• il y a 9 mois
À 8h20, François Molins, ancien procureur de Paris, est l'invité du Grand Entretien. Il publie "Au nom du peuple français" (Flammarion), où il raconte sa carrière, les postes et les affaires qui l'ont marqué. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-19-fevrier-2024-1891372

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Transcription
00:00 Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin dans le Grand Entretien, Magistrat, ancien
00:05 procureur général près de la cour de cassation.
00:08 Il publie au nom du peuple français, « Mémoire » chez Flammarion, livre qui sera en librairie
00:15 après-demain.
00:16 Vos questions, réactions au 01 45 24 7000 et sur l'application de France Inter.
00:22 François Mollins, bonjour.
00:24 Bonjour.
00:25 Et bienvenue à ce micro.
00:26 J'ai oublié de dire que vous étiez un jeune retraité, votre carrière de magistrat
00:31 a pris fin en juin dernier.
00:33 C'est un métier que vous avez exercé pendant 46 ans tout de même, mais vous avez la retraite
00:38 active, vous enseignez à l'université de Vendée, à Sciences Po, et vous publiez donc
00:43 cette semaine vos « Mémoire » au nom du peuple français, écrite avec la journaliste
00:48 Chloé Triomphe.
00:49 On vous suit de vos débuts à Carcassonne, aux années Corse, en passant par le tribunal
00:56 de Bobigny, pour lequel vous avez une tendresse particulière, jusqu'aux années sombres
01:01 des vagues d'attentats terroristes où vous incarniez, pour nous, pour les Français,
01:07 le visage de la justice.
01:08 Vous racontez cela avec la pudeur qu'on vous connaît, mais avec aussi une émotion
01:13 qu'on découvre.
01:14 Pourquoi avoir eu envie de prendre la plume, pardon, de raconter cette vie au service de
01:21 la justice ?
01:22 Il y a trois raisons essentielles à ce livre, qui est un projet qui a démarré il y a quatre
01:28 ans, avec la collaboration de Chloé Triomphe et l'aide de Flammarion.
01:31 Il y a trois raisons essentielles.
01:33 La première, c'est un livre métier, c'est la volonté de mieux faire connaître le vrai
01:39 contenu, la réalité du contenu du métier de procureur.
01:42 La seconde, c'est aussi quelque part de rendre compte, d'où le choix du titre « J'ai
01:48 pas pris la grosse tête » au nom du peuple français.
01:51 C'est ce qui figure en tête de tous les jugements.
01:55 La justice est rendue au nom du peuple français, les procureurs y participent.
01:59 Et j'ai pensé qu'il était normal à un moment donné de rendre compte, en quelque
02:04 sorte, de ce qu'on avait pu faire tout au long de sa carrière dans ce cadre-là.
02:08 Et puis la troisième, c'est pas la majeure, mais je peux pas l'ignorer non plus, la volonté
02:13 aussi parfois d'expliquer.
02:14 On est magistrat, on est parfois mis en cause et on peut rarement se défendre.
02:20 Donc c'est aussi l'occasion de revenir sur certains dossiers et d'expliquer ma
02:26 façon de voir les choses.
02:27 - Et d'ailleurs, vous racontez les choses et on va revenir sur les dossiers où vous
02:30 avez été mis en cause, le dernier étant votre altercation avec Eric Dupond-Moretti.
02:34 On va en parler dans un instant, mais vous avez raison de dire que c'est un livre métier,
02:38 c'est un livre où on découvre un métier, le métier de magistrat.
02:41 Et d'ailleurs, vous expliquez, mon métier est très méconnu parce que c'est pas seulement
02:45 magistrat, c'est magistrat du parquet.
02:46 Vous écrivez que pendant 46 ans, vous avez eu droit à tout, on vous appelait c'est
02:50 selon, monsieur le juge, monsieur le préfet et même monsieur le commissaire Molins.
02:55 Autant de nobles métiers, mais c'était pas le vôtre.
