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00:00 - On parle avec le journaliste Laurent Richard, documentariste, directeur de Forbidden Stories.
00:05 Bonjour Laurent Richard, merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation sur France 24.
00:09 Forbidden Stories, donc ce consortium de journalistes dont font partie nos collègues de France 24 et de Radio France Internationale,
00:15 poursuit donc les enquêtes de ces journalistes azerbaïdjanais arrêtés par Bakou en novembre dernier.
00:20 En l'occurrence, il s'agit d'Azbaz Media.
00:23 Qui sont ces journalistes et sur quels motifs ont-ils été arrêtés par l'Azerbaïdjan ?
00:28 - Ce sont les journalistes d'Absas Media, ce sont des jeunes journalistes.
00:31 Ils ont environ une trentaine d'années, voire un peu moins.
00:34 Ils sont très courageux parce qu'ils font là-bas un journalisme que plus personne n'ose pratiquer.
00:39 Parce qu'on sait les risques qu'on encourt quand on est journaliste indépendant en Azerbaïdjan.
00:44 Et donc ces derniers mois, ils ont enquêté sur les business lucratifs d'un ministre,
00:49 sur des faits de corruption dans le Haut-Karabagh par exemple.
00:53 Et aujourd'hui, ils le payent très cher puisque six membres d'Absas, dont cinq journalistes, sont en prison.
00:58 Les arrestations ont commencé au début du mois de décembre.
01:01 Les charges contre eux sont apparemment des charges totalement fabriquées.
01:07 Les autorités azeries disent avoir trouvé 40 000 euros en cash planqués dans le hall du site d'Absas Media.
01:16 Oulvia Samli, le directeur, quand il a été arrêté, a été brutalisé.
01:21 Donc on est dans une situation où il y a effectivement six journalistes qui essayaient d'enquêter et qui sont derrière les parois.
01:28 L'Azerbaïdjan a été condamné 263 fois par la Cour européenne des droits de l'homme pour torture et mauvais traitement.
01:35 On peut s'inquiéter aujourd'hui pour le sort de ces journalistes d'Absas Media ?
01:39 Oui, et ils ont enquêté d'ailleurs sur le système de la torture massivement pratiqué en Azerbaïdjan.
01:44 Comme l'ont constaté pas seulement la Cour européenne des droits de l'homme,
01:47 qui a condamné 263 fois en tout l'Azerbaïdjan, dont trois fois pour torture et 30 fois pour traitement dégradant et inhumain.
01:53 Mais des ONG comme Amnesty International ou Reporters sans frontières ont aussi documenté largement les cas de violation des droits humains.
02:00 Donc oui, on peut absolument s'inquiéter.
02:03 On a des nouvelles ?
02:04 On a très peu de nouvelles parce qu'ils sont placés à l'isolement pour la plupart d'entre eux.
02:08 Leurs comptes en banque sont saisis. Ils n'ont même pas le droit de parler à leur famille. Donc on a très peu de nouvelles.
02:14 Les dernières nouvelles que l'on a, elles datent du 30 décembre dernier où Oulvi Assamni, le directeur,
02:19 a réussi à faire sortir une lettre, quelques mots écrits sur un bout de papier depuis sa cellule
02:24 pour expliquer au régime que finalement, même en les arrêtant individuellement,
02:29 personne ne les arrêterait globalement et que personne ne pouvait arrêter la vérité.
02:34 Donc ce sont ça les dernières nouvelles des journalistes d'Absas.
02:37 L'Azerbaïdjan est classé 151e sur 180 dans le classement Reporters sans frontières de la liberté de la presse.
02:43 La répression, on le sait, était déjà intense.
02:45 Elle s'est accélérée ces derniers mois, ces dernières semaines, à l'approche de cette présidentielle
02:51 convoquée par anticipation par le président Aliyev ?
02:54 Oui, en fait depuis 10 ans, c'est la troisième vague de répression que l'on connaît en Azerbaïdjan.
03:00 Il y en avait eu une première en 2014-2015 où des militants du droit de l'homme et historiens connus
03:06 comme Leila et Arif Yunus avaient été arrêtés.
03:08 La journaliste Khadija Ismailova avait été arrêtée, avait passé je crois 18 mois en prison.
03:14 Et puis là effectivement, c'est la troisième vague de répression, pas seulement contre les journalistes
03:18 mais aussi contre des militants du droit de l'homme, qui s'est accélérée largement effectivement
03:22 depuis ces dernières semaines, depuis le début du mois de décembre,
03:26 qui s'opère alors que l'Azerbaïdjan et il a mal Aliyev jouit d'une certaine popularité assez forte en Azerbaïdjan,
03:33 fort de son succès au Karabagh, et donc organise une élection présidentielle anticipée,
03:40 sans doute pour aller vers un modèle de contrôle encore plus total de son pays.
03:46 En tout cas pour parvenir jusqu'à la date de cette élection, il met de côté,
03:51 il met à l'abri, à l'ombre toutes les voies qui peuvent être critiques contre lui.
