• il y a 9 mois
Trente ans après la loi Evin, assiste-t-on à un recul des politiques publiques de lutte contre l'alcoolisme ? Les lobbies de l'alcool sont-ils trop puissants en France ? Peut-on concilier patrimoine culturel et santé publique ?
Cette année encore, le "dry January", ou "défi de janvier" n'a pas été soutenu par le gouvernement, malgré l'appel de 53 addictologues à le faire. En octobre, la Haute autorité de santé soulignait l'omniprésence de l'alcool dans notre société et déplorait une "réponse insuffisante du système de santé", "l'absence de repérage systématique" et un "sous-diagnostic des conduites d'alcoolisation et de leurs complications". La consommation d'alcool baisse en France, mais elle reste la première cause d'hospitalisation et la seconde cause de mortalité évitable après le tabac. L'alcool est impliqué dans 30% des accidents mortels de la route ainsi que dans 30% des cas de violences physiques, psychiques ou sexuelles.

ans cette émission spéciale inédite d'« Etat de santé », Elizabeth Martichoux et ses invités débattront de ces questions :
- Joël Boueilh, président des Vignerons coopérateurs de France,
- Francesca Colombo, responsable de la division Santé à l'OCDE,
- Sarah Coscas, psychiatre addictologue à l'hôpital Paul-Brousse AP-HP,
- Myriam Savy, directrice de la communication et du plaidoyer de l'association Addictions France.

Année : 2024 / Durée : 56' - Coproduction : LCP-Assemblée nationale / Galaxie Presse - En partenariat avec la MGEN

La santé figure au premier rang des préoccupations des Français et au coeur de tous les grands débats politiques et sociétaux.
L'organisation des soins, le service public hospitalier, mais aussi le mal de dos, les allergies, la bioéthique ou encore la nutrition... Sur LCP-Assemblée nationale, Elizabeth Martichoux explore chaque mois un thème de santé publique.
Entre reportages, interviews de professionnels de santé, de personnalités politiques mais aussi de patients, ce rendez-vous aborde tous les maux d'une problématique de santé, ses enjeux, les avancées et les nouveaux défis pour mieux vivre demain !

Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP-Assemblée nationale : https://bit.ly/2XGSAH5
Et retrouvez aussi tous nos replays sur notre site : https://www.lcp.fr/

Suivez-nous sur les réseaux !
Twitter : https://twitter.com/lcp
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/LCP
Instagram : https://www.instagram.com/lcp_an/
TikTok : https://www.tiktok.com/@LCP_an
Newsletter : https://lcp.fr/newsletter

#LCP

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Générique
00:02 ...
00:26 -Bonjour à tous et bienvenue
00:28 dans cette émission spéciale "État de santé".
00:30 Pour poser notre sujet du jour,
00:32 je vous propose de vous raconter une petite anecdote.
00:35 Quand le directeur du Salon de l'agriculture
00:38 a clos l'édition 2024, il y a quelques semaines,
00:41 il s'est félicité qu'aucun coma éthylique
00:45 ne se soit produit pendant le salon
00:48 contre 82 l'an passé.
00:50 82, c'était considérable. Il a raison.
00:53 C'est un progrès, qu'il n'y en ait pas vu,
00:55 mais ça pose une question.
00:58 Le risque était donc très élevé
01:00 et consubstantiel à l'organisation
01:03 d'un événement national.
01:05 C'est intéressant parce que...
01:07 Est-ce que c'est une spécificité française ?
01:10 Le risque lié à l'alcool est élevé en France.
01:14 Est-ce que c'est parce que c'est un sujet sous-traité ?
01:17 Si oui, pourquoi ? Pourrait-on faire différemment
01:20 pour prévenir de façon efficace l'alcoolisme
01:22 sans nuire à son poids économique qui est réel ?
01:26 -C'est un numéro spécial de l'Etat de santé,
01:29 qui est consacré à l'alcool, un tabou français.
01:33 On va prendre le temps d'examiner ce sujet
01:36 dans toutes ses dimensions avec nos invités,
01:38 à commencer par le Dr Koskas.
01:40 Bonjour, Sarah Koskas.
01:42 Vous êtes psychiatre, addictologue
01:44 à l'hôpital Paul-Bruce, à la PHP à Paris.
01:47 Vous avez créé, d'ailleurs, on en parlera,
01:49 des groupes de parole pour les femmes alcooliques.
01:52 Vous avez particulièrement travaillé
01:55 sur l'alcoolisme féminin. On n'en parle pas assez.
01:57 Peut-être de plus en plus.
01:59 Bonjour à vous, Joël Boye. Merci d'être venu.
02:02 Quand on parle d'alcool, c'est pas toujours facile,
02:04 quand on est vigneron, de défendre son sujet.
02:07 Bravo d'être là. Vous êtes vigneron dans le Gers,
02:10 à Saint-Mont, président des Vignerons coopérateurs de France,
02:13 syndicat professionnel, représentant 590 cas coopératifs,
02:17 85 000 vignerons, et vous vinifiez tous ensemble
02:19 près de la moitié des vins français.
02:22 C'est considérable. -Tout à fait.
02:24 -On va parler des lobbies avec vous,
02:26 mais on va aussi en parler avec Francesca Colombo.
02:29 Merci, Francesca Colombo, économiste de la santé.
02:31 Vous êtes à la division de la santé de l'OCDE,
02:34 des différents pays de l'OCDE. C'est intéressant,
02:37 parce que vous fournissiez des données
02:39 qui permettent de comparer aussi en matière de...
02:42 d'alcoolisme, notamment.
02:45 C'est intéressant.
02:46 Est-ce qu'on va se consoler ?
02:48 On dit souvent que quand on se compare,
02:50 on se console. En ce qui concerne l'alcool,
02:53 on se concentre sur l'alcoolisme.
02:55 -Meriem Savi, bonjour. Vous êtes directrice
02:57 communication et plaidoyer chez Addiction France depuis 2016.
03:01 Vous travaillez à une prise en compte supplémentaire
03:04 des addictions dans l'élaboration des politiques publiques.
03:07 C'est un sujet qui est sous-traité en France,
03:10 de votre point de vue.
03:11 -La question de l'alcool, elle est sous-traitée
03:14 ou elle est, en tout cas, sous-estimée.
03:16 C'est-à-dire qu'au niveau des politiques publiques
03:19 et de la politique de santé, on ne fait pas assez,
03:22 en matière de prévention.
03:24 Il n'y a pas suffisamment de mesures efficaces
03:27 qui sont mises en place pour limiter
03:29 les conséquences négatives de la consommation d'alcool
03:32 pour la santé.
03:33 -Les conséquences négatives.
03:35 On y va à 41 000 morts par an.
03:38 C'est le constant en chiffres que vous allez voir avec nous.
03:41 C'est la deuxième cause de cancer évitable.
03:45 Et le premier facteur,
03:46 le premier facteur,
03:48 c'est très impressionnant de se rappeler cela,
03:51 c'est la crise d'hospitalisation en France.
03:53 L'alcool, on ne le dira jamais assez,
03:56 et on va en reparler, c'est une addiction.
03:58 Une addiction très forte qui détruit des vies
04:01 et qui détruit également celles des proches.
04:04 Je vous propose, pour ouvrir cette émission,
04:07 qu'on écoute Olivia Leray, journaliste,
04:09 qui a écrit un livre, "De l'eau dans ton vin",
04:12 chez Fayard. Elle décrit, du point de vue de l'enfant
04:15 qu'elle était, l'alcoolisme de son père.
04:17 Témoignage.
04:18 Musique douce
04:20 ...
04:22 -J'avais envie de dire que ça existait,
04:24 qu'il n'y avait pas seulement les personnes malades qui souffraient,
04:28 mais celles qui étaient à côté aussi.
04:30 Il y a des moments où tu es traînée dans des bistrots
04:33 à 2h, où tu ne devrais pas l'être.
04:35 Des week-ends où les enfants font plein de choses
04:38 et toi, il n'a rien prévu parce qu'il n'a pas l'envie
04:41 ni la motivation et que l'alcool le rend triste.
04:45 Tout le temps être chez ses potes,
04:47 parce que chez ses potes, c'est bien,
04:49 parce qu'il y a de l'alcool.
04:51 Ce n'est pas une enfance, comme on dit, normale,
04:54 mais une enfance où tout est dicté, entre guillemets,
04:59 par le fait de pouvoir boire.
05:01 Je me suis énormément inquiétée pour mon père.
05:04 Je m'inquiète toujours un peu,
05:05 même si là, on est dans une relation de nouvelles,
05:08 mais je me suis inquiétée quand j'étais petite
05:11 parce que l'alcool rend les gens tristes,
05:14 les gens malheureux, et lui, il l'était beaucoup.
