'est le début de l'exode rural qui vide les campagnes, inexorablement.
00:08:57 L'essor de Roubaix est foudroyant.
00:09:07 On la surnomme la ville aux mille cheminées.
00:09:11 Il faut toujours plus de bras pour faire tourner les machines.
00:09:15 Entre 1850 et 1900, la population de Roubaix sera multipliée par dix.
00:09:21 Les familles ouvrières s'entassent dans des courrées, ces logis insalubres des quartiers
00:09:30 industriels.
00:09:31 Un siècle plus tard, ces logements ouvriers avaient bien peu changé.
00:09:39 Il n'y avait pas d'eau.
00:09:42 Et c'était à l'étage.
00:09:44 Il fallait monter l'eau à l'étage.
00:09:46 Pas de toilettes, naturellement.
00:09:48 Il y avait des toilettes communes du quartier, tout au bout du quartier.
00:09:52 C'était un seau qu'on allait vider tous les jours.
00:09:54 Cet odie construit à la hâte par des marchands de sommeil suscite l'indignation des milles
00:10:01 aula.
00:10:02 Au hasard des terrains, les petites maisons de borne y avaient ainsi poussé.
00:10:09 Des plâtras humides, dénies à vermine et à épidémie.
00:10:14 Et quelle tristesse que cette cité maudite du travail obscur, étranglé, immonde.
00:10:21 À la maison, il y avait une cuisine.
00:10:25 Mais dans la cuisine, c'était la salle de bain.
00:10:28 C'était là où on se lavait.
00:10:29 C'était là où on faisait la lessive.
00:10:31 C'était là où tous les enfants, à un moment donné, se lavaient les dents.
00:10:36 Enfin, c'était affolant.
00:10:38 Je me souviens que j'avais souvent froid.
00:10:41 Il y avait le petit feu continu dans la pièce du fond pour au moins avoir chaud dans la
00:10:45 maison.
00:10:46 Mais les chambres n'étaient pas chauffées.
00:10:48 Quand on allait se coucher le soir, on avait du givre et on ne voyait rien à travers.
00:10:52 En fait, on dormait tout au fin.
00:10:54 Je dormais avec mon frère pour avoir bien chaud.
00:10:56 Ce sont des souvenirs, je vais dire, étonnamment extraordinaires.
00:11:04 Parce qu'on ne s'est jamais rendu compte qu'on n'avait rien.
00:11:08 Enfant, on était toujours dans la rue.
00:11:10 Il n'y avait pas de télé, il n'y avait rien.
00:11:14 Alors, on était dehors tout le temps.
00:11:17 Le petit quinquin raconte le quotidien misérable d'une ouvrière du textile.
00:11:26 Cette chanson deviendra l'hymne du Nord.
00:11:32 "Dorme un petit quinquin, un petit bougeon, un gros rosin.
00:11:39 Tu me feras du chagrin si tu ne dors pas jusqu'à main.
00:11:45 Et si l'autre jour une pauvre d'atelière, un ami glottant s'aime tes garçons."
00:11:56 Roubaix devient la ville la plus pauvre de France.
00:11:59 En 1865, un journaliste écrit "Une manufacture est une invention pour fabriquer deux articles,
00:12:08 du coton et des pauvres."
00:12:12 Avant la révolution industrielle, les revenus du père suffisaient à nourrir sa famille.
00:12:19 Désormais, pour échapper à la misère, les femmes et les enfants doivent aussi travailler.
00:12:27 Pour des générations d'ouvrières, l'usine n'est pas un choix, mais une nécessité.
00:12:37 "Bien sûr que quand je voyais maman porter ses quelques sous dans son porte-monnaie,
00:12:44 le budget qu'elle avait, c'était pas grand-chose.
00:12:47 Pour une grande famille, c'était dur, très dur.
00:12:50 On était cinq garçons et deux filles.
00:12:54 Moi, j'étais la quatrième.
00:12:57 Bien souvent, les enfants devaient aller travailler pour compléter le budget.
00:13:02 C'est là que j'ai compris que j'avais pas le choix."
00:13:09 Partout en France, les filles succèdent à leur mère devant les métiers attichés,
00:13:18 qu'elles le veuillent ou non.
00:13:21 "Il n'était pas question qu'elle reçue une oie sans travailler.
00:13:27 C'est vrai.
00:13:28 Tout à fait.
00:13:29 Elle m'a pas trop laissé le choix non plus.
00:13:31 Il fallait bien faire quelque chose.
00:13:32 C'était une autre époque.
00:13:35 Je suis pas morte, mais ça reste quand même, ça marque."
00:13:42 "À l'époque, il fallait gagner sa croûte, d'une façon ou d'une autre.
00:13:46 J'aurais préféré aller à l'école, continuer à suivre mes études.
00:13:50 Dans ma famille, il y avait mon frère qui était après moi.
00:13:52 Lui, il fallait qu'il ait un métier.
00:13:55 Les filles, il fallait qu'elles aillent travailler pour pouvoir permettre aux garçons
00:13:58 de suivre des études.
00:13:59 Parce que c'était un peu comme ça, les filles passaient après les garçons de toute
00:14:02 façon.
00:14:03 C'est un peu la société qui était ainsi faite."
00:14:09 Depuis le début du XIXe siècle, le Code civil considère les femmes, même mariées,
00:14:17 comme d'éternelles mineures.
00:14:18 Elles sont soumises à l'autorité absolue du père ou du mari.
00:14:24 Leur salaire est inférieur à celui des hommes.
00:14:28 La loi précise qu'il n'est qu'un revenu de complément.
00:14:31 Les ouvrières du textile n'ont aucun droit.
00:14:44 Condamnées à un travail sous-payé et éreintant, elles ont le même statut que les enfants.
00:14:51 Dès l'aube, quand la sirène retentit, le claquement des sabots des ouvrières résonne
00:15:03 sur le pavé.
00:15:04 Les plus jeunes ont à peine dix ans.
00:15:08 Six jours par semaine, ces enfants sont employés aux tâches les plus pénibles.
00:15:13 Ce sont eux qu'on envoie sous les métiers attissés pour renouer les fils rompus.
00:15:18 Qu'importe le danger, les machines ne doivent jamais s'arrêter.
00:15:23 Lewis Hine, un photographe américain, a fixé leur visage pour l'éternité.
00:15:32 Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
00:15:54 Ces douze êtres pensifs que la fièvre maigret.
00:15:59 Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer, seules.
00:16:03 Dans ses poèmes, Victor Hugo a beau dénoncer cet esclavage moderne, il faudra attendre
00:16:11 1874 pour qu'une loi interdise le travail des enfants de moins de douze ans.
00:16:16 La couturière Louise Tardif est l'une des premières à se révolter contre l'exploitation
00:16:34 des ouvrières du textile.
00:16:36 Au congrès socialiste de 1879, elle déclare « La femme, jusqu'à ce jour, n'a pas
00:16:44 occupé dans la société la place qui lui est due.
00:16:47 Elle est regardée comme une inférieure à l'homme, dans toutes les circonstances de
00:16:51 la vie.
00:16:52 Cette habitude d'être traité en enfant fait qu'elle-même n'a pas conscience de
00:16:58 sa valeur réelle.
00:16:59 La société n'était pas faite pour les femmes.
00:17:04 On faisait ce que nos parents nous disaient, on faisait ce que la société nous obligeait
00:17:08 à faire.
00:17:09 On était un peu… C'est comme quand on était tout petit, quand on allait à l'école,
00:17:12 on respectait la maîtresse ou le maître.
00:17:14 Nous, filles, il fallait rester dans le brossement.
00:17:18 Les femmes n'ont pas la parole.
00:17:21 À la fin du 19e siècle, elles sont encore tenues à l'écart des syndicats.
00:17:26 Les ouvriers eux-mêmes les accusent de tirer les salaires vers le bas.
00:17:30 Leur place est au foyer.
00:17:32 À gauche comme à droite, les hommes en sont convaincus.
00:17:36 La machine à coudre va permettre de garder les femmes au foyer, tout en les faisant participer
00:18:00 au développement de l'industrie textile.
00:18:02 C'est à l'origine une invention française, mais dans les années 1880, un modèle américain
00:18:12 s'impose.
00:18:13 La cingère.
00:18:15 Conçue pour un usage domestique, la machine à coudre va très vite trouver une utilisation
00:18:22 professionnelle.
00:18:23 Grâce à une formule inédite de crédit à la consommation, la cingère est accessible
00:18:29 à tous.
00:18:30 Même les couturières les plus modestes parviennent à s'offrir cette machine qu'elles voient
00:18:35 comme l'instrument de leur indépendance financière.
00:18:38 Dans chaque village de France, ces couturières à domicile réalisent sur mesure les vêtements
00:18:49 du dimanche ou les robes de mariée.
00:18:52 Ginette Mouchard est née à Courlet, dans les Deux-Sèvres.
00:18:59 Elle a grandi au pied de la machine à coudre de sa mère.
00:19:02 C'est ma mère qui me l'a raconté parce que j'étais très petite, je ne marchais
00:19:09 pas encore toute seule.
00:19:10 Et comme maman avait ses coutures à faire, elle m'occupait à la regarder travailler.
00:19:16 Quand on lui demandait de faire un manteau, elle regardait la personne, elle prenait le
00:19:22 tissu, sacrait, toc toc, les mensurations de la personne.
00:19:28 Elle traçait comme ça, elle n'avait pas besoin de patronage, elle coupait, elle faisait
00:19:34 ça super bien.
