Élue députée européenne pour la première fois en 2019, Leïla Chaibi (La Gauche), dresse un bilan sans concession des institutions européennes, très éloignées de ses pratiques de militante de terrain qui privilégiait les actions spectaculaires.
Labyrinthes technocratiques, toute puissance des lobbies, machine à dépolitiser, luttes d'influence dignes de Game of Thrones... Leïla Chaibi explique dans un livre les multiples obstacles qu'elle a dû franchir pour tenter de faire avancer ses combats, notamment celui sur statut des salariés des plateformes.
Une plongée salutaire dans l'univers impitoyable des institutions européennes.
Labyrinthes technocratiques, toute puissance des lobbies, machine à dépolitiser, luttes d'influence dignes de Game of Thrones... Leïla Chaibi explique dans un livre les multiples obstacles qu'elle a dû franchir pour tenter de faire avancer ses combats, notamment celui sur statut des salariés des plateformes.
Une plongée salutaire dans l'univers impitoyable des institutions européennes.
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00:00 Léla Chéby, bonjour. – Bonjour Jean-Jacques.
00:02 – Vous êtes députée européenne du groupe La Gauche,
00:04 je le rappelle c'est votre premier mandat au Parlement européen,
00:08 et vous venez d'écrire un livre sur votre expérience
00:12 dans cet univers impitoyable des institutions européennes,
00:16 on va le dire comme ça, qui s'appelle "Député pirate
00:19 ou comment j'ai infiltré la machine européenne".
00:22 Alors on s'attend à un scénario à la Red Sparrow ou au Official Secrets,
00:25 on se dit "ah, Catherine Hagan est parmi nous, elle est dans les institutions européennes".
00:31 Il faut dire Léla Chéby que vos premières actions militantes,
00:35 vos premiers engagements,
00:36 ne ressemblaient pas exactement à ce qui se passe ici,
00:38 c'était des actions extrêmement directes,
00:41 extrêmement liées à des questions très précises,
00:43 très concrètes sur lesquelles vous interveniez,
00:46 et là ce n'est pas le genre de la maison.
00:50 Quand vous y avez mis, et vous le dites dans le livre,
00:53 les pieds pour la première fois, ça a été un choc.
00:55 C'est vrai, moi j'arrive au Parlement européen,
00:58 c'est mon premier mandat, c'est la première fois que je suis élue,
01:01 je milite depuis un certain temps,
01:03 je suis engagée en politique depuis un certain temps avant d'arriver là,
01:05 et j'ai commencé mon engagement sur les questions de précarité,
01:08 droits au logement,
01:09 avec des formes de mobilisation qui sortaient un peu de l'ordinaire,
01:12 ou pour se faire entendre, on utilisait des actions coup de poing,
01:16 qui sortaient des codes traditionnels du mouvement social,
01:19 et donc quand j'arrive au Parlement européen,
01:22 d'abord je me sens noyée dans une énorme machine,
01:27 à laquelle je ne comprends pas grand-chose,
01:28 dans un costume qui est trop grand pour moi, le costume de députée.
01:32 J'ai l'impression à la fois d'être à Disneyland avec des moyens immenses,
01:37 alors on vous explique de l'indemnité de député,
01:41 aux différentes enveloppes mises à la disposition,
01:43 on est dans un endroit immense, le Parlement européen,
01:45 où on ne se retrouve pas, mais dans tous les sens du terme,
01:47 c'est-à-dire physiquement dans les couloirs,
01:48 il faut trois mois pour arriver à repérer son bureau.
01:50 - Il y a l'ambiance que vous trouvez bizarre en même temps.
01:53 - Oui, c'est ça, et d'un autre côté, on a l'impression,
01:56 on se rend compte vite fait qu'on veut nous transformer
01:58 en espèce de fonctionnaire européen,
02:00 où il y a cette courtoisie, des honneurs,
02:03 mais aussi un mode de fonctionnement,
02:04 - Ambiance friterée.