05:16 Du coup, moi, ça me rendait triste de ne pas pouvoir l'aider,
05:20 d'avoir aucun impact là-dessus.
05:22 J'ai mis beaucoup de temps à comprendre
05:24 que ce n'était pas mon rôle.
05:26 Je pense que ça fait grandir et mûrir beaucoup plus vite,
05:30 avec plus de failles aussi, j'imagine,
05:32 mais tout le monde a ses problèmes.
05:34 Je pense que ça ouvre plein de crevasses dans une personne
05:37 et c'est très long à guérir.
05:39 Je pense que ça ne guérit jamais.
05:42 Par exemple, mon sentiment d'insécurité et d'abandon
05:45 est ultra présent, même si j'ai fait une thérapie.
05:47 Je pense que c'est très long à guérir
05:50 et qu'on n'en sort pas indemne.
05:52 Musique douce
05:54 ...
05:55 -Témoignage d'Olivia Leray.
05:58 L'alcool, ça tue,
06:00 mais ça détruit aussi des vies, il y a des dégâts collatéraux.
06:04 C'est ça qui est passionnant.
06:06 -Ce qui est très intéressant, c'est que, pour une fois,
06:09 on voit des répercussions de l'alcool chez le papa
06:11 sur les enfants.
06:13 C'est vrai qu'il y a une stigmatisation,
06:15 c'est pour ça que les femmes consultent moins en addictologie,
06:18 elles ont tout de suite peur qu'on les stigmatise
06:21 en disant qu'elles ne vont pas bien s'occuper de leur enfant.
06:25 Un papa qui consulte, on ne va pas se préoccuper
06:27 de qui s'occupe de l'enfant.
06:29 Là, ce qui est très intéressant, c'est de voir l'impact
06:32 d'un papa qui peut avoir sur ses enfants.
06:35 L'environnement, c'est essentiel dans la prise en charge.
06:38 Si on suit la prise en charge de l'environnement
06:41 et on voit ce qui se passe au domicile,
06:43 on passe à côté de la prise en charge.
06:45 Si le conjoint consomme, si au travail on consomme,
06:48 c'est fondamental.
06:49 -Quand vous recevez des patients,
06:51 vous prêtez attention aux personnes qui,
06:53 autour d'elles, sans être alcooliques,
06:56 peuvent aussi s'offrir.
06:57 -On concentre la prise en charge sur le patient,
07:00 il faut qu'il trouve son environnement
07:02 et qu'on ne soit pas dépositaires de ce que dit l'entourage.
07:06 On ne dit pas que l'entourage a raison,
07:08 mais bien évidemment qu'on va être amenés
07:10 à rencontrer l'entourage pour savoir comment ça se passe,
07:13 ce qui est mis en place et que si le patient
07:16 ou la patiente arrête de consommer,
07:18 qu'est-ce qui va se passer à la maison ?
07:20 Est-ce qu'il faut de l'alcool ?
07:22 Et aussi le travail peut être source de consommation
07:25 si le patient est barman, il y a des questions qui vont se poser.
07:29 Donc oui, bien évidemment.
07:30 Ca nous amène à faire souvent un entretien familial
07:33 d'évaluation qui va conduire ou non
07:36 à une thérapie familiale,
07:38 thérapie de couple.
07:40 Et d'ailleurs, dans le service,
07:42 récemment, on a mis en place des groupes de parole aidants
07:45 pour l'entourage, pour qu'ils aient un espace où parler,
07:48 parce que parfois, c'est important aussi
07:50 que le patient ait son espace de soin.
07:53 -Francesca Colomb,
07:55 on boit plus en France qu'ailleurs ou pas ?
07:58 -Oui, alors on boit plus que la moyenne des pays de l'OCDE,
08:02 même la moyenne des pays européens.
08:04 Donc une consommation qui est mesurée
08:07 en termes de litres d'alcool pur par année,
08:10 donc c'est 10,5 litres,
08:12 cela signifie 2,2 bouteilles de vin
08:17 par personne par semaine.
08:20 Ca, c'est la consommation en France,
08:22 c'est plus important que la moyenne des pays de l'OCDE.
08:25 -Donc on est les champions ? -On n'est pas les champions.
08:28 En fait, il y a les pays de la Nettonie,
08:30 l'Estonie, les Pays-Baltes,
08:33 aussi des pays de l'Europe centrale
08:35 qui consomment plus que ceux qu'on retrouve en France.
08:39 En France, on a des données de consommation
08:42 qui sont un peu plus similaires
08:44 que l'Allemagne, le Portugal ou l'Espagne.
08:47 -Il y a une spécificité quand même en France,
08:50 c'est le poids économique
08:52 que représente la filière viticole,
08:56 mise en parallèle avec le poids social,
09:00 le coût, la vie, par exemple, 41 000 morts par an.
09:04 Je vous propose de faire la comparaison entre les deux,
09:07 mais il faut toujours se rappeler qu'en France,
09:10 la filière viticole est très importante
09:13 dans le PIB, dans la croissance française.
09:15 Qu'est-ce qu'elle pèse en France ? On regarde.
09:18 -Vous vous souvenez de la finale de la Coupe du monde de football
09:27 en 2006 ? Non ? Eh bien, ce n'est pas important.
09:30 Vous pouvez en revanche retenir qu'en 2023,
09:32 la France a détrôné l'Italie
09:34 et a repris sa place de premier producteur de vin au monde.
09:37 L'année dernière, la France a produit 46 millions d'hectolitres
09:44 de ce breuvage.
09:45 Premier secteur agricole français,
09:48 le vin représente 15 à 20 milliards d'euros
09:51 de chiffre d'affaires chaque année et 500 000 emplois.
09:58 Et pour comprendre le deuxième intérêt économique du secteur,
10:01 il faut savoir qu'une bouteille de vin produite sur trois
10:04 se vend à l'étranger.
10:06 Les vins et spiritueux représentent le deuxième solde
10:09 exportateur net de la France derrière l'aéronautique.
10:13 Et qu'ils soient rouges, blancs, rosés, avec ou sans bulles,
10:18 le vin attire les touristes.
10:21 La France compte 10 000 caves qui accueillent 10 millions
10:24 de visiteurs par an,
10:26 soit 33 % de plus qu'en 2009.
10:28 Alors que la consommation d'alcool des Français diminue,
10:31 l'énotourisme est en plein essor.
10:34 Mais l'alcool a également un coût pour la société.
10:38 Il correspond aux pertes de vie humaine,
10:40 à la baisse de la qualité de vie, de productivité,
10:43 à l'augmentation des dépenses de soins, de prévention
10:46 et aussi au coût de la répression.
10:48 Bref, il y a beaucoup de facteurs, mais en 2019,
10:51 le coût social de l'alcool avait été évalué à 102 milliards d'euros.
10:55 Musique rythmée
10:57 ...
10:59 -Intéressant de découvrir le poids de l'énotourisme,
11:02 notamment, Jean Elbouel.
11:03 Est-ce que vous et vos confrères, vous avez ce poids
11:07 de la responsabilité des alcooliers dans la santé publique ?
11:11 -Bien sûr. Merci d'abord de m'avoir invité,
11:15 de me donner l'occasion d'évoquer ce sujet
11:18 qui est extrêmement important.
11:20 Et bien sûr, qu'on mesure pleinement notre responsabilité
11:24 dans cette question-là.
11:27 Et je voudrais, si vous le permettez,
11:29 revenir sur les propos à l'instant de madame Colombo,
11:33 quand elle fait la comparaison
11:36 de 2,2 bouteilles de vin consommées par jour.
11:41 Alors, moi, je suis vigneron... -Par semaine.
11:44 -Par semaine, pardon. Excusez-moi.
11:46 -Ca faisait beaucoup. -Non, je me suis trompé.
11:50 Mais en réalité, je suis vigneron,
11:53 et la consommation de vin par jour,
11:56 c'est 50 ml.
11:59 C'est 5 cl.
12:01 Donc, la consommation de vin par semaine,
12:05 5 x 7, 35, c'est 35 cl,
12:09 c'est une demi-bouteille.
12:11 -Vous n'êtes pas d'accord sur les chiffres.
12:14 -Elle a converti en bouteille de vin.
12:16 Et donc, ça, ça me gêne,
12:19 parce qu'on ne parle pas de bouteille de vin.
12:22 Le vin, en réalité,
12:23 c'est une demi-bouteille consommée par semaine.
12:26 Voilà la réalité des chiffres.
12:28 Le reste, c'est de l'alcool, bière, spiritueux et autres.
12:32 -C'est pas du vin. -C'est pas du vin.
12:34 -Donc, chacun doit regarder dans son périmètre.
12:37 -Le vin a pris beaucoup d'impact
12:39 sur la diminution des consommations d'alcool,
12:42 et c'est vrai que c'est le vin qui a le plus chuté
12:45 ces dernières années, et du coup, il y a eu des fabrications
12:48 d'autres alcools. -Il y a une dimension
12:51 culturelle dans le paysage naturel français.