00:19:35 La couture, c'était un petit plus au salaire de papa qui était ouvri agricole, donc avait
00:19:43 un très petit salaire.
00:19:44 Mais pour ma mère, c'était double charge de travail parce que c'était tout le travail
00:19:50 de la maison plus le travail de la couture.
00:19:53 Comme le ménage ou la cuisine, la couture semble naturellement dévolue aux femmes.
00:20:02 Longtemps, elles accepteront leur sort en silence.
00:20:07 Depuis l'enfance, on leur répète qu'elles doivent se soumettre à l'autorité de leur
00:20:14 père, de leur mari ou de leur patron.
00:20:17 On était conditionnés comme ça, on respectait ceux qui nous géraient, ceux qui nous dirigeaient,
00:20:29 c'était comme ça.
00:20:30 On ne se posait pas de questions.
00:20:31 C'était quand même notre culture, avec la pratique de la religion, qui nous avait inculqué
00:20:39 cet état d'esprit.
00:20:41 La majorité des gens estimaient que c'était vraiment bien qu'on ait des patrons qui nous
00:20:49 donnent du travail et qu'on devait être reconnaissant vis-à-vis des patrons.
00:20:54 Au XIXe siècle, certains patrons décident d'offrir de meilleures conditions de vie
00:21:02 à leurs ouvriers, en contrepartie de leur fidélité et de leur obéissance.
00:21:08 C'est le paternalisme.
00:21:10 Ces patrons, on ne peut pas dire qu'on les considérait comme nos pères, mais c'était
00:21:18 des gens, on les respectait comme on respectait nos parents.
00:21:21 La Troisième République n'a pas encore de politique sociale.
00:21:25 Certains patrons vont l'inventer.
00:21:29 Un Roubaix, un Medeprouvau est un pionnier du logement social.
00:21:37 Il fait bâtir 350 maisons pour ses ouvriers.
00:21:41 Christine Podgorski a grandi dans l'une d'elles.
00:21:45 C'était de jolies maisons.
00:21:49 Et ces maisons, elles étaient équipées d'une salle de bain et on avait un jardin.
00:21:54 Et les toilettes à la maison, ça, c'était un luxe.
00:21:59 On avait la possibilité de faire un jardin potager, on pouvait jouer dans la cour.
00:22:04 C'était bien pensé pour les ouvriers et c'était pas loin d'usine.
00:22:08 Certains patrons catholiques vont pousser très loin le modèle paternaliste.
00:22:15 Comme ici, dans l'Isère.
00:22:18 Claude-Joseph Bonnet, un soyeux lyonnais, imagine un système inédit d'enfermement
00:22:25 et d'exploitation des ouvrières.
00:22:26 Avec le soutien de l'Église, il ouvre à Jujurieu le premier couvent-usine de France.
00:22:34 Les jeunes filles entrent ici pour travailler dès l'âge de 12 ans.
00:22:39 Elles resteront cloîtrées jusqu'à leur mariage.
00:22:41 Claude-Joseph Bonnet, quand il s'est implanté ici, il prospectait dans les villages auprès
00:22:51 de certains curés qui étaient là pour dire "Voilà, Antel, il y a une fille qu'il
00:22:57 faudrait faire travailler, ses parents ne peuvent plus l'élever".
00:23:02 Il a petit à petit monté son usine comme ça.
00:23:07 Il y avait jusqu'à 800 jeunes filles qui ont été dressées par des sœurs de Saint-Joseph.
00:23:20 Françoise Vinoche a travaillé ici 40 ans.
00:23:25 Elle a exercé tous les métiers, bobineuse, horodisseuse, tisserande.
00:23:29 Depuis la transformation des soirées Bonnet en musée, elle fait vivre la mémoire des
00:23:36 ouvrières qui l'ont précédée.
00:23:38 Ce n'était pas facile pour elle.
00:23:43 Travailler entourée des sœurs et dans des conditions terribles, sous la vapeur, pas
00:23:48 de chauffage, puisqu'elles étaient là employées en premier pour le dévidage des
00:23:54 cocons, des verres à soie.
00:23:56 C'est bouillanté les doigts, à chopper les maladies pulmonaires.
00:24:03 Souvent certaines repartaient à la montagne, chez elles, pour se soigner, quand elles ne
00:24:09 mouraient pas.
00:24:10 Derrière ces hauts murs, religion et capitalisme font bon ménage.
00:24:17 Ces couvents-usines se multiplient sur tout le territoire.
00:24:21 Ils compteront jusqu'à 200 000 pensionnaires à la fin du XIXe siècle.
00:24:26 Une histoire douloureuse et méconnue.
00:24:29 Dans les années 60, l'usine Le Maire des Tombes, près de Lille, disposait encore d'un
00:24:37 pensionnat tenu par des religieuses.
00:24:39 Les filles de la région y entraient, après le certificat d'études.
00:24:43 Souvent, les jeunes comme moi y rentraient à 14 ans.
00:24:48 On s'en allait de la pension et de l'usine, peu de temps avant de se marier.
00:24:51 On apprenait à cour, à la cuisine, à tricoter.
00:24:59 Et l'après-midi, à partir de 1h, on embauchait jusqu'au soir à 10h, puisqu'à l'époque,
00:25:03 on travaillait 8h par jour.
00:25:04 Vous rentrez, pas dans les ordres, mais dans un truc bien organisé, bien géré, il fallait
00:25:10 vous intégrer.
00:25:11 C'était quand même assez dur pour des jeunes.
00:25:15 Vous imaginez un peu ce que ça représentait, trois fois rien, une main d'œuvre.
00:25:25 Bref, à bon compte.
00:25:27 Depuis le début de la révolution industrielle, le salaire des ouvrières ne cesse de baisser.
00:25:36 Elle représente plus des deux tiers des effectifs des filiatures et des tissages.
00:25:42 Cette main d'œuvre sous-payée a fait exploser les profits des patrons du textile.
00:25:48 Ils ont amassé des fortunes et bâti des empires.
00:25:52 Les Prouveaux dans le Nord, les Saint-Frères dans la Somme ou les Bonnets dans le Rhône,
00:26:03 autant de dynasties qui ont marqué l'histoire de l'industrie française et laissé leur
00:26:07 empreinte sur ces territoires.
00:26:09 Mais entre la richesse de ces familles et la misère ouvrière, l'écart n'a jamais
00:26:21 été aussi grand.
00:26:22 La révolte gronde.
00:26:23 Dans le Nord, les socialistes du Parti Ouvrier français réclament la journée d'huit heures
00:26:30 et multiplient les appels à la grève.
00:26:32 A Fourmis, le 1er mai 1891, les ouvrières des 37 filiatures de la ville stoppent le
00:26:41 travail.
00:26:42 Elles rejoignent les hommes sur la place de l'église.
00:26:48 La mémoire de cette manifestation est restée vivante chez les ouvrières de Fourmis.
00:26:55 C'était la révolte des ouvriers, ils en avaient ras-le-bol.
00:26:59 Ils demandaient des améliorations de travail et des salaires un peu plus forts.
00:27:05 Dans la foule, Maria Blondou est au premier rang.
00:27:08 Elle donne le bras à son fiancé.
00:27:11 Elle vient d'avoir 18 ans.
00:27:13 Les manifestants et les soldats se font face.
00:27:18 L'armée est venue et puis je sais pas, il y a eu un ordre de tirer et puis ils ont tiré
00:27:24 sur les grévistes.
00:27:25 Neuf manifestants sont touchés.
00:27:29 Le corsage de Maria Blondou est taché de sang.
00:27:31 Elle s'effondre aux côtés de son fiancé.
00:27:36 C'est quand même dommage que des Français tirent sur des Français.
00:27:43 Elle était jeune et belle, lui était brave et forte.
00:28:03 Tout le monde se rappelle des fiancées du Nord.
00:28:04 Le massacre de Fourmis émeut le pays.
00:28:07 Le 8 mai 1891, l'Assemblée nationale, Clémenceau déclare "Une force nouvelle et redoutable
00:28:16 est apparue dont les hommes politiques auront désormais à tenir compte".
00:28:22 La classe ouvrière vient de naître.
00:28:25 Dans l'imaginaire des Français, c'est un monde exclusivement masculin.
00:28:29 Elles ont beau être près de deux millions, les ouvrières du textile restent invisibles.
00:28:35 Pourtant, ce sont elles qui font tourner la première industrie du pays, en nombre d'emplois
00:28:42 et en valeur.
00:28:43 En 1900, le secteur textile rapporte plus que le charbon ou l'acier.
00:28:50 Une réussite liée au prestige de la mode française.
00:28:54 Paris a détrôné Londres comme capitale mondiale de la mode.
00:29:02 Un formidable débouché pour l'industrie textile.
00:29:05 Les soirées lyonnaises, les dentelles de Calais ou les velours d'Amiens deviennent,
00:29:12 grâce aux couturières, des jupons, des robes ou des corsages.
00:29:16 La réputation de la mode de Paris tient autant à la qualité des tissus des provinces de
00:29:22 France qu'à l'habileté de ses femmes.
00:29:25 En ce début de XXe siècle, Paris compte 80 000 couturières à domicile.
00:29:33 Si certaines travaillent encore sur mesure pour des particuliers, d'autres fabriquent
00:29:39 désormais des vêtements en petite série pour les grands magasins.
00:29:42 Cette nouveauté, c'est la confection.
