2. Au parloir

  • il y a 6 mois
Après avoir reçu un premier courrier, Me Olivia Ronen décide d’aller rencontrer Salah Abdeslam au quartier d’isolement de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Elle ne prévient personne et donc personne ne l’attend. Lorsque le détenu se présente à la porte du parloir, l’avocate sent bien que quelque chose d’important va se jouer. Quand il prend place en face d’elle, Me Olivia Ronen lui pose les mêmes questions qu'à tous les détenus qu'elle rencontre. À ce stade, elle veut savoir ce que Salah Abdeslam, le seul membre encore en vie des commandos terroristes des attentats du 13 novembre 2015, souhaite partager sur lui et sur le dossier. Mais en réalité, le principal pour elle est d’abord d’établir un contact avec celui qui jusqu’ici, n’avait accepté de parler à aucun magistrat et qui ne souhaitait être défendu par aucun avocat. Quel lien va se nouer entre eux ? Dans cette petite pièce qu’est le parloir, l’enjeu au final pour Olivia Ronen est de jauger si oui ou non, elle pourra travailler à la défense de Salah Abdeslam. En tant qu’avocate, Olivia Ronen ne veut pas à tout prix savoir la vérité mais elle souhaite surtout percevoir de la "sincérité" dans les propos du détenu. Va-t-elle obtenir ces éléments ? Lorsqu’elle quitte la prison après un long moment d’entretien, Olivia Ronen est chamboulée. Elle en est sûr, certains éléments de cet entretien lui donnent envie de travailler sur ce dossier. Mais a-t-elle assez de légitimité pour assurer une telle défense, elle qui n’a que quelques années de barreau ? Quel tournant prendra sa carrière si elle accepte ? Me Olivia Ronen raconte cette première rencontre avec Salah Abdeslam et ce jour où elle a décidé d’assurer sa défense au micro de Noémie Schulz, journaliste judiciaire.

Le podcast "Le terroriste" est produit par Europe 1 Studio.

[Le 29 juin 2022, Salah Abdeslam a été condamné par la cour d’assises spéciale de Paris pour sa participation aux attentats terroristes du 13-Novembre 2015. Il n’a pas fait appel. Sa peine, la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, est définitive. Ce podcast n’a donc pas vocation à refaire le procès. Il s’agit de le raconter avec un point de vue inédit, celui de l’avocate de Salah Abdeslam, Me. Olivia Ronen.]

