Les 4V - Anne Nivat

  • il y a 7 mois
C’était l’ennemi public en Russie… Alexeï Navalny s’est éteint à l’âge de 47 ans, dans une prison de l’Arctique « dans des conditions extrêmement mystérieuses ». Le principal opposant politique de Vladimir Poutine a passé 1124 jours derrière les barreaux. Un décès prématuré qui questionne le grand reporter de guerre qu’est Anne Nivat. Pour la journaliste, ce drame marque une rupture : « C’est la fin d’une époque. C’est-à-dire qu’il y aura un avant et un après Alexeï Navalny […] il a complètement modernisé, transformé la façon d’être un homme politique en Russie et un homme politique d’opposition » explique notre invitée. Pour faire tomber le gouvernement Poutine, cet avocat russe n’a pas hésité à faire campagne dans la rue dans plus de 40 départements et à utiliser les réseaux sociaux pour prôner ce qu’il appelait « le vote intelligent ». Empêché de se présenter à la dernière élection présidentielle en tant que candidat, ce dernier avait appelé ses compatriotes à porter leurs voix sur les adversaires de Poutine, quels qu’ils soient. En parallèle, ce dernier avait initié les débats sur la politique intérieure depuis le début de la guerre en Ukraine. Malgré la violence du gouvernement à son égard et une tentative d’empoisonnement, le fondateur de la Fondation anti-corruption ne désertera jamais le pays. Soutenu par son épouse, peut-elle prendre sa succession en jouant à son tour un rôle d’opposante ? Jugée plus radicale que son mari, cette dernière devrait poursuivre le combat. Elle était d’ailleurs à Munich pour animer une conférence sur la sécurité à laquelle participaient des Européens et des Américains. Et Yulia Navalnaya n’a pas hésité à rappeler la responsabilité de Vladimir Poutine dans la mort de son époux. « Il est extrêmement difficile aujourd’hui de s’opposer à Vladimir Poutine. Encore plus depuis la guerre qui a tout changé. Depuis qu’il est au pouvoir c'est-à-dire depuis plus de 20 ans, on a eu le droit à une évolution vers toujours davantage de restrictions du point de vue de l’expression politique. Mais aujourd’hui, ça dépasse l’entendement » alerte Anne Nivat. Soumis au silence dans un climat de terreur, aucun Russe ne pourrait prendre la parole sans s’attirer les foudres du gouvernement et se voir jeter en prison pour de nombreuses années. « Les gens se taisent mais ça ne veut pas dire qu’ils n’en pensent pas moins. Ils n’ont plus le droit de parler. C’est volontaire, on les empêche de parler » poursuit-elle. Depuis l’annonce de la mort de Navalny, quelques centaines de militants ont osé déposer une rose en son honneur « mais ce ne sont pas des manifestations ». 


Mort de Navalny : la réponse des Occidentaux


Alors que le décès d’Alexeï Navalny accuse une tempête médiatique, quelle doit être la réaction des Occidentaux ? Certains estiment qu’il faille prendre de nouvelles mesures, de nouvelles sanctions contre la Russie. Outre-Atlantique, Joe Biden a réagi à cette annonce bouleversante. Le président américain a immédiatement pointé du doigt Vladimir Poutine bien qu’il n’est pas clairement parlé d’assassinat. Et même cette grande puissance demeure impuissante face à l’oppression russe. De son côté, Emmanuel Macron s’est livré à une charge violente parlant même de « volonté d’agression » notamment à l’égard des Européens. Une escalade supplémentaire en faveur de la guerre ? Pour Anne Nivat, le discours du président de la République marque une nouvelle rupture avec la Russie. D’autant plus que ce dernier recevait à l’Élysée, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. « Dans ce discours, Emmanuel Macron a eu des mots très forts pour signifier à Vladimir Poutine que l’Europe répondrait et ne se laisserait pas faire et ça c’est nouveau dans le discours d’Emmanuel Macron qui disait encore jusqu’en décembre 2022 qu’il fallait dialoguer avec la Russie. Il a complètement changé de discours » observe notre invitée.
De passage à Paris, Volodymyr Zelensky continue de solliciter l’aide de ses homologues européens. Et le chef de guerre est parvenu à obtenir des finances supplémentaires à hauteur de trois milliards d’euros grâce au nouveau pacte franco-ukrainien signé avec Emmanuel Macron ce vendredi 16 février 2024. Une nouvelle aide militaire qui devrait changer la donne sur le front de guerre. Sur le terrain, les Russes ont repris l’offensive sur Avdiivka, ce qui a contraint les soldats ukrainiens à se retirer de la ville. « Ça ne veut pas dire que l’armée russe gagne la guerre. Ça veut simplement dire que ce front est bloqué et que si on veut le débloquer, il faut que l’Ukraine ait les moyens de se défendre » explique la spécialiste de la Russie qui publie « La Haine et le déni », une enquête passionnante sur cette guerre aux portes de l’Europe. 