02:58 - Oui, mais qui traduisent bien, effectivement, la méconnaissance et les problèmes que les
03:03 Français ont aujourd'hui d'accessibilité par rapport à l'institution judiciaire.
03:07 - Oui, c'est ça, c'est ce que vraiment, on comprend enfin ce que c'est qu'un magistrat
03:11 du parquet, ses liens avec la politique, effectivement, et à quoi se sert en fait le magistrat du
03:17 parquet.
03:18 Et attention, je veux dire que c'est un livre métier, on découvre votre métier, mais
03:21 c'est un livre, parfois les livres métiers ne sont pas incarnés, ils n'ont pas de sentiments.
03:25 C'est un livre qui est aussi émouvant.
03:27 Et malgré votre pudeur naturelle, vous arrivez à exprimer des choses, vous vous lâchez
03:31 un peu, on sent que l'éditeur vous a poussé à sortir de votre devoir de réserve.
03:35 - J'ai essayé d'y mettre un peu de moi-même, on ne peut pas tout raconter, mais effectivement
03:40 à faire quelque chose, je me suis livré comme je l'avais rarement fait dans le passé.
03:44 - Oui, vous racontez une justice que vous avez vue se professionnaliser, gagnée en
03:48 rigueur, en déontologie.
03:50 C'est spectaculaire par rapport à vos débuts comme substitut du procureur de la République
03:56 à Carcassonne puis Montbrison.
03:59 On vous demande de classer les dossiers qui gênent, ou on vous explique que le président
04:03 du tribunal est surnommé « Morpion Valseur », j'ai beaucoup aimé, qu'il est connu
04:08 pour sa paresse, qu'il demande aux avocats de lui proposer directement un jugement pour
04:13 ne pas avoir à bosser.
04:14 Bref, il y a 50 ans, la justice en France, c'était quand même assez artisanal.
04:19 - J'ai beaucoup hésité à évoquer ces choses qui peuvent relever de l'anecdote,
04:23 mais qui en réalité signent une évolution qui est tout à l'honneur de l'institution
04:28 judiciaire, c'est qu'il y a aujourd'hui une exigence éthique et une exigence déontologique
04:34 qui n'existait pas avec la même intensité lorsque je suis arrivé dans l'institution.
04:39 Et ça je pense qu'il faut s'en féliciter, parce que c'est vraiment au crédit de l'institution
04:43 et au service des Français.
04:44 - Qu'elle s'est professionnalisée.
04:46 Ce qu'on remarque aussi en lisant le livre, et on s'est dit ça avec Nicolas, c'est
04:51 que vous avez traité pratiquement toutes les affaires les plus importantes et les plus
04:54 graves de ces 40 dernières années, depuis la catastrophe de Furiani où vous êtes en
04:58 poste en Corse, puis la mort de Ziadeh Bouna où vous êtes en poste à Bobigny, jusqu'aux
05:03 années où la France est endeuillée par le terrorisme, Charlie, l'hypercachère le
05:07 13 novembre, l'attentat de Nice… à tel point que vous vous demandez parfois, François
05:10 Mollens, si vous n'êtes pas un chat noir ?
05:12 - Oui, je pense que je me suis souvent fait la réflexion.
05:15 Et c'est vrai que dans tous les postes que j'ai occupés, j'ai eu effectivement
05:20 à traiter des affaires un peu hors du commun.
05:22 Mais c'est ça, j'allais dire aussi, c'est un peu le sel de la fonction, c'est peut-être
05:28 aussi pour ça que je l'ai choisi.
05:29 Et chaque fois que j'ai été amené à changer, à avoir des mutations, j'ai toujours privilégié
05:33 l'intérêt des postes que j'allais occuper.
05:35 Et j'essaie de l'expliquer aussi, ça dans le livre, il y a toujours eu sur certains
05:39 postes en Corse, à Bobigny, à Paris, une prise de risque dans l'acceptation de la
05:46 fonction.
05:47 Donc je savais très bien où j'allais.
