Benjamin Morel : «Le Conseil constitutionnel a d'abord été pensé comme étant une forme de garde-chiourme contre les parlementaires»

  • il y a 8 mois
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Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris 2 Panthéon-Assas et auteur, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Dans sa décision très attendue sur le projet de loi immigration, le Conseil constitutionnel a censuré largement le texte, à hauteur de 40%, dont le durcissement de l'accès aux prestations sociales.

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Transcript
00:00 - Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le maître de conférence en droit public, Benjamin Morel.
00:06 - Bonjour Benjamin Morel.
00:08 - Bonjour.
00:09 - Bienvenue Benjamin sur Europe 1.
00:10 Décidément, cette loi immigration échappe à toute normalité législative dans sa décision rendue publique hier.
00:17 Le Conseil constitutionnel censure plus du tiers du texte qui faisait l'objet de quatre saisines.
00:23 Benjamin Morel, c'est votre matière, vous en êtes expert.
00:26 La constitution, quel résumé on peut faire aux auditeurs d'Europe 1 de cette très très longue décision rendue par le Conseil constitutionnel ?
00:33 - En réalité, cette décision n'est pas très complexe.
00:36 C'est-à-dire que le principal, pour ne pas dire quasiment l'unique motif de censure à l'exception de deux dispositions de la loi,
00:43 c'est ce que l'on appelle les cavaillers législatifs.
00:46 Un cavailler législatif, c'est une disposition qui en soi, on ne peut pas dire qu'elle soit ou pas constitutionnelle sur le fond
00:52 parce que le Conseil refuse d'en examiner le fond, mais elle n'a rien à voir avec le fond du texte.
00:57 Et donc, dans le cadre de son contrôle, le Conseil constitutionnel considère que votre texte a un thème
01:03 et qu'il y avait un certain nombre de dispositions originelles proposées par le gouvernement
01:07 et le Parlement n'avait pas à lui imposer de parler d'autre chose.
01:11 Et là, en effet, les dispositions introduites par notamment la droite au Sénat puis à l'Assemblée nationale,
01:18 mais particulièrement au Sénat, étaient en opposition, en tout cas n'étaient pas dans la ligne du texte initial.
01:25 Donc le Conseil a censuré.
01:26 - Mais j'aimerais comprendre, Benjamin Morel, le resserrement du regroupement familial.
01:31 La fin de l'automaticité du droit du sol pour les enfants d'étrangers nés en France.
01:36 Je prends là seulement deux des mesures considérées comme des cavaliers législatifs,
01:40 donc comme soi-disant n'ayant absolument rien à voir avec l'immigration.
01:44 On a quand même l'impression qu'il y a un lien avec l'immigration.
01:47 Comment le Conseil constitutionnel peut-il nous dire que ça n'a aucun rapport ?
01:51 - Alors, il ne faut pas seulement un lien avec, je dirais, la thématique globale de votre texte.
01:56 Il faut que ce lien soit extrêmement proche et surtout il faut que ce soit un lien avec une disposition originelle au sein de votre texte.
02:03 Admettons que vous ayez un amendement sur le fromage et que votre texte porte sur les carottes râpées,
02:10 et bien ce n'est pas possible.
02:11 Si jamais vous aviez un article qui portait par exemple sur les tomates,
02:18 mais que vous avez décidé, même si c'était quand même un légume, de mettre un amendement sur les courgettes,
02:26 étant donné qu'il n'y avait rien sur les courgettes à l'origine, ce n'est pas possible.
02:29 Là, il n'y avait rien sur le regroupement familial dans le texte initial.
02:33 Et donc, ce faisant, même si ça a trait à la thématique globale du texte,
02:37 comme le gouvernement n'avait pas prévu de parler de ce sujet dans son texte initial,
02:41 et bien c'est un cavalier.
02:43 Mais ça nous dit quoi d'abord du découpage législatif ?
02:46 Parce qu'honnêtement, je vous avoue que j'ai quand même toujours du mal à comprendre
02:49 qu'évoquer la question du regroupement familial ne soit pas considéré comme faisant partie de la thématique immigration, si je puis dire.