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Transcript
00:00 Bonjour Anne Nivar, reporter de guerre, spécialiste de la Russie, merci d'être avec nous.
00:05 Alexei Navalny, 47 ans, 1124 jours derrière les barreaux de prison russes, avez-vous été surprise par son décès ?
00:16 Bonjour Anne. Non, pas vraiment malheureusement, même si j'ai été choquée, émue.
00:23 Bien sûr qu'Alexei Navalny lui-même pensait à sa mort en tant qu'opposant politique numéro un à Vladimir Poutine,
00:30 il l'avait même évoqué à plusieurs reprises dans certains interviews, mais là tout le monde a été pris de court.
00:36 Et on a eu des explications qui sont extrêmement mystérieuses et qui peuvent être remises en question par l'administration pénitentiaire.
00:44 Pour le moment on ne sait que ce qu'ils ont dit.
00:47 Vous me disiez tout à l'heure, c'est la fin d'une époque, ça veut dire quoi ?
00:51 Ah ça c'est très important, ça veut dire qu'il y aura un avant et un après Alexei Navalny.
00:56 Parce que Alexei Navalny a complètement modernisé, transformé la façon d'être un homme politique en Russie et un homme politique d'opposition.
01:06 Et c'est justement la raison pour laquelle il a été le gêneur.
01:10 Alexei Navalny a eu des méthodes innovantes, très innovantes de politique.
01:15 Il a été faire de la politique dans la rue, il a utilisé les médias sociaux,
01:19 il avait des bureaux dans plus de 40 régions de la Fédération de Russie.
01:23 Il a fait tout ce qu'il pouvait pour rester en opposition au pouvoir.
01:28 Par exemple prôner le vote intelligent.
01:30 Le vote intelligent pour lui c'était de voter, puisque lui on l'empêchait de se présenter à la dernière présidentielle russe.
01:36 Il n'a pas pu se présenter en tant que candidat.
01:38 Donc il disait il faut voter pour n'importe quel candidat sauf Vladimir Poutine.
01:42 Vous disiez, lui il était revenu, c'était un opposant de l'intérieur, c'était aussi ça sa force et son choix ?
01:48 Tout à fait. Il y a un immense débat parmi les Russes aujourd'hui,
01:53 surtout depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie,
01:58 c'est-à-dire depuis le 24 février 2022, pratiquement deux ans,
02:01 un débat sur l'intérieur et l'extérieur.
02:05 Est-ce que quand on est un opposant au régime de Vladimir Poutine,
02:08 on doit rester en Russie pour avoir plus de crédibilité, plus d'impact, plus de légitimité
02:13 et se sentir davantage utile, ou est-ce qu'on peut être un opposant de l'extérieur ?
02:18 Donc il y a une opposition à l'extérieur en exil et il y a une opposition à l'intérieur.
02:22 Lui avait fait son choix.
02:24 Quel courage ! Il était rentré après avoir été empoisonné au début de l'année 2021,
02:29 sans doute sachant qu'il allait être arrêté.
02:32 Il a été arrêté en rentrant à l'aéroport, il était accompagné de son épouse.
02:36 Justement, est-ce qu'elle peut avoir un rôle, elle aussi, d'opposante aujourd'hui,
02:41 prendre finalement sa succession ?
02:43 D'aucuns le disent, parce que quand il est rentré,
02:45 et que justement lui n'a pas pu sortir de l'aéroport, qu'il a été arrêté,
02:49 elle est sortie de l'aéroport, Yulia Navalny, elle a été acclamée par la foule.
02:53 Et il disait d'ailleurs d'elle, ma femme est plus radicale que moi.
02:56 Et elle a dit depuis, elle l'a toujours dit,
02:59 il n'a pas peur, en parlant de son mari, je n'ai pas peur,
03:02 et nous souhaitions que vous n'ayez pas peur, vous, le peuple russe,
03:05 ceux qui sont dans l'opposition.
03:07 Et elle était hier à Munich, dans une conférence sur la sécurité,
03:12 à laquelle participaient des Américains et des Européens,
03:15 et elle a parlé.
03:16 Elle a tout de suite mis en cause Vladimir Poutine de toute façon.
