• il y a 9 mois
L’écrivaine Christine Angot a réalisé le documentaire "Une famille", en salle le 20 mars. Elle raconte l’inceste dont elle a été victime et ses ravages. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-14-mars-2024-5357640

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Transcription
00:00 Il est 8h25.
00:02 France Inter. Léa Salamé. Nicolas Demorand. Le 7/10.
00:08 Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin une écrivaine et réalisatrice.
00:12 Son film « Une famille » sort en salle mercredi prochain, le 20 mars.
00:17 Vos questions et réactions au 01 45 24 7000 et sur l'application France Inter.
00:23 Christine Angot, bonjour.
00:24 Bonjour.
00:25 Et bienvenue à ce micro et dans ce studio que vous connaissez bien.
00:29 Vous signez votre premier film, un documentaire choc qui nous a laissé avec Léa,
00:34 chaos debout tant il est puissant, radical et profondément émouvant.
00:39 Vous revisitez votre histoire qu'on connaît tous,
00:43 c'est-à-dire l'inceste que vous a fait subir votre père à partir de l'âge de 13 ans.
00:48 Sauf que là, des années plus tard, vous allez vous affronter non pas à votre père,
00:53 puisqu'il est mort, mais à toutes les personnes qui ont traversé cette histoire,
00:57 votre mère, votre ex-mari et surtout dans une scène édifiante qui ouvre le film,
01:03 votre belle-mère, celle qui fut la femme de votre père.
01:06 Alors, avant de revenir sur ces séquences, dites-nous, Christine Angot,
01:11 pour commencer, pourquoi avoir eu besoin de prendre la caméra ?
01:16 Est-ce que le cinéma vous a permis d'aller quelque part où la littérature n'allait pas ?
01:26 Tout de suite, pour moi, il y a eu la circonstance, je savais que j'allais sortir "Le voyage dans l'Est"
01:31 et j'avais vu que les toutes premières librairies étaient dans l'Est,
01:37 et à Strasbourg en particulier.
01:39 Et je me suis dit, quand j'ai appris ça de mon éditeur, en raccrochant le téléphone,
01:44 je me suis dit, tiens, ce serait bien qu'il y ait une caméra avec moi.
01:49 Pour retourner dans l'Est, il faut juste préciser pour ceux qui n'ont pas lu "Le voyage dans l'Est"
01:54 et qui nous écoutent ce matin, c'est que vous sortez ce livre en 2021,
01:57 qui est le livre qui vient plus de 20 ans après l'inceste,
02:01 où vous revenez de manière chronologique et clinique sur tous les épisodes du viol
02:06 que vous avez subi par votre père, de vos 13 ans à vos 28 ans.
02:09 Et la première fois que vous le voyez, que vous le revoyez,
02:11 parce qu'il avait abandonné votre famille, c'est à Strasbourg.
02:14 Et donc là, des années, des années plus tard, vous allez signer votre livre à Strasbourg.
02:18 Voilà. Et donc cette ville, où certes lui est mort, mais sa femme et ses enfants vivent toujours,
02:23 qui pour moi, et surtout au moment de sortir ce livre-là,
02:27 ça m'inquiète un peu. J'ai pas envie d'être seule.
02:33 Et que pour le cas où il se passerait quelque chose,
02:37 parce que, aussi incroyable que ça puisse paraître, j'ai encore des rêves à ce moment-là,
02:42 par exemple, parler à mon demi-frère et à ma demi-sœur,
02:46 renouer, qu'il y ait un contact, que j'essaye d'avoir depuis très longtemps,
02:52 je fais toujours des petits signes.
02:56 Ça fait des années que je fais un coup de fil chez la femme de mon père sur son fixe,
03:02 je n'ai pas d'autre numéro, et qu'on ne me répond pas.
03:06 Et là, je me dis, on ne peut pas tous mourir sans avoir parlé de ce qui s'est passé, quand même.
03:14 On ne peut pas continuer de faire comme si ça n'existait pas.
03:16 Et donc vous décidez de partir avec une directrice photo, une chef-opératrice,
03:21 avec une caméra, et vous allez à Strasbourg, dans l'appartement familial
03:26 où a vécu votre père avec sa nouvelle femme, votre belle-mère, avec ses enfants, vos demi-frères et sœurs,
03:33 et vous allez chez elle, 20 ans après, vous ne l'avez pas revue depuis 20 ans,
03:38 et la scène est proprement ahurissante.
03:41 Je crois qu'on s'est dit avec Guela, on n'a jamais vu ça.
