• il y a 9 mois
Transcription
00:00 Bonjour Johann Sfarr.
00:01 Bonjour.
00:02 Avec comme seule arme votre crayon, vous êtes devenu en 30 ans de carrière et plus de 150
00:06 albums l'une des figures majeures de la bande dessinée française.
00:09 Je ne vais pas parler du cinéma, mais il y a aussi le cinéma parce que c'est aussi
00:12 une corde que vous avez à votre arc.
00:13 Depuis peu, vous avez sorti Les Idolâtres chez Dargaud.
00:16 C'est la suite de la Synagogue qui évoquait la figure de votre père et surtout le rapport
00:22 que vous aviez avec la virilité et avec le judaïsme.
00:25 Et là, on parle des idolâtres.
00:28 C'est vraiment une façon pour vous de mettre en exergue le manque, le fait que votre maman
00:34 ait disparu alors que vous n'aviez que trois ans et demi.
00:37 Est-ce que le dessin permet ça aussi, de gérer ce manque ?
00:40 Oui, peut-être.
00:41 Moi, ça fait 30 ans que je publie et 30 ans qu'on me dit si tu dessines, c'est parce
00:46 que ta mère est morte quand tu étais gosse.
00:47 Au bout d'un moment, ça m'a agacé.
00:48 Je me suis dit, allez, on va faire un vrai livre, on va traiter le sujet.
00:50 Et j'ai enseigné pendant sept ans le dessin et à chaque fois, on me demande comment on
00:55 dessine.
00:56 Il me semble que la vraie question, c'est pourquoi on dessine.
00:57 Donc ce livre parle de ça.
00:58 Alors pourquoi vous dessinez, Johann Spahn ?
01:00 Parce que finalement, j'ai lu tout en intégralité et je me dis, il donne des clés, mais il
01:05 ne répond pas réellement à la question.
01:06 Un de vos collègues m'a dit une phrase confondante.
01:08 Il n'a pas fait exprès, mais elle résume tout.
01:09 Il m'a dit, le premier livre, c'était sur ton père.
01:11 On le voyait beaucoup.
01:12 Le deuxième, c'est sur ta mère.
01:13 Et puis, on ne la voit pas, ta mère.
01:14 Non, on voit surtout des photos d'elle parce que je n'ai aucun souvenir d'elle.
01:17 Donc, les images, les photos se sont mis à prendre une importance démesurée chez moi,
01:21 y compris dans mon rapport aux êtres vivants.
01:23 Et avec le dessin, j'essaie de soigner ça parce que si je ne peux pas me passer des
01:27 images, je vais essayer au moins de créer mes propres images, ma propre dramaturgie.
01:31 Je crois qu'à un moment, je m'entends dire, dans mes livres, c'est moi qui décide si
01:34 on meurt ou pas.
01:35 Il y a quelque chose de cet ordre.
01:37 Votre père vous disait si, par contre, tu as l'impression de côtoyer les morts quand
01:41 tu fais quelque chose et que quand tu écris, arrête.
01:43 C'est ça, donc, le sens de la vie.
01:45 Est-ce que ce n'est pas une célébration de la vie ?
01:47 Sur les tombes juives, on n'a pas le droit de mettre une photographie parce que ça fige
01:50 le défunt dans un moment de sa vie.
01:52 Alors la vie, c'est plus compliqué que ça.
01:53 Et donc, j'essaie d'emmener le plus possible le dessin vers une science d'observation
01:59 du réel plutôt que vers, justement, de l'idolâtrie.
02:01 Après, la vraie question pour moi, c'est est-ce que ce n'est pas une nouvelle religion ?
02:06 Est-ce que je peux continuer à dire je suis juif alors que je suis dessinateur ?
02:10 J'en suis pas certain.
02:11 Il me semble que c'est quasiment l'inverse.
02:13 En tout cas, ce qu'on découvre aussi, c'est une photo qui est à la fois en deuxième
02:17 de couverture et elle est également à la fin du livre.
02:22 C'est une photo où on vous voit avec votre père en train de dessiner.
02:25 C'est le même cahier.
02:26 Il y a une spirale au milieu et chacun a sa propre feuille.
02:29 Est-ce que ça pose aussi cette question ? Que fait-on de nos vies, finalement ?
02:36 Ah oui, oui.
02:37 Moi, mon père était tellement fort, tellement écrasant.
02:39 Et comme le dessin s'en fichait complètement, j'ai pris cette voie-là.
02:42 Et quand mon petit garçon, aujourd'hui, souhaite dessiner, je lui laisse pratiquement
02:46 à lui la direction de savoir ce qu'on va faire.
02:48 Et il me semble que là encore, il y a mille manières de dessiner, mais ça se transmet.
02:52 Et le dessin m'a jamais paru autant pertinent qu'en ce moment, comme antidote aussi à
02:57 tout ce que nous envoient l'actualité, les médias, Twitter, etc.
03:01 Refabriquer ses propres images, même à partir des drames du réel, c'est une manière de
03:05 redevenir acteur de notre existence.
03:08 Il n'y a jamais de langue de bois dans tout ce que vous proposez.
03:10 Là, dans cet ouvrage, effectivement, on a l'impression d'être avec vous, avec tous
03:15 les personnages que vous avez cités tout à l'heure.
03:17 Ils sont extrêmement nombreux.
03:18 On comprend d'ailleurs aussi d'où vient cette fascination pour Gainsbourg.
03:22 On comprend énormément de choses.
03:24 On comprend qui vous êtes, tout simplement, Johann Sfaer.
03:26 Est-ce que vous-même, vous comprenez qui vous êtes aujourd'hui ?
03:28 En réalité, je redis des choses.
03:30 Ce n'est pas seulement le manque des vides de mon enfance.
03:33 C'est terrible.
03:34 Ma mère a été tellement photographiée.
03:35 Tout le monde la connaissait.
03:36 Moi, je n'avais aucun souvenir d'elle.
03:38 Et dès que les gens me voyaient, ils disaient qu'est-ce que tu lui ressembles ? C'était
03:41 très déstabilisant.
03:43 C'est aussi pour me débarrasser de tout ça que je fais ce livre.
03:45 Merci beaucoup, Johann Sfaer, d'être passé dans mon élodie sur France 1.
03:48 Ça s'appelle Les Idolâtres.
03:49 Et puis, je rappelle qu'il y a cette exposition Hommage.
03:51 C'est jusqu'au 12 mai prochain.
03:53 C'est une façon de découvrir encore plus de choses sur vous.
03:56 Vous avez fait quasiment 150, plus de 150 d'ailleurs.
03:59 Merci beaucoup.