12:55 On parle de la vigne. Dès qu'on parle d'alcool,
12:58 on parle du vin.
12:59 -Mais le vin... -Aujourd'hui,
13:01 le vin est en... La consommation de vin
13:04 est en perte de vitesse,
13:06 et depuis...
13:08 40, 50 ans,
13:10 systématiquement, la consommation de vin baisse.
13:13 Elle va encore baisser dans les années à venir.
13:15 Et ce qu'était, il y a quelques années,
13:19 une boisson aliment.
13:21 -Une boisson ? -Aliment.
13:23 Le vin était considéré comme une boisson aliment.
13:26 Il y a pas longtemps, les salariés, à la tâche, à la journée,
13:31 étaient payés en bouteilles de vin.
13:33 Aujourd'hui, c'est devenu une boisson plaisir.
13:36 C'est-à-dire que le rapport à ce breuvage
13:39 a complètement évolué, a complètement changé,
13:41 et on n'a plus la consommation de vin
13:45 telle qu'on la connaissait, il y a quelques années,
13:48 à table, avec des repas organisés en famille,
13:51 et que les instants de consommation évoluent.
13:54 Et donc, nous, en tant que vignerons,
13:56 en tant que cave coopérative,
13:58 on doit aussi s'adapter à ces évolutions de consommation.
14:02 -Il y a des évolutions.
14:03 C'est intéressant, ce que vous dites.
14:05 Les Français consomment beaucoup d'alcool,
14:08 mais en ce qui concerne le vin,
14:10 je voudrais aborder la question
14:13 de l'image qui est véhiculée
14:16 par les services marketing
14:19 des alcooliers ou des producteurs de vin.
14:22 Pourquoi ? Parce que,
14:23 dans la consommation générale,
14:26 les femmes, qui buvaient deux fois moins que les hommes,
14:30 boivent toujours beaucoup moins que les hommes,
14:33 mais plus qu'avant.
14:34 Et c'est intéressant de mettre cette augmentation
14:37 de la consommation de vin par les femmes
14:40 par tous les efforts qui ont été faits
14:42 pour vendre une image positive du vin auprès des femmes.
14:46 C'est très intéressant,
14:47 parce qu'il y a un parallélisme assez efficace.
14:50 Regardez la démonstration qu'en fait, dans son reportage,
14:53 Marianne Cazot, l'évolution de l'image du vin
14:56 dans la représentation auprès des femmes.
14:59 Musique douce
15:01 ...
15:03 -Une femme qui rentre chez elle après sa journée de travail
15:06 et se sert un grand verre de vin rouge.
15:09 Vous avez certainement déjà vu cette scène à la télé.
15:12 Elle inonde la pop culture depuis près de 30 ans.
15:15 A l'Institut d'administration des entreprises de La Rochelle,
15:18 c'est ce qu'a remarqué Eve Lamandour.
15:20 Cette spécialiste des représentations
15:23 du management dans les médias a voulu comprendre
15:26 pourquoi les femmes boivent autant dans les séries.
15:29 Elle s'est penchée sur le personnage principal
15:32 de "The Good Wife", diffusé dans les années 2010.
15:35 Une femme au foyer trompée par son mari
15:38 qui décide de reprendre sa carrière d'avocate.
15:40 -Elle rentre chez elle, elle travaille chez elle,
15:43 elle fait des recherches sur Internet,
15:46 et le verre de vin est bien là.
15:48 ...
15:51 -Hey.
15:52 -How's homework going ?
15:54 -On voit un personnage qui prend son autonomie.
15:56 La consommation de vin va être un élément de son autonomie.
16:00 On a quelqu'un qui consomme beaucoup d'alcool,
16:02 mais qui a toujours le contrôle,
16:04 qui non seulement maintient les aberrances,
16:07 mais fonctionne très bien avec ce verre de vin
16:09 qu'elle se sert tous les soirs en rentrant,
16:12 et qui la laisse imaginer.
16:14 -Une image très éloignée de celle véhiculée
16:16 par la série Dallas, 30 ans auparavant,
16:19 avec le personnage de Sue Ellen.
16:21 Cette femme au foyer, et celle-là,
16:23 cachait ses bouteilles dans les coussins de son canapé.
16:27 -On a cette rupture très importante
16:29 entre un alcoolisme solitaire
16:32 et une consommation d'alcool très importante,
16:36 mais qui est montrée comme étant normale.
16:38 -Cette évolution dans les séries
16:41 reflète en partie la réalité.
16:43 D'après un rapport de Santé publique France,
16:45 la consommation hebdomadaire et quotidienne
16:48 des femmes de plus de 35 ans a augmenté
16:50 entre 2017 et 2021,
16:52 se rapprochant de celle des hommes.
16:55 Plusieurs raisons sont évoquées,
16:57 comme le fait que...
16:58 -Certaines femmes évoluant dans des milieux masculins,
17:01 notamment dans des sphères favorisées,
17:03 pourraient s'adapter
17:05 au comportement de consommation de ces milieux.
17:07 -Et pourquoi choisir le verre de vin rouge
17:10 qu'un autre ?
17:11 Il est télégénique, certes, mais pas seulement.
17:14 -C'est un artifice de scénario extrêmement pratique,
17:17 ça va poser socialement le personnage.
17:19 On va avoir une capacité à chacun, partout dans le monde,
17:22 en regardant cette série, de se dire
17:24 "Je sais à qui j'ai affaire, à quoi j'ai affaire,
17:27 "à quel type de personnage, quand, parmi les accessoires,
17:30 "il y a ou un verre de vin
17:32 "ou éventuellement un Cosmopolitan
17:36 "ou un Gin Martini."
17:37 Bien sûr.
17:38 -L'alcool est banalisé, mais pas l'alcoolisme.
17:42 Spécialisée en addictologie, Elsa Taschini accompagne
17:45 de nombreuses femmes malades de l'alcool.
17:48 Selon elle, leurs histoires sont encore trop rarement
17:51 représentées dans la pop culture ou trop stéréotypées.
17:55 -Si je peux m'identifier en disant
17:57 "N'importe quelle femme peut développer un trouble
18:00 "à l'usage d'alcool, donc j'ai pas de honte et de culpabilité,
18:03 "ça peut arriver à tout le monde,
18:05 "dans ce cas-là, je vais plus facilement me faire soigner."
18:08 C'est aussi l'intériorisation de ces stéréotypes.
18:11 Les médecins généralistes, eux-mêmes,
18:13 peuvent avoir intériorisé ça.
18:15 J'ai eu des patients qui m'ont dit
18:17 que des médecins généralistes leur avaient banalisé leur conso.
18:21 -Briser le tabou est d'autant plus important
18:23 que les femmes alcooliques ont tendance à plus se cacher
18:27 et à consulter plus tardivement que les hommes.
18:37 -Les femmes qui se cachent, qui sont alcooliques...
18:40 C'est vrai que dans les séries américaines,
18:42 on a vu beaucoup de ce verre de vin tenu par des femmes,
18:45 le vin statutaire.
18:47 Vous dites quoi ? Vous dites "Bien joué,
18:49 "on a changé l'image du vin".
18:51 -Non, je dis que ces séries ne doivent pas être
18:55 extrêmement regardées, parce que, manifestement,
18:58 ça se voit pas dans la consommation de tous les jours du vin.
19:01 -Les femmes boivent un peu plus, mais peut-être pas du vin.
19:04 -Et peut-être pas du vin,
19:06 mais en tout cas, je ne suis pas sûr,
19:09 dans la moyenne générale,
19:12 que l'impact soit si fort que ça, en réalité.
19:16 Parce qu'on voit que la consommation de vin
19:19 diminue inexorablement,
19:21 et puis après, il faut relativiser.
19:24 Alors, c'est de la fiction.
19:27 Qu'est-ce que boit cette femme
19:30 si on imagine effectivement
19:33 qu'elle est toujours avec son verre de vin à la main ?
19:36 Je sais pas comment l'interpréter.
19:38 Est-ce qu'elle ne boit qu'un verre de vin le soir en rentrant,
19:41 quand elle est devant son ordinateur ?
19:43 Je sais pas ce décalage.
19:45 -Dans les séries, on voit les femmes,
19:47 dans beaucoup de séries, les héroïnes,
19:49 elles boivent un verre de vin pour se détendre
19:52 quand elles rentrent à la maison.
19:54 -C'est souvent aussi l'image de la "working girl",
19:57 c'est-à-dire que quand on est une femme,
19:59 qu'on travaille, qu'on a du stress,
20:01 on rentre à la maison, et pour décompresser,
20:04 on boit un verre de vin. -Et pourquoi pas ?
20:06 -Le problème, c'est que c'est pas que dans les séries américaines,
20:10 c'est dans énormément de séries, des séries aussi françaises.
