• il y a 7 mois
Le mouvement #MeToo a permis de lever le voile sur l'ampleur des violences sexuelles dans le milieu du cinéma. De nombreuses actrices ont courageusement témoigné des agressions et du harcèlement qu'elles ont subi.

En France, plusieurs affaires ont éclaboussé le cinéma français. Le réalisateur Luc Besson, l'acteur Gérard Depardieu et le producteur Harvey Weinstein ont notamment été accusés de viols et d'agressions sexuelles.

Ces accusations ont eu un effet salutaire. Elles ont permis de briser le silence et d'ouvrir un dialogue sur ces violences. Elles ont également conduit à des changements concrets dans l'industrie cinématographique.

De nombreuses initiatives ont été mises en place pour lutter contre les violences sexuelles dans le cinéma. Des chartes de déontologie ont été signées, des formations ont été mises en place et des cellules d'écoute ont été créées.

Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Mais le mouvement #MeToo a permis de faire un grand pas en avant dans la lutte contre les violences sexuelles dans le cinéma.
Transcription
00:00 - Vahena Ijo Kante, je le disais, ce livre ne peut pas laisser indifférent, ne doit pas, mais ne peut pas laisser indifférent.
00:07 Vous y racontez l'inceste dont vous avez été victime toute petite fille, et puis ce long combat aussi sur le chemin de la reconstruction.
00:14 Car contrairement à ce qu'on dit très souvent, on peut se reconstruire après un inceste.
00:20 - Oui, c'est pas quelque chose qu'on entend beaucoup, et il y a même pas mal de gens qui questionnent ma guérison,
00:26 en me disant "mais est-ce que c'est bien possible ?" Et moi je dis souvent, une blessure, effectivement, quand elle est ouverte,
00:32 on sent la douleur, et quand elle est cicatrisée, on peut toucher, elle n'est plus aussi douloureuse,
00:37 et je pense que j'ai choisi ce moment-là pour en parler, parce que je suis arrivée à un moment de ma vie
00:42 où c'est possible de partager, je dirais, quelque chose d'un peu plus lumineux.
00:47 Oui, alors ça se fait pas tout seul. Une cicatrice, enfin une plaie, elle se cicatrise pas aussi vite.
00:54 Il faut du temps, il faut de l'investissement, il faut être accompagnée aussi.
00:59 - Un livre, souvent on dit que c'est une thérapie, dans votre cas, ce livre il est pour les autres.
01:03 - Oui. - Pour les 10% de Français qui disent avoir été victime d'inceste.
01:07 - C'est énorme ce chiffre. - C'est énorme, c'est vertigineux.
01:10 Et du coup je pense que c'est aussi le but de faire tomber ce tabou énorme,
01:16 c'est-à-dire d'aider les gens à arriver à entendre, à arriver à accepter cette réalité.
01:23 Et ce livre, cette mise à nu, pour moi c'était une façon...
01:26 comme j'ai réglé en privé, dans l'intimité, je suis allée guérir chaque couche de ce traumatisme,
01:36 il était temps pour moi de dire ça existe partout, absolument partout.
01:43 - Et il faut le dire et l'entendre, et vous me disiez là juste avant qu'on prenne l'antenne,
01:47 c'est souvent plus difficile à entendre qu'à dire.
01:50 - En fait je termine le livre comme ça, c'est-à-dire qu'il ne suffit pas de parler ou de hurler,
01:54 encore faut-il écouter, encore faut-il être entendu.
01:58 Et donc merci déjà.
02:01 - C'est votre père qui a abusé de vous, vous aviez à peine 5 ans,
02:05 vous écrivez "Un âge où le mot inceste ne veut rien dire pour moi,
02:09 et pourtant il imprègne et façonne le restant de mon existence".
02:13 Ça commence dans un bain, à l'heure de la sieste ?
02:17 - Oui, ça commence de manière très insidieuse,
02:20 et quand on est enfant on n'a pas forcément la conscience de ce qui est normal ou pas,
02:25 de ce qui est potentiellement destructeur ou pas,
02:28 et on est en face de gens qui en ont confiance.
02:31 Là en l'occurrence avec mon père c'était vraiment mon héros,
02:34 donc oui on a une perte de référence et de barrière,
02:37 c'est ça qui est aussi compliqué.
02:39 Je pense que du coup la prévention est nécessaire aussi,
02:42 parler à ses enfants, parler aux enfants de la manière la plus simple possible,
02:46 expliquer les mots de la manière la plus simple possible.
02:49 - Ça commence à 4-5 ans, ça va durer jusqu'à l'âge de 10 ans,
