• il y a 10 mois
Auteur de plus de 150 albums du "Chat du Rabbin" à "Petit Vampire et" aux "Sardines de l'Espace", Joann Sfar vient de publier son nouvel album, "Les Idolâtres", aux éditions Dargaud. C'est une œuvre intime, introspective, où l'auteur de bande dessinée s'interroge sur l'absence de sa maman, disparue très jeune, sur son goût pour l'image, avec cette question en creux : Mais qu'est-ce qui le pousse à dessiner autant ?
Regardez L'invité de RTL Soir du 01 février 2024 avec Marion Calais et Julien Sellier.

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00:02 Julien Célier, Isabelle Choquet et Cyprien Simi, RTL bonsoir.
00:09 Allez 19h13, RTL bonsoir la deuxième heure et avec la bande maintenant nous accueillons dans ce studio notre grand invité, c'est un auteur de bandes dessinées pour les grands et les moins grands,
00:20 auteur de plus de 150 albums, du Chat du Rabbin à Petit Vampire et aux Sardines de l'espace que mon fiston adore.
00:26 Bonsoir Johannes Sfar, merci d'être avec nous, votre nouvel album vient de sortir en librairie, Les Idolâtres aux éditions Targo.
00:33 Une oeuvre intime, introspective, vous vous interrogez sur l'absence de votre maman, disparue très jeune, sur votre goût pour l'image, avec cette question en creux, mais qu'est-ce qui vous pousse à dessiner autant ?
00:45 Alors vous racontez votre enfance, votre jeunesse, vos débuts aussi, on plonge avec délectation avec vous dans vos souvenirs.
00:51 Le début du livre explique un deuil impossible parce que votre maman, et vous le racontez, est décédée quand vous étiez tout petit, vous aviez 3 ans je crois,
00:59 et cette disparition a été cachée, c'est très émouvant quand vous le racontez, "maman est en voyage" disait votre papa, c'était son expression ?
01:06 Oui, ça fait 30 ans que je publie des bandes dessinées et qu'on me dit "tu dessines parce que ta mère est morte quand t'étais petit".
01:11 Donc à force d'entendre certains crèmes, je me suis dit "allez on y va, on va explorer le sujet" et j'ai mis en couverture du livre la photo qui m'a servi au premier album du Chat du Rabbin,
01:19 c'est-à-dire que c'est ma mère avec un nourrisson dans les bras, c'est moi, et sur le chat, très consciemment, j'avais mis un chat, c'était cet animal qui est dans la famille mais qui n'a pas la parole, parce qu'on ne lui a pas dit la vérité.
01:28 Alors vous racontez tantôt avec gravité, tantôt avec humour, cette enfance sans votre maman, avec des filles au père qui succèdent…
01:35 Ça, ça l'a marqué ça !
01:37 Bah non, c'est-à-dire que c'est quand même fort !
01:39 Donc une, qui vous laissait fumer et lui toucher les fesses, c'est pas banal, surtout quand vous aviez quoi, 4 ans ?
01:45 Un de vos collègues, très élégamment, m'a dit "le premier livre, La Synagogue, c'était sur ton père, le deuxième c'est sur ta mère, dis donc on la voit pas beaucoup"
01:52 Forcément, elle était morte. Mon père c'était un grand séducteur de la Côte d'Azur, grand avocat, qui avait un bateau, qui avait des voitures de sport,
01:59 et dès que ma mère est décédée, il y a beaucoup de filles au père qui sont venues à la maison, mais leur objectif c'était pas de s'occuper de moi, c'était plus de s'occuper de mon papa, qui n'était pas demandeur.
02:07 Et il y en a qui n'avaient pas vraiment la qualification pour être fille au père, effectivement. Il y en a une pour avoir la paix, par exemple, qui me laissait fumer des cigarettes.
02:15 Donc entre 4 ans et 5 ans, j'ai fumé, après j'ai arrêté définitivement.
02:19 - En même temps c'est un vaccin ! - Oui, oui.
02:21 - Ça vous a dégoûté ? - Oui, sans doute.
02:24 - Cette absence de votre mère, ce souvenir que vous cherchiez à remplacer par une photo, que vous teniez toujours près de vous, ça vient de là, votre fascination pour l'image ?
02:33 - Bien sûr, bien sûr. Et le dessin c'est un soin face à ces photos qui nous écrasent.