02:05 - qui est très loin de la conflictualité
02:07 que par exemple on peut trouver à l'Assemblée nationale en France,
02:10 c'est l'endroit du compromis,
02:12 et rapidement en fait je me rends compte que,
02:14 si je veux arriver à représenter ceux qui m'ont élue,
02:17 je vais devoir sortir de la place dans laquelle on voudrait vaciller.
02:21 - C'est ça.
02:22 On va parler évidemment des actions que vous avez menées,
02:26 notamment à propos des travailleurs des plateformes,
02:30 et puis il faut dire une chose,
02:31 c'est que ces institutions européennes
02:33 dont on a l'occasion de parler ici,
02:35 souvent sont des institutions complexes,
02:38 on met un temps fou pour réussir à obtenir parfois pas grand chose,
02:43 il y a des passages permanents entre les commissions,
02:48 la Commission européenne, le Parlement européen,
02:52 le Conseil européen, les experts qui interviennent,
02:55 ça peut durer des semaines, ça peut durer des mois, des années même parfois,
02:58 pour encore une fois au bout du compte, pas obtenir grand chose.
03:02 On a l'impression que tout ce système est fait
03:03 pour que ça ne corresponde pas à ce dont on aurait besoin en urgence.
03:08 - Oui, pour tourner en rond,
03:10 et aussi on a l'impression que tout est fait finalement
03:12 pour que les citoyens ne s'en mêlent pas,
03:14 parce que finalement ça arrange certains
03:16 que tout se passe comme ça dans l'entre-soi
03:18 de ceux qui ont compris, qui ont suivi.
03:20 Alors on arrive, on est au Parlement européen,
03:22 on élit des gens mais qui n'ont pas le droit d'initiative législative,
03:25 c'est-à-dire que si on veut une proposition de loi, une directive,
03:28 on est obligé de la demander à la Commission,
03:30 et la Commission nous l'envoie, mais elle l'envoie aussi au Conseil,
03:32 et donc on arrive là, là-dedans,
03:34 tout paraît super technocrate,
03:36 le rôle des conseillers juridiques sur chaque dossier,
03:40 qui expliquent que ça, alors là c'est possible, c'est pas possible,
03:42 mais rapidement en fait,
03:44 il y a quelque chose dont je m'aperçois,
03:45 c'est que cette soi-disant technicité,
03:48 c'est justement, ça arrange bien le système,
03:51 et c'est fait pour dépolitiser,
03:53 et pour éloigner les principaux concernés
03:56 de l'Union européenne,
03:58 et pour laisser la place à qui finalement ?
04:00 Au groupe d'intérêt, au lobby,
04:01 aux représentants des multinationales.
04:04 - Et aussi, on est dans un monde qui d'emblée, vous le dites,
04:08 vous impose un consensus en réalité,
04:10 c'est-à-dire qu'il y a des choses qu'il ne faut pas dire,
04:13 et on ne peut pas aller au-delà de certaines conventions,
04:16 effectivement dans la manière d'être, dans la manière de parler,
04:18 dans la manière de s'adresser aux uns et aux autres,
04:21 et tout ça c'est une certaine manière,
04:23 comme vous le dites, une manière de tenir la politique en laisse finalement.
04:28 - Oui, c'est vrai que moi je viens d'un mouvement politique
04:30 où pour moi la conflictualité c'est bien,
04:32 c'est ce qui crée du débat, c'est le débat démocratique,
04:35 c'est ce qui fait que quand on n'est pas d'accord en fait,
04:37 c'est ça qui fait de la politique.
04:38 Et quand on arrive ici, alors déjà il y a quelque chose qui est salutaire,
04:42 c'est qu'il faut le dire,
04:44 il n'y a aucun groupe qui n'a jamais la majorité absolue.
04:47 Et le bon côté c'est que contrairement à l'Assemblée nationale en France,
04:50 où ils n'en ont rien à faire ceux qui ont la majorité absolue,
04:53 la vie d'un groupe en face qui est minoritaire,
04:56 parce que de toute façon leur projet passe,
04:58 quelle que soit la position du groupe minoritaire en face.