03:44 C'est un documentaire, on précise, il n'y a pas de fiction, c'est un vrai documentaire.
03:49 Elle ne veut pas vous voir, vous forcez littéralement la porte,
03:53 elle ouvre la porte, puis la referme.
03:56 Voilà, quand elle voit qu'il y a une caméra.
03:58 Mais sinon, elle m'ouvre. Au début, elle m'ouvre.
04:00 Si j'avais continué d'être celle qu'elle peut surplomber,
04:05 et dire "Ah mais oui, bien sûr, entre, c'est tellement triste ce qui t'est arrivé,
04:09 et que je sois seule, je serais entrée, ça c'est sûr, sans problème, elle m'avait ouverte.
04:13 Mais là, elle voit la caméra, elle change d'avis.
04:16 Oui, parce qu'ils ne veulent pas être vus, ces gens.
04:19 Ces gens ne veulent pas être vus.
04:21 C'est quand même, on ne cesse de dire l'omerta, l'omerta,
04:24 ça a une histoire, ça veut dire quelque chose, ne pas être vu.
04:28 Et bien, vous forcez la porte.
04:30 Et vous dites "Non, je vais rentrer avec les caméras".
04:33 Elle finit par accepter, et là, on assiste, spectateur, à une scène de guerre.
04:39 Christine Angot a une scène de guerre, c'est festeine,
04:43 sauf que c'est festeine pour de vrai, ce n'est pas scénarisé, ce n'est pas des acteurs,
04:47 c'est la vraie vie, et c'est votre vraie belle-mère face à vous, que vous confrontez,
04:51 dans un dialogue qui va durer plusieurs minutes,
04:54 qui est extrêmement fort, et ça va...
04:57 - Il me restait une heure en tout. - Oui, mais vous avez monté.
05:01 Vous avez conscience que vous avez montré quelque chose qu'on n'a jamais vu au cinéma ?
05:05 Oui, oui, ça c'est sûr.
05:09 Oui, bien sûr, sur le moment quand on y est...
05:15 Pour moi, cette porte, au moment où je la vois s'ouvrir,
05:21 je suis émerveillée, je n'y crois pas, je ne m'y attends pas.
05:25 Et quand je la vois se refermer, je me dis "Ce n'est pas possible".
05:29 Ce n'est pas possible que cette porte, qui est aussi...
05:33 Je vous rappelle que la porte sur les incestes, elle est toujours fermée.
05:37 Les incestes se commettent porte fermée.
05:39 Je me dis "Ce n'est pas possible qu'elle se referme".
05:41 Et donc là, sans réfléchir, oui, je mets le pied dans la porte.
05:45 - Je mets le pied dans la porte. - C'est violent, ce moment-là.
05:48 C'est très violent, bien sûr.
05:50 C'est un moment... En même temps, moi, je ne suis pas violente à ce moment-là.
05:56 Mais je suis poussée par une forme de folie,
06:02 dans la mesure où je suis dans une sorte de nécessité.
06:08 Il n'y a que ça qui me guide, en fait.
06:11 - Vous n'êtes pas violente, Christine, mais vous l'êtes quand même.
06:13 La scène est extrêmement violente, et vous êtes dans une violence face à cette femme qui a décidé...
06:19 - Je pense qu'il ne faut pas inverser. - Oui, oui.
06:21 - Je pense qu'il ne faut pas inverser. - Je sais, mais il faut que vous acceptiez aussi.
06:24 Et Dieu sait qu'on a adoré votre film, et on a décidé...
06:28 - C'est la scène qui est violente. - Oui, mais la scène, pourquoi elle est violente ?
06:31 - Qu'est-ce qu'elle vous dit ? - Pourquoi elle est violente, la scène ?
06:33 Pourquoi elle est violente ? Pourquoi la scène est violente ?
06:35 Pourquoi moi, je suis contrainte de faire ça ?
06:38 Parce qu'on me ferme la porte au nez, sachant ce qui m'est arrivé,
06:43 pour ne pas entendre, pour ne pas détruire la figure du père, du mari...
06:50 - Mais voilà, mais qu'est-ce qu'elle vous dit ? - Qu'est-ce qui est violent ?
06:53 - Quel est le mot qu'elle vous dit quand vous la confrontez en lui disant...
06:56 - Tu me fais de la peine. - Elle vous dit "tu me fais de la peine".
06:59 - "Je ne veux pas de ta peine", parce que la peine c'est méprisant, parce que c'est condescendant.