00:29:46 Dans leur mansarde, ces couturières, payées à la pièce, doivent travailler jour et nuit
00:29:53 pour échapper à la misère.
00:29:54 Dans les beaux quartiers, les maisons de haute couture emploient une armée de petites
00:30:07 mains.
00:30:08 Dans les ateliers de Worth ou de Paquin, ces couturières donnent corps aux rêves des
00:30:15 élégantes.
00:30:16 On les surnomme les midinettes.
00:30:20 N'ayant pas les moyens d'aller au restaurant, ces jeunes filles déjeunent sur les bancs
00:30:26 publics.
00:30:27 Elles font dînette à midi, d'où ce surnom de midinette, synonyme de frivolité.
00:30:33 Et pourtant, leur vie n'a rien de facile.
00:30:38 Ces jeunes couturières, souvent provinciales, découvrent que la capitale n'est pas un
00:30:45 paradis.
00:30:46 Le travail des midinettes est saisonnier et les périodes de chômage sont fréquentes.
00:30:51 Loin de leur famille, sans le sou, ces jeunes femmes sont des proies faciles.
00:30:57 Certaines basculent dans la prostitution.
00:31:03 C'était limite.
00:31:06 Évidemment, il n'y avait pas d'argent.
00:31:12 Elles se débrouillaient comme elles pouvaient.
00:31:14 Mais enfin, les femmes qui étaient vraiment seules, ce n'était pas possible de vivre.
00:31:19 Vraiment seules.
00:31:20 Moi, j'avais des parents, ce n'était pas pareil.
00:31:22 Mais dans les guinguettes et tout ça, c'était un petit peu la folie.
00:31:26 Oui, des couteaux dans les poches et puis des souteneurs.
00:31:31 Ça gambillait, ça chantait.
00:31:35 Ça gambillait.
00:31:37 Écrivains et chansonniers vont faire de ces couturières parisiennes de véritables héroïnes
00:31:44 de la belle époque.
00:31:45 Malgré elles, la midinette entre au panthéon de l'imaginaire érotique.
00:31:52 Je suis biaiseuse chez Paquin.
00:31:58 Pour mon métier, j'allie le béguin.
00:32:02 Quand mes parents ne voient pas rentrer, ils n'y arrivent pas à s'inquiéter.
00:32:06 Je suis encore en train de biaiser.
00:32:08 Loin de ces clichés, la vie des midinettes dans les maisons de haute couture est faite
00:32:16 de discipline et de travail.
00:32:19 Sous l'autorité de la première main, elles commencent leur apprentissage.
00:32:23 Pour progresser dans la hiérarchie stricte des ateliers, elles vont devoir assimiler
00:32:29 ces techniques, couper, bâtir, coudre, des gestes précieux qui font la réputation de
00:32:37 la mode parisienne.
00:32:38 Lucienne Marchand fêtera bientôt ses 100 ans.
00:32:49 Rose Valois, je me souviens.
00:32:52 Avant de diriger avec succès son atelier de modiste, elle a débuté dans les années
00:32:57 30 tout en bas de l'échelle.
00:33:00 Gaby Monod aussi, je m'en souviens.
00:33:02 Suzy, qui était rue de la Paix.
00:33:05 J'ai travaillé chez Suzy pour longtemps.
00:33:07 Je commençais là aussi.
00:33:09 Petite main là.
00:33:10 Je voulais toujours prendre un bout de tissu, faire des choses.
00:33:13 Surtout que j'étais assise.
00:33:14 Ces dames qui faisaient les chapeaux.
00:33:16 Et elles disaient "Petite fille, un fer".
00:33:20 Et la petite fille, elle courait dans les couloirs.
00:33:22 "Petite fille, tu vas à la manutention."
00:33:24 Je me souviens, elle faisait que ça.
00:33:27 Je ne me suis pas pensée mes deux ans d'apprentissage comme ça.
00:33:30 Finalement, on n'apprenait rien du tout.
00:33:33 Il fallait regarder.
00:33:34 Et moi, j'avais envie de travailler.
00:33:36 Pour les plus audacieuses et les plus talentueuses, la couture est un formidable moyen de promotion
00:33:44 sociale et d'émancipation.
00:33:45 Dans les années 1900, c'est l'un des seuls domaines où les femmes peuvent devenir patronnes.
00:33:53 Jeanne Lanvin ou Gabrielle Chanel ont toutes les deux débuté comme petites mains.
00:34:02 À force de travail, elles vont devenir les premières grandes couturières.
00:34:08 Toutes ces femmes font de la couture l'instrument de leur libération.
00:34:17 La plus révolutionnaire de ces couturières n'est pas la plus connue.
00:34:25 Elle se nomme Hermine Cadol.
00:34:27 Sa vie est un roman.
00:34:29 Durant la Commune de Paris, elle est montée sur les barricades, aux côtés de Louise
00:34:35 Michel.
00:34:36 Elle a parcouru le monde et à son retour, elle va libérer les femmes du corset en inventant
00:34:42 le soutien-gorge.
00:34:43 Elle est d'abord giletière, puis corsetière.
00:34:49 Elle a dans ses mains le corset toute la journée qu'elle façonne, qu'elle modèle suivant
00:34:54 les saisons, les collections.
00:34:57 Elle va couper le corset en deux.
00:35:00 Elle va mettre un coup de ciseau, pour faire simple, sous la poitrine, à l'endroit de
00:35:06 ce qu'on appelle le plexus solaire, qui martyrisait les femmes.
00:35:10 Elle intègre dans le dos ces fibres élastiques qui vont bouger avec la femme.
00:35:15 Aujourd'hui, Patricia Cadol est à la tête de la plus ancienne maison de lingerie française.
00:35:22 Elle a succédé à cinq générations de couturières et perpétue l'esprit et les
00:35:28 gestes de son aïeul Hermine Cadol.
00:35:32 On a vraiment une femme qui est manuelle et qui, à travers son art, va émanciper les
00:35:39 femmes sur les 50 prochaines années et longtemps après.
00:35:43 Hermine Cadol, Chanel ou Jeanne Lanvin ont prouvé que la couture pouvait permettre aux
00:35:52 femmes d'être puissantes et indépendantes.
00:35:55 Bientôt, la mobilisation de millions d'hommes va rendre les couturières indispensables.
00:36:08 Dès le mois d'août 1914, des milliers de couturières sont réquisitionnées.
00:36:25 En l'espace de quelques semaines, elles vont devoir confectionner les uniformes des
00:36:30 poilus dans le nouveau drap bleu horizon.
00:36:39 Dans les usines, un grand nombre d'ouvrières du textile remplacent les hommes.
00:36:43 Elles vont exercer des métiers jusqu'ici exclusivement masculins.
00:36:49 Dans l'armement, elles deviennent munitionnettes.
00:36:56 Pour autant, leur salaire ne change pas.
00:37:01 Elles gagnent toujours deux fois moins que les hommes.
00:37:05 Après trois années de guerre, les couturières parisiennes n'en peuvent plus.
00:37:16 Elles vont le faire savoir.
00:37:19 Elles qui tiennent l'aiguille six jours sur sept pour des salaires de misère, un franc
00:37:27 par jour pour les appentis, à peine de quoi s'acheter deux boîtes d'œufs, réclament
00:37:31 une indemnité pour la vie chère, 20 sous, et le samedi après-midi, chômés.
00:37:37 Le 16 mai 1917, l'Humanité écrit.
00:37:44 Un long cortège s'avance, ce sont les midinettes parisiennes, au corsage fleuri de lilas et
00:37:51 de muguets.
00:37:52 Elles courent, elles sautent, elles chantent, elles rient.
00:37:55 Et pourtant, c'est la grève.
00:37:57 Les midinettes servent d'aiguillon.
00:38:10 Plus de 40 000 ouvrières textiles les rejoignent.
00:38:14 Le mouvement s'étend dans toute la France, jusqu'aux usines d'armement.
00:38:27 Après 14 jours de grève, le gouvernement, qui craint une pénurie de munitions, finit
00:38:33 par céder.
00:38:34 Les salaires sont augmentés et la semaine anglaise, enfin accordée aux couturières
00:38:42 et aux ouvrières.
00:38:43 Cette victoire des midinettes est une date historique, mais largement oubliée.
00:38:53 Pourtant, c'est en grande partie leur lutte qui fait qu'aujourd'hui, nous bénéficions
00:38:59 tous du week-end.
00:39:00 L'euphorie de la victoire est de courte durée.
00:39:17 Plus d'un million de soldats sont morts au combat.
00:39:20 Alors qu'elles n'ont jamais été aussi nombreuses à travailler, les femmes sont
00:39:26 sommées de reprendre leur rôle de mères.
00:39:29 Il faut repeupler la France.
00:39:32 Pour faire tourner les usines, l'État fait appel à la main-d'œuvre étrangère.
00:39:43 Venues d'Italie, de Pologne et de toute l'Europe centrale, des centaines de milliers
00:39:49 d'immigrés arrivent en France.
00:39:50 Dans le Nord, ces hommes deviennent mineurs et leurs femmes rejoignent les usines textiles.
00:40:05 Il y avait toutes sortes de familles étrangères, d'origine polonaise, des Russes, des Italiens,
00:40:21 des Portugais.
00:40:22 On se réunissait tous afin de jouer.
00:40:24 Le soir, les mamans venaient nous chercher, alors chacune avec son accent.
00:40:29 La maman polonaise qui nous appelait par notre prénom.