05:01 Ici, n'importe quel groupe est obligé de travailler en coalition,
05:05 ne peut pas décider tout seul, le côté positif,
05:08 c'est que quand on a un groupe de l'opposition,
05:10 un groupe minoritaire, on peut donner la marge de manœuvre.
05:12 Le côté négatif, c'est qu'on est en permanence en train d'essayer
05:16 de donner ça contre ça,
05:19 et donc quand on n'a pas une queue au lac vertébrale solide,
05:22 quand on n'a pas des lignes rouges très claires,
05:26 on peut vite se faire bouffer par tout ça.
05:29 – Vous le dites, vous le dites,
05:31 vous dites c'est une machine à dépolitiser l'Institut européen.
05:34 – Tout à fait, on est loin physiquement de nos électeurs,
05:37 des gens qu'on représente, à part les Belges à Bruxelles,
05:40 parce qu'il faut savoir qu'on passe beaucoup plus de temps
05:41 au Parlement de Bruxelles qu'à celui de Strasbourg,
05:44 mais on est très loin.
05:45 – Ce qui est critiqué par beaucoup de députés,
05:47 tous pratiquement sauf les Français.
05:49 – Le seul sujet sur lequel tous les Français sont d'accord.
05:51 – Tous les autres disent "qu'est-ce qu'on vient de faire là,
05:53 avec les fonctionnaires, avec le matériel, etc."
05:56 – C'est ça, une fois par mois pour quatre jours,
05:58 tout est transporté de Strasbourg à Bruxelles,
06:01 et c'est vrai que moi quand j'arrive là-dedans,
06:03 je dis "c'est un peu absurde économiquement, écologiquement",
06:05 tu dis rien sinon tu es une traite à…
06:07 – On en parle pas, c'est un des consensus.
06:08 Alors, heureusement, quand vous arrivez,
06:10 vous allez rencontrer quelques députés atypiques,
06:12 pas tellement finalement,
06:14 vous parlez de quelqu'un qui vous a marqué,
06:16 Micko Alas, le député irlandais,
06:19 qui fait partie du groupe de la gauche quand même,
06:22 que vous connaissez,
06:24 c'est très rare ce genre de député finalement,
06:27 ce genre de figure,
06:28 qui assume d'une certaine manière sa différence,
06:32 y compris dans sa manière d'être, dans sa manière de parler,
06:34 qui n'est pas commune avec les autres.
06:36 – Oui, c'est-à-dire qu'on pourrait se dire,
06:37 contrairement à l'Assemblée nationale en France,
06:39 ici il n'y a pas de dress code,
06:40 il n'y a pas de tenue obligatoire,
06:42 comme à l'Assemblée où vous êtes obligé de venir avec une veste,
06:44 mais il y a des codes qui sont non-dits,
06:46 c'est-à-dire que moi je me rends compte au départ que,
06:48 quand je ne suis pas bien habillée,
06:50 – Vous en parlez.
06:51 – Voilà, il y a tout de suite un mépris qui s'exprime,
06:56 et on vous fait comprendre que vous n'êtes pas à votre place.
06:58 J'arrive dans un environnement où il y a des gens qui,
07:02 pour la première fois, je vois en vrai,
07:04 d'habitude je les vois à la télé sur "Amour, gloire et beauté"
07:07 ou "Les feux de l'amour" avec des brochiques impeccables,
07:10 des tailleurs nickels, ils sont tout droit sortis d'un sitcom,
07:13 d'un feuilleton télévisé, et là ils sont là,
07:17 donc c'est quand même, on voit qu'il faut se fondre dans le moule,
07:20 et voilà, là maintenant j'ai pris l'habitude,
07:22 je suis à Strasbourg, j'ai ma veste,
07:24 parce que c'est plus facile après de faire sa place.
07:25 Mais donc il y en a certains, il y a Mikolas,
07:28 il est juste devant moi dans l'hémicycle, il n'en a rien à faire.
07:31 Il est en thong, short, des bardeurs,
07:36 et lui, il n'en a rien à faire.
07:37 Et c'est vrai qu'il y a ce genre de personnes qui est clairement atypique,
07:43 mais c'est aussi quelque chose qui...
