• il y a 11 mois
Au delà de leurs revendications, François Purseigle, professeur des universités, sociologue, spécialiste du monde agricole, analyse le mal-être des agriculteurs, leur sentiment de déclassement, les injonctions contradictoires qu'on leur impose, le fait qu'ils soient de moins en moins nombreux pour nourrir toujours plus de monde, les consommateurs qui se disent prêts à les soutenir mais qui continuent d'acheter des produits étrangers...

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00:03 Après 8 jours de mobilisation des agriculteurs de Grognes et avant une reprise annoncée demain des blocages sur le terrain avec Paris particulièrement ciblé,
00:11 nous allons analyser ce matin ce mal-être agricole au-delà des revendications.
00:15 C'est donc un sociologue qui va nous éclairer, professeur des universités, c'est François Purcegle.
00:21 Je vous remercie d'être connecté François Purcegle, vous êtes sociologue et spécialiste de ce monde agricole.
00:25 On sait tous qu'être agriculteur c'est aujourd'hui un défi, on sait que c'est un métier difficile, on sait qu'on travaille souvent pour peu ou pour pas grand chose,
00:33 on sait qu'un agriculteur se suicide en France tous les deux jours. Mais alors qu'est-ce qu'on ne sait pas concrètement de leur mal-être ?
00:40 Écoutez, je pense que ce malaise agricole prospère depuis quelques années sur une crise sourde qui dissimule aujourd'hui un sentiment de désamour et d'incompréhension.
00:50 Les français et certains politiques regardent souvent l'agriculture avant tout comme ils la souhaitent, comme ils la fantasment et non pas comme elle est.
00:57 Et du coup ça crée aussi ce sentiment d'incompréhension avec des entrepreneurs qui sont aujourd'hui dans la rue et sur les barrages.
01:05 Moi ce qui me semble important à retenir, alors qu'on évoque très souvent le réarmement productif de la France,
01:11 on a des agriculteurs qui se pensent tout simplement désarmés, désarmés humainement,
01:17 parce que le sentiment de voir disparaître leur groupe professionnel auquel ils appartiennent est perceptible, notamment sur les barrages.
01:25 On voit bien combien le grand défi numéro un auquel la plupart des politiques n'ont pas encore répondu, c'est celui de la démographie et du renouvellement des actifs.
01:35 Ils se pensent désarmés aussi sur le plan économique, avec la lourdeur des investissements, et puis désarmés sur le plan technologique,
01:44 et puis on leur demande de transiter, mais finalement ils n'ont pas toujours les conseils, les outils pour transiter.
01:51 Cette colère, si je vous suis bien, qu'ils partagent depuis maintenant une semaine,
01:55 on doit comprendre que c'est l'expression d'une espèce de crise de confiance envers la société, c'est ça ?
02:01 Oui, je pense. Confiance vis-à-vis des consommateurs qui réclament des produits locaux,
02:06 mais qui ne se contentent pas toujours d'en payer le prix, donc il y a une question de consentement.
02:11 On a des agriculteurs, notamment dans la région Occitanie, où le mouvement a démarré,
02:15 qui ont fait des efforts, qui sont passés à la bio, qui sont aujourd'hui en train de se déconvertir pour certains.
02:20 On a des agriculteurs à qui on a dit "il faut consommer local", des consommateurs qui ont dit "je veux et on veut consommer local".
02:27 Ils ont monté des boutiques de producteurs. Ces boutiques de producteurs connaissent aujourd'hui une chute de leur chiffre d'affaires.
02:33 On a aujourd'hui des agriculteurs qui ont répondu à cet appel en montée en gamme, et on importe finalement des produits d'entrée de gamme.
02:43 Là, il y a une vraie ambiguïté, mais il y a une ambiguïté aussi avec les parties prenantes du territoire et les voisins.
02:49 On a des agriculteurs qui sont dans la rue aujourd'hui parce qu'on a du mal à les penser comme les chefs d'entreprise qu'ils sont.
02:55 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, cette colère, elle se nourrit aussi de l'incompréhension qui se joue dans les territoires ruraux.
03:01 On a des agriculteurs, tout simplement, qui veulent par exemple monter un poulailler, construire un outil mutualisé avec les autres agriculteurs qui restent à l'échelle du territoire.
03:11 Et la plupart, notamment des ruraux, n'acceptent pas ce qu'ils accepteraient pour un industriel ou un commerçant.
03:17 Donc ça, ça crée un sentiment d'incompréhension. C'est-à-dire que finalement, on n'accepte pas de l'agriculture ce qu'on accepte pour d'autres secteurs d'activité.
03:26 Et on assigne les agriculteurs à des images qui ne correspondent pas aux entrepreneurs qu'ils sont.
03:32 Et puis, il y a un sentiment de trahison aussi avec des industriels qu'on n'entend pas aujourd'hui et la GMS.
03:38 Donc, il y a l'idée quand même que finalement, ils ne pèsent plus dans les négociations.
03:44 Les politiques, François Purcegle, il y a une crise de confiance envers les politiques de ce monde agricole.
03:48 Est-ce que la kalinothérapie, ça peut marcher avec les agriculteurs ?
03:52 On a vu Gabriel Attal sur le terrain vendredi, il y retourne ce dimanche matin en Indre-et-Loire, ça peut marcher ça ?
03:57 Ils ne sont pas naïfs, ils voient bien que ce mouvement peut être récupéré par des parties de tous bords.
04:03 Par contre, ils ont quand même besoin d'échanger aussi avec des politiques et ils attendent aussi que les politiques descendent sur le terrain.
04:10 Donc, je pense que même s'ils ne sont pas naïfs, ils ont quand même besoin de réponses et il faut quand même que les politiques aillent sur le terrain.
04:18 Parce que cette classe politique française d'aujourd'hui est, on peut le dire, un peu désocialisée à la question agricole.
04:24 Jadis, les personnels politiques faisaient leur classe à la campagne, ils étaient élus, députés de zones rurales.
04:31 On voit bien que la classe politique a profondément évolué, tout comme le reste de la société.
04:37 Il ne faut pas oublier qu'il y a un siècle, il y avait dix fois plus de producteurs agricoles.
04:41 Et aujourd'hui, il y a besoin de reconnecter la classe politique à cette profession.
04:47 Il y aura de moins en moins d'agriculteurs pour nourrir toujours plus de monde.
04:50 C'est un peu le résumé du matin.
04:51 François Pursec, c'est un plaisir de vous écouter, sociologue et spécialiste de ce monde agricole.
04:55 Merci d'avoir été en direct avec nous.
04:57 Merci à vous.
04:58 Un vidéo de RTL Matin Entretien, bien sûr, et infos et analyses qu'on peut retrouver en détail sur notre site rtl.fr.
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