03:56 Autre point qui est abordé notamment dans le reporter de Karena Chabour et de Roméo Langlois,
04:01 on ressent effectivement une certaine complaisance de certaines institutions européennes,
04:04 notamment le Conseil de l'Europe mais aussi la Commission européenne,
04:08 on voyait à l'instant derrière vous Ursula von der Leyen, vis-à-vis donc de l'Azerbaïdjan,
04:13 plus généralement aussi peut-être de l'ensemble de la communauté internationale.
04:16 On sait que l'Azerbaïdjan a été désigné pour organiser la COP 29 quelques semaines
04:21 après le nettoyage ethnique de facto du Haut-Karabagh, de ces éléments arméniens.
04:26 Comment expliquer cette attitude vis-à-vis de Bakou ?
04:30 En fait, le reportage de Roméo et Karena le montre très bien, l'Azerbaïdjan a beaucoup d'influence.
04:35 Ce pays a beaucoup d'influence, pourquoi ? Parce qu'il a beaucoup de gaz à vendre.
04:40 Et dans un contexte où la Russie a attaqué l'Ukraine et où les Européens ne peuvent plus s'approvisionner
04:48 comme avant en gaz auprès de la Russie, l'Europe s'est retournée à nouveau vers l'Azerbaïdjan
04:54 et Ursula von der Leyen effectivement à l'été 2022 est partie à Bakou dans les jardins présidentiels,
04:59 serrer la main à Ilham Aliyev, dire de lui que c'était un partenaire fiable et digne de confiance.
05:05 D'ailleurs, le consortium a interrogé l'un des porte-parole de la présidente de la Commission européenne
05:10 pour lui demander si c'était vraiment bien raisonnable de qualifier ainsi Ilham Aliyev de fiable et de digne de confiance.
05:16 Ils nous ont dit que ça a été dit en rapport et en lien seulement avec l'accord sur l'énergie que nous avons avec l'Azerbaïdjan
05:22 et pas sur le reste. Et sur le reste, la Commission européenne condamne les cas d'emprisonnement
05:27 de personnes qui ont exercé leurs droits fondamentaux. Donc l'Azerbaïdjan, oui, a de l'influence
05:32 parce qu'ils ont du gaz à vendre, parce qu'on a besoin d'en acheter chez eux, a de l'influence parce qu'ils ont su tisser
05:38 un réseau d'amitié qu'ils ont souvent acheté en finançant les travaux d'un bâtiment public ici ou là,
05:46 en versant de l'argent et des pots de vin à des parlementaires. Il y a des cas de parlementaires...
05:51 Et justement, il y a des cas, j'allais y venir, de corruption de parlementaires européens, mais pas que, en Allemagne.
05:56 Également, pas plus tard qu'il y a quelques semaines, je crois qu'il y a deux anciens députés allemands
06:01 qui ont été mis en cause. Donc c'est à travers ces pratiques également que s'exerce cette influence.
06:09 Oui, ça fait depuis plusieurs années, en fait, on a découvert l'existence de virements d'argent, de transferts d'argent
06:14 sur des comptes de Luca Volonté, un député italien, 2,7 millions d'euros versés sur son compte.
06:21 Pourquoi ? Pour faire enterrer un rapport sur les prisonniers politiques et la violation des droits humains en Azerbaïdjan,
06:27 un rapport qui devait être voté au Conseil de l'Europe. C'est dire l'influence et la capacité de ce régime à aller...
06:33 Donc parfois, des rapports sont faits, mais ils ne sont pas aussi rendus publics du fait de cette pression.
06:38 Oui, absolument. Et c'est ce qu'on montre aussi dans cette enquête collaborative menée avec 40 journalistes de 15 milliers de différents.
06:44 On montre comment le CPT, le Comité de prévention de la torture, qui est une émanation du Conseil de l'Europe,
06:50 va sur place en Azerbaïdjan, officiellement est censé lutter contre la torture.
06:54 En réalité, ils documentent la torture, mais ensuite, ils n'ont pas le droit de publier. Pourquoi ? Parce que l'Azerbaïdjan s'y oppose.
07:00 En fait, les États qui sont contrôlés par ces inspecteurs qui contrôlent la torture peuvent censurer cet organe de contrôle.
07:08 Donc c'est une règle totalement aberrante et qui pose problème parce que le Conseil de l'Europe, c'est censé être une institution
07:14 qui, dans son mandat au départ, est là pour promouvoir la question des droits de l'homme parmi ces 46 États membres.
07:20 Très rapidement, sur quel sujet allez-vous poursuivre justement le travail de ces journalistes azerbaïdjanais dans le cadre du consortium ?
07:27 Alors, en fait, notre mission, c'est de poursuivre les enquêtes des reporters assassinés ou arrêtés.
07:32 Et on travaille sur ce sujet, poursuivant les enquêtes d'ABSAS.
07:35 Évidemment, pour des raisons de confidentialité, c'est toujours difficile pour nous de dire quelles sont les prochaines enquêtes que l'on s'apprête à publier.
07:42 On a besoin de rester dans un certain secret, notamment celui de nos sources, pour pouvoir avancer.