05:48 Mais encore une fois, je pense que ça fait aussi partie de l'intérêt que j'ai pour
05:51 le métier que j'ai exercé aussi longtemps.
05:53 - François Mollins, il y a le cas Bobigny, qui est un cas à part.
05:58 Vous dites « j'ai toujours su, au fond de moi, que j'irais à Bobigny ». Bobigny,
06:03 ce n'est pas un tribunal comme les autres, c'est le deuxième tribunal de France, après
06:08 celui de Paris, avec un volume d'activité presque équivalent.
06:11 Le 9-3, c'est aussi le département où le taux de criminalité est le plus élevé.
06:15 C'est enfin un département monde où se côtoient pas moins de 135 nationalités.
06:24 Ce département, pour un magistrat, c'est un défi.
06:27 Dites-nous, prenez le temps de nous dire ce que vous avez appris de la justice, de la
06:32 police, de la misère sociale aussi, de l'intégration, de la délinquance, de la criminalité dans
06:38 ce 9-3, comme vous dites, département dont on parle tant, sans vraiment le connaître.
06:43 C'est un département dans lequel tous les problèmes que connaît la société française
06:47 sont au carré, ou à la puissance 10.
06:51 Pourquoi la puissance 10 ? Parce que d'un côté, il se passe de façon beaucoup plus
06:57 intense que dans d'autres ressorts, et de l'autre, il y a toujours eu un problème
07:00 de moyens de la part des institutions de l'État pour faire face à ces difficultés.
07:04 Donc, ça génère en réalité quelque chose qui est très intéressant.
07:07 Comme on est en difficulté parce qu'on n'a pas suffisamment de moyens, ça génère
07:13 une synergie et une solidarité entre les acteurs qui vous amènent véritablement à
07:17 vous transcender, à faire des choses intéressantes.
07:19 C'est là où, quand on est dans un parquet, on s'occupe d'affaires individuelles.
07:25 On dirige des enquêtes, on décide de classer ou de poursuivre, on mène aussi les politiques
07:29 pénales, sur directive du garde des Sceaux, conformément à la Constitution, mais on
07:35 a aussi dans ce cadre-là la possibilité de prendre des initiatives.
07:38 Et ce qui m'a plu dans ce département, c'est l'imagination dont on peut faire
07:43 preuve et qui peut considérablement améliorer les choses, sans avoir forcément beaucoup
07:47 de moyens pour faire avancer certains sujets.
07:49 Et j'évoque comme ça dans le livre, je vais prendre deux exemples, le téléphone
07:53 de grand danger, c'est Bobini avec Ernestine Roné, qui vient de nous voir un jour, s'est
07:59 expérimenté à Bobini sur la volonté de trois personnes.
08:02 Le téléphone de grand danger, il faut rappeler, c'est ce téléphone qu'on donne maintenant
08:06 aux femmes en cas de violence.
08:08 C'est dans la loi aujourd'hui.
08:09 Et ça a commencé à Bobini.
08:11 Ça a commencé à Bobini.
08:12 Ça a été expérimenté à Bobini.
08:14 Exactement.
08:15 L'habitat indigne, les actions qu'on avait faites à l'époque pour lutter contre
08:19 tout ça, la lutte contre la violence faite aux femmes.
08:21 Et on peut véritablement prendre des initiatives.
08:24 Et c'est ça qui m'a plu effectivement à Bobini, c'est cette faculté, cette
08:29 possibilité de construire des politiques avec un fort pouvoir d'initiative, avec
08:34 une équipe de jeunes qui étaient très engagés et qui croyaient véritablement du fond de
08:39 main de façon très intense à cette mission.
08:42 Qui pouvaient être utiles dans ce département-là.
08:44 À Bobini, vous avez à gérer l'affaire très douloureuse de la mort de Zia Debouna,
08:49 mort électrocutée dans un transformateur EDF après une course poursuite avec la police.
08:53 Ces deux morts sont l'élément déclencheur des émeutes de 2005.