02:38 Moi je me trimbalais, je raconte ça dans le livre, avec une photo de ma mère, et à chaque fois que je me posais une question, je regardais la photo pour savoir si elle disait oui ou non,
02:45 et elle faisait toujours les choix qui allaient m'embêter.
02:47 À chaque fois qu'un truc allait me rendre heureux, je me disais qu'elle disait non.
02:50 Et un jour il a fallu que je vois, bon, parfois c'est des psys, parfois c'est des rabbins, il a fallu qu'un rabbin me dise "mais tu sais sur les tombes juives on met jamais de photos, parce que ça fige,
02:57 et c'est pas vivant, et c'est pas ta mère qui te dit non, c'est toi".
03:00 Et je me suis mis à dessiner, et le dessin c'est...
03:03 J'ai dit "mais dans les bandes dessinées c'est moi qui décide si on meurt ou pas".
03:06 Et j'avais besoin de raconter l'histoire moi-même.
03:09 - On devine la naissance de la vocation dans cette bande dessinée,
03:14 et d'ailleurs dans les premiers souvenirs de votre vie, il y a des souvenirs de gouache, par exemple,
03:19 de coups de crayon sur les astérix de votre maman, c'est fou que ces souvenirs-là soient restés.
03:24 - Ça m'a toujours fasciné, et j'étais pas particulièrement bon,
03:28 j'étais celui qui dessinait le plus.
03:30 Mais par contre je me rendais compte que j'étais nul.
03:32 Par exemple, j'ai fait un portrait de mon père quand j'avais 4-5 ans,
03:35 et il m'a félicité, et j'étais scandalisé.
03:37 Je me suis dit "donc il n'a vraiment aucune exigence dans ce domaine".
03:39 Et comme le dessin c'est le truc dont mon père se foutait complètement,
03:42 je me suis dit "bon ça, ça va être mon petit territoire".
03:44 - Mais j'aime beaucoup votre théorie, parce que j'ai un enfant de 4 ans qui décide,
03:47 moi à la maison, quand il décide mal, vous êtes persuadé qu'il décide mal l'enfant ?
03:51 - J'ai des collègues... - Il sait qu'il décide mal ?
03:53 - Ah oui, ils sont assez lucides, ils se rendent tout à fait compte quand ils sont nuls.
03:57 Ça arrive aussi chez les artistes adultes, ils savent très bien quoi.
04:01 Moi vous me mettez derrière un micro, je sais toujours pas trop dessiner correctement,
04:04 mais j'y passe mes journées.
04:06 - Si, par exemple, elle dessine très bien, et parfois elle me donne des dessins moins bien,
04:10 et je lui fais plaisir, je lui dis "c'est très beau", elle dit "non c'est nul",
04:13 elle le prend et elle le déchire. Donc ils savent.
04:15 - Ah oui d'accord, donc les enfants savent.
04:16 - Et vous racontez d'ailleurs comment vous allez écouter votre amour du dessin,
04:19 envers et contre tout, vous étiez dans un très bon lycée, etc.
04:22 Et vous avez voulu partir parce qu'il n'y avait pas de cours de dessin.
04:25 Et vos profs, ils vous regardaient et ils ne comprenaient pas.
04:27 - Oui, c'est là que mon père a été cool. Malheureusement, j'étais bon élève, j'avais de bonnes notes,
04:30 et au lycée de Masséna de Nice, il n'y avait pas de prof de dessin.
04:32 Et j'ai demandé à aller au lycée d'Estiendorf, qui était moins chic,
04:36 mais où il y avait un prof de dessin, et j'ai dû me battre pour quitter le lycée.
04:39 Et mon père m'a aidé. Mon père a dit "je te fais confiance".
04:41 - Votre père qui était avocat a plaidé, en fait, c'est ça ?
04:43 - Mon père a plaidé en ma faveur.
04:45 - Il a reconnu le talent, peut-être ? Le besoin, alors ?
04:48 - Non, non. Il m'a toujours dit "continue tes vraies études, fais ta thèse d'abord".
04:52 Non, il me faisait confiance.
04:54 - Vous le mettez d'ailleurs au tout début de votre BD, cette citation.
04:57 - Cette citation, je la trouve super.
04:58 - "Fais ta thèse d'abord".
04:59 - Mais il me l'a répétée quand j'ai eu mon César pour le film de Gainsbourg.
