On en entend parler partout, qu'elle soit source de fantasmes ou d'inquiétudes : c'est l'Intelligence Artificielle. Marie Portolano reçoit Asma Mhalla, une des plus grandes spécialistes du sujet. Chercheuse en enjeux politiques et géopolitiques de la tech, elle vient de sortir le livre « Technopolitique, comment la technologie fait de nous des soldats », aux éditions du Seuil.
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00:00 -Mamana, dans votre essai "Technopolitique, comment la technologie fait de nous des soldats",
00:04 vous cherchez à décrypter le rôle politique et idéologique des géants numériques.
00:08 Alors, technopolitique, qu'est-ce que ça veut dire concrètement ?
00:12 -Technopolitique, c'est un mot pour trouver, c'était ma tentative,
00:16 de trouver cette jonction entre politique et technologie.
00:18 Et plus exactement, le fil directeur et tout le fil rouge du livre et de l'essai,
00:24 c'est d'essayer de comprendre en quoi et comment nos démocraties
00:27 sont en train de complètement s'effondrer par le choc technologique.
00:31 Et il ne s'agit pas simplement de se dire "on est en train d'arriver à un bout,
00:36 au bout d'un système", mais de trouver des solutions.
00:39 Et c'est hyper important d'avoir ça en tête,
00:44 ce n'est pas simplement les énièmes constats qu'on a encore lus et relus mille fois,
00:48 mais se dire "partons de là, qu'est-ce qu'on fait ?"
00:50 Et l'autre chose, c'est que ce qui m'a beaucoup frappée ces deux dernières années,
00:55 c'est qu'on a beaucoup parlé d'intelligence artificielle,
00:57 et avant ça c'était Elon Musk et les réseaux sociaux,
00:59 j'étais même venue ici en parler,
01:00 et avant ça c'était le métavers de Mark Zuckerberg,
01:03 et entre-temps c'est les cyberattaques,
01:06 et puis après ça va être encore les implants neuralink qui vont arriver,
01:09 de Elon Musk toujours,
01:10 et en fait à chaque fois, parce qu'on a des actualités chaudes,
01:14 on prend les sujets par petits bouts,
01:16 et l'idée c'était de retrouver tout l'ordre et le puzzle,
01:19 et de donner des clés de lecture un peu cohérents
01:22 à ce qui est en train de se jouer en fait.
01:24 Alors il y a un sous-titre qui me marque,
01:27 "Comment la technologie fait de nous des soldats ?"
01:29 On serait les soldats de qui ?
01:31 De nous-mêmes, des technologies,
01:33 mais aussi en fait de toutes les manipulations qu'on peut avoir
01:36 par tous ces acteurs, que ce soit étatiques,
01:38 on a beaucoup parlé, on parle beaucoup des ingérences russes,
01:41 des cyberattaques russes, chinoises,
01:42 maintenant tout le scandale TikTok de l'année 2022,
01:46 et l'idée c'est d'essayer de comprendre
01:48 en quoi on a complètement changé de siècle, et donc d'époque.
01:52 Jusque-là, quand on avait des technologies,
01:54 et c'était un peu la croyance qu'on avait,
01:56 c'est que les réseaux sociaux c'était,
01:58 soit très sympa, ludique, pour s'exposer,
02:00 Amazon pour acheter, parfois Twitter pour s'étriper et se battre,
02:05 mais on s'en était arrêtés un peu là.
02:08 Et en fait, c'est aussi des armes de guerre dans le même temps,
02:11 et c'est cette dualité qui compte,
02:13 et qui fait que finalement dans votre poche,
02:15 vous avez un truc qui potentiellement est très sympa,
02:17 mais qui peut vraiment devenir un outil militaire en fait.
02:21 Oui, parce que vous parlez des données personnelles,
02:23 et alors vous dites quelque chose dans votre essai,
02:27 c'est aussi la grande question du livre,
02:28 c'est de savoir si nos démocraties vont tenir
02:30 et ne vont pas s'effondrer face à ce choc technologique.
02:33 Qu'est-ce que vous en pensez, sans spoiler votre livre évidemment ?
02:36 J'en pense que la démocratie du XXe siècle,
02:38 telle qu'on la pense et conçue,
02:40 telle qu'elle est encore dans nos imaginaires,
02:42 pardon de le dire, mais elle est morte, celle-ci.
02:45 Et toute la difficulté, c'est qu'on a une classe politique
02:47 qui n'arrive pas du tout à le comprendre
02:50 et à franchir le nouveau cap.
02:54 Et puis nous, citoyens, nous autres,
02:56 ce collectif qui est en train de se démanteler au fur et à mesure,
02:59 parce que par ces technologies-là,
03:01 au bout d'un moment, votre réel ne sera plus le mien, Marie.
03:05 Mais bien sûr !
03:06 Moi je flippe pour les enfants,
03:07 je me dis dans quel monde ils vont vivre ?
03:10 Exactement, et c'est cette fragmentation du réel
03:13 qui empêche, ou qui risque en tout cas d'empêcher,
03:15 de créer du commun, un projet collectif.
03:18 Et donc c'est vraiment de se dire,
03:19 eh bien il faut comprendre qu'on est en train d'entrer
03:22 dans une nouvelle démocratie,
03:23 mais qui reste à construire un récit, un projet,
03:26 en ayant pris acte de ces changements.