20:13 Qui regarde les séries ?
20:15 Beaucoup de jeunes.
20:16 On est sur une normalisation de la consommation d'alcool,
20:20 et des jeunes, qui peut-être ne boivent pas encore,
20:22 mais qui vont intégrer le fait que quand on est une femme
20:26 qu'on a réussie, c'est normal de boire de l'alcool.
20:28 Quand on regarde les chiffres de Santé publique France
20:32 et de la consommation des femmes, celles qui boivent le plus,
20:35 ce sont les femmes des catégories sociales supérieures,
20:38 les CSP+, qui vont consommer le plus d'alcool.
20:40 On peut le voir au niveau de celles qui consultent,
20:43 les femmes des catégories sociales supérieures
20:46 sont celles qui vont avoir le plus de problèmes d'alcoolisme,
20:49 de consommation excessive, parce que, justement,
20:52 il y a cette...
20:54 l'image de l'alcool réussie de sociale.
20:57 -Vous confirmez dans vos services ?
20:59 -Oui, en fait, la consommation, elle est masculine,
21:02 mais lorsqu'on a l'intègre des statuts plus élevés,
21:08 on a une consommation équivalente aux hommes.
21:11 Plus on a des statuts, des responsabilités,
21:14 il y a en effet cette normalisation, le repas d'affaires,
21:17 la consommation d'alcool un peu obligatoire,
21:20 et bien évidemment que ces consommations
21:22 deviennent problématiques, notamment quand on est une femme.
21:26 -Mais longtemps, les femmes se sont cachées,
21:28 et plus que les hommes, parce que c'était une honte sociale.
21:31 -Elle existe aussi.
21:33 Bien évidemment, c'est extrêmement tabou,
21:35 c'est extrêmement compliqué.
21:37 Quand on rentre le soir pour consommer, pour se détendre,
21:40 on est déjà dans une consommation problématique,
21:43 puisqu'on va utiliser l'alcool comme un médicament
21:46 ou un thérapeutique, alors que ça ne marche pas.
21:49 Ca va aggraver la consommation, on va être encore plus fatigué,
21:52 le lendemain, ça va être encore plus dur,
21:55 et ça ne va pas fonctionner.
21:56 La consommation chez la femme est honteuse, culpabilisée.
22:00 Il y a vraiment une culture de...
22:02 Celle qui consomme, elle est forcément problématique,
22:05 et l'homme qui boit, bon, c'est un peu normal.
22:08 -Ca veut dire que les femmes qui viennent dans votre service
22:11 sont très avancées dans leur degré d'alcoolisme ?
22:14 Jusque-là, elles se le sont cachée,
22:16 elles l'ont dissimulée. -Il y a un retard d'accès aux soins.
22:20 Quand on affiche "groupe de parole destinée aux femmes",
22:23 elles se sentent soulagées.
22:24 C'est pour ça que ces groupes de parole fonctionnent bien.
22:28 "Je suis pas toute seule, donc j'ai le droit aussi
22:30 "d'avoir un problème et d'accéder aux soins."
22:33 Elles se trouvent pas à leur place dans les groupes mixtes.
22:36 "Je consomme pas comme les hommes, je suis pas pareil."
22:39 Il y a un retard d'accès aux soins,
22:41 elles ont du mal à franchir la porte du service d'addictologie,
22:45 et moi, qui consulte aussi en maternité,
22:47 lorsqu'elles sont enceintes, ça rajoute encore plus.
22:50 Les addictions, c'est tabou, c'est difficile d'accepter
22:54 que ce soit une maladie.
22:55 Même nous, en tant qu'addictologues,
22:57 à l'hôpital, on dit que c'est pas vraiment une maladie,
23:00 pas vraiment besoin de soins.
23:02 Je dis souvent aux patients, "J'ai pas une vraie blouse blanche,
23:06 "mais si, c'est une maladie aujourd'hui."
23:08 -Juste en un mot, vous, vous êtes pour proscrire
23:11 complètement toute image de verre de vin dans des séries.
23:14 -Non, on n'en est pas là, déjà.
23:16 -On peut... -La dénormalisation.
23:18 -Des séries où on dit, "Nous, on a le droit de boire du vin",
23:22 c'est déjà... -Non, on n'est pas pour la censure,
23:24 mais il faut vraiment que la consommation d'alcool,
23:27 lorsqu'elle intervient dans une série,
23:29 elle va servir le propos du film,
23:31 et que ce soit pas une image en arrière-plan,
23:34 on le voit aussi avec la cigarette,
23:36 où on va voir des personnes qui vont se mettre à fumer,
23:39 mais tout ça, on est dans l'imaginaire.
23:41 Donc, notre propos, c'est pas de dire,
23:44 il faut absolument ne plus boire d'alcool,
23:46 on n'est pas pour une interdiction de l'alcool en France,
23:50 mais de se rendre compte qu'il y a un problème
23:52 et que c'est lié à l'imaginaire
23:54 et qu'il faut travailler sur cet imaginaire.
23:57 -Vous, qui travaillez sur la représentation,
23:59 qui dénoncez les marketings, regardez cette image
24:02 d'une bouteille de champagne, M. Jouel,
24:04 associée, par exemple, à un rouge à lèvres,
24:07 dans la pub, donc là, il y a vraiment
24:09 un public féminin... -Ca a été interdit.
24:12 -Et qui a été interdit. -On l'a fait condamnée.
24:14 -Et alors, autre question que je voulais vous soumettre,
24:18 Francesca Colombo, c'est le cas français.
24:22 On va voir défiler un certain nombre de photos
24:25 de présidents de la République français
24:28 qui s'affichent,
24:30 François Mitterrand, Jacques Chirac,
24:33 Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron.
24:36 On a des présidents qui, voilà,
24:41 même Nicolas Sarkozy, qui est censé ne pas aimer le vin,
24:44 il a un verre de vin,
24:45 ça fait partie presque de leur mission,
24:48 là, c'est de la bière, leur mission,
24:50 telle qu'ils les conçoivent, c'est évidemment de soutenir,
24:53 de soutenir tout un secteur en n'ayant pas peur
24:56 d'avoir un verre d'alcool à la main.
24:58 On ne va pas diaboliser l'alcool, M. Bouet, je vous rassure.
25:01 Mais la question de l'exemplarité,
25:03 est-ce que là, il y a un cas spécifique français ou pas ?
25:07 -Bah, c'est un peu difficile à dire,
25:10 "cas spécifique", bien sûr,
25:12 dans les pays où il y a un point de l'industrie
25:15 qui est un peu plus important,
25:16 il y a une sensibilité aussi qui est un peu majeure
25:19 par les pouvoirs publics
25:21 à la question de la soutenabilité aussi de l'industrie.
25:26 Donc je ne veux pas dire qu'il y a vraiment
25:28 un cas français spécifique.
25:31 Voilà, quand on regarde aussi les données,
25:35 comme je l'ai dit, la consommation d'alcool en général
25:38 est plus élevée dans la France par rapport aux pays de l'OCDE,
25:42 je crois que c'est important aussi de dire
25:44 que la consommation est assez concentrée.
25:47 Donc, en fait, il y a 20 % de la population
25:49 qui consomme quelque chose comme 72 %
25:55 de l'alcool.
25:57 -La majorité des consommateurs n'ont pas de problème.
26:00 C'est pour ça aussi que c'est la normalisation.
26:02 La grande majorité des gens qui consomment n'ont pas de problème.
26:06 Il y a un faible pourcentage, 10 %,
26:08 qui ont des gros problèmes.
26:10 -Combien, pardon ? Répétez-moi.
26:12 -10 % qui ont des vrais problèmes d'usage problématique d'alcool.
26:16 Et c'est vrai que la grande majorité consomme.
26:19 La grande majorité consomme.
26:20 Du coup, il y a plein de gens qui disent
26:23 "je ne consomme pas, pourquoi ?"
26:25 -Ca va plus loin que la question des personnes alcoolo-dépendantes.
26:29 C'est aussi la consommation d'alcool et les risques pour la santé.
26:32 On peut avoir une consommation modérée d'alcool
26:35 et pourtant avoir des risques pour la santé.
26:37 C'est lié à sa consommation d'alcool.
26:40 -C'est un janvier intéressant. -On en reparlera.
26:42 Les présidents, quand vous les voyez,
26:45 vous dites "oui, c'est normal".
26:46 -On ne trinque avec eux.
26:48 -Ils doivent veiller à la santé des Français
26:51 et à la santé de l'économie.
26:52 -Oui. Alors, souvent, ces photos qui sont prises,
26:55 justement, vous y faisiez référence au début de ce reportage,
27:00 sont souvent liées au Salon de l'agriculture,
27:04 pour le coup, là où on se retrouve effectivement.
27:07 Ces images-là, elles sont...