08:57 On vous a reproché à l'époque votre gestion de cette affaire, un traitement trop favorable
09:00 aux forces de l'ordre et d'avoir mis trop de temps à ouvrir une information judiciaire.
09:03 Vous donnez votre version de l'enquête, de l'affaire dans ce livre.
09:08 Vous avez des regrets sur Zia Debouna, sur cette affaire ?
09:10 Forcément que j'ai des regrets, surtout de ce qui est arrivé.
09:13 Parce que si vous voulez, c'est une histoire qui signe en réalité le contenu des relations
09:23 qu'il y a entre les jeunes et la police.
09:25 Qu'on peut résumer dans une question.
09:26 Est-ce qu'il est normal que des jeunes à la vue d'uniformes bleus prennent la fuite
09:30 alors qu'ils n'ont rien fait ? Bien évidemment non.
09:33 Ce n'est pas normal.
09:34 Est-ce qu'on a vécu aussi dans ces émeutes il y a six mois ?
09:39 Pour vous, vous vous en rappelez les émeutes de 2005 ?
09:41 C'est la répétition du même ?
09:43 Oui, c'est un drame absolu.
09:45 Ça signe en réalité le fait qu'on est face à des problèmes de fond qui ne sont
09:48 pas réellement traités.
09:50 Donc cette affaire, effectivement, c'est un drame absolu qu'on a tous très mal vécu
09:55 parce que ça a été un drame.
09:59 Et puis ça a été le prélude à une semaine de violences urbaines considérables, qui
10:03 avait d'ailleurs justifié le prononcé de l'état d'urgence à l'époque, je le rappelle.
10:07 Venons-en François Mollins, aux grandes affaires terroristes que vous avez eues à gérer au
10:11 parquet de Paris et qui ont fait de vous un visage familier pour tous les Français.
10:16 Vous écrivez, les années 2012 à 2018 ont été des années noires.
10:21 Depuis les attentats de Toulouse commis par Mohamed Merah à l'attentat de Trèbes, vous
10:27 avez été en première ligne, notamment dans la terrible année 2015 qui a commencé par
10:32 l'attentat contre Charlie Hebdo et s'est achevé par les attentats du 13 novembre.
10:37 Y a-t-il eu un moment où la peur que ça ne dégénère définitivement, que ça ne
10:44 s'arrête jamais, vous a paralysé ?
10:47 Oui, enfin pas paralysé, mais la peur que ça ne s'arrête jamais, on l'a eu à plusieurs
10:52 reprises pendant des mois et des mois, notamment en 2015.
10:55 On a eu peur, on avait véritablement conscience d'être une sorte de spirale infernale, tout
11:04 à fait anxiogène, dont on ne sortirait jamais, puisqu'on avait quasiment une tentative
11:08 d'attentat toutes les cinq semaines.
11:10 Un attentat ou une tentative d'attentat toutes les cinq semaines, on avait compté.
11:13 C'était quelque chose d'absolument considérable.
11:15 Donc la peur de ne pas en sortir et d'être face à un phénomène que, quels que soient
11:19 les efforts qu'on faisait en termes de construction de politique, d'innovation, de travail avec
11:24 les services de renseignement qui étaient en première ligne, la peur de ne pas arriver
11:29 à endiguer le phénomène.
11:30 Donc ça, c'est véritablement quelque chose.
11:32 Mais par contre, ça ne nous a jamais, j'allais dire, paralysé.
11:36 Et je dirais même que l'intensité de la mission nous a plutôt transcendé parce qu'on
11:41 s'est rendu compte qu'on arrivait à tenir le coup et à mener en lien avec les services
11:46 de police et les services de renseignement, moi, je pense, des actions de très grande
11:49 qualité.
11:50 Et puis, communiquer à ce moment-là auprès du grand public a été l'une de vos missions
11:52 importantes à tel point que vous avez inventé un modèle de communication.
11:56 Vous y revenez plus tard quand le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon,
11:59 fera ses points Covid tous les soirs à la télévision.
12:01 On dira qu'il est le François Mollins du Covid.