03:18 Oui, elle a dit qu'il était responsable,
03:20 mais vous vous rendez compte, cette femme vient de recevoir
03:22 l'information selon laquelle son mari est mort,
03:24 elle a d'abord dit qu'elle n'y croyait pas,
03:25 et puis tout de suite elle a eu un discours politique.
03:27 Est-ce que la population russe,
03:30 elle n'est pas en état aujourd'hui de s'opposer à Vladimir Poutine ?
03:34 Ah, il est extrêmement difficile de s'opposer aujourd'hui,
03:37 en Russie, à Vladimir Poutine.
03:39 Encore plus depuis la guerre.
03:42 La guerre a tout changé.
03:43 Depuis que Vladimir Poutine est au pouvoir,
03:45 c'est-à-dire depuis plus de 20 ans,
03:47 en fait, quand on y réfléchit, on a eu droit à une évolution
03:52 vers toujours davantage de restrictions
03:54 du point de vue de l'expression politique.
03:56 Mais aujourd'hui, ça dépasse l'entendement, Anne.
03:58 Ça dépasse véritablement l'entendement.
04:00 C'est-à-dire que plus personne ne peut s'exprimer publiquement
04:04 contre la guerre, contre Vladimir Poutine, contre l'armée russe.
04:08 Si quelqu'un le fait,
04:10 il peut être emprisonné pour de nombreuses années.
04:13 Donc les gens se taisent.
04:15 Ils se taisent.
04:16 Ça ne veut pas dire qu'ils n'en pensent pas moins.
04:18 Mais ils n'ont plus le droit de parler.
04:20 Et ça, c'est volontaire.
04:21 On les empêche de parler.
04:22 Alors là, il y a, depuis la mort de Vladimir Poutine hier,
04:24 des personnes, plusieurs centaines de personnes à Moscou et ailleurs,
04:27 qui déposent une rose en son honneur, des condoléances.
04:31 Mais ce ne sont pas des manifestations.
04:33 Quelles doivent être les réactions des Occidentaux ?
04:35 Est-ce qu'il faut prendre de nouvelles mesures,
04:37 de nouvelles sanctions contre la Russie ?
04:38 Est-ce que c'est utile ?
04:40 Écoutez, Joe Biden, le président américain, lui-même, hier,
04:44 a réagi à l'annonce de la mort d'Alexei Navalny.
04:48 Et il a pointé immédiatement le doigt sur Vladimir Poutine.
04:53 Alors, il n'a pas prononcé le mot d'assassinat.
04:55 Mais il a dit la responsabilité de la disparition
04:59 de l'opposant numéro un à Vladimir Poutine, Alexei Navalny,
05:01 repose sur les épaules de Vladimir Poutine.
05:04 Et il a tout de suite ajouté, que peut-on faire de plus ?
05:07 Effectivement, a dit Joe Biden,
05:09 nous sommes déjà dans un énième paquet de sanctions.
05:13 Il est difficile de faire quoi que ce soit de plus.
05:16 On a entendu les mots d'Emmanuel Macron hier,
05:18 qui s'est quand même livré à une charge violente,
05:20 parlant de volonté d'agression, notamment à l'égard des Européens.
05:24 Est-ce qu'on est dans une escalade ?
05:25 Est-ce qu'on va vers la guerre ?
05:27 Alors, effectivement, Emmanuel Macron, hier, s'est démarqué.
05:30 Il a eu un discours qui était un peu plus direct
05:36 par rapport à ce qu'est en train de faire Vladimir Poutine.
05:40 Et c'est nouveau de la part d'Emmanuel Macron.
05:43 Je rappelle qu'hier, Emmanuel Macron recevait à Paris
05:47 le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.
05:49 Et en quelque sorte, vous savez, il y a parfois deux actualités,
05:52 ce télescope, ça n'est pas voulu.
05:54 Voilà, effectivement, ça n'est pas voulu.
05:56 Donc, Emmanuel Macron, le discours qu'a prononcé Emmanuel Macron
05:59 était déjà préparé.
06:00 Ce n'est pas un discours qui était en réaction
06:03 à la mort d'Alexei Navalny.
06:05 Et dans ce discours, Emmanuel Macron, effectivement,
06:07 a eu des mots très forts pour signifier à Vladimir Poutine
06:12 que l'Europe répondrait, que l'Europe ne se laisserait pas faire.
06:16 Et ça, c'est encore plus...
06:19 C'est nouveau dans le discours d'Emmanuel Macron,
06:21 qui, je le rappelle, jusqu'à décembre 2022,
06:23 disait encore qu'il fallait dialoguer avec la Russie.