05:01 J'appelle pour lui annoncer que j'ai un César, il dit "bon, tout ça c'est bien gentil, mais finis ta thèse".
05:05 Ça, ça va. Il y a trois personnes qui lisent une thèse.
05:08 - Mais pourquoi ? Parce qu'en fait, il avait peur que ça...
05:10 Même quand vous étiez au sommet avec ce César pour votre film Gainsbourg,
05:15 il avait peur que tout puisse s'arrêter du jour au lendemain ?
05:18 - Je crois que mon père, comme beaucoup de juifs d'Algérie,
05:20 il avait une fascination pour les institutions françaises.
05:23 Il était devenu avocat, et pour lui, avocat, prof, ça c'était des vrais métiers.
05:27 Artiste, il dit "bon, c'est bien, c'est des distractions".
05:30 Et quand ça rapportait quelque chose, il était surpris.
05:32 Il dit "bon, mais ça ne va pas durer, il va falloir un vrai métier".
05:34 - Alors, prof, c'est un vrai métier, comme vous dites,
05:36 et vous rendez hommage, vous, à vos profs, à vos menteurs,
05:39 notamment un prof de dessin qui faisait, vous dites, le tour du monde des musées,
05:42 avec son petit salaire de prof et son appareil photo.
05:45 - Ah oui, Alain Biancheri, extraordinaire.
05:47 Et moi, je pensais que l'important, c'était d'apprendre le dessin,
05:49 mais en fait, l'important, c'était d'apprendre l'histoire de l'art.
05:51 Et les cours d'histoire de l'art d'Alain Biancheri au lycée d'Estienne d'Orve,
05:54 ça a changé ma vie.
05:56 - Mais pourquoi l'histoire de l'art, c'est si important ?
05:58 - Parce qu'il y a une chaîne... C'est un livre contre la mort.
06:00 C'est un livre pour survivre, et il y a une chaîne ininterrompue d'artistes
06:03 depuis l'antiquité gréco-romaine, qui se transmet un petit quelque chose.
06:07 Et ce truc, c'est la vie, c'est l'amour du réel, c'est regarder le monde.
06:10 Et lui, il en parlait vachement bien.
06:12 - On devine votre patte dès le lycée, d'ailleurs.
06:15 Un poil d'anticonformisme.
06:17 Il y avait le journal du lycée, comme dans tous les lycées,
06:20 et puis vous avez créé un contre-journal, en quelque sorte, c'est ça ?
06:24 - Oui, on était au lycée, on voulait faire les clowns,
06:27 on a fait un journal satirique.
06:29 Il y a plein de profs qui dessinaient dedans sous pseudonyme,
06:31 il n'y avait pas que des élèves.
06:33 Et évidemment, je me suis retrouvé dans le bureau du proviseur,
06:35 ils ont voulu m'interdire de le vendre.
06:37 - Parce que vous vendiez le journal, bah oui !
06:39 - Bien sûr ! Vous croyez que c'est des cadeaux, mes livres ?
06:41 Moi, quand j'en sors un, je me demande s'il va se vendre.
06:43 J'irai pas chez vous, sinon je resterai à la maison.
06:45 Et la première chose que j'ai demandé à Angoulême, c'est ce que j'ai vendu.
06:48 Oui, je suis celui qui a le plus vendu du centre d'Argo.
06:50 Il faut le dire, j'ai vendu 300 albums.
06:52 Et donc, ils ont voulu m'interdire, et manque de bol, j'ai un père avocat.
06:56 Et mon père est venu, il m'a dit "écoute, légalement, tu fais rien de mal,
06:59 ne nomme pas les profs quand tu les caricatures,
07:01 et si tu es à 51 mètres du lycée, tu as le droit de vendre ton journal."
07:04 Donc je me suis mis à 51 mètres du lycée, j'ai vendu mon journal.
07:07 - Il a encore plaidé en votre faveur !
07:09 - Mais comment les profs en étaient arrivés à écrire dans votre journal sous pseudonyme ?
07:14 - Bah parce que ça les faisait marrer.
07:16 Parce que ça les faisait marrer, et ça les faisait marrer de se moquer de leurs autres collègues.
07:19 Enfin, c'était très bien, c'était...
07:21 - Ça faisait marrer tout le monde, sauf la collègue qui était en charge du vrai journal, c'est ça ?
07:23 - Voilà, c'est ça. Parce que personne ne voulait écrire dans le vrai journal.