07:05 Mais elle vous dit aussi autre chose. Elle vous dit "Christine, oui tu as raison, j'ai fermé la porte.
07:09 Je t'ai fermé la porte, je ne t'ai pas appelée, je n'ai pas voulu en parler, ni moi, ni mes enfants".
07:13 Alors qu'on voit bien que tout est là, en fait. Dans tout le film, ce que vous attendez depuis 20 ans, 25 ans,
07:19 c'est qu'on vous mette la main sur l'épaule. - De quel droit elle ne parlerait pas ?
07:23 - De quel droit ? Elle serait la seule... De quel droit est-ce qu'elle s'autorise à dire "moi je ne veux pas parler" ?
07:33 Enfin, ce n'est pas une chose qui repose uniquement sur la victime, cette affaire. Ce n'est pas possible.
07:40 Ou alors il faut arrêter de nous seriner toutes par des spots à 20 heures qu'il faut parler.
07:47 Si ce n'est pas possible, arrêtez de nous dire ça.
07:49 - Elle vous donne l'explication. Elle vous dit "je suis désolée mais c'était une forme de protection pour moi,
07:55 on avait besoin de ça pour se protéger", et je cite le mot, "contre ta violence certaine".
08:00 - Oui, c'est ce qu'on appelle l'inversion. C'est ce qu'on appelle l'inversion des rôles.
08:06 C'est typique. C'est moi qui suis responsable, c'est moi qui suis violente, et c'est de moi qu'il faut se protéger.
08:15 Ce ne serait pas exactement l'inverse par hasard ? C'est exactement l'inverse.
08:20 C'est moi qui n'ai pas été protégée, c'est moi à qui on ferme la porte au nez, alors qu'il est important,
08:27 pas pour moi, pour nous tous, de savoir, de voir.
08:32 Ce n'est pas tout de savoir qu'il y a eu des incestes commis et des pourcentages,
08:37 et que c'est trois élèves sur une classe. Non. Ce qui est important c'est de voir ce que c'est.
08:43 - Et ce film, tout votre film, c'est sur l'incapacité de parler.
08:47 C'est sur l'incapacité des proches, de ceux qui sont dans la famille, puisque le film s'appelle "La famille",
08:53 d'écouter parce que, mais c'est là où je vous dis, parce qu'il y a une tendance de votre belle-mère,
08:59 de votre mère ensuite, à se protéger. Parce que c'est trop dur à entendre.
09:03 - Oui. Parce que c'est trop dur à entendre et parce qu'on ne peut pas se le représenter.
09:10 Donc moi, je n'en veux pas aux gens qui ne peuvent pas voir. Je ne leur en veux pas.
09:17 Parce qu'en effet, on est dans quelque chose qu'on ne veut pas voir, qui est irreprésentable.
09:25 Donc je ne leur en veux pas. Mais en même temps, c'est nécessaire. C'est important.
09:31 Sinon, on s'en sort... De toute façon, la chose continuera d'exister,
09:36 parce que c'est un crime de pouvoir et c'est comme ça.
09:41 - Christine Angot, elle vous dit aussi, et puis sur tes livres, il y a écrit roman.
09:45 - Oui. - Comment vous recevez ça ?
09:47 - Ah bon alors... - C'est-à-dire, dans son esprit, c'est de l'imagination.
09:52 - C'est-à-dire, il y a écrit roman, donc profitons-en. Profitons-en pour dire qu'est-ce qui est vrai,
09:59 qu'est-ce qui est faux. Donc je lui dis, non, ça ne veut pas dire ça, roman.
10:03 Non, parce que roman, ça ne veut pas dire qu'il y a une part de vrai et une part de faux.
10:08 Ça veut dire, le vrai, on le transporte dans un espace où tout peut être vu, tout peut être exprimé,
10:18 tout peut être dialogué. La vérité peut s'y trouver. Donc c'est à peu près le contraire.
10:24 - Et elle poursuit en disant, c'est ta version des faits, je n'ai pas pu avoir la sienne, celle de ton père,
10:29 parce qu'il avait Alzheimer, l'inceste est sorti.
10:32 - Voilà, donc il faut du contradictoire et il faut leur version. Ça ne suffit pas.
10:41 Vous ne pouvez pas dire, vous, ce que vous savez. C'est pour ça qu'on a un vrai problème, nous,
10:47 social et politique. C'est-à-dire, pourquoi nous dit-on qu'il faut parler, si les conditions,
10:56 à chaque fois que vous mettez un pied dans la porte, on vous coupe le pied ?