27:09 Alors oui, effectivement, les présidents sont attentifs
27:12 à une filière agricole qui représente
27:16 un poids certain dans l'économie,
27:18 dans l'organisation des territoires,
27:20 donc... Eh bien oui, ils sont attentifs
27:23 en tant que présidents de tous les Français.
27:25 -C'est vrai que la classe politique française,
27:28 c'est pour ça qu'on assiste un peu, elle est accusée,
27:31 pas toujours, vous avez raison, il faut faire attention,
27:34 de subir le poids du lobby des alcooliers
27:38 et notamment de la filière viticole.
27:41 Et aux premiers chefs, les présidents,
27:43 qui sont... Voilà, ils vantent la filière.
27:47 Donc la question des lobbies est posée.
27:51 Je voudrais, à ce titre-là,
27:53 signaler une enquête récente
27:55 de la cellule d'investigation de Radio France
27:57 qui, par exemple, au printemps dernier,
28:00 a révélé que le ministère de la Santé,
28:04 avait retoqué des campagnes de prévention
28:06 qui devaient être diffusées, en particulier
28:09 pendant la Coupe du monde de rugby de l'année prochaine.
28:13 "Quand on boit des coups, notre santé prend des coups."
28:17 Elles ont été annulées.
28:20 Pour être juste, toutes n'ont pas été annulées,
28:24 les campagnes de prévention, il y en existe en permanence.
28:27 Regardez la réponse d'Aurélien Rousseau,
28:29 ministre de la Santé à l'époque, on va voir son tweet.
28:33 Lui, il explique que oui, ça a été annulé
28:37 parce qu'il fallait prioriser les campagnes
28:40 à destination des jeunes.
28:42 Et c'est cette campagne-là
28:44 qui a été priorisée.
28:47 Une campagne un peu controversée,
28:49 parce qu'elle disait "vous pouvez boire,
28:51 "mais buvez bien", d'une certaine façon.
28:54 Vous pouvez nous l'expliquer,
28:55 je suis sûre qu'elle a un sens pour vous.
28:58 -Oui, parce que les campagnes,
29:00 elles ne sont pas dirigées pour qu'une seule partie de la population.
29:04 La grande majorité des gens qui consomment
29:06 n'ont pas forcément de problème.
29:08 L'idée, c'est de ne pas avoir un usage à risque,
29:11 c'est l'usage excessif.
29:12 Cette campagne disait "entre certains verres,
29:15 "je prends des verres d'alcool, des verres d'eau,
29:18 "et si je ne bois pas, c'est pas grave,
29:20 "je soutiens mon copain qui ne boit pas."
29:22 Donc c'est intéressant pour la réduction des consommations.
29:27 C'est pas une campagne qui sert à rien.
29:29 Après, elle n'est pas dirigée, en effet,
29:31 vers les gens qui ont des problèmes avec l'alcool,
29:34 qui ont un usage de dépendance,
29:36 enfin, un usage sévère de consommation,
29:40 mais elle est encore aussi un peu dans la normalisation de l'alcool,
29:44 c'est vrai, mais je pense qu'elle peut toucher un public,
29:47 notamment les jeunes.
29:49 Vous vous dites à un jeune, "Il ne faut pas boire",
29:52 il vous regarde et il change de direction.
29:54 Il est dans la découverte des sensations.
29:56 Il ne veut pas avoir le même discours pour tout le monde.
29:59 Si on consomme de l'eau de temps en temps en buvant en soirée,
30:03 et qu'on ne boit pas... -C'est moins pire.
30:05 C'est intéressant, vous disiez ça,
30:07 parce qu'elle a été très controversée, cette campagne.
30:10 -C'est juste que sur les jeunes, effectivement,
30:13 il y a une consommation épisodique
30:16 qui est dangereuse,
30:18 qui est assez excessive, qui est assez importante.
30:21 Donc à peu près un tiers des jeunes,
30:24 sur une période d'un mois,
30:27 ont une consommation excessive épisodique
30:30 au moins une fois.
30:31 Ca veut dire qu'ils consomment plus...
30:34 -Un tiers au moins une fois. -En France.
30:36 -En France. -Par mois.
30:37 -Ca veut dire qu'ils consomment plus que six unités d'alcool
30:41 dans une seule occasion.
30:43 C'est là qu'il peut y avoir des effets négatifs.
30:45 -Elle vous posait des problèmes, cette campagne ?
30:48 -Pourquoi elle a fait polémique ?
30:50 Elle a été présentée comme une campagne de prévention
30:53 pour le grand public, alors que c'est une campagne
30:56 de réduction des risques, pour réduire les consommations.
30:59 C'était une campagne très ciblée.
31:01 Et les organisations, dont Addiction France,
31:04 qui se sont élevées,
31:05 c'était pas contre cette campagne,
31:07 c'était contre l'annulation des autres campagnes
31:10 qui avaient une cible plus large.
31:12 On était sur des campagnes grand public,
31:14 avec la notion de "attention, la consommation d'alcool
31:17 "comporte un risque pour votre santé".
31:20 Et ça, aujourd'hui, ce sont des risques
31:22 qui sont méconnus. Aujourd'hui,
31:24 près d'un quart des Français pensent
31:26 que boire un peu de vin chaque jour,
31:28 ça protège des risques de cancer,
31:30 alors que c'est tout l'inverse.
31:32 Donc, il est important d'avoir des campagnes de prévention
31:35 en population générale, qui vont cibler tout le monde
31:38 pour que les gens sachent que, quand ils prennent un verre d'alcool,
31:42 ils prennent un risque pour leur santé.
31:44 Tout le monde peut boire de l'alcool,
31:46 mais c'est bien d'être informé des risques.
31:49 -Joël Boyer, vous êtes président,
31:51 je le rappelle, des Vignerons Coopérateurs de France.
31:54 Vous êtes un lobby ? -Oui.
31:56 -Et ce lobbying, vous l'orientez vers qui ?
31:59 Vers quoi ? -Vers les journalistes,
32:02 vers les pouvoirs publics,
32:04 vers tous ceux qui veulent nous rencontrer
32:07 et échanger avec nous, avec notre corporation,
32:10 avec ceux que nous vivons tous les jours.
32:13 -Et votre lobbying, il est destiné
32:15 à faire vendre le plus de vin possible, logiquement ?
32:18 -Il est destiné... -Ou pas le contraire ?
32:21 -Il est destiné... Ca, ça peut être quand je parle
32:23 à des journalistes ou à des "clients",
32:26 pour qu'ils essaient de m'en acheter
32:28 ou pour qu'ils m'en achètent davantage.
32:30 Mais en tout cas,
32:33 c'est pour continuer à faire exister une profession.
32:37 Dans une période qui est plutôt difficile,
32:41 pour le coup, pour les vignerons,
32:43 et par rapport à un contexte général
32:47 qui est plutôt anxiogène,
32:49 le vin est plutôt un marqueur de sociabilité,
32:53 de quelque chose qu'on partage tous ensemble.
32:56 -Mais pas chez tout le monde. -Mais pas chez tout le monde.
32:59 Mais tel que nous, nous voulons le mettre en avant...
33:02 -C'est ça, le problème.
33:04 Quand les patients deviennent addicts,
33:06 ils ne retrouvent plus leur place de sociabilité.
33:09 C'est problématique,
33:10 ils n'arrivent plus à avoir une consommation normale.
33:13 -Non, mais c'est justement...
33:15 Moi, je suis pas docteur non plus, je suis vigneron,
33:19 et j'ai aucun intérêt à ce que mes clients soient malades.
33:23 -Bien évidemment. -Ou tombent,
33:24 ou basculent dans un autre côté plus obscur,
33:27 si vous me permettez le mot.
33:29 Et donc, j'ai besoin d'avoir des clients en bonne santé.
33:32 Je préfère qu'ils consomment modérément,
33:34 qu'ils consomment régulièrement,
33:36 mais qu'ils aient encore envie de consommer du vin.
33:39 -Pourquoi, dans ce cas-là, j'entends ce que vous dites
33:42 et le rôle en termes de faire parler
33:44 les difficultés de la fièvre,
33:46 mais pourquoi s'offusquer de campagnes de prévention
33:49 qui ont pu exister ?
33:50 Pourquoi écrire au président de la République
33:52 comment Santé publique France a pu apporter
33:55 un soutien indirect au défi de janvier,
33:58 le dry de januari à la française ?
34:00 Évidemment que c'est normal que les producteurs
34:03 puissent faire valoir leurs intérêts
34:07 concernant leurs moyens de production,
34:09 auprès des décideurs publics.
34:11 Après, ils n'ont pas à intervenir dans la politique de santé,
34:14 dans les choix qui sont faits par le gouvernement
34:17 en matière de prévention.
34:18 -Non, on n'intervient pas dans la politique de santé.