07:46 - Ça correspond aussi à des positions qu'il a qui sont aussi décoiffantes,
07:50 j'allais dire, atypiques.
07:51 Mais bon, rassurez-vous, j'en parlais avec un député tout à l'heure,
07:54 on va être mauvaise langue, mais en même temps il faut bien l'observer,
07:58 d'abord, un, tout le monde n'est pas bien habillé dans cet enceinte,
08:01 c'est rare, mais ça s'est beaucoup amélioré,
08:02 comme je disais tout à l'heure, depuis le Brexit.
08:04 Non mais c'est très méchant, c'est très...
08:06 C'est méchant, mais c'est quand même une observation.
08:09 - Tous les Anglais, ça vit mal.
08:11 Mais c'est vrai que là, on rigole, mais la dimension multiculturelle,
08:15 elle occupe une grande place dans la politique ici.
08:17 Et le fait de travailler avec des nationalités,
08:21 avec 27 pays, 27 nationalités différentes,
08:25 alors ça va des aspects les plus anecdotiques,
08:26 c'est-à-dire que par exemple, le midi,
08:29 il n'y a pas de pause comme à l'Assemblée nationale pour déjeuner.
08:31 S'il fallait en faire une, on la fera à quelle heure ?
08:33 Les Espagnols mangent à 16h, nous à 12h30.
08:35 Les Danois ne mangent pas.
08:36 Mais aussi, ça se ressent dans la façon de négocier.
08:38 Nous, les Français, on tape du poing sur la table quand on négocie,
08:42 c'est notre façon de négocier.
08:44 Un Nordique n'a pas du tout la même façon de négocier.
08:48 Et souvent, les stéréotypes qu'on a sur les nationalités,
08:51 ils sont un peu confirmés dans ce Parlement européen.
08:56 - On va revenir sur votre expérience,
08:58 parce que j'allais dire, dans ce monde-là que vous décrivez,
09:02 comment vous avez réussi, vous, à avancer des points qui vous tenaient à cœur ?
09:07 On parle là du travail que vous avez fait pour la reconnaissance des salariés,
09:12 enfin pas des salariés, des employés, bien sûr, des plateformes,
09:16 Uber, Amazon, etc.
09:19 Racontez-nous un petit peu le chemin que vous avez dû parcourir,
09:22 parce qu'a priori, vous le dites d'ailleurs vous-même,
09:24 ce n'est pas non plus un endroit, j'emploie le mot que vous employez vous,
09:27 on parle des gueux ici vraiment, à proprement parler.
09:29 On parle des gens qui sont au bas de l'échelle sociale.
09:32 Comment vous avez réussi à avancer pour qu'on avance sur cette reconnaissance ?
09:38 - Et c'est vrai qu'en 2019,
09:39 donc quand la Commission européenne donne sa feuille de route sur leur mandature,
09:44 elle dit "on va travailler à une réglementation sur les travailleurs des plateformes",
09:48 de qui on parle,
09:49 livreurs de repas à domicile, chez Deliveroo, les chauffeurs Uber.
09:53 Et à ce moment-là, l'histoire écrite d'avance,
09:56 c'était une directive qui soit,
09:59 comme 90% des lois qui sont faites à l'Union européenne,
10:02 en faveur des lobbies, des plateformes.
10:04 Et qui soit défavorable, qui soit défendre l'ordre établi,
10:08 et qui soit défavorable aux intérêts des travailleurs.
10:12 Ça ne se passe pas comme ça.
10:13 Pourquoi ? Alors les lobbies se disent donc,
10:15 nous de toute façon, on est comme à la maison ici au Parlement européen,
10:18 et là de qui on parle ?
10:19 On parle de gens qui n'ont même pas de syndicat,
10:21 qui n'ont même pas de contrat de travail,
10:22 qui ne peuvent même pas s'organiser, qui sont tout seuls sur leur vélo.
10:25 Donc du coup, ça va être facile, facile.
10:27 Ça, ça ne s'est pas passé comme ça.