02:52 jusqu'au jour où vous dites à votre maman, vos parents sont séparés,
02:55 vous dites à votre maman "je ne veux plus aller chez lui,
02:58 plus pour le week-end, plus pour les vacances".
03:00 Elle se doute de quelque chose à ce moment-là ?
03:02 - Oui.
03:03 - Elle vous envoie voir des psy ?
03:04 - Oui, pédopsychiatres, et je sais qu'ils veulent me faire dire ça,
03:07 et je sais que c'est dangereux,
03:09 et que potentiellement il y a la prison,
03:11 que potentiellement il y a la séparation,
03:14 donc je refuse de parler.
03:16 Mais c'est très fréquent les enfants,
03:18 c'est une façon de dire "stop" avec nos mots.
03:22 - Il faudra attendre vos 17 ans pour que vous parliez,
03:26 que vous portiez plainte aussi, pour sauver votre sœur,
03:30 pour que vous découvriez qu'elle aussi est abusée par votre papa,
03:34 parce que votre maman vous dit qu'elle aussi,
03:36 à peu près au même âge que le vôtre d'ailleurs,
03:38 elle refuse d'aller chez lui.
03:39 - Exactement.
03:40 - Tout de suite vous comprenez ?
03:41 - Ah oui, j'avais déjà eu un retour de trauma quelques mois avant,
03:44 et donc là c'était vraiment le coup de grâce.
03:47 Donc oui, oui, j'ai compris tout de suite.
03:50 Et en fait je pense que j'ai pris la mesure de la gravité
03:53 quand ça l'a touché elle, pas quand ça me touchait moi.
03:55 C'est assez fréquent, c'est-à-dire que
03:57 quand ça touche les gens qu'on aime,
03:59 c'est beaucoup plus douloureux que quand c'est pour soi, étrangement.
04:03 - Devant le juge au procès, votre papa n'y l'est fait ?
04:07 Il va même dire que vous êtes une menteuse,
04:11 c'est vous qui l'avez harcelée pendant qu'il prenait son bain ?
04:14 - Oui, il est dans un mode de survie.
04:17 C'est ce que je dis, c'est qu'il est prêt à sacrifier un membre
04:21 comme un animal pris au piège.
04:23 Et je dis que ce membre c'est moi,
04:25 parce qu'effectivement là on n'est plus dans un rapport père-fille,
04:28 on est dans un rapport où il veut sauver sa peau.
04:32 Et je le comprends, je pense que c'est...
04:36 je peux le comprendre, même si ça a été extrêmement douloureux.
04:39 - Il a été condamné à trois ans de prison, dont un avec sursis.
04:42 Il vous a clairement, il vous le dit tout au long du livre,
04:45 "Pourri la vie", je le dis avec un mot très trivial,
04:47 et c'est beaucoup plus profond.
04:49 Et pourtant, et alors ça je dois vous dire que j'ai été complètement scotché,
04:52 parce que vous lui dédiez ce livre.
04:54 On ouvre votre livre, il y a marqué "à mon père".
04:56 On ferme le livre, sur une formidable lettre d'amour
05:00 que vous lui écrivez.
05:02 Vous comprenez que ça puisse...
05:04 - Je comprends que ça puisse choquer ou même qu'on puisse ne pas comprendre.
05:06 - Non mais en tout cas ça interpelle.
05:08 Comment on peut aimer celui qui vous a fait vivre un...
05:10 - Alors vous savez, j'aime beaucoup cette phrase qui dit,
05:12 "Un enfant abusé n'arrête jamais d'aimer ses parents,
05:15 il arrête de s'aimer lui-même."
05:18 Et ça il faut bien le comprendre.
05:20 C'est-à-dire que tout le parcours de reconstruction,
05:22 c'est de réapprendre à s'aimer et de se récupérer soi.
05:25 Mais l'amour de ses parents, il est là.
05:28 Et c'est ça qui est dur.
05:29 Alors après ça peut se transformer en haine.
05:31 Mais la haine c'est encore de l'amour.
05:33 C'est le pendant inverse de la manifestation de l'amour pur.
05:38 Mais je lui ai dédié ce livre parce que sans lui,
05:41 cette histoire n'aurait pas été écrite.
05:43 Donc je lui rends, quelque part, la responsabilité de cette histoire.
05:48 Et j'ai voulu terminer par une lettre d'amour,
05:50 mais plus que d'amour, de pardon.
05:52 Parce que je pense que c'est la clé aussi de la reconstruction.
05:54 Si j'ai pardonné, j'ai pardonné aussi pour moi.
05:57 Pour récupérer mon pouvoir,
05:59 pour ne pas lui donner justement ce pouvoir de détruire ma vie.
06:02 Mais au contraire, de me dire, voilà, ma vie sera belle.
06:06 Et je t'offre ce pardon.
06:08 Et j'offre le pardon aussi à mon père enfant.
06:11 C'est-à-dire que je le vois tout d'un coup comme un enfant.
06:14 Je me dis, cet enfant a probablement vécu aussi des abus,