34:21 Encore une fois, on est en permanence en train de répéter
34:25 que nous sommes favorables à une consommation modérée
34:28 et responsable de vin, et que dans ce cas-là,
34:32 notre préoccupation, elle est économique.
34:34 Tout simplement, on ne produit pas du vin
34:36 pour en boire 11 mois par an.
34:38 On produit du vin pour en consommer 12 mois par an.
34:42 C'est ça, la réalité de nos entreprises.
34:44 Aucune entreprise au monde ne travaille tous les jours
34:47 pour dire qu'un mois par an, on ne vend rien.
34:50 -M. Jumel-Bel, est-ce que vous, par exemple,
34:52 le dry januari, qui est une pratique
34:55 venue d'Outre-Manche,
34:56 qui consiste, au mois de janvier, à faire abstinence,
35:00 pour vous, c'est une catastrophe ?
35:02 -C'est un non-sens.
35:04 Parce que c'est, pour nous,
35:06 c'est se donner bonne conscience
35:08 pour se nettoyer, au mois de janvier,
35:11 des excès qu'on a faits pendant les fêtes de fin d'année.
35:14 Il faut regarder sa consommation.
35:16 Certaines personnes pensent avoir une consommation sans problème
35:20 qui est très problématique.
35:21 Quand on n'est pas capable de ne pas boire
35:24 pendant quelques jours, voire un mois,
35:26 c'est une consommation problématique.
35:28 C'est un bon moyen de repérage.
35:30 C'est pas dirigé vers les gens addicts,
35:32 mais vers les gens qui ont une consommation
35:35 qui risque de le devenir et qui peut être problématique.
35:38 C'est extrêmement intéressant de se dire
35:41 que ce n'est pas une détox, un mois,
35:43 c'est beau, et voilà, je me mets dans...
35:45 C'est plutôt de se dire que je regarde ma consommation,
35:48 je pense ne pas avoir de problème, j'essaye,
35:51 et j'ai des problèmes.
35:52 Après, on voit que ça a un impact
35:54 pour les consommations à venir.
35:56 C'est très intéressant,
35:58 parce que les gens prennent conscience,
36:00 pensant que tout va bien,
36:02 ils n'ont pas de stigmates de l'alcool,
36:04 ils sont insérés, ils ont une compagne, un compagnon,
36:07 et ils se disent que j'ai pas de problème,
36:09 je bois tous les soirs, je vois pas le problème.
36:12 Après, ils se rendent compte de toutes les embûches
36:15 tout au long de la semaine,
36:17 où on dit que c'était normal de boire,
36:19 là, c'était normal, là, c'était normal.
36:21 -Comme révélateur de sa consommation.
36:24 -Pour ceux qui basculent.
36:25 -Ca marche ou pas ? C'est une bonne méthode.
36:28 Il y a beaucoup d'adhésion ou pas ?
36:30 Il y a de plus en plus de jeunes, d'adultes,
36:32 qui font le dry January.
36:34 -C'est en nette progression.
36:36 Chaque année, ça...
36:37 -On estime à 5 millions de Français
36:39 qui auraient fait le défi de janvier,
36:42 en 2024. -Avec une forte progression
36:44 sur ces dernières années.
36:45 Pratique européenne, Francesca Colombo ?
36:47 -Il y a dans d'autres pays.
36:49 Après, cela dit, il faut mettre en place
36:51 plusieurs mesures de politique
36:53 pour lutter contre la consommation d'alcool.
36:56 Ca, c'est une des mesures.
36:57 On ne peut pas se dire que c'est la seule.
37:00 -Et d'ailleurs, vous allez nous donner
37:02 quelques mesures qui sont très intéressantes
37:04 que vous avez pu observer en Europe,
37:07 mais en tout cas, le dry January,
37:09 c'est un des résultats.
37:10 Les gens y adhèrent.
37:11 C'est peut-être aussi la preuve
37:13 que les campagnes de prévention fonctionnent,
37:16 finissent par avoir un impact sur nos pratiques.
37:20 On vous a fait un petit florilège
37:22 de l'évolution de type de messages
37:25 que diffusent les pouvoirs publics
37:28 ces dernières années. Regardez.
37:30 -Tout va bien, hein ?
37:36 Oh, ça vient !
37:38 ...
37:41 -Alors, mon petit Lucel, t'en sers un verre ?
37:44 -Ah non ! Un verre, ça va !
37:47 Trois verres, bonjour les gars !
37:49 Rires
37:50 -Un verre, ça va. Trois verres, bonjour les gars.
37:54 ...
37:56 -C'est quelle salle ?
37:58 Une salle 28.
38:00 -Yop !
38:01 Bien !
38:03 ...
38:05 -Ah, salut.
38:06 ...
38:08 Oh, la salle 28, ça va.
38:11 Tu t'es vu quand t'as bu ?
38:14 Rires
38:15 -Fin de repas. Un de vos amis va conduire.
38:18 Problème, il a trop bu.
38:19 Rires
38:23 A. Je lui propose de dormir ici.
38:25 B. Je n'ose pas.
38:27 ...
38:29 A. Je lui prends ses clés.
38:31 B. Après tout, c'est son problème, il sait ce qu'il fait.
38:34 ...
38:42 B. Maintenant, c'est aussi mon problème.
38:45 -Quand on tient à quelqu'un, on le retient.
38:48 -Ceci est une publicité contre les ravages de l'alcool.
38:53 Et il n'y a pas d'accident de voiture.
38:56 Pas de type qui rentre en rampant.
38:58 Personne ne se réveille à côté d'un sombre inconnu
39:01 et il n'y a même pas de baston devant un bar.
39:04 Il n'y a pas besoin d'en arriver là pour que l'alcool fasse des ravages.
39:08 Au-delà de 2 verres par jour,
39:10 vous augmentez vos risques d'hémorragie cérébrale,
39:13 de cancer et d'hypertension.
39:15 Pour votre santé, l'alcool, c'est maximum 2 verres par jour
39:19 et pas tous les jours.
39:20 -On est pas bien, là ? Santé !
39:22 -Santé !
39:23 -Santé !
39:24 -Santé !
39:25 -Et surtout, la bonne santé !
39:27 -Dans les yeux.
39:28 -Santé !
39:30 -Santé !
39:31 -C'est pas un peu absurde de se souhaiter une bonne santé
39:34 avec de l'alcool, alors que l'alcool multiplie les risques
39:37 de cancer, d'AVC hémorragique et de troubles du rythme cardiaque.
39:41 La bonne santé n'a rien à voir avec l'alcool.
39:44 Faites le point sur alcoolinfoservices.fr.
39:46 Musique douce
39:48 -Méliame Savy, quand on voit ses campagnes,
39:51 on ne peut pas dire qu'il n'y a pas de volonté politique.
39:54 Il ne faut pas dire qu'il n'y a pas des messages bien construits.
39:58 Un verre, ça va, 3 verres, c'était le meilleur.
40:01 -Il a vraiment marché, celui-là.
40:03 -Il a marché le verre de vin à tous les repas.
40:05 C'est pour ça que depuis 30 ans, il y a une réduction des consommations.
40:09 Les gens ont intégré ça.
40:11 C'était plus obligé, au menu du bistrot,
40:13 d'avoir le petit ballon de rouge.
40:15 Maintenant, il y a le café associé, le dessert,
40:17 mais il n'y a plus le vin obligatoire.
40:20 -Donc bingo, en tout cas, comme impact sur l'opinion.
40:23 Elle est là, la volonté politique, Méliame Savy ?
40:26 -Non, je crois pas. Ce qu'on a vu, c'est différentes campagnes,
40:29 dont la dernière en janvier 2023.
40:31 C'est cette campagne-là qui a suscité l'ire
40:33 de notamment "Vin et société",
40:35 qui s'en est plein auprès du président de la République.
40:38 Après, plus de campagnes.
40:40 C'est la réalité aujourd'hui.
40:42 Une politique de prévention, c'est pas juste des campagnes.
40:45 Les campagnes d'information, ça en fait partie,
40:48 mais il y a trois leviers les plus efficaces
40:50 et qui sont recommandés par l'OMS.
40:53 C'est pas les campagnes d'information,
40:55 c'est le prix, augmenter les prix,
40:57 car quand on augmente les prix, c'est plus cher,
41:00 on consomme moins. C'est la publicité.
41:02 Aujourd'hui, on a la loi Evin en France
41:05 qui protège un peu des publicités alcool.
41:07 Malheureusement, elle a été détricotée
41:09 depuis son adoption, il y a 30 ans.
41:11 Aujourd'hui, la publicité se fait beaucoup
41:14 sur les réseaux sociaux.
41:15 On a beaucoup de mal à faire appliquer la loi Evin.
41:18 Le troisième levier, c'est l'accessibilité,
41:21 c'est de réduire l'accès, notamment aux mineurs.