02:57 Mais enfin, au-delà de ça, le législateur, les députés, les sénateurs LR,
03:02 puisque ce sont essentiellement les mesures qu'eux avaient ajoutées par amendement dans le texte qui ont été retoquées,
03:08 s'était couru d'avance que ça ne passerait pas ?
03:11 Est-ce qu'il y a une naïveté parlementaire ?
03:13 Il y a une naïveté parlementaire, ou en tout cas, il y a une volonté des parlementaires de ne pas voir le sujet,
03:18 parce qu'évidemment, tout le monde fait de la politique, il ne faut pas non plus tout à fait se leurrer.
03:22 Si vous voulez, le principe même du cavalier législatif,
03:25 ce n'est pas un principe de protection des libertés fondamentales,
03:28 c'est un principe de contrôle du gouvernement, du processus législatif.
03:33 C'est un principe de rationalisation des 58.
03:36 Le Conseil constitutionnel a d'abord été pensé comme étant une forme de garde-chourme contre les parlementaires.
03:41 Et donc, ce Conseil constitutionnel...
03:44 C'est fort ce que vous venez de dire.
03:45 Comment ?
03:46 C'est très fort ce que vous venez de dire.
03:47 Les sages du Conseil constitutionnel sont les garde-chourmes des parlementaires.
03:51 Ce n'est pas anecdotique comme bras.
03:53 Initialement, c'est pensé comme ça par de Gaulle et par Debré.
03:55 Ce rôle, le Conseil va un peu le modérer, mais malgré tout, c'est un peu l'idée initialement.
03:59 Il faut garder le gouvernement des volontés du parlementaire de remettre en cause sa primauté.
04:06 Et donc, si jamais les parlementaires veulent imposer quelque chose,
04:09 veulent imposer un sujet au gouvernement dont le gouvernement ne voulait pas parler dans un texte,
04:13 et bien à ce moment-là, le Conseil censure ce principe du cavalier.
04:17 Et là, c'est un peu ce qui s'est passé d'une certaine façon.
04:19 C'est-à-dire que le gouvernement ne voulait pas aller sur les terrains posés par la droite sénatoriale.
04:24 Et donc, ce faisant, ces dispositions qui n'étaient pas prévues à l'origine dans les thématiques abordées,
04:30 elles sont censurées.
04:31 Donc ça, tout le monde était un petit peu au courant.
04:33 Alors, évidemment, la ME était encore plus évidente pour tout le monde,
04:36 mais la disposition en question l'était aussi.
04:39 - Alors, il y a des mesures qui sont censurées, cette fois pour des motifs, on va dire, plus graves.
04:44 L'anticonstitutionnalité, c'est-à-dire vraiment que ça n'a rien à voir avec la Constitution française.
04:49 Deux mesures notamment.
04:50 La première, c'est le vote de quota d'immigration par le Parlement.
04:54 L'autre mesure, c'est la prise d'empreintes et de photos d'une personne en séjour irrégulier.
05:00 On a quand même pourtant là deux mesures qui sont décisives pour réguler,
05:03 alors à la fois l'immigration légale et illégale.
05:06 Et là, le Conseil constitutionnel nous dit que c'est purement et simplement anticonstitutionnel.
05:11 Politiquement, c'est quand même difficilement compréhensible.
05:14 - Alors, c'est en effet un constitutionnel pour des raisons de trois fondamentaux,
05:18 mais pas que.
05:19 Si vous prenez notamment la question des quotas,
05:21 et bien là, c'est plus une question de séparation des pouvoirs, en fait.
05:24 C'est quelque chose qui est une prérogative de l'exécutif.
05:26 Vous ne pouvez pas forcer le Parlement à faire des débats annuels.
05:30 Et de l'autre côté, le Parlement n'a pas à forcer l'exécutif
05:34 en lui donnant des injonctions quant à la manière dont l'exécutif appliquerait une loi.
05:41 Donc là, ça ne veut pas dire que les quotas ne sont pas constitutionnels.
05:44 Ça, on n'en sait rien.
