C’est une colère qui couve depuis plusieurs mois et qui éclate désormais au grand jour. Depuis plus d’une semaine, les agriculteurs occupent plusieurs axes routiers, organisent des actions devant des préfectures, des centres commerciaux. Ce ras-le-bol se nourrit d’une inflation record, de revenus trop faibles, d’un empilement de normes très contraignantes...Nos reporters se sont rendus sur les barrages, au plus près des actions, et auprès de certains de ces exploitants qui peinent à vivre de leur travail
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00:00 Une manière pacifique, ils y tiennent, d'afficher leur ras-le-bol.
00:03 Pacifique, mais déterminé.
00:26 Excédé par un quotidien devenu invivable selon eux.
00:30 Romain Courval va nous en faire la démonstration dans sa ferme de 200 hectares.
00:36 Nous le retrouvons au petit matin.
00:46 Comme chaque jour, il enfile sa tenue de travail.
00:51 Une combinaison et des bottes.
00:56 Direction les tables pour retrouver ses bêtes.
00:59 Alors là, on a des animaux que j'ai sevrés hier.
01:03 Ce sont des femelles qui ont entre 7 et 8 mois, qui sont de race charolaise.
01:10 Sur son exploitation, un peu plus de 200 animaux dont il faut s'occuper au quotidien.
01:18 Les horaires d'une journée type, de 7h à 8h du matin, avec une heure de coupure le midi,
01:25 et jusqu'à 8h le soir, 19h38.
01:30 - 7 jours sur 7 ?
01:31 - 6 jours sur 7, le dimanche, on en fait moins.
01:34 Une activité intense, exigeante.
01:37 Ce qui n'effraie pas Romain Courval.
01:40 Il s'y est préparé dès son plus jeune âge.
01:43 - Moi, j'ai toujours baigné là-dedans, en fait.
01:46 Depuis tout petit, les week-ends ou les vacances, j'allais aider mes parents à la ferme.
01:51 Donc c'était un peu une sorte d'évidence.
01:54 Je me suis toujours pu là-dedans.
01:56 J'ai fait le choix en 3e de partir en études agricoles pour me former vraiment à ce métier-là.
02:00 Et aujourd'hui, je ne le regrette pas du tout.
02:02 Romain Courval a repris l'exploitation familiale le 1er janvier dernier.
02:09 Et peu à peu, il découvre l'envers du décor et les difficultés concrètes du métier.
02:17 - Ça, c'est du plastique que je me sers pour faire un aliment de qualité pour les aliments,
02:23 pour la fermentation de l'herbe qui se trouve dedans, parce que c'est de l'herbe dedans.
02:26 Mais ce produit-là, il a pris, on va dire, 40% en moins de 2 ans, quoi.
02:34 Donc ça nous fait des charges encore en plus qui sont un peu difficiles à avaler.
02:40 C'est que nous, derrière, on n'a pas l'augmentation de nos prix de vente.
02:44 Donc ça s'équilibre pas, quoi.
02:47 Autre point de crispation, le prix du GNR.
02:52 Le gazole dit non routier, utilisé dans les tracteurs de la ferme.
02:57 - Aujourd'hui, honnêtement, sur l'utilisation du tracteur, on y réfléchit beaucoup.
03:01 Quand on descend pour aller voir des animaux, on l'éteint beaucoup plus qu'avant,
03:07 parce que c'est devenu un "made luxe", un peu, comme j'aime bien dire, maintenant.
03:13 L'avantage fiscal dont il bénéficiait a été raboté.
03:19 Un poste de dépense supplémentaire pour le jeune fermier.
03:23 - En chiffre, on va dire qu'il y a 2 ans, on achetait le litre de GNR 50 centimes en moyenne.
03:33 Aujourd'hui, on est arrivé plutôt à 1,10 euro, quoi.
03:37 Ça a doublé.
03:39 Une situation qui se dégrade et que suit de près Christine Courval, la mère de Romain.
03:47 - Donc il va me rester le maïs à mettre.
03:50 - Oui, je vais le reprendre comme il faut. Je vais aller voir le 50, là.
03:53 Je pense qu'il est encore un peu malade.
03:56 A 55 ans, cette mère de famille travaille elle aussi sur l'exploitation.
04:01 D'abord aux côtés de son mari, désormais avec son fils.