41:24 Qu'est-ce qu'on voit aujourd'hui en France ?
41:26 On a fait des enquêtes et on voit que dans 90 % des cas,
41:30 les cafés, les restaurants, les supermarchés,
41:32 ils vendent de l'alcool aux mineurs.
41:34 Il n'y a pas de sanctions, aucune dissuasion,
41:37 et donc, les jeunes, ils peuvent très bien acheter de l'alcool
41:40 sans aucune difficulté.
41:42 -Premier levier,
41:43 s'attaquer au prix.
41:45 L'Écosse l'a fait, Mme Colombo.
41:48 -Oui, l'Écosse a mis en place un prix minimum
41:51 par unité d'alcool.
41:53 C'est pas que l'Écosse,
41:55 il y a aussi d'autres pays qui ont mis en place,
41:58 comme les Pays de Galles, l'Irlande,
42:00 il y a quelques Provences au Canada.
42:03 -Donc, fixer un prix minimum... -Un prix minimum,
42:06 on ne peut pas aller plus en bas pour unité d'alcool.
42:09 Donc, ça, c'est extrêmement efficace,
42:12 parce que pas seulement ça réduit la consommation d'alcool,
42:15 mais c'est plus efficace contre les grands boueurs,
42:19 ou ceux qui boivent... -Les grands bouveurs.
42:21 -Les grands bouveurs, pardon,
42:23 qui boivent des produits qui ne sont pas trop chers.
42:26 Donc, c'est en efficace assez important.
42:29 -Beaucoup d'endroits où c'est plus cher
42:31 de payer un soda qu'une bière.
42:33 -Absolument, c'est vrai.
42:35 Et c'est un débat qui commence à venir chez nous,
42:38 puisque dans le cadre de l'examen du budget 2024,
42:44 au Sénat a débuté une discussion
42:47 sur l'instauration d'un prix minimum.
42:49 Alors, un prix minimum, on a interdit,
42:52 c'était ça l'idée, la vente de boissons alcoolisées
42:55 à un sous d'un certain prix,
42:57 pour lutter contre la consommation excessive d'alcool.
43:01 Est-ce que ce serait un gros coup dur
43:04 pour, par exemple, vous,
43:06 les producteurs de vin ?
43:08 -Oui, bien sûr.
43:10 Ce serait un gros coup dur,
43:12 parce que c'est une façon de stigmatiser, en plus,
43:15 les consommateurs qui ont le moins de moyens.
43:18 Aujourd'hui, à 3,50 euros,
43:22 puisqu'il s'agissait du prix dont on parlait à ce moment-là,
43:25 c'est près de la moitié du vin en grande distribution
43:29 qui se vend en dessous de ce prix-là.
43:31 -Le prix de la bouteille de vin ne pourrait pas descendre
43:34 en dessous de 3,50. -Oui, tout à fait.
43:36 Paradoxalement, si je reprends le début de la conversation
43:40 où on parlait de l'alcool chez les femmes, tout à l'heure,
43:43 chez les CSP+,
43:45 qui tend à devenir aussi importante que celle des hommes,
43:49 c'est pas un problème de prix.
43:52 Donc, on va donner la permission à ceux qui ont les moyens
43:55 de continuer à boire du vin autant qu'ils en veulent.
43:58 -Le prix va avoir un impact énorme chez les jeunes.
44:01 -Peut-être pas autant que vous le pensez,
44:03 parce que chez les jeunes, justement,
44:06 la façon de consommer du vin, ce n'est pas spécialement
44:09 les jeunes qui vont acheter le vin en grande distribution.
44:12 Les jeunes vont plutôt aller dans un bar à vin,
44:15 boire un verre de vin le soir avec des amis
44:17 et ramener au prix de la bouteille,
44:20 et une fois qu'on aura bu cinq ou six verres de vin
44:22 qui sont dans la bouteille,
44:24 ça fait largement plus que les 3,50 euros de base.
44:27 Donc, ça n'a pas d'impact pour les jeunes.
44:30 -Vous parlez que du vin, mais l'alcool, en général,
44:33 les jeunes préfèrent des bières. -Je ne parle que du vin.
44:36 -Les jeunes préfèrent plutôt les bières ou les alcools forts,
44:39 notamment pour les jeunes filles,
44:41 mais le prix a un poids énorme pour cette tranche d'alcool.
44:45 -Ce sera aussi efficace, peut-être, que pour le tabac.
44:48 -Effectivement. Je voudrais que... Pardon.
44:51 Qu'on s'intéresse à un phénomène qui est en train de grandir.
44:54 M. Moëlle, c'est les jeunes qui renoncent à boire complètement.
44:58 La sobriété ne serait plus ringarde,
45:02 ce serait de boire qui pourrait l'être,
45:04 boire avec excès ou pas.
45:06 M. Cazot est allé à la rencontre de deux jeunes femmes
45:09 qui ne boivent pas d'alcool.
45:11 Quelles sont leurs motivations ?
45:13 Reportage, on en parle juste après,
45:16 est-ce que vous, les producteurs,
45:17 allez produire du vin sans alcool ?
45:19 Ce serait ça aussi, peut-être, la solution
45:22 de combiner tous les intérêts. On regarde.
45:24 -Quand on a la vingtaine,
45:32 le vendredi rime souvent avec sorties ou verres entre amis.
45:36 Mais pas pour Ludara.
45:38 Week-end ou non, ce soir, elle restera chez elle.
45:42 A 27 ans, elle a arrêté de boire de l'alcool
45:45 depuis huit mois et ne sort que rarement.
45:48 -J'aime pas quand il y a beaucoup de bruit dans les bars
45:53 ou même aller chez quelqu'un que je connais pas trop personnellement.
45:57 Et du coup, j'ai associé ça aussi à l'alcool.
46:00 Et de base, déjà, je buvais pas beaucoup,
46:03 donc je me suis dit, autant arrêter complètement.
46:07 Ca me procure pas plus de plaisir que ça,
46:09 et voilà, j'ai décidé d'arrêter à cause de ça.
46:12 -Et Ludara n'est pas la seule à avoir fait ce choix.
46:15 Selon le dernier rapport de l'Observatoire français des drogues
46:19 et des tendances addictives, le nombre de jeunes de 17 ans
46:22 qui avaient consommé de l'alcool dans le mois
46:25 a baissé de plus de 20 points entre 2002 et 2022.
46:30 Des tendances qui s'observent aussi chez les vingtenaires.
46:33 D'après un sondage réalisé par cette plateforme événementielle
46:37 britannique, seulement un jeune sur quatre
46:40 aimait aller en boîte de nuit en 2022.
46:43 Première raison évoquée pour ne pas sortir,
46:45 un moindre intérêt pour les drogues et l'alcool.
46:48 Et la crise sanitaire aurait joué un rôle
46:51 dans ce changement d'habitude.
46:53 Comme cela a été le cas pour Lou, avec le confinement,
46:56 elle avait une bonne excuse pour rester chez elle
46:59 et s'adonner à ses activités favorites.
47:01 -Je pense que ça a ouvert cette dédramatisation
47:05 autour de "on n'est pas obligé de se forcer
47:07 "si on n'a pas envie, si on ne se sent pas bien".
47:10 Refuser de sortir, c'est pas grave, on n'est pas obligé.
47:13 -Lou a également remarqué que sa consommation d'alcool
47:17 déclenchait parfois ses crises d'endométriose,
47:20 ce qui a fini de la convaincre.
47:23 Comme elle, Rana Abdelmalak fait attention à son hygiène de vie.
47:27 Elle se lève à 5h tous les matins pour faire du sport,
47:30 avant les cours.
47:32 Rana n'a jamais bu d'alcool et ne connaît pas
47:34 les réveils difficiles qui rythment le quotidien
47:37 de ses camarades d'école de commerce.
47:39 -On va vous prendre un smoothie delight, s'il vous plaît,
47:43 et un smoothie crush.
47:44 -C'est sur place ? -Oui.
47:45 -Ce sera tout ? -Oui.
47:47 -Elle a parfois eu le sentiment que cette différence
47:50 pouvait être un frein à son intégration.
47:52 -Le problème, c'est que toutes les soirées
47:55 se font dans des grosses boîtes de nuit parisiennes.
47:58 Du coup, c'est super excessif au niveau de l'alcool qui est bu.
48:02 Donc je préfère...
48:03 Je préfère ne pas entrer dans ce genre de choses
48:06 et me limiter aux interactions sociales qu'on a à l'école.
48:11 Je me suis dit que je n'allais peut-être jamais
48:14 réussir à m'intégrer.
48:15 Je me sentais très mal au début.
48:17 Je me suis demandé si le problème, c'était pas moi.
48:20 Je me suis dit que peut-être essayer de boire un ou deux verres
48:23 de temps en temps, ça me ferait pas de mal.
