Marie Portolano reçoit ce matin Mathias Wargon, médecin urgentiste et chef de service urgences SMUR de l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis. Il évoque la détresse du système de santé actuel, les déserts médicaux ou encore la pénurie d'aide dans les hôpitaux.
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00:00 Bonjour Mathias Wagon, merci beaucoup d'être avec nous.
00:03 Hier, Gabriel Attal a annoncé notamment que les médecins étrangers présents en France allaient être régularisés
00:08 et vous avez tout de suite réagi sur X.
00:10 Enfin, pourquoi ?
00:12 Pourquoi ? Parce que c'est un vrai problème, la régularisation.
00:15 Alors, on a toujours un peu cette ambiguïté, est-ce que c'est une régularisation au niveau de la préfecture de police
00:20 pour avoir des titres de séjour ou est-ce que c'est une régularisation au niveau de la santé pour pouvoir travailler dans nos hôpitaux ?
00:26 Mais oui, parce que c'est un imbroglio pas possible, qu'on n'y comprend rien, que personne n'y comprend rien
00:32 et que chaque médecin est dans une situation particulière.
00:35 Est-ce que ça va suffire quand même ?
00:37 Surtout, c'est une bonne décision face à la détresse que rencontre aujourd'hui le système de santé, la pénurie d'aides, les déserts médicaux.
00:43 Est-ce que ça va suffire ?
00:45 Ah non, ça ne va pas suffire, mais déjà ces médecins sont dans nos hôpitaux, ils tiennent...
00:49 Moi, je suis urgentiste, ils tiennent les urgences, mais ils tiennent aussi la radiologie, ils tiennent la chirurgie.
00:54 Donc déjà, pour soutenir nos hôpitaux, c'est un plus.
00:57 Et puis pour nous, c'est bien parce qu'on était dans le brouillard et on ne savait pas s'ils allaient rester, partir.
01:02 Mais ça ne fait pas tout le système de santé, on ne va pas se reposer là-dessus.
01:05 Il y en a combien en France de médecins étrangers ?
01:07 Il y en a quelques milliers quand même.
01:08 Et en fait, même là, on a des recueils d'informations sur combien il y a de médecins étrangers.
01:12 Mais il y a tellement de statuts possibles, de celui qui est médecin, maintenant français, à diplôme étranger,
01:19 qui est inscrit au conseil de l'ordre, jusqu'à celui qui vient d'arriver comme faisant fonction d'interne
01:23 ou ce qu'on appelle stagiaire associé.
01:25 C'est plusieurs milliers de personnes dont les statuts sont flous, dont certains exercent alors qu'ils n'ont pas le droit,
01:31 dont certains n'exercent pas.
01:33 Il y en a dans votre hôpital ?
01:34 Ah mais moi j'en ai énormément.
01:35 Qu'est-ce qu'ils font concrètement ?
01:37 Quand vous dites qu'ils tiennent l'hôpital, ça veut dire quoi ?
01:39 Ça veut dire que mon service d'urgence à Delafontaine, à Saint-Denis, n'est tenu quasiment que par des médecins à diplôme étranger,
01:47 dont la plupart ne sont pas inscrits au conseil de l'ordre.
01:50 Tous les internes de chirurgie, quasiment tous, sont des médecins étrangers.
01:54 La radiologie, c'est des médecins étrangers.
01:58 Donc voilà, quand le système fonctionne 24h/24, c'est grâce à ces médecins-là.
02:03 Il n'y a pas un risque qu'ils fassent tout ce que les médecins français ne veulent pas faire ?
02:07 Par exemple les gardes de nuit ?
02:08 Non mais ce n'est pas un risque, ils font tout ce que les médecins français ne veulent pas faire.
02:11 Et alors justement, ça les aide eux ?
02:13 Comment ça ? Bah évidemment, ça va les aider.
02:16 C'est normal de les régulariser, on les paye moins que les autres.
02:19 Le statut ne va pas être...
02:21 Ah si, parce qu'une fois qu'ils sont régularisés,
02:24 une fois qu'on leur permet d'exercer correctement, parce qu'il y a ça aussi,
02:27 en fait quand vous venez, que vous passez les concours,
02:29 si vous faites tout bien, vous passez les concours,
02:31 et que vous avez deux ans après de stage, pour vérifier que vous êtes vraiment bien,
02:35 au bout de deux ans vous n'êtes pas régularisé, vous n'êtes pas inscrit au conseil de l'ordre.
02:39 Il faut encore passer par ce qu'on appelle le centre national de gestion,
02:42 qui est l'agence qui gère les médecins, puis le conseil de l'ordre.
02:44 C'est encore un an ou deux ou trois ans.
02:47 À ce moment-là, oui, enfin vous pouvez être payé comme un médecin français.
02:50 Alors on a entendu ces derniers mois de plus en plus de témoignages
02:53 sur la situation dramatique des urgences,
02:55 où des patients meurent tragiquement faute d'avoir été pris en charge assez tôt.
02:58 Qu'est-ce qu'il faut faire selon vous ?
02:59 Il faut réformer à la fois le système de santé à l'extérieur de l'hôpital,
03:03 mais à la fois mettre le nez sur les problèmes hospitaliers.
03:06 Des services d'urgence qui ne fonctionnent pas, ça fait 15 ans, 20 ans qu'on en parle,
03:10 ça revient assez régulièrement, ce qui me permet d'être invité sur vos plateaux,
03:14 mais on le sait, il y a des services d'urgence qui fonctionnent,
03:17 d'autres qui ne fonctionnent pas, il n'y a pas de management à l'hôpital,
03:20 et puis le reste de l'hôpital se fout un peu des urgences,
03:23 sauf quand c'est la crise énorme, c'est-à-dire que des patients restent aux urgences,
03:27 on peut dire qu'il n'y a pas assez de monde à l'hôpital,
03:30 mais parfois les gens trient les patients.