05:45 Ça ne veut pas non plus dire d'ailleurs concernant les cavaliers
05:47 que toutes les dispositions qui ont été censurées parce que cavaliers sont constitutionnels.
05:52 Le Conseil a simplement considéré que ces dispositions-là,
05:55 elles n'avaient rien à faire dans le texte.
05:56 Donc ce faisant, il n'allait pas perdre du temps à les examiner au fond.
06:00 Il les supprimait d'emblée.
06:01 Donc on a encore beaucoup, beaucoup de flou sur qu'est-ce qui,
06:05 en matière d'immigration, pourrait être fait à quatre consuelles constantes.
06:09 - On a un arsenal juridique et constitutionnel, Benjamin Morel,
06:13 que je comprenne bien, qui nous dit que des quotas migratoires
06:16 votés par le Parlement comme ça se fait dans d'autres grandes démocraties parlementaires,
06:20 ce n'est pas possible en France.
06:22 C'est contraire à la Constitution.
06:24 - Toujours le même principe.
06:26 En votant des quotas au Parlement,
06:28 vous donnez des instructions, des injonctions au gouvernement
06:32 dans l'application des lois.
06:33 Et donc ce faisant, ça en effet, pour des raisons de séparation des pouvoirs
06:37 et de préservation des prérogatives du gouvernement,
06:40 ce n'est pas possible.
06:41 - Alors à cela, on a vu les réactions politiques.
06:43 La France Insoumise plaide maintenant pour le retrait du texte.
06:47 La gauche est globalement satisfaite du travail de censure du Conseil constitutionnel.
06:51 À droite, en revanche, je vous cite la réaction de Bruno Retailleau,
06:54 qui nous dit, tout simplement, ce n'est plus le Parlement qui fait la loi dans ce pays.
06:59 Je propose que Gabriel Attal fasse sa déclaration de politique générale
07:02 devant le Conseil constitutionnel.
07:03 Voilà ce qu'a dit hier Bruno Retailleau.
07:05 Donc il y a la boutade, mais sur le fond, il y a aussi cette attaque virulente.
07:08 Ce n'est plus le Parlement qui fait la loi dans ce pays, Benjamin Morel ?
07:12 - La réalité, c'est que cette jurisprudence, elle est constante depuis des années.
07:17 On a essayé de l'infléchir en 2008.
07:19 On a introduit un certain nombre de dispositions
07:20 pour permettre de desserrer les taux des cavaillers législatifs,
07:24 mais on connaissait le résultat.
07:26 Donc si vous voulez, tout le monde fait un peu de la politique aujourd'hui.
07:28 Vous avez une opposition qui a imposé des dispositions
07:32 dont elle pouvait penser très clairement qu'elles seraient censurées.
07:35 Un gouvernement qui les a acceptées en pensant qu'elles seraient censurées.
07:38 Si Laurent Fabius n'était pas très content il y a quelques jours,
07:40 c'est parce qu'en effet c'est à lui de faire le sale travail à ce moment-là
07:43 et qu'évidemment c'est le Conseil constitutionnel qui se prend une volée de bois vert.
07:47 Mais la réalité, c'est que vous auriez pu avoir un texte élargi par le gouvernement
07:53 auquel cas ces dispositions auraient pu être introduites.
07:55 Vous pourriez avoir demain un nouveau texte législatif
07:58 qui ouvrirait sur ces dispositions et permettrait de les voter.
08:02 Donc le problème, là, n'est pas tant un problème de constitutionnalité au fond,
08:05 encore une fois, qu'une forme du texte initial du gouvernement,
08:08 qu'une volonté politique du gouvernement.
08:10 Et donc c'est plutôt vers le gouvernement qu'il faut se tourner, pour le coup,
08:15 que vers le Conseil constitutionnel, même si on peut être, pour d'autres questions,
08:19 très critique du Conseil constitutionnel.
08:21 - Merci Benjamin Morel d'avoir été avec nous au direct sur Europe 1 ce matin.
08:24 Je rappelle que vous êtes maître de conférences en droit public à l'université Panthéon à Sasse.
08:29 Bonne journée à vous.
08:30 - Merci à vous.

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