10:30 Donc je me rends compte que, pour éviter que les lobbies occupent toute la place,
10:36 eh ben je vais utiliser ma position de députée européenne
10:38 pour créer un contre-lobbying.
10:40 Et je me rends compte, quand je vais à la rencontre des livreurs,
10:43 que ce soit en Espagne, en Italie, en Slovénie, en Allemagne,
10:49 ils racontent tous la même chose.
10:50 Ils parlent des langues différentes, mais ils disent tous
10:52 comment ils sont soumis à la subordination alors qu'ils sont censés être indépendants,
10:57 comment ils se font sanctionner par les plateformes,
10:59 comment leurs temps de pause ne sont pas payés
11:01 alors que c'est un temps à disposition de la plateforme.
11:04 Et je me dis, mais en fait, s'ils avaient tout ce qu'ils se racontaient,
11:07 ils se le racontaient ensemble, ils arrivaient à communiquer ensemble,
11:09 ils prendraient conscience de leur force.
11:11 Et ce n'est pas possible qu'à l'échelle européenne,
11:13 les plateformes, la direction des plateformes,
11:16 les patrons de Deliveroo soient représentés et soient à l'aise
11:19 et au point qu'ils pensent que naturellement ils vont écrire la loi,
11:22 et que ces travailleurs-là ne soient même pas conscients
11:24 qu'ils ont un intérêt collectif à l'échelle internationale.
11:26 Donc j'utilise les lignes budgétaires qui sont à ma disposition
11:29 pour faire venir ces travailleurs où se prennent les décisions,
11:33 au Parlement européen, et puis leur proposer de l'interprétation,
11:36 des interprètes pour discuter entre eux,
11:38 pour que tout d'un coup ils constituent une force qui est primordiale.
11:42 Je me suis rendu compte parce que nous, en tant que députés,
11:44 on arrive à travailler ensemble grâce à l'interprétation.
11:47 Et donc c'est un outil que je mets à disposition des travailleurs.
11:51 Et ensuite ces travailleurs-là, force constituée,
11:53 se confrontent à la Commission européenne quand c'est la Commission qui va décider,
11:58 le Parlement européen quand c'est au Parlement de décider,
12:01 et ils sont en quelque sorte contre lobby.
12:05 - Pour revenir sur le pouvoir des lobbies dont on parle, etc.,
12:08 ça paraît un peu abstrait quand on en parle comme ça alors que c'est très concret.
12:11 Concrètement, c'est quoi pour vous le pouvoir des lobbies ?
12:13 Comment vous le voyez, vous le sentez et vous l'évaluez ?
12:18 - Eh bien justement, depuis que je suis au Parlement européen,
12:20 je me suis rendu compte que c'était tout ça très concret.
12:23 Et que c'est pas juste idéologiquement,
12:25 l'Union européenne est imprégnée de l'idéologie libérale, c'est vrai.
12:28 Mais en fait pourquoi il y a des causes matérielles ?
12:31 Déjà, les lobbies, ils ont un badge, comme nous les badges de députés,
12:36 qui nous permettent de rentrer et sortir du Parlement.
12:40 Ils peuvent rentrer et sortir comme ils veulent dans le Parlement.
12:42 - Et qu'ils les identifient en tant que lobbyistes ?
12:44 - En tant que représentants d'intérêt, les badges marron.
12:47 Un citoyen, s'il veut rentrer dans le Parlement européen,
12:51 il doit se faire accréditer, faire la queue pendant je ne sais pas combien de temps à l'accréditation.
12:55 On lui dit qu'il ne peut pas circuler tout seul dans les couloirs, qu'il doit se faire suivre.
13:00 Le lobbyiste, lui, il rentre comme il veut,
13:02 il sait où sont les bureaux des députés parce qu'il a été assistant parlementaire.
13:06 Il a son bureau juste à côté, dans la rue d'à côté.
13:08 Le Parlement européen a été implanté sur un quartier où il n'y avait rien à la base.
13:11 Ceux qui ont connu Bruxelles à ce moment-là me racontent
13:14 que c'est un quartier populaire, un peu déserté.
13:18 Et puis, ils ont construit un quartier entièrement constitué de lobbies.