04:05 - Je suis très contente, très, très contente,
04:08 puisque comme mon mari a pris la retraite, ça me permet d'être avec mon fils.
04:12 Si Romain ne s'était pas installé, j'aurais pas pu rester à l'exploitation toute seule.
04:17 J'aurais dû aller finir ma carrière ailleurs.
04:19 Donc là, c'est une joie de pouvoir travailler avec son fils,
04:22 transmettre tranquillement à Romain.
04:25 - C'est aussi un peu la volonté que j'ai eue dans mon installation.
04:29 Au-delà de la mort un peu du métier, c'est de perdurer un petit peu ce que mes parents avaient construit.
04:38 Un héritage qui se transforme en fardeau.
04:42 A 6 ans de la retraite, la quincagénaire a vu son métier évoluer.
04:46 Et elle se rend bien compte que la profession est aujourd'hui sérieusement en danger.
04:51 - Il y a toujours eu une différence en ce que vraiment ça nous coûte à produire et ce qu'on peut le vendre.
04:55 Mais de toute façon, c'est pas nous qui décidons le prix de vente.
04:57 Si le revenu n'évolue pas, on va perdre les agriculteurs.
05:01 Parce que peut-être que nous encore, nos générations, on a fait un peu de sacrifice,
05:05 mais les nouvelles générations, elles font peu de sacrifice.
05:08 Ils ont les compétences pour aller faire autre chose, ils iront faire autre chose.
05:11 Une génération inquiète pour l'avenir.
05:15 Une journée par semaine, Romain Courval quitte ses vaches pour s'enfermer ici dans son bureau.
05:22 - Alors ça, ça représente une année de facture en fait sur l'exploitation.
05:28 Là, on a l'année 2021, la partie facture de 2021.
05:32 Et là, on a la facture de l'année 2023.
05:35 Des heures à faire les comptes pour tenter de voir si chaque mois, son activité est rentable.
05:44 Et bien souvent, le jeune agriculteur fait le même constat.
05:48 - On peut remarquer que le coût de production aujourd'hui pour une vache à étante,
05:53 il peut être de 6,17€ en fait, ça coûte 6,17€ du kilo.
05:58 Et aujourd'hui, le prix de marché, il est de 5,43€.
06:01 Pour rentrer en fait dans nos frais et pour juste verser un SMIC et payer toutes nos factures,
06:08 il faudrait le vendre 6,17€ en fait du kilo.
06:11 Donc on voit vraiment qu'il y a vraiment en fait ces 50 centimes ou 60 ou 80
06:16 qui manquent en fait pour vraiment vivre décemment quoi.
06:20 Alors comme ses collègues, pour éviter de sombrer et d'être dans le rouge en permanence,
06:25 Romain Courval compte sur les aides.
06:28 Celles de l'APAC, la politique agricole commune financée par l'Europe.
06:33 - Aujourd'hui, en tant qu'agriculteur, on ne peut pas se passer de l'APAC et des normes européennes
06:39 parce que sans les fonds qui nous versent, on ne pourrait pas tenir les fermes.
06:44 Mais derrière, on a une quantité de normes qui s'imposent à nous de plus en plus grande,
06:49 une lourdeur administrative qui devient un peu imbuvable.
06:53 Un empilement des réglementations.
06:56 Ce qui pour l'ancienne génération complexifie le travail des agriculteurs.
07:02 - On a des contraintes supplémentaires bien évidemment pour tout ce qui entretient des prairies.
07:06 Plus ça va, plus on en a.
07:08 Jusqu'à il y a encore quelques années, Christine Courval utilisait du désherbant autour de ce ruisseau
07:16 pour enlever les ronces et permettre l'accès aux bétails.
07:20 Mais aujourd'hui, cette pratique est totalement interdite.
07:24 - On a toujours l'impression d'être un peu des criminels, de tuer la planète
07:27 parce qu'on essaie d'entretenir nos prairies et la nature comme il faut,
07:30 alors qu'en fait, on ne fait rien de mal.
07:33 Ça nous est déjà arrivé d'être contrôlés, de trouver quelqu'un dans leur ruisseau.
07:37 Donc ce sont des agents assermentés qui arrivent avec leur pistolet.
07:40 C'est vraiment un peu impressionnant.
07:43 Et donc ils viennent voir ce qu'on a fait.
07:45 Alors forcément, si on a traité, ça se voit.