Crédits

Journaliste : Noémie Schulz

Réalisation : Christophe Daviaud avec Clément Ibrahim

Production : Fannie Rascle avec Camille Bichler

Rédaction et diffusion : Lisa Soster

Musique Originale : Sandy Lavallart

Supervision Musicale : The Supervision

Visuel : Sidonie Mangin avec Axelle Maurel
Transcript
00:00 Le 29 juin 2022, Salah Abdeslam a été condamné par la Cour d'Assis spéciale de Paris
00:05 pour sa participation aux attentats terroristes du 13 novembre 2015.
00:09 Il n'a pas fait appel.
00:11 Sa peine, la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, est définitive.
00:17 Ce podcast n'a donc pas vocation à refaire le procès.
00:20 Il s'agit de le raconter avec un point de vue inédit, celui de l'avocate de Salah Abdeslam.
00:27 Nous avons quitté Olivia Ronen à l'entrée du quartier d'isolement de Fleury-Mérogis.
00:31 Elle vient rendre visite à Salah Abdeslam, le seul membre encore en vie des commandos du 13 novembre.
00:36 Il n'est pas encore son client, et donc elle, pas encore son avocate.
00:41 Mais il lui a écrit une lettre.
00:42 Alors elle vient pour le rencontrer. Et le jauger.
00:45 Aura-t-elle envie de travailler avec lui ?
00:47 Un beau dossier, c'est un dossier qui ferait dire à n'importe qui de la vie normale
00:53 "Oh là là, c'est l'enfer, c'est horrible", mais qui fait dire à un avocat pénaliste
00:57 "Waouh, là il va y avoir du boulot, là il va y avoir un vrai défi".
01:04 Voilà, alors après c'est peut-être ambitieux d'essayer de retourner les choses,
01:09 mais voilà, là on a envie de mettre les mains dans le cambouis,
01:13 alors que n'importe qui dans la vie civile préférait détourner les yeux.
01:17 Elle a accepté de nous raconter ce qu'il se passe juste après, quand la porte du parloir s'ouvre.
01:22 C'est la première fois qu'elle se confie sur ce moment précis.
01:26 Je m'appelle Noémie Schultz, vous écoutez Le Terroriste,
01:29 un podcast produit par Europe 1 Studio.
01:31 Épisode 2, au parloir.
01:35 Olivia Ronen a l'habitude de côtoyer des clients radicalisés,
01:42 qui refusent tout contact physique avec une femme.
01:45 Alors pour éviter toute gêne, elle ne tend pas la main à Salah Abdeslam
01:48 quand il pénètre dans le parloir.
01:50 On peut imaginer la surprise du détenu.
01:53 Personne, ni lui, ni les surveillants de la prison, ne s'attendait à une visite ce jour-là.
01:58 Lorsque je le vois la première fois, je n'ai pas d'impression particulière, je crois.
02:01 L'impression, c'est comme on découvre une personne détenue qui nous a désignés.
02:08 Alors là, c'est vrai que le visage était connu,
02:11 donc je savais un peu ce à quoi il pouvait ressembler,
02:15 mais après c'est toujours la découverte d'une personne,
02:19 d'aller rencontrer quelqu'un au parloir pour la première fois.
02:21 En tout cas, j'ai voulu l'appréhender,
02:23 et je l'ai ressenti comme dans n'importe quel dossier,
02:26 où j'arrive en détention et je rencontre quelqu'un pour la première fois.
02:31 Je n'ai pas envie de le décrire parce que je trouve qu'il y a eu beaucoup de voyeurisme
02:35 à propos de Salah Abdeslam,
02:36 et qu'on avait envie de savoir ce qu'il faisait le matin, ce qu'il faisait le soir, etc.
02:43 Je n'ai pas envie de participer à ce mouvement-là, donc je ne le décrirai pas.
02:48 En tout cas, lorsque je me présente à ce parloir et que Salah Abdeslam arrive,
02:52 je me suis mise en tête qu'il fallait que ce soit normal.
02:55 Même si bien sûr que ce n'était pas exactement comme d'habitude,
02:58 parce qu'on ne va pas tous les jours dans le quartier d'isolement,
03:00 parce qu'on ne rencontre pas tous les jours celui qui était considéré comme l'ennemi public numéro 1.
03:05 Bien sûr qu'il y a une dimension un peu particulière,
03:08 mais je me suis efforcée de le considérer comme n'importe quelle autre personne que je pouvais défendre.
03:16 Parce que, je ne sais pas, j'étais convaincue que plus ce serait normal, mieux ça pouvait se passer.
03:23 Au début de nos échanges, comme lors de cette première rencontre avec Salah Abdeslam,
03:28 Olivia Ronen affiche une sorte de distance,
03:30 comme si elle mettait complètement de côté les faits reprochés à l'homme qu'elle s'apprête à rencontrer.
03:35 Ça peut vous surprendre, peut-être même vous choquer.
03:38 Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'à ce moment-là, elle se place sur un plan strictement professionnel.