00:40:33 Moi, c'était Christine, donc c'était Chrisha, Popole, Fouli.
00:40:39 On était, on va dire, tous dans la même galère, mais on s'entendait vraiment tous
00:40:45 très bien.
00:40:46 Dans le Nord, les Polonais seront bientôt près de 500 000.
00:40:52 Tout au long des années 20, ces immigrés vont tenter de gagner leur place dans la
00:40:56 société française.
00:40:57 À Paris, les années folles commencent.
00:41:03 Les midinettes retrouvent le chemin des ateliers, mais aussi celui des balles et des guinguettes.
00:41:09 Une nouvelle fois, ces femmes libres sont critiquées.
00:41:13 Dans ce pays où le natalisme est devenu une véritable religion, les couturières parisiennes
00:41:21 détonnent.
00:41:22 Elles osent préférer le célibat au mariage, le travail à la maternité.
00:41:28 Tous les 25 novembre, le jour de la Sainte-Catherine, les couturières célibataires de 25 ans sont
00:41:42 célébrées, mais aussi montrées du doigt.
00:41:45 25 ans, ne pas être mariée, c'était pas normal.
00:41:55 Il fallait vraiment qu'elles trouvent un mari.
00:41:57 Heureusement que ça a changé.
00:41:58 On se déguisait.
00:42:00 Alors moi, je me souviens, j'étais en poupée.
00:42:04 La couture sans la Sainte-Catherine, c'est plus la couture.
00:42:13 J'étais catrinette quand j'étais chez Cardin.
00:42:16 J'avais un beau chapeau, un grand chapeau chinois, avec des rubans, et c'était sympa.
00:42:22 Mais qu'est-ce que vous voulez ? Vous voyez, je suis encore célibataire.
00:42:25 La Sainte-Catherine est aussi un moment de fierté, où chacune de ces couturières rivalise
00:42:33 d'habileté en confectionnant les costumes et les chapeaux les plus extraordinaires.
00:42:38 Dans le Paris des années folles, les Mélinettes mènent le bal.
00:42:43 C'était vraiment la java, tout le monde dansait dans l'atelier.
00:42:51 Il y avait de l'ambiance.
00:42:53 On buvait, évidemment.
00:42:57 On défilait aussi dans les rues.
00:42:59 Ça chantait, c'était vivant.
00:43:01 C'est drôle parce que les gens n'avaient pas d'argent, mais les gens s'amusaient.
00:43:06 Il y avait un côté bon enfant.
00:43:09 En 1928, la marraine des Mélinettes est la chanteuse Joséphine Becker.
00:43:19 Vive les Catrinettes ! Et bravo mademoiselle Josérolle qui a gagné le premier prix !
00:43:34 Mais la fête ne durera pas.
00:43:36 Les années folles s'achèvent avec fracas.
00:43:39 En 1930, le krach boursier déclenché un an plus tôt aux Etats-Unis provoque un séisme
00:43:45 mondial.
00:43:46 L'industrie textile et la mode sont durement frappées.
00:43:52 Les ateliers de couture ferment les uns après les autres.
00:43:56 Les Mélinettes n'ont plus aucun revenu.
00:43:59 En quelques semaines, 300 000 ouvrières du textile se retrouvent mises à la porte sans
00:44:11 aucune indemnité.
00:44:12 Des familles entières basculent dans la misère.
00:44:21 Les syndicats et les partis politiques ont toujours tenu les femmes à l'écart.
00:44:28 Mais la crise va faire bouger les lignes.
00:44:30 Le parti communiste leur ouvre les portes et elles sont de plus en plus nombreuses à
00:44:40 adhérer à la CGT.
00:44:41 Une syndicaliste incarne alors l'espoir des ouvrières.
00:44:58 Elle s'appelle Martha Desrumaux.
00:45:00 Dans le film de propagande qu'il réalise pour le parti communiste, Jean Renoir fait
00:45:06 résonner la voix de cette ouvrière du textile.
00:45:14 Martha Desrumaux est née dans l'extrême pauvreté.
00:45:21 Elle a commencé à travailler à 11 ans dans une filature du Nord.
00:45:26 Révoltée, elle se syndique dès l'âge de 13 ans.
00:45:29 Devenue militante communiste, elle va se battre pour la victoire du Front populaire.
00:45:34 Au printemps 1936, le rêve de Martha Desrumaux et de millions d'ouvrières se réalise.
00:45:52 Dès l'arrivée au pouvoir du Front populaire, les usines se mettent en grève pour contraindre
00:45:59 le patronat négocié.
00:46:00 Les ouvrières du textile rejoignent le mouvement.
00:46:05 "C'est la lutte finale, groupons-nous dès demain."
00:46:12 "Il y avait des défilés, des grèves et tout, j'ai connu ça.
00:46:16 C'était normal, ils se révoltaient aussi, pas les mêmes lois qu'aujourd'hui.
00:46:22 Il n'y avait rien.
00:46:23 Il fallait lutter.
00:46:25 La vie était dure à l'époque, ce n'était pas facile.
00:46:28 À Paris, 10 000 couturières sont en grève.
00:46:33 Elles revendiquent de meilleures conditions de travail et inventent de nouvelles formes
00:46:38 de lutte, joyeuses et festives.
00:46:40 Les ateliers de couture sont paralysés, même les ouvrières de Chanel posent leurs dés
00:46:49 à coudre.
00:46:50 Après des semaines de mobilisation, les couturières triomphent.
00:46:59 Elles obtiennent enfin la suppression du travail payé à la pièce.
00:47:04 Dans les usines aussi, leur est à la fête.
00:47:08 Le gouvernement de Léon Blum accorde à tous les salariés la semaine de 40 heures et les
00:47:14 congés payés.
00:47:15 À Roubaix, le correspondant de Paris Soir témoigne.
00:47:20 Hier, lorsque les sirènes hurlèrent pour annoncer la fin du travail, certains sifflaient
00:47:27 et d'autres souriaient aux anges.
00:47:29 Pour la première fois, les ouvriers du textile partaient en vacances.
00:47:34 Ces lendemains qui chantent n'auront qu'un temps.
00:47:41 En juin 40, la défaite surprend la France.
00:47:46 Deux millions de soldats sont faits prisonniers.
00:47:48 Les femmes, une nouvelle fois, vont devoir faire face.
00:47:54 Le textile est sinistré, les filatures du Nord ont été détruites par les bombardements,
00:48:01 étant de nombreuses ouvrières au chômage.
00:48:03 Seuls quelques industriels tirent profit de la situation.
00:48:09 Marcel Boussac est l'un d'eux.
00:48:13 Ses usines des Vosges tournent à plein régime.
00:48:15 Celui qu'on surnomme le roi du coton va profiter de ses relations avec le régime de Vichy
00:48:22 pour étendre son empire.
00:48:23 Pendant l'occupation, il va fabriquer les uniformes de l'armée allemande.
00:48:31 L'argent n'a pas d'odeur.
00:48:33 À Paris, la mode souffre.
00:48:42 De la midinette à la première main, toutes les couturières sont touchées.
00:48:46 Les maisons ont fermé, toutes les maisons.
00:48:49 Il n'y avait plus de mode, il n'y avait plus rien.
00:48:52 C'était vraiment une époque… c'était la pénurie.
00:48:56 Malgré tout, c'était élégant.
00:48:59 Je me souviens, il y avait une fille qui m'avait fait un chapeau.
00:49:02 C'était en tissu écossais.
00:49:05 Je me souviens toujours, on me disait "Belle Écossaise, c'était très joli".
00:49:07 J'étais jeune, j'étais mignonne, j'avais ce petit chapeau à plumes.
00:49:11 Je chantais tous les matins "elle a une plume, plume, plume, plume, plume, à son chapeau".
00:49:17 Malgré les pénuries, les couturières refusent de capituler.
00:49:23 Avec trois fois rien, elles vont faire vivre le mythe de la française élégante.
00:49:28 Une victoire modeste, mais quotidienne.
00:49:31 Le 8 mai 1945, à Paris, deux jeunes couturières ont confectionné des robes dans les drapeaux
00:49:42 des pays alliés.
00:49:43 La capitale de la mode est, ce jour-là, la capitale de la liberté.
00:49:48 C'était extraordinaire.
00:49:52 J'ai été au Champs-Élysées, voir les Américains arriver.
00:49:57 Et là, c'était la folie.
00:49:59 Moi, j'étais aux premières loges, j'ai même gardé un pompon qu'un marin m'a donné
00:50:05 pour me porter bonheur.
00:50:06 Je l'ai toujours chez moi, il ne bouge pas.
00:50:07 Après des années de pénuries, le réveil de l'industrie textile est foudroyant.
00:50:15 Les usines rouvrent leurs portes et embauchent à tour de bras.
00:50:19 Au printemps 1947, Thérèse Basquin entre au tissage noiré.
00:50:28 Elle vient d'avoir 15 ans.
00:50:30 J'ai été présentée à la contre-dame.
00:50:32 J'ai mis à côté d'elle et puis elle a commencé par m'apprendre à tenir bien mon aiguille.
00:50:38 On a commencé par quelque chose de très facile et puis après, il faut attraper la
00:50:43 destérité.
00:50:44 J'étais rentreilleuse.
00:50:46 S'il manquait un fil, il fallait le remettre.
00:50:49 C'était comme ça pendant 9 heures.
00:50:51 On fournit un grand rond et les deux qui étaient près de moi, automatiquement, on
00:50:58 se racontait des choses.