07:26 - Alors on suit votre montée à Paris, les Beaux-Arts, les premiers petits boulots,
07:30 cette difficulté à être édité.
07:32 Entre vos 14 et vos 24 ans, vous avez harcelé les maisons d'édition au téléphone,
07:37 mais vous pouviez les appeler combien de fois par jour en vrai ?
07:39 - Alors, attendez, c'est important de dire que c'est le livre d'un looser.
07:41 C'est-à-dire que c'est le livre avant qu'on me dise oui.
07:43 Donc ça dure jusqu'à 24 ans, et quand on me disait non, j'allais quand même.
07:48 Quand on ne me prenait pas dans le bureau, je revenais le lendemain.
07:50 Quand on mettait quelqu'un pour me dire "vous n'avez plus le droit de rentrer",
07:52 je trouvais l'adresse de l'éditeur, et j'allais sous le paillasson, et je déposais un projet.
07:55 - Et le prochain livre, ce sera le livre du winner, du coup ?
07:58 - Je ne sais pas si je le ferai, parce que les winners, ça m'intéresse beaucoup moins.
08:01 Ce qui est intéressant, c'est que tout le long, tout était fait pour que je devienne prof de philo.
08:05 Et là, pardon, je spoil un truc, mais au moment où je décide d'être gentil,
08:09 je décide d'y aller, je m'inscris à la Sorbonne, je trouve un directeur d'hôtesse, etc.,
08:13 le mec se fait foutre dans un asile psychiatrique, parce qu'il est devenu fou,
08:16 et il sautait d'une table à l'autre. Et là, j'ai menti à mon père, je lui ai dit...
08:20 Déjà, je ne bouffais plus qu'à chair, je suis arrivé à Paris, j'ai mangé du cochon,
08:23 je ne l'ai pas dit à mon père, et ne pas lui dire que j'arrêtais mes études,
08:27 ce n'était pas plus grave. Donc j'ai continué à dire que je faisais ma thèse,
08:30 et je suis allé faire publier mes propres dessins.
08:32 - Vous vous êtes dit de quoi c'est le destin, le prof qui devient fou ?
08:34 - Ah, ça, c'était extraordinaire ! Parce que j'avais tout, tout était fait pour que cette thèse existe,
08:38 et on me dit "votre prof a sauté", je dis "quoi, il s'est fait virer ?"
08:40 Non, non, il a sauté d'une table à l'autre, après il est monté sur l'armoire, après on l'a enfermé.
08:44 - Et du coup, vous êtes devenu dessinateur. Et tant mieux pour nous.
08:46 Johannes Spahr, vous restez avec nous, vous l'auteur de bande dessinée,
08:49 vous vous racontez, vous vous questionnez dans les idolâtres, en librairie,
08:52 vous êtes le grand invité de la deuxième heure. Ne bougez pas, RTL, Bonsoir,
08:55 continue juste après ça, tout de suite.
08:57 - RTL, Bonsoir.
08:59 - RTL, Bonsoir.
09:01 - Julien Sérié.
09:02 - Isabelle Choquet.
09:03 - Et Cyprien Signy.
09:04 - Allez RTL, Bonsoir, à la suite, nous sommes toujours avec le grand invité de la deuxième heure.
09:08 Johannes Spahr est avec nous, l'auteur de bande dessinée, de retour avec les idolâtres,
09:12 en librairie, œuvre introspective, vous racontez l'enfance, la vocation, les débuts.
09:17 - Difficile.
09:19 - Difficile ! On évoquait tout à l'heure ce moment où votre papa vous disait "les diplômes, c'est bien quand même".
09:25 Même quand vous aviez eu un César pour Gainsbourg, je voudrais revenir à Gainsbourg,
09:28 parce que vous racontez dans la bande dessinée que vous étiez allé déposer, dans sa boîte aux lettres, rue de Verneuil,
09:35 une bande dessinée sur Gainsbourg, pour Gainsbourg.
09:39 Il vous fascinait déjà à tel point que vous vouliez lui écrire une bande dessinée ?
09:43 - Oui, le sous-texte que ça raconte, ma mère était chanteuse, quand elle est morte je ne l'ai pas su,
09:48 donc j'ai pleuré pour d'autres chanteurs.
09:50 Par exemple, mes premières larmes c'était Claude François, j'en ai rien à foutre de Claude François,
09:53 mais j'ai pleuré pour Claude François.