12:04 Ce mode de communication, vous voyez à la télévision tous les soirs ou toutes les
12:09 semaines dans ces conférences de presse vers 19h.
12:12 On regardait tout ça au moment des attentats.
12:15 Et cette manière que vous aviez de dire les choses de manière très factuelle, presque
12:21 froide, très, très concrète, clinique, c'était une manière pour vous de vous protéger aussi,
12:30 de mettre l'émotion à distance ?
12:32 Non, je ne pense pas que c'était pour me protéger.
12:38 L'émotion, on essayait aussi de la mettre à distance et on la vivait intensément.
12:42 On essayait de la mettre à distance, mais j'allais dire dans le cas d'un exercice plus
12:46 personnel, ces points de presse, c'est véritablement parce qu'on a conscience du besoin considérable
12:51 de la part de nos concitoyens de savoir ce qui se passe.
12:54 Et donc, on a essayé, j'allais dire, de leur apporter quelque chose, de les rassurer,
13:00 de montrer surtout que l'État faisait son travail, que l'institution judiciaire faisait
13:04 son travail avec la police et les services de renseignement.
13:07 Et donc, on a essayé de délivrer une parole qui soit la plus claire, la plus précise,
13:12 la plus objective possible, parce que je pense franchement que c'est ça qu'on attendait
13:16 de nous, une parole qui soit neutre et objective.
13:19 Et on a essayé de porter ça, effectivement, pendant trois ans.
13:23 Vous racontez comment vous avez vécu les attentats du 13 novembre, comment vous êtes
13:28 entré jusqu'à trois fois dans la fosse du Bataclan.
13:32 Vous écrivez « Dans la moiteur de la fosse, au pied de la Seine, des dizaines de corps
13:37 sont entremêlés, dont s'échappe l'odeur âcre du sang.
13:40 En balayant la salle, mon regard se pose sur une femme d'une cinquantaine d'années,
13:45 probablement les cheveux gris cendrés, coupés au carré, sa tête repose sur son sac.
13:50 Son téléphone portable sonne sans discontinuer.
13:54 Pourquoi suis-je rentré à trois reprises à l'intérieur du Bataclan ? Je me le suis
13:59 longtemps demandé.
14:00 Je pense qu'au fond de moi, j'étais révolté et ne parvenais pas à croire ou refuser de
14:05 croire ce que j'avais vu.
14:07 » Ces images-là, François Mollins, elles vous hantent encore aujourd'hui ?
14:11 L'image que vous décrivez, elle revient souvent.
14:14 Bien sûr que ça hante.
14:16 On ne peut pas, j'allais dire, faire abstraction de ce qu'on a vu comme ça, de ce qu'on a
14:23 vécu.
14:24 C'est sûr que c'est des images qui ne me quitteront jamais, ça c'est certain.
14:27 Et puis il y a la politique.
14:29 Les pages sur la politique.
14:31 Vous avez franchi le Rubicon pendant quelques années sous Nicolas Sarkozy en devenant directeur
14:34 de cabinet des ministres de la Justice, Michel Alliomarie puis Michel Mercier.
14:37 Vous parlez d'un pas de côté qui ne vous laisse pas les meilleurs souvenirs.
14:40 Vous souriez.
14:43 Vous vous regrettez là ?
14:45 Non, non, non.
14:46 Oui, vous ne regrettez rien mais ce n'est pas vos meilleures années.
14:49 Ce n'est pas mes meilleures années.
14:51 Tout est dans le titre du chapitre.
14:54 Un pas de côté, ça veut bien dire ce que ça veut dire.
14:57 En réalité, j'ai compris que c'est quelque chose qui n'était pas vraiment pour moi
15:01 parce que ce n'est pas, j'allais dire, la fonction qui laisse le plus de liberté
15:08 d'indépendance.
15:09 Vous dites que vous êtes mortifié quand vous vous retrouvez au cœur du débat d'entre
15:12 deux tours entre Nicolas Sarkozy et François Hollande.