03:32 Ce matin, il y avait un tweet d'un professeur de médecine de neurochirurgie en province,
03:36 il descend aux urgences parce qu'il y a quelqu'un de son service qui se sent mal,
03:40 alors il dit pour faire coucou.
03:41 Déjà, la déconnexion du type,
03:44 mais surtout il découvre la situation des urgences de son propre hôpital,
03:48 c'est quand même dingue !
03:49 - Alors qu'est-ce qu'il faut faire selon vous ?
03:50 - Ce qu'il faut faire, c'est avoir des services d'urgence qui fonctionnent,
03:53 avec du management qui fonctionne,
03:55 avec suffisamment de personnel et du personnel non seulement bien formé,
03:59 mais qu'on peut continuer à former en permanence,
04:01 et il n'y a pas assez de temps de formation,
04:03 derrière un aval, c'est-à-dire des services hospitaliers
04:07 qui fonctionnent en fonction de ce qui se passe dans les urgences,
04:09 mais aussi des patients qu'ils doivent recevoir,
04:12 et avec une organisation, ce qu'on appelle la gestion des lits,
04:15 mais que ça ne soit pas qu'un seul mot,
04:16 parce que tout le monde maintenant fait de la gestion des lits,
04:18 mais en vrai, ce n'est pas vrai, il n'y a pas de gestion des lits,
04:20 c'est chaque service choisit quel patient il va prendre,
04:23 alors que c'est complètement dingue, quoi !
04:26 Aux États-Unis, vous avez une gestion des lits qui décide où vont aller les patients,
04:29 ce n'est pas aux médecins de choisir qui ils vont prendre,
04:31 qui ils ne vont pas prendre,
04:32 une vraie gestion des lits,
04:34 et puis derrière, quelque chose qui permet de faire sortir les patients de l'hôpital,
04:38 parce qu'on a des patients qui ne peuvent pas rentrer à la maison,
04:41 ou en tout cas, il faut pouvoir les garder à la maison,
04:43 des patients qui doivent aller en soins de suite,
04:45 des patients qui doivent aller en EHPAD,
04:47 et tout ça, ça doit aller très vite.
04:49 Il faut des moyens.
04:50 Il faut des moyens, il faut les deux.
04:52 L'organisation sans les moyens, ça n'est rien,
04:55 les moyens sans l'organisation, ça n'est rien.
04:57 J'ai l'habitude de dire que plus de monde dans le bordel,
05:01 c'est juste du bordel avec plus de monde.
05:03 Oui, il faut du monde, mais oui, il faut l'organiser,
05:05 et chacun ne doit pas s'organiser lui-même,
05:08 il doit y avoir une organisation globale.
05:10 D'une manière générale, est-ce que vous êtes satisfait des annonces
05:12 faites hier par le Premier ministre sur le système de santé ?
05:14 Il a notamment parlé des taxes lapins pour les clients qui ne se présentent pas au rendez-vous.
05:18 Qu'est-ce que vous en avez pensé de ces annonces ?
05:20 Il y a des annonces qui répondaient à des demandes de médecins,
05:22 à la taxe lapin notamment pour les médecins libéraux,
05:25 ou pour les consultations à l'hôpital,
05:27 mais ce n'est pas ça qui va réformer le système de santé.
05:29 Il faut tout mettre à plat, c'est-à-dire forcément faire des mécontents,
05:33 il va falloir insister, on parle de prévention,
05:36 on n'a pas parlé des infirmières de pratique avancée,
05:38 et les médecins sont fortement contre les infirmières de pratique avancée,
05:42 alors pas tous, mais globalement le système, le Conseil de l'Ordre est contre,
05:45 à un moment il va falloir réformer le pays,
05:47 pour de vrai, les infirmières de pratique avancée,
05:49 c'est dans le monde entier sauf en France.
05:51 Est-ce que ça va arriver ? Vous pensez qu'on va réussir à réformer justement ?
05:55 Mais j'ai un peu l'impression qu'en France, on se réforme
05:57 que quand on est vraiment au fond du trou en fait.
05:59 Donc c'est pas grave, d'ici trois…
06:01 Là le système de santé est un peu au fond du trou.
06:03 Non, non, pas encore, enfin si on est au fond du trou,
06:05 mais on peut creuser encore, je crois que le mur du nombre de médecins insuffisants,
06:11 je crois que c'est dans 4-5 ans, donc on n'y est pas encore au fond du trou.
06:15 Est-ce qu'on va réussir à se relever ?
06:17 Est-ce qu'on va réussir ? Je ne sais pas, je n'ai pas de boule de cristal,
06:19 je n'en sais rien, il va falloir du courage politique,
06:22 non seulement pour ce gouvernement-là, mais pour ceux qui vont suivre,
06:25 et pour l'instant, depuis 30 ans sur la médecine,
06:28 on a eu de la comptabilité, on a eu du clientélisme vis-à-vis des médecins,
06:34 des patients, enfin de tout le monde, on n'a pas eu beaucoup de courage politique depuis 30 ans.
06:38 Merci beaucoup Mathias Wergon d'avoir été avec nous ce matin.
06:40 Je rappelle que vous êtes chef de service urgence mur de l'hôpital de La Fontaine
06:43 à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. Merci beaucoup.