00:50:59 On sentait.
00:51:00 Quelquefois, quand c'était trop calme, il y en avait une qui se mettait en route
00:51:05 puis les autres, elles suivaient.
00:51:06 C'était recto.
00:51:07 Et puis ça nous donnait du cœur à l'ouvrage.
00:51:09 Rentreilleuse, épinsteuse, remailleuse, les savoir-faire des femmes du textile sont innombrables.
00:51:17 Autant de métiers complémentaires qui forment les maillons d'une chaîne.
00:51:21 De temps en temps, le patron qui venait passer son nez, alors qu'un patron, il arrivait,
00:51:41 on n'entendait plus rien.
00:51:43 Il n'y avait plus un mot.
00:51:45 Parce que s'il y avait trop de bruit, il tapait sur la table.
00:51:47 Vous allez vous taire.
00:51:48 Après guerre, les ouvrières du textile sont encore traitées comme des enfants.
00:51:54 Elles ont toujours autant de mal à faire entendre leur voix face à leur contre-maître
00:52:01 ou à leur patron.
00:52:02 A l'usine, le paternalisme reste la norme.
00:52:06 Marcel Boussac va porter ce modèle à un niveau inédit.
00:52:17 A la Libération, l'industriel est parvenu à échapper aux poursuites pour collaboration.
00:52:23 Le groupe Boussac compte maintenant 30 000 salariés dans plus de 60 usines.
00:52:32 Devenu l'homme le plus riche de France, Marcel Boussac se veut le plus social des
00:52:38 patrons.
00:52:39 Ses ouvrières l'appellent Monsieur Marcel.
00:52:46 Daniel Giraud est né à Taon-les-Voges.
00:52:53 Toute son enfance, elle a entendu parler de Marcel Boussac.
00:52:57 C'est le premier employeur de la vallée de la Moselle.
00:53:03 Dans ma famille à moi, mes grands-parents ont travaillé, mon père, nous, les enfants.
00:53:13 Il n'y avait rien d'autre d'ailleurs.
00:53:15 A 14 ans, j'ai passé le certificat d'études.
00:53:19 Le directeur venait me chercher en me disant « t'as du boulot, tu viens demain ».
00:53:22 On était des Boussac.
00:53:24 Il était fier, Monsieur Boussac, de son empire.
00:53:32 Il était fier des gens qui travaillaient avec lui.
00:53:34 Il avait de la reconnaissance.
00:53:36 Le paternalisme, c'était pour tout.
00:53:41 Et c'était pas péjoratif.
00:53:43 Il y avait du sentiment, je pense.
00:53:46 L'entreprise crée des écoles, des centres sportifs, des colonies de vacances et des
00:53:55 crèches pour ses employés.
00:53:57 Le paternalisme social de M.
00:54:10 Marcel n'est pas dénué d'arrière-pensée.
00:54:12 Ses avantages justifient la modestie des salaires et lui assurent la fidélité de
00:54:19 ses ouvrières, de génération en génération.
00:54:23 Danielle Giraud a travaillé dur.
00:54:27 Mais elle préfère se souvenir de ses vacances sur l'île de Noirmoutier.
00:54:31 Dans les colonies Boussac, beaucoup d'enfants découvraient la mer pour la première fois.
00:54:37 Les colonies de vacances, c'était merveilleux quand même.
00:54:40 Quand vous arrivez là et que vous n'êtes jamais sorti, je ne savais même pas où était
00:54:45 Epinal, qui est pas très loin de Tahon.
00:54:47 Mais quand vous arrivez là et que vous voyez la mer, c'est magnifique.
00:54:58 Et la montagne, c'est encore pire.
00:55:00 On avait aussi en colonie de vacances, les parisiennes qui faisaient de la couture.
00:55:09 C'était les petites mains de chez Dior.
00:55:11 Elles arrivaient, mais on n'était pas trop mélangé parce qu'on mélangeait pas les
00:55:14 parisiennes avec les gens du textile, les gens de la base.
00:55:18 Après guerre, Marcel Boussac a fondé avec Christian Dior une nouvelle maison de haute
00:55:29 couture.
00:55:30 Il est désormais présent dans tous les secteurs de l'industrie textile et de la mode.
00:55:35 Loin des podiums de la haute couture, les Françaises font encore réaliser leurs vêtements
00:55:53 par des couturières à domicile.
00:55:55 La grand-mère de Martine Houdet était l'une d'elles.
00:56:03 Elle habillait les familles de son village de Seine-et-Marne.
00:56:06 Elle faisait les vestes, elle faisait les robes, elle faisait les chemisiers, les jupons
00:56:14 puisqu'elle habillait pour des mariages, donc elle faisait même des robes de mariée.
00:56:17 Et c'était du beau travail qu'elle faisait.
00:56:20 J'y faisais des ourlets, je surfilais, je faisais des choses comme ça.
00:56:24 Et bon, ça l'avançait elle aussi.
00:56:27 C'était moins de boulot pour ma grand-mère.
00:56:29 C'est peut-être ça qui a fait que je suis arrivée à la couture.
00:56:37 Dans les années 50, une révolution venue d'Amérique va radicalement changer le métier
00:56:46 de couturière.
00:56:47 Le prêt-à-porter.
00:56:48 Produits en série, les vêtements sont fabriqués en pièces détachées, selon des tailles
00:56:56 standardisées puis assemblées.
00:56:57 La mode passe soudainement de l'artisanat à l'ère industrielle.
00:57:03 À Paris, la maison Veil est la première à se lancer dans le prêt-à-porter.
00:57:08 Un vêtement Veil, madame, vous désirez madame être à la mode.
00:57:17 Alors vous porterez un prêt-à-porter Veil.
00:57:20 Paris lance la mode et Veil vous l'offre prêt-à-porter.
00:57:24 Le prêt-à-porter habille aussi les ouvriers.
00:57:28 Dans les Deux-Sèvres, la société Moinaton-Roy fabrique des bleus de travail, un des vêtements
00:57:34 les plus vendus en France.
00:57:35 C'est ici que Ginette Mouchard va découvrir le travail à la chaîne.
00:57:42 Comme dans l'industrie automobile, les ouvrières sont affectées à une tâche, unique et répétitive.
00:57:50 Pour cette fille de couturière, c'est un choc.
00:57:54 Pour moi, ça n'avait plus rien à voir avec la couture.
00:57:59 On fabriquait, mais on ne faisait pas de couture.
00:58:03 C'était que de l'automatisme.
00:58:04 C'était je fais un morceau, je fais ça, je fais ça, je le balance devant.
00:58:09 Et c'était étourdissant, abrutissant.
00:58:13 Je voyais des personnes qui étaient complètement sur leur machine, qui faisaient les mêmes
00:58:18 mouvements avec la tête, avec les bras.
00:58:21 Voir ça, ça m'a vraiment impressionnée.
00:58:24 Si le prêt-à-porter s'impose largement, le savoir-faire des couturières ne disparaît
00:58:30 pas pour autant.
00:58:31 Il reste vivant dans les maisons de haute couture.
00:58:34 Ça ne m'intéressait pas de passer des vêtements comme ça sous la machine.
00:58:41 Mais moi, ce que je voulais, c'est un métier où il y ait de la recherche.
00:58:44 Finalement, c'est plus ça qui m'intéressait, la recherche.
00:58:47 La haute couture, c'est un peu ça.
00:58:49 Donc, je suis rentrée chez Cardin.
00:58:51 J'ai toujours pensé qu'en haute couture, il fallait que l'endroit soit aussi beau
00:58:55 que l'envers.
00:58:56 Oui, mais c'est ça la qualité du travail.
00:58:59 C'est pour ça que les robes sont peut-être trop chères, mais c'est de la haute couture.
00:59:04 C'est du fait millimètre par millimètre.
00:59:07 Mais cette qualité n'est pas à la portée de toutes les bourses.
00:59:14 Seul le prêt-à-porter offre des vêtements accessibles que l'on peut changer au gré
00:59:20 des modes et des saisons.
00:59:21 Il résume les promesses de la société de consommation.
00:59:26 À Vincennes, dans les Vosges, Chantal Morère et Sylviane Rossignol ont grandi à l'ombre
00:59:40 des cheminées de l'usine Boussac.
00:59:42 Comme tant d'adolescentes des années 60, elles ont soif d'indépendance.
00:59:47 Elles ont hâte d'entrer dans la vie active.
00:59:50 On avait envie d'avoir de l'argent.
00:59:54 Peut-être parce que nos parents n'en avaient peut-être pas assez et puis qu'ils ne pouvaient
01:00:00 pas nous gâter comme ils auraient voulu.
01:00:02 J'avais envie d'avoir un salaire.
01:00:06 À 16 ans, c'est sûr qu'on a envie de gagner sa vie, de ne pas dépendre de ses parents,
01:00:10 de pouvoir être un peu libre.
01:00:13 Et puis consommer, forcément.
01:00:15 Les années 60 et leur boom économique sans précédent promettent à la France un monde
01:00:22 paisible et rassurant.
01:00:24 Le chômage plafonne à 2%.
01:00:28 Les ouvrières du textile vivent mieux qu'auparavant.
01:00:33 À l'époque, il n'y avait pas de problème de trouver de l'emploi.
01:00:38 Si on n'était pas pris dans une entreprise, on faisait 10 kilomètres et on entrait dans
01:00:42 l'autre.
01:00:43 Ce n'était pas bien compliqué.