03:29 De cette nouvelle technologie-là.
03:30 Est-ce que vous pensez que l'intelligence artificielle
03:32 va finir par nous contrôler, contrôler nos cerveaux ?
03:34 Je ne le crois pas.
03:36 C'est en tout cas le narratif,
03:37 et c'est les narrations qui viennent de la Silicon Valley,
03:39 pour plein de raisons, pour des questions idéologiques.
03:41 D'ailleurs c'est toute la bataille culturelle
03:42 entre Elon Musk et Sam Altman, par exemple,
03:44 qui sont à peu près d'accord sur rien,
03:46 si ce n'est qu'à un moment donné, on va trouver...
03:48 D'ailleurs on ne parle plus d'intelligence artificielle,
03:49 on parle des super-intelligences.
03:51 Vous savez, ces méga-intelligences artificielles
03:53 qui vont dépasser la cognition humaine,
03:56 et donc avoir une espèce de conscience.
03:57 Pour l'instant c'est du fantasme total et pur,
04:00 et en réalité, intelligence artificielle,
04:02 ça ne veut pas dire grand-chose.
04:03 Vous avez plein de systèmes algorithmiques différents
04:05 en fonction des usages,
04:06 et donc c'est vraiment cette déconstruction
04:08 qu'il faut faire de ce qu'on essaie de nous faire croire.
04:12 Alors selon vous, il faut prendre des gens comme Elon Musk au sérieux ?
04:15 Vous dites, ce n'est pas un clown,
04:17 c'est un acteur géopolitique de premier plan,
04:18 il veut contrôler notre avenir.
04:21 Elon Musk, si on le sort de la binarité
04:23 dans laquelle on le plonge de façon compulsive et hystérique en ce moment,
04:28 et en particulier d'ailleurs en France, c'est assez marrant,
04:30 c'est toujours le fou furieux, le psychopathe...
04:32 On sous-estime un petit peu sa vraie,
04:34 j'allais dire dangerosité, mais son impact en fait.
04:36 Oui, et plutôt que de faire de la moraline,
04:39 c'était de se dire, je vais l'étudier à froid.
04:43 Et à froid, quand on regarde sa galaxie,
04:45 tous ses investissements, ses projets,
04:46 ses discours aussi, il a une vraie vision du monde.
04:50 Et puis il est partout, il y a Starlink, on y croirait.
04:52 Vous trouvez que sa vision du monde, elle est cohérente
04:54 avec les nouvelles technologies ?
04:55 Elle est absolument cohérente parce que dans tout système de folie,
04:59 vous retrouvez une chose, la cohérence.
05:01 Et donc c'est l'irraison, c'est une espèce de no limit,
05:04 il n'y a pas de limite au projet.
05:05 Mais ce qui m'intéresse plus, c'est que ce n'est pas tant Elon Musk,
05:08 ou Sam Altman, ou Google, ou Microsoft
05:11 qui m'interpellent en soi ou en eux-mêmes,
05:14 c'est plutôt qu'ils remplissent un vide, un vide politique.
05:19 On n'a aucun récit, aucun projet à opposer à eux.
05:23 Et c'est très inquiétant et c'est très fascinant
05:24 de voir qu'Elon Musk est reçu comme une rockstar, littéralement,
05:27 comme un gourou.
05:28 Et donc ça pose la question de quel est le vide
05:31 qu'ils sont en train de remplir.
05:32 Et on a un énorme problème, pardon de le dire,
05:33 avec notre classe politique dans les démocraties occidentales.
05:36 Qu'est-ce qu'il faut faire selon vous ?
05:37 Changer de lunettes, changer de classe politique,
05:41 avancer, comprendre, décélérer.
05:43 On parle beaucoup d'accélération du monde en ce moment.
05:46 Vous pensez qu'il faut décélérer ?
05:47 Oui, et je ne pense pas du tout qu'on est dans une accélération,
05:49 moi je pense qu'on est dans un emballement.
05:50 C'est-à-dire que vous savez, c'est une espèce de burnout collectif
05:53 où il y a cette excitation avant l'effondrement.
05:55 Oui, la vitesse des réseaux sociaux, c'est ça.
05:57 Et on n'a plus du tout le temps de sédimenter, de comprendre,
05:59 ça va trop vite.
06:00 Donc l'idée c'est en effet de décélérer pour se reconnecter.
06:03 Et lire ! Lire c'est le premier pouvoir.
06:05 C'est vrai ? Il faut lire.
06:07 Ça tombe bien, on va en parler des livres dans quelques instants.
06:09 Merci beaucoup Asma Malla, je rappelle votre livre "Technopolitique,
06:12 comment la technologie fait de nous des soldats".
06:14 Merci.
06:15 C'est hyper intéressant.
06:19 Merci beaucoup.
06:20 Vous vous lancez quand en politique Asma Malla ?
06:22 C'est clair, c'est ce que je voulais dire.
06:25 C'est dans votre tête ou pas ?
06:26 Je...
06:28 Je ne sais pas, ça pourrait.
06:31 Ça pourrait arriver.
06:31 C'est vraiment la question à un million que je me pose à peu près tous les matins,
06:34 en ne me rasant pas.
06:35 En ne vous rasant pas, très bien.
06:37 Merci beaucoup, tout le monde est à l'archive.
06:39 toujours à l'annonce de sa candidature.