03:43 Plus tard, vous l'entendrez, la lourdeur, la violence, la noirceur de ce dossier seront pour elle plus durs à porter.
03:50 Quels ont été les premiers mots de Salah Abdeslam ?
03:54 Et les premières questions d'Olivia Ronen ?
03:57 Ces détails resteront entre l'avocate et son possible futur client,
04:01 à l'abri, sous le sceau du secret qui protège leurs échanges.
04:04 C'est ce que dit la loi. Un avocat qui trahirait ce secret s'expose à des sanctions pénales et disciplinaires.
04:11 De toute façon, ce qui m'intéresse, c'est de comprendre ce qui se passe dans la tête d'Olivia Ronen.
04:15 La Olivia Ronen de l'époque.
04:17 Elle débute encore dans le métier et elle vient rencontrer le détenu le plus surveillé de France.
04:22 Un accusé que beaucoup de grands pénalistes aimeraient assister.
04:25 Certains ne s'en cachent pas.
04:27 Même son mentor Thierry Lévy a confié son regret de ne pas avoir été choisi pour défendre Salah Abdeslam.
04:32 Alors, sans trahir de secret, je lui demande ce qui se joue dans un premier entretien comme celui-là.
04:37 Lorsque je rencontre quelqu'un pour la première fois au parloir, je ne parle pas forcément uniquement du dossier.
04:44 J'ai envie de savoir un peu ce qu'il a envie de dire sur lui, sur l'affaire qu'il met en cause,
04:51 sur la position qu'il aimerait pouvoir adopter, si le contact est bon ou pas.
04:57 Après, de mon côté, je n'ai pas d'exigence de vérité envers ceux que j'assiste.
05:02 Je sais que ce n'est pas toujours compréhensible ou en tout cas que ce n'est pas toujours envisagé par le grand public.
05:09 Mais mon rôle d'avocate, je ne le conçois pas comme un rôle d'homme du clergé.
05:15 Je ne suis pas confesseur.
05:18 S'il y a une chose que j'exige, si on peut dire, en tout cas que je demande aux personnes que j'assiste,
05:24 ce n'est pas la vérité, c'est une sincérité du propos.
05:29 Je pense que ce sont deux choses différentes.
05:32 Je ne suis pas là pour essayer de découvrir ce qui s'est réellement passé.
05:36 Je suis là pour essayer de voir si ce qu'il me dit correspond à ce qui existe dans une procédure.
05:43 Et essayer de, si ça ne correspond pas, essayer de lui dire et de le conseiller au mieux
05:50 pour que lui s'en sorte aussi le mieux possible.
05:54 Alors s'en sortir le mieux possible, ça ne veut pas dire faire sortir tous les coupables de prison, c'est formidable.
05:59 Ce n'est pas ça le travail d'avocat.
06:02 C'est d'essayer de faire que sa parole soit entendue et si ça ne tient pas, je lui le dis.
06:07 Parce que ça aussi c'est mon rôle de lui dire "ça ne tient pas, trois secondes".
06:11 Et moi je n'y crois pas. Je devrais être celle qui y croit le plus et je n'y crois pas.
06:15 Donc c'est comme ça qu'on arrive à avancer.
06:18 Mais je ne demande pas à ce qu'on se confesse devant moi.
06:21 Mais donc ça veut dire que le jour de cette première rencontre, Salah Adeslam vous parle ?
06:25 Il me parle, oui. Après je ne vous dirai pas de quoi il me parle.
06:28 Mais si je reste un long moment, c'est qu'on arrive à échanger.
06:33 Oui, on échange.
06:35 J'ai simplement essayé de jauger, comme lui a essayé de le faire j'imagine,
06:39 si on allait pouvoir travailler ensemble.
06:42 Nous sommes toujours dans cette petite pièce, ce parloir du quartier d'isolement
06:46 qui est sans doute placé sur écoute ce matin de septembre 2018.
06:50 Dans quelques minutes, Olivia Ronen va repartir.
06:53 Ça fait une heure que Salah Adeslam et elle se font face.
06:56 Est-ce qu'elle sait déjà qu'elle va accepter de devenir son avocate ?
07:00 Disons que ce jour-là, je me rends compte qu'après la discussion qu'on a eue,
07:08 il y a des choses à défendre et que je pourrais avoir envie de défendre.
07:12 Et une personnalité que je pourrais avoir envie de défendre.
07:16 C'est peut-être beaucoup s'avancer et ce n'était pas irrévocable.
07:21 Ce n'était pas une décision définitive.
07:24 Après, il est vrai que lorsque j'arrive à discuter avec quelqu'un,
07:30 lorsque j'arrive à voir qu'on peut communiquer,
07:35 que j'arrive à voir qu'on se respecte,
07:38 que la parole de l'un est respectée et que la parole de l'autre aussi,
07:41 ce sont des critères qui sont importants.
07:44 C'est un avocat qui est très important.
07:47 C'est un avocat qui est très important.
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