01:00:45 On avait tout le monde de la vallée de la Moselle, donc on avait l'embarras du choix.
01:00:48 Quand on y repense, c'était des milliers de personnes qui sortaient à 13h ou qui finissaient
01:00:55 à 21h.
01:00:56 C'était un châssis croisé d'ouvriers.
01:00:58 C'était impressionnant.
01:00:59 Dans les Vosges, comme dans le Nord, une nouvelle génération d'ouvrières prend le chemin
01:01:05 de l'usine.
01:01:06 Je me suis donc présentée à la linière de Roubaix.
01:01:10 Ça m'a été compliqué.
01:01:12 J'avais 16 ans et j'ai tout de suite été embauchée.
01:01:15 C'était énorme.
01:01:18 Il y avait 3000 ouvrières avec 11 bus le matin et 11 bus l'après-midi.
01:01:26 Moi, je faisais de 5h à 1h, mais il y avait 1h à 9h et l'équipe de nuit.
01:01:29 Il y avait beaucoup de filles de mon âge, de jeunes.
01:01:37 Ces femmes qui travaillaient avaient l'air vraiment fatiguées.
01:01:42 Ça m'a toujours frappé que les filles, déjà, portaient toutes sur le visage cette
01:01:49 fatigue d'un travail répétitif.
01:01:52 À l'époque, c'était 9h de boulot devant des machines qui font du bruit.
01:01:56 C'était l'enfer.
01:01:57 Heureusement, je ne me rendais pas compte.
01:02:02 Pendant les longues heures passées à la filature, Isabelle Aubray s'accroche à ses rêves.
01:02:09 Un jour, elle sera chanteuse.
01:02:12 Quand je sortais de l'usine et que je partais au conservatoire, là, ça devenait ma vie.
01:02:17 Mon petit-père était contre-maître à l'étage au-dessus.
01:02:20 Il y avait des ouvriers qui disaient à mon père « il y a une gosse en dessous, elle
01:02:26 n'arrête pas de chanter ».
01:02:27 Et c'est vrai, je chantais toute la journée.
01:02:29 Après, toute ma carrière et toute ma vie, je chantais pour les gens que j'ai rencontrés,
01:02:39 pour ces gens-là, justement, qui n'avaient rien d'autre que ça.
01:02:43 Se lever le matin, aller à l'usine, le museau dans la poussière et dans le bruit,
01:02:48 et sans autres rêves et sans autres ambitions que ça, pour vivre et manger.
01:02:53 Et maintenant, que vais-je faire ? Et tout ce temps, que sera ma vie ? De tous ces gens,
01:03:14 qui m'aident d'y faire.
01:03:19 Et maintenant, que tu es parti ? »
01:03:28 Pour supporter ce labeur éreintant, qui abîme les corps et vide les têtes, les
01:03:34 jeunes ouvrières se serrent les coudes.
01:03:36 Elles vont, peu à peu, tisser des solidarités qui dépassent le cadre du travail.
01:03:41 « À l'usine, c'était une grande famille.
01:03:49 On était solidaires et quand il y avait quelqu'un qui avait des problèmes, on essayait d'en
01:03:57 parler entre nous.
01:03:58 »
01:03:59 « On parlait, on riait, mais des choses aussi sérieuses, de la vie à la maison, de la
01:04:05 vie ouvrière, des difficultés.
01:04:07 »
01:04:10 « Je me souviens d'une fille qui se mariait.
01:04:14 Elle n'avait pas d'argent pour acheter sa robe pour aller à la mairie.
01:04:17 Comme elle avait à peu près la même taille que moi, je lui ai rapporté ma robe et mes
01:04:22 chaussures pour qu'elle puisse se marier à la mairie.
01:04:25 »
01:04:26 « Le samedi soir, on sortait, donc on allait au bal du village.
01:04:35 Et puis le dimanche soir, on recommençait et on restait jusqu'à ce que l'autobus
01:04:42 vienne nous chercher pour partir à l'usine.
01:04:45 On n'était pas très fraîches.
01:04:46 »
01:04:47 Si la solidarité existe entre ces femmes, elle est plus rare avec les hommes qui travaillent
01:05:02 à leur côté.
01:05:03 Ouvriers contre maîtres ne respectent pas toujours ces filles d'usine.
01:05:08 Une expression qui dit bien le mépris dont elles sont l'objet depuis le 19e siècle.
01:05:14 « Moi, quand on m'a dit « fille d'usine », on a l'air de dire « t'es au plus
01:05:21 bas et puis tu resteras ».
01:05:24 Je me disais « c'est pas possible qu'on abaisse les gens comme ça ».
01:05:31 La fille d'usine, elle a quand même de la valeur.
01:05:34 »
01:05:35 Pour certains hommes, les filles d'usine sont aussi des filles faciles.
01:05:40 Les jeunes ouvrières sont victimes de comportements que personne n'ose encore dénoncer.
01:05:46 « À 16 ans, oui, j'étais surprise parce que j'étais aussi naïve et jeune, donc
01:05:52 forcément pas très au courant de la vie.
01:05:54 Ça a été, comment dire, une expérience en fait.
01:06:00 On se fait un petit peu titiller, bisouter c'est pas vraiment le terme, mais bon, on
01:06:06 est vite mis à la page quoi.
01:06:07 Des mains baladeuses, des, comment dire, des… On n'en parle pas.
01:06:15 Et puis je pense que j'étais pas la seule, tout le monde est passé par là.
01:06:19 »
01:06:20 Ce mépris, cette brutalité des comportements masculins n'est pas le seul problème de
01:06:28 ces femmes.
01:06:29 Au milieu des années 60, le textile français est, pour la première fois, fragilisé par
01:06:37 la concurrence internationale.
01:06:38 Le chômage, inexistant depuis l'après-guerre, ressurgit brutalement.
01:06:44 Un mot fait son apparition, dégraissage.
01:06:51 Les usines lanières dégraissent la laine avant de la filer.
01:06:55 Le personnel, considéré comme superflu, subira le même sort.
01:06:59 « Ils ont licencié 200 ouvrières.
01:07:12 Ils commençaient à licencier les ouvrières, donc j'étais obligée de créer du chômage.
01:07:17 J'étais bobineuse.
01:07:18 Et qu'est-ce qui s'est passé ? Eh bien la filature a fermé, on a été toutes licenciées.
01:07:26 »
01:07:27 Face à la crise, les industriels diminuent les effectifs et augmentent la productivité.
01:07:31 Les ouvrières vont devoir s'adapter à de nouveaux rythmes de travail, toujours plus
01:07:37 rapides.
01:07:38 « Je n'aimais pas ce travail à la chaîne.
01:07:44 C'est toujours la même chose.
01:07:46 Vous n'avez pas le droit de lever la tête, pas le droit de manger un bonbon, pas le droit
01:07:49 d'aller aux toilettes.
01:07:50 C'est affreux.
01:07:52 Je ne voulais pas travailler comme ça.
01:07:57 Je pleurais quand j'allais travailler.
01:07:59 »
01:08:00 Les cadences devenaient infernales.
01:08:09 La productivité a augmenté et on avait des chronométreurs qui savaient exactement combien
01:08:15 de kilos en sortaient.
01:08:16 Donc il fallait suivre.
01:08:18 Et si vous ne suivez pas, le salaire n'était pas là.
01:08:23 Ce qu'on appelait une bouffe-tout, c'était une personne qui se passait d'aller casser
01:08:35 la croûte pour pouvoir gagner 30 minutes de production.
01:08:39 Donc elle ne laissait rien passer, elle n'allait pas aux toilettes, elle ne prenait pas de
01:08:45 temps pour elle.
01:08:46 Elle se consacrait à casser machine pendant ses 8 heures pour faire le maximum de production.
01:08:53 Le patron trouvait ça bien, les autres employés un peu moins.
01:08:57 Les ouvrières n'ont plus qu'une obsession, la productivité.
01:09:03 La pression physique et psychologique n'a jamais été aussi forte.
01:09:07 On était de la matière à travailler, en fait.
01:09:16 On était rien de plus que ça.
01:09:17 On n'était pas plus considéré que ça.
01:09:19 Surtout en plus en étant femme.
01:09:21 Moins syndiquées que les hommes, ces femmes sont inaudibles.
01:09:28 Personne ne prête attention à leur souffrance, à leur détresse.
01:09:31 En cette fin des années 60, elles n'en peuvent plus.
01:09:36 Il y a beaucoup d'ouvrières qui craquaient parce que c'était pénible.
01:09:42 Dans les ateliers, les gens en avaient marre.
01:09:45 Il y a des copines qui, petit à petit, se sont dit "on ne doit pas se laisser faire,
01:09:50 on a notre mot à dire, ce n'est pas juste de faire comme ça",
01:09:54 et qui se défendaient.
01:09:55 Et ça, moi, ça me faisait vivre.
01:09:59 Ouvriers, compagnons de race,
01:10:04 bâtissons l'humanité.
01:10:09 Classe dure que nul sort ne lasse,
01:10:14 rénovons la société.
01:10:18 Jeunes ouvriers, mon frère,
01:10:22 de la lutte ouvrière,
01:10:27 souviens-toi.
01:10:28 Les délégués de l'AFD ont dit "bon, tu vas te présenter avec nous",
01:10:36 parce que c'est vrai que des femmes, il n'y en avait pas beaucoup,
01:10:39 et des jeunes encore moins, puisque les 67,
01:10:43 les premières élections après mes 21 ans, je me suis présentée comme déléguée.