15:14 François Hollande qui apostrophe son rival en fustigeant sa vision de l'indépendance
15:18 de la Justice en disant "vous l'avez nommé à la tête du parquet en parlant de Mollens".
15:23 François Mollens, vous l'avez nommé à la tête du parquet de Paris.
15:26 Vous dites du fond, non caniapé, j'ai juste envie de disparaître de honte, être un point
15:30 de discorde, montrer du doigt au cours du débat pour l'élection présidentielle suivie
15:33 par des millions de personnes, j'étais mortifié.
15:35 Vous savez, je suis quelqu'un d'assez réservé.
15:38 Alors, être devant son écran de télévision et entendre qu'on parle de vous dans ces
15:42 conditions, je n'avais pas trouvé ça très glorieux.
15:44 On va passer au standard où nous attend Eric.
15:48 Eric, bonjour.
15:49 Oui, bonjour.
15:50 J'avais une question pour M. Mollens.
15:53 On vous écoute.
15:54 Comment assurer l'indépendance de la Justice sans tomber dans une république des juges ?
15:58 Et à l'occasion, j'aimerais aussi avoir des nouvelles de Julian Assange.
16:02 D'accord.
16:03 Merci Eric pour cette double question.
16:06 Pour ce qui concerne Julian Assange, je vous renvoie ce soir à l'émission "Un jour dans
16:12 le monde" de Christelle Rebière qui sera consacrée au sujet.
16:16 Mais François Mollens a peut-être quelque chose à dire là-dessus.
16:20 Alors, première question, indépendance de la Justice sans tomber dans une république
16:25 des juges ?
16:26 Écoutez, on vit dans une démocratie dans laquelle il y a un pouvoir exécutif, un pouvoir
16:31 législatif, un pouvoir judiciaire qui dans notre constitution est appelé autorité judiciaire.
16:36 Il faut, je pense, bien sûr, la république des juges, bon, il ne faut bien sûr pas tomber
16:45 là-dedans.
16:46 Chacun doit rester à sa place, j'allais dire, dans le cadre des relations entre la
16:48 justice et le politique.
16:50 Il faut, j'allais dire, travailler chacun à sa place, dans le respect des autres, mais
16:54 pas dans la connivence.
16:55 Chacun a des compétences à exercer.
16:56 Oui, ça c'est des mots, mais de plus en plus on l'entend.
16:59 Vous l'écrivez d'ailleurs, les rapports politique-justice ne sont aujourd'hui pas
17:06 bons.
17:07 Quand vous entendez "les juges sont politisés", le Conseil constitutionnel fait un coup d'état
17:11 de droit sur la décision sur la loi immigration, ou encore c'est le gouvernement des juges,
17:15 ou encore ce qu'on a entendu à l'aune des affaires Dupont-Moretti et autres ministres
17:19 mis en cause qui ont finalement été relaxés.
17:22 Oui, mais les juges en font trop.
17:23 Qu'est-ce que vous répondez à ça ?
17:24 Écoutez, les juges, déjà, ils appliquent la loi.
17:27 La loi qu'ils appliquent, alors, pour ce que vous évoquez sur le Conseil constitutionnel,
17:32 c'est quelque chose de différent.
17:33 Le Conseil constitutionnel, il est justement là pour veiller à l'état de droit et à
17:37 la constitutionnalité des lois qui sont votées.
17:39 Donc quand il fait ça…
17:40 Oui, mais c'est une mise en cause généralisée de toutes les institutions de notre pays,
17:43 c'est ça qu'on entend.
17:44 C'est une mise en cause qui existe en France, mais aussi largement à l'extérieur et
17:47 qui, je pense, est aussi dans l'ordre des choses.
17:49 Il ne faut pas s'arrêter là.
17:50 Moi, je pense que…
17:51 Mais ça vous inquiète profondément ?
17:52 Oui, parce que ça revient en réalité à remettre en cause la légitimité du travail
17:57 du juge, qui ne devrait pas être remise en cause de cette façon, parce que le juge,
18:02 tant qu'il applique la loi et qu'il fait son travail normalement, il est dans son rôle
18:06 et le politique devrait l'accepter.
