C’était il y a quelques semaines à la Fondation Louis Vuitton, à Paris. Je parcourais l’exposition consacrée au peintre américain d’origine lettonne Mark Rothko quand soudain, ce fut comme une apparition.
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00:00 Elisabeth, vous voulez nous parler d'un caniche ?
00:03 Oui, c'était il y a quelques semaines à la fondation Louis Vuitton à Paris,
00:07 je parcourais l'exposition consacrée au peintre américain d'origine letton Marc Rothko,
00:11 quand soudain, ce fut comme une apparition.
00:13 Là, devant moi, se tenait un caniche royal somptueux.
00:20 Il s'offrait à ma vue tel un monochrome blanc et dufteux, ce n'était pas un chien guide.
00:24 Dès lors, sa présence incongrue mais inratable dans le musée acquérait une dimension ornementale.
00:29 En fait, cette divine créature semblait servir d'accessoire vivant à une visiteuse très apprêtée,
00:34 vêtue d'un impressionnant manteau rose guimauve.
00:37 À un moment donné, le duo femme-caniche s'est arrêté devant l'une des toiles dites « classiques » de Rothko.
00:43 Il s'agit de ces grands tableaux verticaux, les plus représentatifs du travail du peintre à partir des années 50,
00:48 composés de deux ou trois rectangles de couleurs superposées, comme en lévitation,
00:52 sur un fond uni, souvent dans des tons jaunes, rouges, ocres ou oranges.
00:56 La femme guimauve et son chien ont jeté leur dévolu sur une œuvre à trois bandes,
01:00 deux roses et une blanche, magnifiquement assortie au manteau de la première et au pelage du second.
01:05 L'homme qui les escortait les a aussitôt pris en photo.
01:08 Devant l'objectif, les modèles ont pris la pose avec le plus grand sérieux.
01:11 À croire que cette visiteuse était venue juste pour ça, faire des photos,
01:14 pour mettre en valeur sa tenue ou son chien et les poster sur Instagram.
01:17 Oui, enfin, vous êtes durs, ce n'est pas nouveau les gens qui viennent se faire photographier devant des tableaux.
01:22 Même nous, on le fait !
01:23 C'est vrai, enfin, je ne vous juge pas Léa, mais quand même, ce n'est pas nouveau.
01:27 Et oui, j'ai parfois un petit côté Alain Finkielkraut, c'était mieux avant, mais passons.
01:30 Ce qui m'a saisi, c'est de voir à quel point les toiles de Rodco se prêtent idéalement à l'instagramisation de l'art.
01:36 Abstraites, avec des couleurs intenses, même si Rodco refusait d'être considérée comme un coloriste,
01:41 elles offrent un décor parfait pour selfie, encore mieux qu'un des nombreux filtres proposés par la plateforme.
01:46 Les toiles deviennent de simples toiles de fond, de pure surface, sur lesquelles projeter sa propre image.
01:51 On ne voit plus le spirituel dans l'art, pour reprendre la formule de Kandinsky, mais seulement le superficiel.
01:56 Pourtant, ce qui me touche dans les tableaux de Rodco, c'est justement à quel point ils sont une invitation à l'oubli de soi, à la méditation.
02:03 Toujours légèrement tremblées et brumeuses, les nappes de couleurs semblent ouvrir une brèche dans la toile, comme un passage lumineux.
02:09 Elles lui donnent une profondeur qui aspire le regard, le « hap », pour l'entraîner à l'intérieur même de la peinture, dans une autre dimension.
02:16 Rodco écrivait « Le travail du peintre évolue à mesure qu'il avance dans le temps, vers plus de clarté,
02:21 vers l'élimination de tous les obstacles entre le peintre et l'idée, et entre l'idée et le spectateur ».
02:26 Mort en 1970, il n'avait pas imaginé qu'un nouvel obstacle, redoutable, viendrait se dresser entre sa peinture et le spectateur, le téléphone portable.
02:34 Sans vouloir m'ériger en donneuse de leçon, je ne serais trop conseillé au futur visiteur et visiteuse de l'exposition Rodco
02:39 de tenter une expérience un peu folle en 2024, arpenter les salles sans jamais sortir leur smartphone.
02:45 Je donne d'autant moins de leçon qu'évidemment lors de ma visite, j'ai fini par dégainer mon téléphone
02:50 pour photographier la composition parfaite que ferait le duo « Femme-chien et le table-rose ».
02:55 NICOLAS : L'exposition Rodco à la Fondation Louis Vuitton peut se visiter jusqu'au 2 avril.
03:02 Merci Elisabeth et à lundi prochain.