09:55 Gainsbourg est mort, j'ai fondu en larmes, j'étais au ski.
09:58 Donc, aller à Paris, c'était déposer une bande dessinée dans la boîte aux lettres de Serge Gainsbourg,
10:03 et j'étais sûr qu'il allait me répondre.
10:05 J'avais un album complet, ni copié ni rien, les originaux, j'ai mis dans sa boîte aux lettres, il ne m'a jamais répondu.
10:10 Mais il y a une part de moi qui pense, parce que je suis assez superstitieux,
10:13 que ça m'a porté bonheur pour ensuite faire le film.
10:15 - Il y avait quoi sur ces planches originales que vous avez déposées ?
10:18 - Vous les avez jamais récupérées ?
10:19 - Ah bah non, jamais !
10:20 C'était l'époque où ils faisaient "Nul part ailleurs", etc.
10:23 Donc c'est Gainsbourg qui faisait le clown, qui faisait l'andouille.
10:26 Moi je m'ennuyais beaucoup quand j'étais petit, et Gainsbourg il faisait rire.
10:30 Donc dès qu'il arrivait à la télé, c'est un peu comme Coluche,
10:32 dès qu'il arrivait à la télé, on rigolait.
10:34 Je ne comprenais pas tout ce qu'il faisait, mais ça me faisait rire.
10:36 Donc voilà, un type qui me fait rire, je suis reconnaissant pour toute la vie.
10:39 - Et vous ne savez pas ce qu'est devenue cette bande dessinée ?
10:43 Puisque vous avez eu des contacts avec, j'imaginais que la famille Gainsbourg...
10:46 - Non mais il me semble qu'avec les centaines de lettres qu'il devait recevoir tous les jours,
10:48 je pense que c'est allé dans la voirie.
10:51 - Oui, ça a été au tristype.
10:53 - Oui, si j'aurais été lui, je n'aurais pas conservé.
10:55 - Je peux vous dire que s'il y a quelqu'un qui vient là, n'hésitez pas à la revendre,
10:57 on est ici, ça vaut du pognon.
10:59 Dans cet album, vous racontez aussi votre rapport au dessin.
11:02 C'est vrai que quand vous êtes seul à la maison,
11:04 vous pouvez passer 15 heures à tabler, à dessiner, comme ça ?
11:08 - Bien sûr, le dessin ce n'est pas une activité, c'est un état.
11:11 Donc on se met en état de dessin, comme les gens qui font du yoga ou je ne sais pas quoi.
11:14 Et ce n'est pas fatigant, on peut dessiner 15 heures par jour, on est en pleine forme.
11:17 Moi ce qui me fatigue, c'est de ne pas dessiner.
11:19 Là par exemple, quand je suis en promo, au bout de 2-3 jours,
11:21 je suis comme le fumeur à qui il manque ses signes.
11:23 - Et là vous avez deux stylos dans la main, par exemple ?
11:25 - Des stylos, je n'ai pas de papier. Vous voyez le stress ?
11:27 J'ai deux stylos, comme ça.
11:29 Et je ne dessine rien, donc c'est difficile.
11:31 Mais par exemple, vous me mettez dans une piscine, je nage,
11:33 je dessine les gens.
11:35 - Pendant que vous nagez ? - Oui, oui.
11:37 - Vous pouvez vous imaginer en train de dessiner les gens ? - Oui, oui.
11:39 - Vous avez besoin de dessiner, c'est... - C'est vital.
11:41 - Et vous avez besoin de dessiner au calme dans votre bureau,
11:43 ou vraiment n'importe où, comme vous dites, à la piscine,
11:45 ça vous prend comme ça ?
11:47 - Ça c'est le vrai sujet du livre.
11:49 C'est qu'il faut que le dessin soit la vie.
11:51 Quand j'étais jeune, je ne dessinais que des choses très morbides,
11:53 j'ai fait des autopsies, des choses comme ça.
11:55 Et mes profs de beaux-arts m'ont appris à aller vers la vie avec le dessin,
11:57 à dessiner des gens vivants,
11:59 à dessiner au milieu du bordel.
12:01 Et ça c'est essentiel parce que ça devient une discipline
12:03 comme la chanson qu'on pratique au milieu de tout le monde.
12:05 Sinon, on est enfermé dans son bureau et on passe à côté de sa vie.
12:07 - Ça veut dire qu'aujourd'hui vous dessinez partout ?