11:00 - Mais elle vous dit, franchement, ce moment, ce dialogue est vraiment incroyable.
11:06 Elle vous dit, c'était quelqu'un que j'ai admiré, ton père, j'ai admiré son intelligence.
11:11 Pour moi, c'était l'homme de ma vie. Ce n'est pas que je ne te crois pas, Christine,
11:15 c'est juste que je ne le connais pas. L'homme que tu décris, je ne le connais pas.
11:18 Pour moi, c'est impensable ce que tu as vécu avec lui.
11:21 - Écoutez, il y a une autre... Les femmes de cette génération en particulier,
11:30 mais sûrement pas seulement, c'est très important pour elles de dire qu'elles ont eu
11:37 et qu'elles ont un mari très intelligent. Voilà. D'une intelligence supérieure
11:43 dont elles admirent la culture. Et à partir de là, cette chose-là est tellement importante pour elles,
11:50 de pouvoir être adossée à un homme supérieur, comme elles le disent, qu'elles ne peuvent pas lâcher ça.
11:57 Elles ne peuvent pas lâcher toute leur légitimité, construite par rapport à la supériorité du mec.
12:06 Donc, cette personne-là ne peut pas être dégradée dans l'esprit public, même, on pourrait aller jusqu'à dire.
12:16 - Et si Nango, elle vous dit "je suis de ton côté" en vous quittant, et quelques semaines plus tard,
12:20 vous apprenez qu'elle a porté plainte contre vous pour violation de domicile et atteinte à la vie privée,
12:26 ce que vous vivez comme une trahison, est-ce que vous pouvez malgré tout comprendre
12:31 que cette femme n'ait pas envie de voir cet échange avec vous reproduit dans un film ?
12:37 - Et moi, est-ce que j'ai envie d'avoir vécu ce que j'ai vécu chez elle,
12:43 qui est une étape sur ce que j'ai vécu en général ?
12:47 Donc, elle n'a peut-être pas envie, mais est-ce qu'on est dans un intérêt privé, là, qui doit vraiment...
12:55 C'est ça ! Voilà. Qu'est-ce qu'on veut ?
13:00 - Vous voulez en faire une affaire d'intérêt général, depuis le début, depuis 30 ans, depuis l'inceste,
13:05 vous voulez mettre les choses sur la table et les provoquer, et elle, elle vous dit "c'est ma vie privée, je ne veux pas être filmée".
13:10 - C'est la confrontation de ces deux intérêts. - Oui, mais ce n'est pas sa vie privée.
13:14 Ce n'est pas sa vie privée, c'est la mienne, elle y a une part, elle a su les choses il y a longtemps,
13:21 et elle a choisi de les ignorer. La question, elle, est "est-ce qu'on peut choisir d'ignorer certaines choses, et lesquelles ?"
13:31 - C'est toute la question que pose ce film-là, qui est à la fois un film où on sent de la colère, encore chez vous, des années après,
13:37 le besoin de cette vérité arrachée, le besoin d'avoir cette main sur l'épaule, où on vous dit "Christine, je t'entends,
13:45 même votre mère n'y arrive pas", il y a aussi une scène très forte avec votre mère, très dure, où elle vous dit "j'y arrive pas,
13:51 tu veux entendre, tu veux parler, mais moi j'y arrive pas". - Elle le dit, elle dit "j'y arrive pas",
13:56 c'est pas la même chose que "je ne veux pas". - Et ce film, est aussi, je veux le dire, baigné de lumière,
14:02 d'une forme d'espérance très belle, parce que ce n'est pas que violent, la deuxième partie du film, et c'est ça qui est très beau,
14:09 c'est que ça revient vers la lumière, autour de votre ex-mari, une scène aussi déchirante et bouleversante,
14:15 et de votre fille, et alors là, je dois dire, votre fille qui est la seule, au fond, qui vous a dit les mots que vous attendez
14:22 de tout le monde, c'est-à-dire, elle vous a dit un jour, comme ça, juste comme ça, "je suis désolée maman, qu'il te soit arrivé ça".
14:28 - Elle vous a libérée en fait, avec cette phrase. - C'est-à-dire que je ne savais même pas qu'un jour, on pouvait me dire cette phrase,
14:34 tellement je m'étais habituée à ne jamais l'entendre. Ce qui est important, on peut mettre cette phrase en parallèle avec la phrase,
14:44 justement, de Bamel Mer, qui dit "j'ai de la peine pour toi", donc qui renvoie à elle-même, de la peine sur elle,
14:52 alors qu'en effet, Léonor dit "je suis désolée maman, qu'il te soit arrivé ça". Donc ça veut dire, en même temps, je suis désolée,
15:00 et en même temps, je sais, je reconnais qu'il t'est arrivé ça. - Que c'est vrai.