18:08 Je dis dans le livre que les choses se sont effectivement dégradées parce que le parquet,
18:13 en réalité, qui devrait avoir plus d'indépendance, notamment à travers une réforme du statut
18:17 qu'on nous promet depuis 30 ans, qui n'est toujours pas là, le parquet, il ne doit pas
18:21 être indépendant pour la politique pénale.
18:23 Il doit appliquer les directives politiques pénales du gouvernement.
18:25 Mais pour la gestion des affaires individuelles, il faut qu'il soit indépendant et impartial.
18:29 Il faut qu'il fasse son travail.
18:31 Et je pense que pour moi, il est évident que la démocratie, aujourd'hui, elle a besoin
18:37 d'une justice qui soit forte et indépendante.
18:39 Elle a besoin d'un parquet qui soit indépendant et impartial dans la conduite des affaires
18:43 individuelles.
18:44 Je lisais récemment dans Le Monde un sondage qui disait que 68% des Français ne sont pas
18:49 satisfaits des conditions de fonctionnement de notre démocratie.
18:52 Mais ça passe aussi par le fonctionnement de la justice.
18:54 La justice, elle doit, j'allais dire, assumer un son rôle tout en restant à sa place.
18:58 Vous racontez d'ailleurs très bien dans le livre, depuis le début, depuis vos débuts
19:02 à 46 ans à Carcassonne, combien vous avez été confronté à l'imbrigation du politique
19:08 et de la justice.
19:09 Ça d'ailleurs, vous racontez comment ça a fait tomber vos idéaux d'adolescent
19:12 ou vous pensiez que la justice était indépendante.
19:14 Quand vous êtes gamin, enfin dans votre jeunesse, on vous demande de classer une affaire parce
19:19 qu'elle implique un agriculteur influent de Carcassonne.
19:22 Et la mort dans l'âme, vous classez l'affaire alors que clairement il y avait un sujet.
19:26 Plus tard, vous racontez vos convocations à l'Elysée sous l'affaire Tapie où Nicolas
19:30 Sarkozy veut en savoir plus sur l'enquête.
19:32 Vous parlez de l'affaire Cahuzac aussi sous Hollande, il y en a pour tous les goûts.
19:35 Mais vous racontez clairement que vous avez été confronté à quoi d'ailleurs ? C'est
19:39 quoi le mot ? Une volonté de vous museler, de taire les faits, de les arranger ? Vous
19:43 vous demandez quoi ? Est-ce que vous avez subi clairement des pressions politiques ?
19:45 Alors les pressions, de toute façon au début clairement, dans l'affaire que j'évoque,
19:49 je classe ensuite clairement.
19:51 Après il y a des pressions qui sont plus implicites que directes mais qu'on comprend
19:57 très bien.
19:58 Je pense que derrière tout ça, il y a une gêne du pouvoir politique qui voudrait en
20:03 réalité que les procureurs qu'il a nommés, en réalité les protègent contre les aléas
20:09 des affaires dans lesquelles ils peuvent être impliqués.
20:11 Je pense qu'il y a un certain nombre de politiques qui n'arrivent pas à se départir de cette
20:15 idée.
20:16 Le problème c'est que les procureurs ne sont pas là pour protéger les politiques,
20:20 les procureurs sont là pour faire leur travail.
20:22 Assurer, j'allais dire, l'égalité de tous devant la loi, personne ne doit être
20:27 au-dessus des lois et les procureurs sont là effectivement pour diriger des enquêtes
20:31 et faire leur travail en toute impartialité et toute indépendance.
20:33 Et c'est ça, je pense que j'essaie d'expliquer dans le livre et c'est ça effectivement
20:38 ce qu'il faut, j'allais dire, porter parce que dans une démocratie c'est ça qui
20:43 doit être l'apanage de la justice, arriver effectivement à cette égalité de tous
20:48 devant la loi.