48:26 J'ai essayé de me mettre à la place de mes camarades
48:29 et de me dire que ça allait peut-être m'aider
48:32 mais j'étais tellement un point désespérée
48:34 que je me disais qu'il me restait que ça à faire.
48:37 -Elle a finalement trouvé des amis qui comprennent et respectent
48:41 son choix. Pour ses 19 ans, elle leur a montré
48:43 que la fête pouvait être tout aussi folle
48:46 avec des sodas, des vins et des bières sans alcool.
48:49 -C'est vrai qu'on a quand même changé de monde
48:58 entre les années 60 et les années 2020.
49:01 Dans les années 50, 60, on donnait un peu de vin aux enfants.
49:05 -À la cantine. -À la cantine.
49:07 Là, on voit bien que c'est très marginal,
49:09 mais la sobriété...
49:13 -Heureusement qu'on a bien évolué. -Oui, heureusement.
49:16 -On donnait de la bière aux femmes qui allaitaient,
49:19 alors qu'aujourd'hui, on sait que c'est zéro alcool
49:22 pendant la grossesse, le plus tard possible.
49:24 C'est extrêmement important.
49:26 -Petite parenthèse, je sais que c'est un message
49:29 à la docteure.
49:31 On répète en quelques secondes,
49:33 quand on est enceinte, au premier jour...
49:35 -Quand on a un projet de grossesse. -Même avant, en amont.
49:38 Un projet de grossesse, on arrête l'alcool.
49:41 -Pour faciliter l'accès à la grossesse,
49:43 déjà, on arrête de boire.
49:45 Quand on arrête sa pilule, on arrête l'alcool.
49:48 Et non pas quand on est enceinte,
49:49 puisqu'il y a quelques semaines, quelques mois
49:52 pour lesquels on ne sait pas qu'on est enceinte
49:55 et on continue à avoir cette consommation.
49:57 -C'est très toxique pendant la grossesse.
50:00 -Principe de précaution.
50:01 Les statistiques manquent, mais principe de précaution.
50:04 -Ca concerne pas que les femmes addictes,
50:07 mais vous, moi, tout le monde.
50:09 -Toutes les femmes enceintes.
50:10 -Tout à fait.
50:12 -Joël Boëlle, comment vous faites, comment vous allez faire
50:15 si, encore une fois, la sobriété devient...
50:18 Voilà. Tendance, ou en tout cas, un phénomène mesurable.
50:23 Comment vous faites pour vous adapter ?
50:25 -Personne n'a envie de vous tuer.
50:27 -Ceux qui ne s'adaptent pas disparaissent.
50:30 Donc, effectivement,
50:32 on prend ce sujet à bras-le-corps aujourd'hui.
50:35 Et on a un enjeu, nous vignerons,
50:39 c'est qu'on a des vignes,
50:42 et si on veut demain continuer à cultiver nos vignes,
50:46 qui sont, quelquefois, dans bon nombre de régions,
50:49 le dernier rempart
50:51 avant une désertification ou avant l'Afrique,
50:54 et donc, si on veut continuer à garder des vignes
50:57 sur le territoire, il faut qu'on adapte notre façon de produire
51:00 pour aller à la rencontre de ces jeunes consommateurs
51:04 vers des nouveaux produits, et effectivement,
51:06 en produisant des vignes sans alcool
51:08 ou à faible degré d'alcool... -C'est possible, ça ?
51:11 On peut travailler le raisin, donner le goût de l'alcool,
51:14 et il n'y a pas d'alcool ? -Non, on ne donne pas
51:17 le goût de l'alcool. -On ne reconstitue pas
51:19 le goût de l'alcool. -Non, parce que c'est là
51:22 où on a un problème, c'est qu'on produit des vignes désalcoolisées.
51:25 C'est d'abord un vin qui a eu de l'alcool
51:28 dont on retire l'alcool.
51:30 -Ah, et ça, c'est un procédé... -Et ça, c'est un...
51:33 -Qui est à votre portée ? -Ca, c'est un procédé
51:37 qui existe, qui fonctionne, mais qui demande
51:40 une énergie supplémentaire, des investissements, et...
51:44 -Vous les faites, déjà, dans votre filière ?
51:46 -Ca se fait de ci, de là, c'est des balbutiements, aujourd'hui,
51:50 et c'est vrai que, de ce côté-là, en plus,
51:52 dans la crise qu'on traverse, on parle d'arracher
51:55 100 ou 150 000 hectares de vignes
51:57 du fait de la déconsommation,
51:59 mais si on ne change rien
52:02 et qu'on continue à produire les vignes
52:04 comme on les produisait autrefois,
52:06 on rarrachera des vignes un peu plus tard.
52:09 Donc, les caves coopératives, effectivement,
52:11 interpellent les pouvoirs publics à ce niveau-là pour dire
52:14 "accompagnez-nous dans cette évolution stratégique
52:18 "pour nous permettre de produire les vignes désalcoolisées,
52:21 "pour le coup, pour un grand bout, de certaines d'entre eux,
52:24 "qui permettront de reconquérir des consommateurs
52:27 "et de garder un territoire vivant."
52:29 -Après, juste un mot par rapport
52:31 au reportage qu'on vient de voir.
52:33 Je trouve ça un peu triste de se dire
52:35 "si je bois pas, je ne sors pas".
52:37 Ca, c'est problématique, et ça, c'est lié forcément à la culture.
52:41 Si on sort, si on a une fête, si on va en boîte de nuit,
52:44 on boit, et donc, du coup,
52:46 moi, je pense que nos patients,
52:47 ils luttent pour retourner dans la vie active,
52:50 retourner dans la société en étant en image
52:52 de celui qui ne boit pas et qui n'est pas triste.
52:55 Moi, je crains aussi que les consommations sans alcool,
52:58 c'est aussi un vin sans alcool, c'est aussi dire
53:01 "plus tard, ce sera avec alcool",
53:03 ça prépare à la consommation d'après.
53:05 -Ce qui est intéressant, c'est qu'on voit des saubreliers
53:08 qui se substituent dans certains restaurants
53:11 aux sommeliers pour proposer des accords
53:13 entre les mets et la boisson,
53:15 avec des... Je sais pas comment dire,
53:17 des alcools sans alcool, des vins sans alcool.
53:20 -Il y a également des cavistes qui s'ouvrent aujourd'hui
53:24 de boissons sans alcool, de vins sans alcool.
53:27 Donc, on est au début.
53:28 La consommation de vins sans alcool,
53:31 c'est moins de 1 % aujourd'hui,
53:33 mais je pense que dans les quelques années
53:36 qui vont venir, on atteindra 5, 10,
53:39 peut-être 15 % de la consommation.
53:41 C'est énorme par rapport à ce que ça représente
53:44 à l'instant T. -Absolument.
53:46 -Aujourd'hui, une difficulté, quand on ne boit pas d'alcool,
53:49 et c'est pour ça que ces jeunes femmes ne sortent pas,
53:52 c'est que quand on va dans un bar,
53:54 en fait, l'offre en sans alcool,
53:56 il y a pratiquement rien.
53:58 Il y a le soda, le jus de fruits, le café, c'est tout.
54:01 Pourtant, il y a une offre de sans alcool aujourd'hui
54:04 qui explose avec énormément de produits très différents.
54:07 Mais une des raisons aussi, c'est que les distributeurs
54:10 dans les débits de boissons, c'est France Boisson,
54:13 et France Boisson, c'est Heineken.
54:15 Là aussi, on voit qu'il y a des choses qui expliquent
54:18 que c'est plus difficile d'aller vers une offre très variée,
54:22 alors même que c'est Heineken qui détient le distributeur.
54:27 -Le mot de la fin, en deux secondes.
54:29 -Dans la culture générale, quand quelqu'un dit "je ne bois pas",
54:32 on lui dit "qu'est-ce que t'as, pourquoi ?"
54:35 "Je ne bois plus, tu fais la tête, t'es malade."
54:38 Et quelqu'un qui a arrêté de fumer, on lui dit "bravo, super".
54:41 -Une bonne comparaison.
54:43 -Une difficulté à intégrer, comme quoi ne pas boire,
54:46 ça peut être bien. -Parce que c'est vrai,
54:48 l'alcool, c'est associé à la convivialité.
54:51 On a l'impression que celui qui ne boit pas d'alcool
54:53 va faire la gueule toute la soirée.
54:55 Merci infiniment, madame Colombo, d'avoir été avec nous,
54:59 docteur Kowskaz, Myriam Savi et Joël Bouel.
55:01 Merci d'être venu plaider aussi votre dossier,
55:04 c'est important.
55:05 On en a bien conscience.
55:06 Merci de nous avoir suivis dans cette émission spéciale
55:10 de "La France insoumise". A très vite sur LCP.
55:12 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
55:14 Générique
55:17 ...
55:24 [SILENCE]

Recommandations