06:26 Il a complètement changé de discours à partir de la fin 2022.
06:29 Et aujourd'hui, à partir de début 2024,
06:32 son discours est encore différent.
06:34 Mais vous savez, ce n'est pas parce qu'Emmanuel Macron
06:37 change de discours que Vladimir Poutine va l'écouter.
06:40 Ça, c'est une autre question.
06:41 Est-ce que pour l'Europe, le seul moyen, finalement,
06:43 de s'opposer à Poutine, c'est que l'Ukraine gagne la guerre ?
06:48 Mais bien évidemment.
06:49 L'Europe souhaite que Volodymyr Zelensky gagne la guerre,
06:53 que l'Ukraine gagne la guerre.
06:56 Mais ce n'est pas parce que l'Europe le souhaite
06:58 que cela va se produire.
06:59 C'est-à-dire qu'il faut cesser avec de la rhétorique de part et d'autre.
07:05 Si l'on veut que l'Ukraine gagne la guerre,
07:08 il faut l'aider activement.
07:10 Justement, hier...
07:11 C'est ce que dit le président Zelensky.
07:13 Et c'est ce qu'il dit depuis deux ans.
07:14 Et parfois, on l'a senti un peu agacé du fait que l'Europe
07:17 n'aidait pas forcément autant qu'il aurait cru qu'elle puisse aider.
07:23 Justement, hier, il y a eu un accord de sécurité signé
07:27 entre l'aide de Berlin et l'aide de Paris.
07:30 On a à peu près une dizaine de milliards d'euros d'aide.
07:33 Il y a là aussi urgence sur le terrain.
07:36 Ça suffit ? Ça ne suffit pas ?
07:38 Qu'est-ce que vous dites sur cette aide ?
07:40 Mais non, rien ne suffit.
07:41 Rien ne suffit, Anne, parce que de toute façon,
07:44 une fois de plus, ce n'est pas nous, Européens,
07:47 ou nous, journalistes dans le confort de nos studios,
07:49 qui allons changer le cours de la guerre,
07:51 ni nos politiques européennes qui font leur discours.
07:54 Ce qui va changer le cours de la guerre,
07:56 c'est ce qui se passe sur le terrain, sur le front.
07:59 Et sur le front, dans la nuit d'hier à aujourd'hui,
08:01 ce sont pour le moment les Russes qui ont repris l'offensive sur Avdivka.
08:08 Exactement, mais ça dure depuis très longtemps.
08:09 Mais ils n'ont pas gagné la guerre.
08:10 Juste pour rappel, cette nuit, l'armée ukrainienne a annoncé
08:13 qu'elle se retirait de la ville d'Avdivka, dans l'est de l'Ukraine,
08:17 après des mois et des mois de combats.
08:19 Donc, ça ne veut pas dire que l'armée russe gagne la guerre.
08:23 Ça veut dire simplement que ce front est bloqué
08:25 et que si on veut le débloquer,
08:27 il faut évidemment que l'Ukraine ait les moyens de se défendre.
08:30 Pour le moment, l'Ukraine estime qu'elle ne les a pas encore assez
08:34 par rapport à la force de frappe côté russe.
08:38 L'aide doit venir aussi des États-Unis,
08:40 où pour l'instant, c'est totalement bloqué.
08:42 L'aide doit venir également des États-Unis.
08:44 Et le discours de Joe Biden hier au Cadge France,
08:47 tout à l'heure, quand il a parlé de la mort de Navalny,
08:49 il en a profité pour dire que l'histoire, avec un grand H,
08:53 était en train de regarder ce qui allait se passer
08:55 à la Chambre des représentants,
08:56 puisque, comme vous le savez, le Sénat, la Chambre haute,
08:59 a voté l'aide à l'Ukraine, l'aide américaine à l'Ukraine,
09:03 alors que la Chambre des représentants,
09:05 qui est dominée par les Républicains,
09:07 ne l'a pas encore votée.
09:09 Donc, l'Ukraine se trouve à la croisée des chemins.
09:12 Rien n'est encore réglé aujourd'hui dans la guerre
09:15 qui oppose la Russie et l'Ukraine.
09:17 Et l'Europe ne doit rien lâcher ?
09:19 L'Europe doit continuer à agir, agir plutôt que parler.
09:23 Merci, Anne Iva, je précise que vous sortez un livre,
09:26 "La haine et le déni aux éditions flammariantes".
09:29 Sur cette guerre, absolument, dans quelques semaines.
09:31 Merci.
09:31 Merci beaucoup, Anne Iva, grand reporter.

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