12:09 Non mais même, je ne veux pas simplement dessiner...
12:11 - À mon travail.
12:13 - Ce que vous avez besoin, mais quand vous travaillez sur cet album-là,
12:15 par exemple, vous pouvez travailler à votre bureau,
12:17 comme au café ?
12:19 - Mon bureau, c'est avant tout la salle de jeu de mon petit garçon.
12:21 Donc il y a une nuit et jour avec ses jouets,
12:23 ses émissions, ses machins,
12:25 il y a le chien, il y a tous les copains.
12:27 Et quand on sort avec ma femme, qu'on va dans des cafés,
12:29 je peux travailler dans des cafés.
12:31 Mon métier, je peux le faire vraiment partout.
12:33 - Donc il faut de la vie ?
12:35 - Absolument. Et si je me mets tout seul dans le silence,
12:37 ça se fige, ça devient mauvais,
12:39 ça devient artisanal dans le mauvais sens du terme.
12:41 Il faut que ce soit vivant.
12:43 - Il faut de la vie, vous dites.
12:45 John Sfar, vous touchez le public avec vos albums,
12:47 vous avez aussi bouleversé le grand public avec vos messages
12:49 il y a quelques semaines avec une simple aquarelle.
12:51 On s'en souvient au lendemain des attaques du 7 octobre.
12:53 On y voyait deux caractères hébraïques
12:55 peints en bleu avec ces mots en dessous.
12:57 Cela veut dire que nous vivrons.
12:59 Quatre mois après, comment vous les vivez,
13:01 ces événements au Proche-Orient ?
13:03 Quatre mois après, la guerre se poursuit.
13:05 On a l'impression que l'espoir d'une paix
13:07 recule chaque jour un petit peu plus.
13:09 Quel regard vous portez sur ces événements ?
13:11 - Moi, j'étais tellement angoissé, je crois,
13:13 comme beaucoup de monde, sauf que ma famille paternelle
13:15 est israélienne et beaucoup de mes collaborateurs
13:17 sont israéliens parce que je produis de la télévision là-bas.
13:19 Donc je suis parti en Israël et j'ai commencé
13:21 à faire un livre. J'ai terminé un livre
13:23 de 500 pages de reportages.
13:25 J'ai interrogé beaucoup d'artistes
13:27 juifs et arabes qui vivent là-bas
13:29 sur comment ils voient l'avenir.
13:31 Et dès qu'on s'approche des individus,
13:33 on a beaucoup d'espoir.
13:35 Dès qu'on revient vers les idéologies et les groupes,
13:37 c'est un cauchemar.
13:39 Il me semble qu'on vit des événements
13:41 historiques et tragiques.
13:43 Il faut garder une capacité
13:45 à voir la douleur dans les deux camps, garder une capacité
13:47 à ne pas... Il y a un terme biblique que j'aime beaucoup,
13:49 c'est "ne pas endurcir son cœur".
13:51 Je crois que
13:53 quiconque fait de l'idéologie
13:55 et oppose des camps de manière irréductible
13:57 fait partie du problème.
13:59 Là-bas, on a des familles,
14:01 on a des êtres humains.
14:03 Il y a un risque
14:05 de survie, aussi bien pour les Israéliens
14:07 que pour les Palestiniens. On sent que
14:09 pour la première fois depuis 1948,
14:11 la disparition d'Israël est possible,
14:13 la disparition de la population palestinienne
14:15 de Gaza est possible. Et face à ce
14:17 risque,
14:19 on est condamné à l'humilité.
14:21 L'humilité pour moi, c'est avoir le...
14:23 Plus le livre avance, moins j'ai d'opinion.
14:25 Et plus je parle aux gens qui sont là-bas, et plus je les écoute.
14:27 Donc, être au
14:29 contact d'êtres humains, ça me fait toujours du bien.
14:31 Le sentiment qu'ont les
14:33 camarades qui sont là-bas avec qui je parle en ce moment,
14:35 ils disent "on était très unis
14:37 un mois après les massacres du 7 octobre".
14:39 Aujourd'hui, on a tous le sentiment que
14:41 d'autres catastrophes arrivent, côté
14:43 arabe comme côté juif, et on ne sait pas lesquelles.