20:49 Un mot sur l'affaire qui vous a concerné personnellement, l'affaire Dupont-Moretti,
20:52 le ministre de la Justice a été relaxé par la Cour de Justice de la République en
20:57 novembre dernier pour l'affaire de prise illégale d'intérêt qui le concernait.
21:01 Eric Dupont-Moretti, vous considérez responsable du déclenchement de cette affaire, le procès
21:07 a été l'occasion de règlement de compte entre vous et lui, Eric Dupont-Moretti déclarant
21:11 notamment à l'audience « depuis le début, M.
21:14 Molens m'a savonné la planche et même à la retraite il continue, il critique, il
21:18 ramène son tweet, je ne sais pas qui est le plus revanchard des deux ». Vous vous
21:23 en défendez dans le livre mais le garde des Sceaux a-t-il totalement tort d'imaginer
21:27 que vous n'avez jamais supporté sa nomination, lui l'avocat au ministère de la Justice ?
21:33 Écoutez, moi je n'avais aucun compte à régler dans cette histoire, je ne connaissais
21:37 pas M.
21:38 Dupont-Moretti, je n'avais jamais eu d'affaire contre lui, donc effectivement, je le dis
21:42 dans le livre, j'étais surpris de la nomination, je le dis franchement, il faut l'assumer.
21:46 Mais après, j'ai assumé mon rôle, c'est pas moi qui suis venu porter plainte devant
21:53 la Cour de Justice de la République, c'est pas moi qui ai inventé un problème qui était
21:59 bien réel, puisque je rappelle quand même que derrière le jugement de Relax, la Cour
22:03 de Justice dit que l'ensemble des éléments de l'infraction sont réunis et qu'il manque
22:08 simplement l'intention, c'est pas moi qui ai inventé tout ça.
22:11 Moi j'étais dans une mission institutionnelle que j'ai assumée et j'ai exécuté le feu
22:17 vert qui m'a été donné par la commission d'avocat.
22:18 Il a tort d'imaginer que vous vouliez une revanche ou régler des comptes avec lui ou
22:24 peut-être son poste ?
22:25 Non, non, certainement pas.
22:27 J'ai pas cette ambition, j'ai certainement, je le dis aussi dans le livre "Eulotor",
22:31 dans tout ça, de ne pas tordre le cou, beaucoup plus tôt à ces rumeurs qui voulaient faire
22:35 de moi un ministre.
22:36 On m'avait aussi bombardé ministre de l'Intérieur en 2018.
22:39 Vous n'avez jamais voulu ?
22:40 Non, franchement, je pense quelque part j'ai été flatté, c'est pour ça que j'ai rien
22:45 dit et j'ai peut-être par mon silence contribué à entretenir et à faire gonfler cette rumeur.
22:53 Je n'ai pas d'ambition politique, je n'en ai pas.
22:56 Aujourd'hui, je dois être retraité, je continue à servir et à m'engager, mais
23:01 autrement et dans des choses tout à fait différentes de la politique.
23:04 Et d'ailleurs, vous parlez aussi dans le livre de votre vie personnelle, vous rendez
23:07 hommage à votre femme et à vos enfants, vos enfants qui ont souffert, vous racontez
23:11 ça, c'est assez étonnant, qui ont souffert de vos affectations, notamment votre fils
23:15 qui a fait une dépression en Corse quand il a été muté.
23:17 Vous avez dû le ramener sur le continent.
23:19 Là aussi, vous vous livrez dans ce livre de manière assez étonnante venant de vous.
23:22 Oui, parce que je disais que je fais partie de ces générations pour qui le métier a
23:29 un côté un peu sacerdotal.
23:30 Et c'est vrai que j'ai beaucoup sacrifié durant ces 46 ans à mon métier, ce qui
23:38 me fait que j'étais peut-être un père et un mari par intermittence.
23:42 Merci François Melins d'avoir été à notre micro au nom du peuple français.
23:47 Vos mémoires publiées chez Flammarion en librairie après-demain.
23:52 Merci encore, il est 8h48.

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