15:06 - On va passer au Standard Inter, nombreux auditeurs ce matin. Bonjour Cassandra. - Bonjour.
15:12 - Vous nous appelez de Grenoble, et on vous écoute. - Bonjour, bonjour Madame Angot. - Bonjour.
15:18 - Mardi dernier, j'étais à Grenoble, au Mélies, quand vous êtes venue présenter une famille, et je vous ai dit à cette occasion
15:28 que je vous remercie, parce que vous faites partie des personnes qui me redonnent ma dignité.
15:34 Oui, c'est un travail d'intérêt général, j'en suis la preuve, je me sens plus forte, je me sens plus vivante, et plus digne,
15:43 et j'ai l'impression que grâce à des personnes comme vous, au travail que vous faites, j'ai ma place dans le monde.
15:51 - Est-ce que je peux dire quelque chose ? - Bien sûr. Merci Cassandra et Christine Angot, dialogue avec vous.
15:57 - Voilà, je voudrais dire quelque chose, parce qu'au fond, ce dont vous parlez, vous parlez redonne la dignité, etc.
16:04 En effet, c'est bien de ça qu'il est question, puisqu'il y a la honte. Et en effet, les personnes qui subissent un inceste
16:16 ressentent de la honte, du premier geste jusqu'au dernier, et tout le temps, et ça dure. Or, pourquoi est-ce qu'elles ressentent de la honte ?
16:29 Est-ce que l'homme, lui, est-ce que le père, est-ce que l'agresseur, lui, en ressent de l'inceste ? Aucune.
16:36 Lui n'a pas honte, absolument pas. Or, il faut bien que quelqu'un ait honte de cette chose-là. Et donc, c'est la victime qui le prend sur son dos,
16:48 qui prend cette honte-là sur son dos, parce que lui ne la prend pas sur son dos. Et donc, cette honte, elle est, je dirais, utile à la société toute entière,
17:02 mais en même temps, elle est lourde. Elle est lourde. - On retourne au standard. Franck, bonjour.
17:08 - Non, mais c'est vraiment... - Ah, pardon, pardon, allez-y, Cassandra.
17:11 - Excusez-moi, je voudrais dire, alors, moi, c'est vrai qu'il y a eu du tonus dans ce film, et que Mme Angot a fait preuve d'énormément de force,
17:20 mais pour faire face à la perversion, il ne faut pas y aller de main morte, ce n'est pas cuit-cuit, les petits oiseaux.
17:26 Alors, il faut arrêter de nous dire qu'on est violente quand on confronte les gens, quand on est vrai, quand on a une parole vraie,
17:32 parce qu'en fait, ça demande tellement d'énergie de se confronter au mécanisme violent de défense de la société,
17:38 et après on dit "ah, mais ces violences que tu as faites, mais vous plaisantez, mais la violence, elle est partout,
17:45 on se la prend en plein cœur, en permanence, Mme Angot, elle a été insultée en permanence, mais c'est affreuse qu'elle...
17:52 - Alors, c'est intéressant ce que vous dites, Cassandra, et c'est aussi un des points... - Merci d'être interviewée.
17:58 - Merci beaucoup, c'est un des points qui est très intéressant dans le film, puisque vous mettez, il y a des images d'archives,
18:03 et on voit bien, Christine Angot, combien aujourd'hui, où on célèbre les livres de Camille Kouchner, de Vanessa Springora,
18:11 eh bien, combien, vous, ça a été dur pour vous, combien, d'une certaine manière, et pardon pour l'expression,
18:15 vous avez été le patient zéro, en fait, de ces affaires-là en France, vous passez notamment les extraits des émissions d'Ardisson,
18:20 du samedi soir, sur France 2, où vous êtes moquée, où vous êtes vilipandée, où on rigole, on vous dit "mais pourquoi tu ne ris pas, Christine,
18:27 alors que vous sortez de l'inceste ?" et vous montrez ça, vous montrez combien vous en avez pris dans le visage.