14:45 Johan Sfar, au mois d'octobre,
14:47 dans cette émission, vous aviez eu ces mots
14:49 "je fais partie de ces juifs qui demandent
14:51 un Etat palestinien". Cette solution
14:53 à deux Etats, vous pensez que c'est encore imaginable
14:55 aujourd'hui ? - Oui, mais là,
14:57 on mélange toutes sortes de choses. Le destin
14:59 national des Palestiniens ou des Israéliens,
15:01 c'est un sujet. Le Hamas,
15:03 qui est un groupe terroriste et génocidaire,
15:05 c'en est un autre. La réalité
15:07 d'Israël aujourd'hui, c'est qu'il y a 300 000 Israéliens
15:09 déplacés dans le sud et dans le nord, parce que
15:11 les bombardements ne s'arrêtent pas, venant du Hezbollah
15:13 et venant de Gaza. Donc,
15:15 un pays ne peut pas fonctionner sous
15:17 état de guerre, et cet état de guerre permanent,
15:19 il fait le jeu des extrémistes dans un camp comme
15:21 dans l'autre. Donc, il n'y a pas de politique d'avenir,
15:23 il n'y a pas de politique éclairée.
15:25 La seule chose qui nous sortira de là, c'est un
15:27 changement des narratifs dans les deux camps. C'est-à-dire
15:29 que tant que les deux camps voient l'opposé
15:31 comme un ennemi irréconciliable, aucune
15:33 solution ne sera possible. Ni un Etat, ni deux Etats,
15:35 ni dix Etats. Le jour où on s'apercevra
15:37 que la région entière a intérêt
15:39 à ce que ça aille mieux, parce que
15:41 les Palestiniens font partie des populations
15:43 les mieux alphabétisées du monde arabe, qui sont beaucoup plus
15:45 éduquées que ce qu'on se raconte ici. Les Israéliens
15:47 n'ont qu'une envie, c'est de commercer avec tout le Proche-Orient
15:49 parce qu'ils sont équipés pour.
15:51 C'est une anomalie historique
15:53 ce conflit. Il est anachronique à tous les niveaux.
15:55 - C'est intéressant ce que vous dites
15:57 sur cette
15:59 volonté, finalement,
16:01 à l'intérieur des deux pays, puisque vous venez de passer
16:03 du temps là-bas de changer
16:05 le narratif, de sortir
16:07 de ce discours extrémiste
16:09 des deux côtés. Ça nous renvoie
16:11 quand même cette crise à
16:13 un passé qui n'est pas si lointain.
16:15 Vous arrivez à
16:17 avoir un regard
16:19 sur les trente dernières
16:21 années. Je vous dis ça parce qu'en vous écoutant
16:23 il y a une phrase qui me revient, que j'ai lue dans un livre de
16:25 Franz-Olivier Gisbert, il y a quelques jours, qui avait passé du temps
16:27 avec Shimon Peres, qui était ministre des Affaires
16:29 étrangères israéliennes à l'époque de Yissa Krabin.
16:31 C'était en 1993, je crois.
16:33 Donc c'est vraiment il y a trente ans. Et il disait,
16:35 vous allez voir, Shimon Peres,
16:37 en haut, il disait, on va réussir à les faire,
16:39 les Etats-Unis d'Orient. On a l'impression que
16:41 ce rêve, il n'existe presque
16:43 plus aujourd'hui. Ça serait presque impossible
16:45 aujourd'hui. Et pourtant c'était il y a trente ans.
16:47 Non seulement il existe, mais il n'y a
16:49 rien d'autre comme espoir. On fait partie des gens,
16:51 puisque c'est en tout cas ma génération, qui a rêvé
16:53 des accords de Slo, et à chaque fois
16:55 que la paix est au bout du
16:57 crayon, un extrémiste d'un camp ou de l'autre
16:59 commet un massacre ou commet un meurtre, et puis ça
17:01 recule. Je fais partie des gens qui pensent qu'après
17:03 le 7 octobre, la paix a reculé de dix ans
17:05 ou de vingt ans. Mais la
17:07 seule solution, c'est la... J'ai parlé
17:09 avec Hicham Souleiman,
17:11 qui est un grand comédien et metteur en scène
17:13 palestinien. Il m'a dit "Tu te rends compte qu'on
17:15 en est encore à réfuter l'existence
17:17 de l'autre. C'est-à-dire que du côté
17:19 palestinien, on va dire l'entité sioniste au lieu de dire
17:21 Israël, et du côté israélien,
17:23 il y a des gens qui vont vous dire que la Palestine n'existe pas.