01:10:49 Élue représentante du personnel,
01:10:51 Marie-Colette Patin va entraîner ses camarades d'atelier dans la lutte.
01:10:55 C'était extrêmement dur dans les ateliers.
01:11:01 Donc la colère, elle grondait.
01:11:03 On le sentait.
01:11:05 Et donc, ça a fini par exploser.
01:11:07 Non, au l'extrême-divorce !
01:11:12 Quand on a entendu que ça commençait à bout de nez en 68,
01:11:16 on a été à La Lanière, l'une des premières entreprises textiles à se mettre en route.
01:11:21 Dès le lundi matin, on a dit "on fait la grève".
01:11:26 Demain, avec ces 4 ou 5 personnes, on va former les groupes qui iront tenir toutes les portes.
01:11:30 Et il y aura les 3 équipes toute la journée, même toute la nuit, s'ils le font.
01:11:34 Et s'il faut prendre la boutique, s'il faut l'occuper, on l'occupe fort.
01:11:41 Je venais d'être élue déléguée.
01:11:43 Ils m'ont poussée sur une caisse avec un micro en disant "t'expliques pourquoi on s'arrête ?"
01:11:48 Donc je suis montée, j'ai expliqué pourquoi il y avait grève.
01:11:52 On a quasiment fait ça tous les jours.
01:11:53 L'usine était complètement paralysée.
01:12:04 Là, on ne pouvait plus rentrer nulle part.
01:12:06 Et ça a duré un bon moment.
01:12:08 C'était très dur pour tout le monde parce que l'argent ne rentrait pas.
01:12:11 Comment vivre avec un salaire amputé par les jours de grève ?
01:12:16 Comment nourrir ses enfants ?
01:12:19 Malgré les difficultés financières et la fatigue, elles vont tenir.
01:12:23 Ça a été pour moi une expérience absolument extraordinaire
01:12:36 qui n'avait absolument rien à voir avec ce qui se passait à Paris.
01:12:40 D'ailleurs, nous, on n'était pas au courant.
01:12:41 Je n'avais pas la télé.
01:12:42 À 4h du matin, on était sur place jusqu'à 11h du soir.
01:12:46 Le 27 mai 68, les ouvrières de La Lanière laissent éclater leur joie.
01:12:55 Après des semaines de grève, le SMIG est augmenté de 35%.
01:13:00 Mais ce n'est pas là leur seule victoire.
01:13:03 Ces femmes, si longtemps invisibles, sortent enfin de l'ombre.
01:13:07 Pour les femmes et pour les jeunes,
01:13:13 ça a été la possibilité de prendre la parole
01:13:17 et surtout d'être reconnues.
01:13:20 On existait.
01:13:29 Je pense vraiment que ça a libéré pas mal de choses chez les femmes.
01:13:34 Elles ont réalisé à quel point finalement,
01:13:41 elles avaient vraiment beaucoup de choix dans la vie.
01:13:44 C'était de trimmer, garder les gosses, oublier au mari.
01:13:48 C'était quand même encore beaucoup ça à l'époque.
01:13:52 Et là, c'est de donner un grand coup d'oxygène, une grande respiration.
01:13:57 L'émancipation des ouvrières est en marche.
01:14:11 Elles ne veulent plus être soumises à leur mari, à leur patron.
01:14:15 Elles rêvent de vivre et de travailler autrement.
01:14:18 En août 73, les couturières de l'usine de prêt-à-porter de Cerisay,
01:14:27 dans les Deux-Sèvres, se mettent en grève.
01:14:29 Elles sont bien décidées à empêcher les licenciements.
01:14:34 Ginette Mouchard, fraîchement élue déléguée syndicale,
01:14:37 va se battre à leur côté.
01:14:40 C'était une équipe très jeune, très dynamique.
01:14:43 Et tout de suite, c'était je crois le sixième jour de grève,
01:14:46 elles ont dit "on va fabriquer".
01:14:49 Et deux jours après, le projet d'atelier clandestin se mettait en place.
01:14:57 Pour financer leur grève, les ouvrières de Cerisay
01:15:00 se lancent dans la fabrication de chemisiers,
01:15:02 avec leur propre machine à coudre.
01:15:06 À l'essayage du premier chemisier, c'était formidable, formidable, formidable
01:15:10 de voir les filles, c'est bien, ils tournent bien, ça va, on y va.
01:15:15 Elles ont découvert qu'on pouvait travailler autrement.
01:15:20 C'était pas "je sauve ma peau pour avoir un salaire, tant pis pour les autres".
01:15:25 Non, là c'était ensemble.
01:15:27 Aujourd'hui on est en grève, pour le faire, la liberté est le mien.
01:15:32 Nous devons en faire, de l'ordre et de l'ordre sans cérémonie.
01:15:35 Un, deux, trois, quatre, on est le plus vieux,
01:15:39 on s'arrange, on s'envole, on s'envole, on s'envole.
01:15:42 C'était presque tous les jours qu'elles créaient une chanson.
01:15:45 Là, il y avait une imagination qu'elles avaient en elles,
01:15:48 mais qui était étouffée et qui s'exprimait.
01:15:51 Ça, c'était quelque chose de fabuleux.
01:15:53 Les chansons, c'était justement un bon moyen pour tenir le coup.
01:16:01 Les chemisiers fabriqués par des ouvrières sans chef ni patron.
01:16:05 Sans chef et sans patron.
01:16:08 Dans les années 70, ces expériences d'auto-gestion représentent un immense espoir.
01:16:14 L'époque est aux utopies.
01:16:17 *Musique*
01:16:27 Les colons d'hymne promettent une toute autre révolution.
01:16:32 Les femmes n'auront plus jamais à repriser.
01:16:36 Vendu en grande surface, le colon à deux francs se porte,
01:16:40 se jette et se remplace.
01:16:43 *Musique*
01:16:49 - Combien vous vérifiez de colons à peu près dans une heure ?
01:16:53 - Dans une heure, 400 colons.
01:16:55 - Ça fait à peu près quoi par jour ?
01:16:56 - Ça fait des fois 2200, 2400 colons.
01:16:59 - Oh là là !
01:17:01 Le leader mondial du colon jetable produit 40 millions de paires chaque année.
01:17:07 DIM est le précurseur d'une nouvelle façon de produire et de consommer.
01:17:12 Un modèle qui s'étendra bientôt à l'ensemble du prêt-à-porter.
01:17:19 A l'ère du jetable, l'ouvrière française est jugée trop chère.
01:17:25 Pour réduire les coûts, les industriels commencent à faire fabriquer hors de France.
01:17:32 Le secteur textile invente la délocalisation.
01:17:38 Face à cette nouvelle menace, la solidarité ouvrière va se fissurer.
01:17:45 - Les gens étaient devenus nerveux, à la limite méchants.
01:17:49 Pourquoi moi je suis licenciée, pourquoi pas toi ?
01:17:52 Et là on a vu vraiment tout se dégrader.
01:17:58 - C'est allé très très vite.
01:17:59 Le souci premier, c'était plus d'avoir un meilleur salaire,
01:18:03 même pas de meilleure condition de travail,
01:18:05 mais le souci premier c'était de conserver son emploi.
01:18:10 L'industrie textile est au bord du gouffre.
01:18:13 L'empire Boussac sera le premier à chuter.
01:18:16 En mai 1978, les 21 filiales de l'entreprise sont mises en règlement judiciaire.
01:18:25 Pour des milliers d'ouvrières, c'est la stupeur et la colère.
01:18:31 - Il y a 4 personnes qui gagnent 1800 francs par mois, nom de Dieu !
01:18:34 On n'a pas d'en rond d'avance ! Comment on va vivre ?
01:18:37 - Mais on le sait bien ça.
01:18:39 On le sait bien.
01:18:40 - On a un arralbol.
01:18:41 Jamais les Vosgiens n'ont fait ça encore.
01:18:45 - Ce que je peux vous dire c'est qu'on est en train d'essayer de tout faire.
01:18:47 Et vous ne pouvez pas dire le contraire,
01:18:49 on est en train d'essayer de tout faire pour trouver des solutions.
01:18:51 - Certaines personnes avaient fait toute leur carrière là,
01:18:58 on s'était imaginé que ce serait pareil pour nous.
01:19:00 Qu'on allait commencer à 16 ans et finir à la retraite.
01:19:03 On ne pouvait pas penser qu'un jour ou l'autre ça fermerait.
01:19:08 On était bien déçus même, parce que l'avenir était parose.
01:19:13 En mai 1981, l'élection de François Mitterrand
01:19:17 fait naître un immense espoir dans la classe ouvrière.
01:19:21 Les femmes du textile veulent y croire.
01:19:24 Le programme commun de la gauche ne prévoit-il pas la nationalisation
01:19:27 de pans entiers de l'économie française ?
01:19:31 - L'arrivée de Mitterrand pour nous c'était énorme, énorme, énorme.
01:19:34 On a fondé beaucoup, beaucoup, beaucoup d'espoir.
01:19:37 Peut-être trop d'ailleurs, mais bon.
01:19:39 On se disait, ça y est, on va pouvoir avancer,
01:19:42 il va y avoir des réformes, on va pouvoir changer un peu le système.
01:19:47 Bon, c'est pas si simple.
01:19:50 Passée l'euphorie des premiers temps,
01:19:53 le retour à la réalité est brutal.
01:19:55 Les ouvrières du textile se sentent abandonnées.