13:22 Donc physiquement, ils sont là.
13:24 Et en fait, les décideurs européens, je m'aperçois aussi que s'ils prennent des décisions
13:28 d'une minorité en faveur des lobbies, c'est pour des questions idéologiques, mais pas que.
13:32 C'est parce qu'on prend ces décisions en fonction des gens qu'on a en face de nous pour les prendre.
13:37 Et donc, je me rends compte que plutôt qu'en face d'eux, il n'y ait que les plateformes,
13:41 si on fait intervenir un nouvel acteur qui va faire irruption, les travailleurs en force organisée,
13:46 et bien peut-être que les décisions iront dans le sens des travailleurs.
13:49 Et c'est ce qui se passe.
13:51 – Au bout du compte, disons quand même ce que vous avez obtenu, rappelons-le.
13:56 – Au bout du compte, d'abord, en décembre 2021, la Commission européenne
14:01 propose une directive qui dit que les travailleurs des plateformes doivent être présumés salariés.
14:05 Donc l'inverse de ce que voulaient les plateformes.
14:07 Ensuite, le Parlement européen se positionne pour une position encore plus ambitieuse.
14:12 Il améliore la proposition de la directive.
14:15 L'histoire aurait pu bien finir, malheureusement.
14:17 Donc on a trouvé un accord dans la nuit du 12 au 13 décembre,
14:21 alors on finissait l'écriture du livre avec Cyril Pocréot,
14:25 avec qui on a co-écrit le livre, le rédacteur en chef de Fakir.
14:28 Et dans la nuit du 12 au 13 décembre, au petit matin du 13 décembre, on a un accord.
14:32 Un accord qui améliorerait la situation des travailleurs.
14:35 Ce n'est pas révolutionnaire, c'est un compromis avec le Conseil,
14:37 mais ça va dans le bon sens.
14:40 Tout le monde s'en félicite, de la gauche à la droite,
14:43 y compris les macronistes du Parlement européen.
14:45 L'accord est capoté.
14:47 Qui fait capoter l'accord ?
14:48 Quelques jours après, juste avant Noël, Emmanuel Macron décide de saboter l'accord.
14:55 Malgré le fait que tout le monde le soutenait,
14:57 jusqu'au dernier moment dans cette histoire,
14:59 Emmanuel Macron a défendu les intérêts d'Hubert.
15:01 On n'en a pas parlé, mais moi, dans toute ma bataille qui a duré quatre ans et demi,
15:04 qui est beaucoup trop longue par rapport à l'urgence de la situation des travailleurs,
15:09 beaucoup trop longue, mais à chacune des étapes, depuis le début,
15:12 j'ai vu Emmanuel Macron autant que j'ai vu Hubert.
15:15 Emmanuel Macron, il a vu que dans cette histoire,
15:16 il y avait une convergence idéologique entre lui et Hubert,
15:20 et qu'il y avait un moyen pour lui de casser tout le salariat
15:22 par la porte d'entrée du travail hubérisé.
15:25 Et malheureusement, on a encore des réunions de négociation qui ont repris,
15:28 mais jusqu'au dernier moment, la France mettra toute son énergie à saboter
15:32 ce qui pouvait être une des rares avancées sociales proposées par l'Union européenne.
15:36 La morale de ce que vous dites là, Léa Chéby, c'est...
15:40 Qu'est-ce que peut faire l'élu du peuple, j'allais dire,
15:43 face à cette puissance dont vous parlez,
15:47 et qui même quand on mène un travail comme vous l'amenez,
15:50 et d'autres le mènent à gauche, un travail sérieux pour aboutir à des résultats,
15:55 on se fait saboter au dernier moment, en fait,
15:58 par un chef d'État qui compte dans l'Union européenne
16:00 et qui peut faire revenir le mouvement dans l'autre sens,
16:07 qui peut finir par se poser.
16:09 Est-ce que... Je dis ça, c'est une question très importante
16:12 parce qu'on vote dans quelques mois, bientôt, là, tout de suite,
16:16 pour les députés au Parlement européen, pour les élections européennes.