17:25 La réalité, ce sont deux identités
17:27 modernes, dont l'existence est irréfutable
17:29 aujourd'hui, mais il faut
17:31 que le narratif de chacun change, et c'est pas
17:33 en temps de guerre que les gens vont s'ouvrir.
17:35 Donc la première chose, c'est de faire taire les armes.
17:37 Mais bien malin qui sait comment l'obtenir, ça.
17:39 - Et d'ailleurs, cette guerre a des conséquences ici.
17:41 On a vu les chiffres des actes antisémites exploser,
17:43 multipliés par 4 cette année.
17:45 Vous avez le sentiment que les Juifs de France y sont en danger ?
17:47 - Bien sûr. Bien sûr.
17:49 Je parle des gens comme moi,
17:51 qui sont pas croyants, qui sont pas religieux,
17:53 mais qui essayent publiquement
17:55 d'exister en tant que Juifs. Oui, bien sûr.
17:57 J'allais vous dire "Tout va bien, depuis le 7 octobre,
17:59 j'ai failli me battre que deux fois."
18:01 - Parce que vous vous êtes agressé dans la rue ?
18:03 - Mais évidemment. Mais évidemment, moi ce que
18:05 je vois, ce sont les mamans juives
18:07 qui poussent leur poussette à la sortie des écoles
18:09 et qui ont peur qu'on voit qu'elles sont juives.
18:11 Les familles juives qui changent leur nom
18:13 pour prendre un Uber ou pour prendre un taxi.
18:15 Et ça, le Proche-Orient est
18:17 une excuse un peu facile pour agresser
18:19 des Juifs. Moi, il me semble
18:21 que cette haine, elle était déjà là.
18:23 Ce qui est impardonnable, ce sont les politiques
18:25 qui l'entretiennent, les politiques qui l'utilisent
18:27 et qui se disent "Tiens, on va faire des voix là-dessus."
18:29 Moi, je crois qu'on construit pas un discours politique
18:31 sur la haine. Et je crois que le Proche-Orient a bon dos.
18:33 Je crois qu'agresser des Juifs en France,
18:35 ça n'a jamais aidé la Palestine, ça a juste aidé la haine.
18:37 - Quand vous dites que vous avez failli
18:39 vous battre deux fois, ça veut dire quoi ? Vous avez reçu des menaces ?
18:41 - J'ai surtout des gens
18:43 dans la rue qui sont venus essayer de m'embêter.
18:45 - Qui vous ont reconnu ? - Evidemment !
18:47 Mais j'ai surtout une immense majorité de gens
18:49 adorables,
18:51 avec qui ça va très bien,
18:53 de toutes les ethnies, de tout le machin. Mais évidemment
18:55 que quand je vais
18:57 faire le Juif à la radio et à la télé en permanence,
18:59 il y a des gens qui n'adorent pas ça. Ils se disent
19:01 "Mais je ne suis pas religieux, je ne suis pas croyant,
19:03 je suis pro-palestinien". Après, je refuse
19:05 qu'on extermine les Juifs, qu'ils soient en Israël ou en France.
19:07 Voilà, ça c'est ma petite limite. Mais sinon,
19:09 il me semble que je suis assez fréquentable.
19:11 - Vous l'êtes.
19:13 Vous l'auteur de bande dessinée. Vous restez avec nous.
19:15 Vous êtes le grand invité de la deuxième heure
19:17 pour votre album "Les Idolâtres".
19:19 Artiel, bonsoir. Continue avec de la cuisine,
19:21 de la musique, ça va nous faire du bien, un petit peu
19:23 de légèreté. La musique, c'est votre playlist
19:25 Steven Bellery. Salut Steven ! - Bonsoir à tous !
19:27 - Avec un sacré comeback ce soir.
19:29 - Celui de Billy Joel, qui dévoile
19:31 aujourd'hui sa deuxième chanson en 31 ans.
19:33 Il n'est pas pressé, mais c'est une petite
19:35 merveille qu'on va écouter. - La cuisine,
19:37 c'est la gaguette d'Angèle Ferromax. Salut Angèle,
19:39 qu'est-ce qu'on mange ? - Ce soir, on mange des légumes
19:41 dans un gâteau. On mange un carotte-caca.
19:43 - Ah, tout de suite ! - Caca à la carotte.
19:45 RTL Bonsoir

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