18:34 À un moment, vous mettez un extrait du "Masque et de la plume", où on entend Arnaud Vivian, qui prend votre défense de manière vive,
18:40 et qui dit "Christine Angot, depuis plus de 20 ans, depuis l'inceste, est l'écrivaine qui a subi le plus grand mépris de la critique littéraire,
18:45 on a tout entendu sur elle, et aujourd'hui, avec le livre, il parlait du livre de Camille Kouchner, on est prêts à vous entendre,
18:51 et il dit "ce n'est pas elle qui a changé, c'est la société qui a changé". C'est ça aussi que montre votre film, c'est que, voilà,
19:00 il y a 25 ans, manifestement, la société n'était absolument pas prête à vous entendre.
19:04 Je crois que ce que j'ai fait aussi, et c'est ça qui n'a pas arrangé les choses, c'est que j'ai toujours, depuis le début, refusé poliment le siège de la victime,
19:21 qu'on me tendait, qui va livrer un témoignage. Depuis le début, et bien avant d'écrire l'inceste, je me suis créé une maison,
19:32 avec les livres, et ces livres, j'étais dans la littérature, c'était clair pour moi, c'était cet endroit-là, le seul pour moi,
19:44 où je pensais qu'on pouvait vraiment montrer les choses, pas seulement les dire, mais montrer les choses telles qu'elles étaient,
19:54 et du coup, j'ai quand même reçu une légitimité, notamment en 1999, avec l'inceste, où je fais, à l'époque c'était quand même assez rare,
20:06 je suis à la une du monde des livres, et tous ces gens-là, si vous voulez, on la repousse dans le témoignage de la fille qui a subi un inceste,
20:18 et la chaise de l'écrivain, non, elle n'y a pas droit. Donc cette violence, elle est là aussi. Et pour le reste, vous observerez,
20:27 et vous êtes bien placé pour le savoir, parce que vous êtes un journal, vous observerez que... - Un radio !
20:34 - Un journal radio, disons ! Et que, à chaque fois qu'on parle de sujets qui concernent les femmes ou les enfants en particulier,
20:43 mais pas seulement, en tout cas de gens qui ont vécu des choses graves, il y a toujours deux intervenants.
20:51 Il y a la personne qui a vécu les choses, on lui dit "alors, c'est bien triste, comment ça s'est passé ?" etc.
20:56 Et elle est là avec une mine un peu déconfite, et elle dit "oui, mon mari m'a fait ça, mon père..."
21:04 Et puis ensuite, on donne la parole à un spécialiste qui explique à la personne et au public ce que cette personne a vécu.
21:12 Donc la parole est toujours divisée. Il y a celle qui dit "sa pauvre vie de nulle" et l'autre qui explique ce qu'il faut en penser.
21:23 Et ça, moi j'ai refusé cette division. - Oui. À un moment dans le film, vous dites "Christine Angot, j'en ai marre de parler de ça, j'en ai marre de parler de l'inceste".
21:32 Et déjà, il y a 30 ans, votre ancien mari vous disait "Christine, mais pourquoi tu figes les choses ? Pourquoi tu n'avances pas ?"
21:38 Est-ce qu'aujourd'hui, avec ce film, vous pensez être allé au bout de ce chemin ? Avoir peut-être tout dit ?
21:46 - Est-ce qu'il y a un bout, vous pensez ? - Je sais pas, je vous pose la question de la manière la plus ouverte possible.
21:52 - Il faut dire ce qu'on sait. Il faut écrire ce qu'on sait, il faut écrire ce qu'on voit, ce qu'on entend.
21:59 Et c'est comme ça. Il y a évidemment qu'il y a toujours un désir de dire "quand est-ce que ça s'arrête ?"
22:09 Mais bien sûr que c'est lourd. Mais en même temps, je sais des choses là-dessus. Je sais des choses.
22:16 Et je suis très contente d'avoir pu entendre ce que la femme de mon père avait à dire.
22:23 Comment c'était dans sa tête ? Pour moi, c'est extraordinaire d'avoir pu voir quelle était l'histoire que certaines personnes se racontent.
22:38 Parce qu'il faut quand même se raconter une histoire.
22:41 - En tout cas, si on en lit l'appli d'Inter, Rose vous dit qu'il n'y a pas de bout. Il n'y a pas de bout à la fin.
22:46 En vous écoutant, on se dit que jamais, jamais, on ne s'en sort d'un inceste. C'est toute votre vie.
22:52 - Bien sûr. Merci Christine Angot.
22:54 - Merci beaucoup. Une famille en salle, mercredi prochain, 20 mars. Allez voir ce film. Nombreux.
23:01 Merci beaucoup. Merci Christine Angot. 8h48.

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