16:20 Face à cette puissance, est-ce que réellement un élu du peuple,
16:23 un élu comme vous, qui vient du vote direct des citoyens,
16:29 a un pouvoir réel, peut avoir un pouvoir réel ?
16:32 Quel est le bilan que vous tirez, finalement, de cette mandature ?
16:35 – Le bilan, finalement, il est plutôt optimiste, en fait,
16:38 parce que, malgré tout, malgré le fait que je fasse partie d'un groupe minoritaire,
16:44 le plus petit groupe, ici, du Parlement européen,
16:48 malgré le fait que l'histoire paraissait écrite sur les travailleurs des plateformes,
16:52 on n'a pas gagné à la fin à cause de Macron,
16:54 mais sinon, on a réussi à arracher ces victoires auprès de la Commission européenne,
16:59 auprès du Parlement européen, auprès de l'Union européenne de manière générale,
17:05 et alors même qu'on est minoritaire…
17:06 – Et à fédérer les gens, aussi.
17:07 – À fédérer les gens, et justement, à permettre, oui,
17:14 une internationalisation des luttes, en fait, des travailleurs,
17:17 et à permettre de renforcer le rapport de force
17:19 vis-à-vis de ces plateformes-là, en faveur des travailleurs.
17:22 Et ça, ça a été possible, alors même qu'on est très, très, très minoritaire, ici.
17:27 Je sais que les élections européennes,
17:28 c'est l'élection où les gens se déplacent le moins pour aller voter,
17:31 mais souvent, ça m'arrivait de me dire, quand on négociait des textes,
17:34 ou quand on était ici au Parlement, de me dire,
17:36 "mais si on était juste un tout petit peu plus nombreux de notre côté".
17:39 Là, déjà, ce qu'on a réussi à faire,
17:40 on a réussi à trouver de la marge de manœuvre,
17:41 alors même que le cadre est contraint, qu'on est dans une Union européenne libérale,
17:44 où il y a des traités qui sont des carcans, clairement,
17:47 une union construite sur le dogme du marché,
17:50 et malgré tout, on arrive à trouver de la marge de manœuvre.
17:52 Plus que ce qu'on peut trouver, d'ailleurs, sous la Ve République, sous Macron,
17:55 et en l'occurrence, c'est Macron qui s'amode tout à la fin.
17:58 Mais alors, imaginons s'il y avait un peu plus de gens
18:00 qui s'étaient déplacés pour aller voter.
18:02 Si on était un peu plus nombreux, on aurait pu arriver à faire beaucoup plus.
18:05 - Bien sûr, et vice-versa, c'est-à-dire que pour que les gens votent,
18:08 il faut aussi leur dire que ça a un intérêt.
18:09 - Voilà, c'est ça.
18:10 C'est qu'ils ont l'impression que l'Union européenne, c'est loin, c'est éloigné,
18:13 que ce qu'ils font, ce que font les députés, on n'y comprend rien.
18:17 Eh bien, en fait, moi, je leur dis que ça rend service au système, en fait,
18:20 que tout est organisé pour dégoûter les gens de ce qui se passe ici,
18:24 parce que les décisions qui sont prises,
18:25 eh bien, c'est dans l'intérêt d'un certain nombre de gens
18:28 que les citoyens ne s'embellent pas, en fait.
18:30 Mais justement, moi, je leur dis, mêlez-vous-en, mêlez-vous-en.
18:33 Et donc, le 9 juin, allez voter, ça ne prend pas longtemps, mais bon.
18:37 - Merci, Léla Chébi. - Merci.
18:39 - Député Piratou, comment j'ai infiltré la machine européenne ?
18:44 Il ne s'agit pas d'un livre contre l'Europe, encore une fois, c'est clair.
18:46 C'est un livre qui explique ce que vous êtes en train de nous expliquer
18:50 et qui explique aussi les coulisses toxiques réelles de cette institution.
18:55 Merci à vous. Merci à vous qui nous avez suivis.
18:57 À très bientôt. Au revoir.
18:59 [Générique]
19:02 *clic*