06:16 ou des choses terribles, ou des blessures.
06:18 Et donc je m'adresse à lui, enfant.
06:21 Et je lui offre mon pardon,
06:23 comme une boucle qui est bouclée, quelque part.
06:25 C'est-à-dire, voilà, tu n'as pas réussi à me détruire.
06:28 Et tu peux partir maintenant.
06:32 Je ne sais pas si c'est libre, parce que ça dépend de lui.
06:36 Mais en tout cas, moi, je peux continuer ma vie libre.
06:39 Dans ce livre, vous vous adressez aussi aux enfants, aux victimes,
06:42 et puis aux agresseurs.
06:44 Et puis vous parlez du milieu du cinéma,
06:46 sa multitude de petits abus.
06:48 Vous ne citez qu'un seul nom, d'ailleurs, dans ce livre,
06:51 celui de Benoît Jacot, contre qui, je le rappelle,
06:53 Judith Godrech a porté plainte.
06:55 C'est volontaire de le citer, lui ?
06:57 Au départ, je ne voulais pas le citer,
06:59 parce que je ne voulais citer personne qui m'a fait du mal.
07:01 Je ne voulais rendre hommage qu'à ceux qui ont été bénéfiques dans ma vie.
07:04 Et en fait, c'est une raison aussi particulière.
07:07 Je n'ai pas voulu nommer, parce que je trouve que c'est un peu
07:09 l'arbre qui cache la forêt, et je voulais nommer les actes
07:11 plus que les personnes.
07:13 Je trouve que quand on s'attache à la personne,
07:15 on enlève l'universalité du problème.
07:17 Alors que j'avais envie que le lecteur puisse y apposer son visage,
07:20 son nom, et puisse pouvoir s'identifier à ce qui se passe.
07:23 Donc, c'était un choix volontaire.
07:25 Et pourquoi Benoît ?
07:27 Parce qu'avant la sortie, Judith a effectivement décidé de porter plainte.
07:31 Et je voulais être là en backup,
07:34 pour empêcher Benoît de la poursuivre en diffamation.
07:39 C'est de la sororité.
07:41 Comment vous avez vécu ces dernières semaines ?
07:43 Le discours de Judith Godrech, par exemple, au César,
07:46 ou encore la réaction du milieu du cinéma ?
07:48 Dans le milieu du cinéma, on voit qu'il y a quand même pas mal de résistance encore.
07:52 Il faut que chacun prenne sa part de responsabilité,
07:56 qu'on arrête l'hypocrisie générale.
07:58 Et là, on commence à voir qu'il y a un intérêt des médias,
08:03 de vraiment comprendre.
08:05 Mais chacun, à sa part, on a fait partie de ce système,
08:08 et on l'a laissé se développer.
08:10 Donc maintenant, c'est le monstre qu'on regarde en face,
08:12 et qu'on met à terre ensemble.
08:14 On ne pourra pas y arriver si on ne le fait pas ensemble.
08:16 Et j'aimerais que ceux qui ont mal agi,
08:19 ou qui ont fait du mal ou du tort,
08:21 qu'ils se disent "oui, effectivement, j'ai peut-être inconsciemment
08:24 par manque de conscience, et j'en suis désolée".
08:27 Vous dites qu'il suffirait qu'un seul de ces hommes mis en cause
08:31 assume sa part de responsabilité ou présente des excuses.
08:34 C'est ce que vous leur dites ce matin à ces hommes que vous ne citez pas dans le livre.
08:38 Oui, parce que je ne suis pas en colère contre eux,
08:41 et donc je leur dis "mais voilà, c'est noble de demander pardon".
08:46 Mais comment vous pouvez ne pas être en colère ?
08:48 Je n'ai pas dit que je ne l'ai jamais été, je l'ai été,
08:51 mais la colère c'est une émotion qui nous traverse,
08:53 et on peut en faire quelque chose de beau.
08:55 Ça se transcende, c'est une émotion naturelle,
08:58 et qui peut être très nécessaire aussi pour faire changer les choses dans une société.
09:02 Donc je n'ai pas peur de la colère, et je ne la rejette pas.
09:04 Mais je n'en suis pas là aujourd'hui.
09:07 Voilà, je le disais, ce livre ne peut pas laisser indifférent,
09:09 c'est aussi plein d'espoir.
09:11 Je voulais juste citer une phrase de votre fils,
09:14 "Maman, tu es une balle, lorsque tu tombes, tu rebondis toujours plus haut".
09:19 Vous êtes une sacrée balle, Vahina.
09:21 Votre livre s'appelle "À corps ouvert", c'est publié chez Robert Laffont,
09:24 et ça sort demain. Merci infiniment.
09:26 Merci.
09:27 Après ce livre, "Je peux vivre ma vie libre",
09:29 venez-vous nous dire Vahina Djokante.
09:30 Vous restez avec nous, puisque vous êtes dans l'œil de Philippe Cavre-Evier.
09:33 On va rire un peu.
09:34 Oh oui !

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