01:19:59 - Mon sentiment, c'est qu'il y a eu des choix politiques de fait,
01:20:03 de sacrifier certains secteurs et puis d'en conserver d'autres.
01:20:09 Et comme le secteur de l'habillement,
01:20:12 c'était un secteur composé essentiellement ou majoritairement de femmes,
01:20:18 on maintenait les emplois des hommes en France,
01:20:21 les emplois des femmes finalement, parce qu'ils étaient tellement considérés.
01:20:26 On pouvait plus facilement s'en passer et les envoyer ailleurs.
01:20:30 On peut le ressentir, l'entendre comme ça.
01:20:33 Contrairement aux gueules noires ou aux métallos,
01:20:45 les ouvrières du textile n'ont jamais trouvé leur place
01:20:48 dans la mythologie ouvrière et dans l'imaginaire des Français.
01:20:53 Malgré leur nombre, malgré leur combat,
01:20:55 ces femmes ne comptent pas.
01:20:58 Leurs emplois seront les premiers sacrifiés.
01:21:01 Après le tournant de la rigueur du printemps 1983,
01:21:11 le gouvernement socialiste décide de régler le dossier Boussac.
01:21:15 - Ce groupe comporte des points industriels qui sont difficiles, comme le textile.
01:21:21 Un jeune entrepreneur natif de Roubaix est choisi pour reprendre le groupe.
01:21:25 Il s'appelle Bernard Arnault.
01:21:28 Les emplois des ouvrières seront préservés, promet-il.
01:21:32 - Notre Bernard Arnault, tout le monde lui faisait confiance.
01:21:38 On s'est dit, voilà, jeune, dynamique, tout, ça va repartir.
01:21:43 Et là, là, on est tombé de haut.
01:21:45 On pensait qu'on pouvait sortir la tête de l'eau et puis continuer.
01:21:49 Et puis peut-être différemment, mais pas aller jusqu'à la déchéance totale.
01:21:55 Bernard Arnault va revendre la plupart des activités industrielles du groupe Boussac
01:22:02 pour ne conserver que la maison Christian Dior.
01:22:05 En 1988, il crée la société LVMH.
01:22:14 Les ouvrières de Boussac ne feront pas partie de l'aventure.
01:22:18 - Tout d'un coup, oui, tout s'est arrêté.
01:22:20 Et là, ça a été compliqué à vivre parce qu'il fallait penser à l'avenir.
01:22:26 Pas facile à recommencer dans un autre domaine quand on a fait que ça toute sa vie,
01:22:32 travailler dans les usines Boussac.
01:22:34 Tout le long de la vallée de la Moselle se dressent les ruines de l'empire Boussac.
01:22:47 A Paris, le groupe dirigé par Bernard Arnault va devenir le leader mondial de l'industrie du luxe.
01:22:54 Dans ce nouveau monde, la haute couture reste le principal conservatoire de gestes et de savoir-faire,
01:23:01 transmis de génération en génération.
01:23:04 - Voilà, c'est tout à fait le croquis.
01:23:09 Mais il faut qu'elle garde les bras en l'air, Martina.
01:23:11 - Je vais faire un petit tour.
01:23:13 - Voilà, les bras comme ça.
01:23:17 Cardin, Dior, Chanel, Martine Houdet a travaillé dans les plus grandes maisons.
01:23:22 Elle a gravi tous les échelons de la hiérarchie des couturières, jusqu'à devenir première d'atelier.
01:23:29 Elle incarne cet artisanat d'exception qui résiste à toutes les crises.
01:23:35 - Voilà, avec ça, au moins ça tue sa sommeille.
01:23:38 - Quand j'étais chez Cardin, j'entendais dire presque tous les jours,
01:23:41 "Oui, la haute couture, c'est fini, ça va s'arrêter.
01:23:44 "La haute couture, c'est plus la peine, ça vaut plus rien."
01:23:47 Ben oui, mais 50 ans après, elle est encore là.
01:23:50 Tout au long des années 90, les inégalités se creusent.
01:23:56 La mode va refléter cette fracture qui divise la société.
01:24:00 D'un côté, la haute couture est une forme de couture.
01:24:04 La mode va refléter cette fracture qui divise la société.
01:24:08 D'un côté, la fast fashion, des vêtements bon marché fabriqués à l'autre bout du monde.
01:24:14 De l'autre, une industrie du luxe, réservée aux plus riches.
01:24:18 Si Paris conserve son titre de capitale de la mode,
01:24:24 les provinces françaises voient disparaître une à une les industries qui avaient fait leur renommée.
01:24:33 On a vu partir nos machines dans des gros containers, devant nos yeux.
01:24:39 Les containers étaient là et ils sont partis en bourre et après sur l'Asie.
01:24:51 C'est vrai que ça fait un peu mal au cœur quand même de voir son outil de travail partir,
01:24:57 surtout qu'il y avait encore des commandes.
01:25:01 Bien sûr que ça aurait pu être autrement.
01:25:04 On aurait pu continuer en France et puis réinvestir.
01:25:08 Bien sûr qu'on aurait pu le faire, mais bon, on gagnait plus ailleurs sans doute.
01:25:12 Il y en a qui gagnaient plus ailleurs, mais pas nous.
01:25:16 C'est d'abord le fric qui a compté avant les humains qui se retrouvaient sur le carreau
01:25:22 ont pu avoir d'emplois.
01:25:27 C'était mon travail, c'était ma vie, mon mari aussi.
01:25:31 On était à deux dans la lignée, et comme beaucoup d'entre nous d'ailleurs.
01:25:35 Qu'est-ce que je vais faire moi, qu'est-ce que je vais trouver ?
01:25:38 Roubaix, l'ancienne capitale mondiale de la laine,
01:25:43 est redevenue l'une des villes les plus pauvres de France.
01:25:46 43% de sa population y vit désormais, sous le seuil de la laine.
01:25:51 J'aurais encore voulu travailler, mais on n'a pas donné les moyens.
01:25:57 Je faisais partie de la catégorie de personnes qui étaient trop âgées pour être embauchées.
01:26:03 Et donc j'ai fini ma carrière comme ça, comme chômeur âgé.
01:26:09 Je suis en train de me faire un emploi.
01:26:14 Je suis en train de me faire un emploi.
01:26:17 Comme ça, comme chômeur âgé.
01:26:21 J'ai eu une retraite de 937 euros.
01:26:24 937 euros pour 36 ans de travail.
01:26:29 Maintenant, on survit.
01:26:32 Un siècle durant, ces femmes se sont battues pour leurs droits et leurs reconnaissances.
01:26:42 Elles ont assisté impuissantes à la disparition de leurs outils de travail.
01:26:48 Aujourd'hui, comment revenir en arrière ?
01:26:51 Comment renouer les fils de cette épopée humaine et industrielle ?
01:26:56 Tout a été ouvert à la grande concurrence et on nous a oubliés.
01:27:01 Il y a eu un gâchis, mais dans le textile comme dans d'autres secteurs d'activité.
01:27:05 Mais c'est vrai que c'est dommage.
01:27:07 On a trop laissé aller et le retour en arrière est très compliqué.
01:27:12 Anne Aurivel dirige l'une des dernières entreprises françaises de tissage de lin.
01:27:17 Depuis 2015, elle se bat pour la renaissance de cette filière.
01:27:23 Il y avait beaucoup de gens médisants qui ne nous donnaient pas un an d'existence.
01:27:27 Mais on est toujours là.
01:27:29 Aujourd'hui, cette nouvelle génération tente d'imaginer un avenir plus vertueux.
01:27:34 En relançant la culture et le tissage de fibres produites en France.
01:27:38 Ou en créant des matières innovantes.
01:27:41 Dans son atelier, Rose Ecouet invente à partir d'algues marines,
01:27:47 les textiles écologiques de demain.
01:27:50 Je suis optimiste dans le sens où de toute façon, il n'y a pas d'autre solution.
01:27:56 On va finir par trouver des modes de production viables,
01:28:00 qui soient plus respectueux, plus durables et plus en accord avec l'ensemble de notre monde.
01:28:06 Il faut aussi changer nos mentalités.
01:28:09 A se dire, je paye peut-être un truc un peu plus cher, je le garde un peu plus longtemps.
01:28:12 J'arrête de consommer à tout va des produits à bas prix,
01:28:15 qui font bosser des enfants et qui sont catastrophiques au niveau environnemental.
01:28:20 Les mentalités changent, mais ça prend du temps.
01:28:24 On croyait les couturières disparues, balayées par la mondialisation.
01:28:28 Et pourtant, les crises économiques, écologiques, sanitaires ont fait du made in France plus qu'une mode, un impératif.
01:28:37 Dans le Nord, dans les Vosges ou à Paris,
01:28:41 des marques historiques et de nouveaux acteurs redonnent vie à l'industrie textile.
01:28:47 Les couturières n'ont pas dit leur dernier mot.
01:28:54 Les couturières n'ont pas dit leur dernier mot.
01:28:59 Les couturières n'ont pas dit leur dernier mot.
01:29:03 Les couturières n'ont pas dit leur dernier mot.
01:29:07 Les couturières n'ont pas dit leur dernier mot.
01:29:12 Les couturières n'ont pas dit leur dernier mot.
01:29:17 Les couturières n'ont pas dit leur dernier mot.
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01:29:33 Les couturières n'ont pas dit leur dernier mot.
01:29:37 Les couturières n'ont pas dit leur dernier mot.
01:29:42 Les couturières n'ont pas dit leur dernier mot.
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