Hey salut à tous et bienvenue dans cette nouvelle vidéo où on va parler du phénomène et de la disparition des sagas dystopiques pour adolescents comme Hunger Games, Divergente ou encore Le Labyrinthe.
Merci encore à Sandra Hamiche d'avoir accepté de répondre à mes questions sur le sujet !
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Twitter/X: @adam_bros
00:00 : La littérature ados/jeunes adultes
03:25 : L'arrivée des sagas dystopiques
06:45 : Un succès fulgurant et disruptif
11:00 : La critique du conformisme
14:20 : La dystopie comme cadre d'action (démocratie, terreur et divertissement)
21:50 : Le miroir de nos angoisses
25:10 : Des erreurs stratégiques et problèmes intrinsèques
34:20 : Un avenir en suspens
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00:00 Ce mercredi, le nouvel opus préquel d'Hunger Games sort au cinéma,
00:04 près de 8 ans après le dernier volet.
00:06 Je me suis dit que c'était le moment parfait pour revenir sur le phénomène
00:10 aussi éphémère que puissant des sagas dystopiques pour jeunes adultes.
00:15 Alors qu'en 2013, le genre semblait asseoir une hégémonie sans commune mesure sur sa cible au cinéma,
00:21 il a disparu aussi vite qu'il est arrivé.
00:23 Comment ces sagas pour adolescents ont rencontré un tel succès avec des thèmes forts ?
00:29 Et comment elles se sont écroulées avant même d'avoir pu bénéficier complètement de cette réussite ?
00:35 Aujourd'hui, on se concentrera donc sur les sagas dystopiques pour jeunes adultes
00:39 avec comme corpus principal le trio Divergente, le Labyrinthe et bien sûr Hunger Games.
00:44 Bref, pour bien comprendre l'engouement autour du phénomène,
00:46 il faut revenir au matériau d'origine de ces sagas, les livres.
00:50 Il est impossible de déterminer avec exactitude les premiers livres
00:53 s'adressant particulièrement aux adolescents et jeunes adultes.
00:56 C'est souvent Seventeen Summer, écrit en 1942 par Maureen Daly, qui est considérée comme telle.
01:02 Tout au long du XXe siècle, la cible 13-25 ans se développe dans le monde de l'édition.
01:06 Mais c'est vraiment au tournant du XXIe siècle que les livres commencent à viser ce public
01:11 par son marketing de manière plus marquée.
01:13 Et j'imagine que vous vous en doutez, mais l'explication principale
01:16 tient dans l'avènement d'une franchise centrée sur un petit sorcier
01:19 qui envahit la pop culture à ce moment-là.
01:21 [♫ Générique ♫]
01:29 En 1997, le premier livre Harry Potter sort.
01:32 Initialement édité à 500 exemplaires, il rencontre un intérêt important rapidement
01:36 et s'écoule finalement à 30 000 exemplaires en l'espace de 5 mois.
01:40 Ce qui est intéressant, c'est qu'à l'origine, J.K. Rowling n'a pas spécialement
01:44 une tranche d'âge particulière en tête, c'est son éditeur qui va choisir de cibler les jeunes.
01:48 Finalement, les suites, et surtout l'adaptation au cinéma à partir de 2001,
01:52 finiront de placer Harry Potter comme un élément incontournable de la culture populaire.
01:55 Et qui dit succès, dit forcément intérêt croissant de la part des éditeurs
01:59 pour tenter de recréer un succès similaire.
02:01 Au début des années 2000, de plus en plus de sagas, appelés Young Adults,
02:05 sont publiés chaque mois en librairie.
02:07 En 1997, environ 3000 romans pour jeunes adultes avaient été édités,
02:11 en 2009, c'est 10 fois plus, avec près de 30 000 titres dans un marché
02:16 qui représentait désormais 3 milliards de dollars.
02:19 La grande réussite de cette niche est de ne pas se contenter des adolescents ou des enfants.
02:23 En 2012, 55% des romans Young Adults étaient achetés par des adultes entre 18 et 44 ans.
02:29 Ça, c'est du côté littéraire.
02:30 Mais nous, ce qui va nous intéresser, ce sont les adaptations cinématographiques.
02:34 Et de ce côté-là, c'est un peu plus difficile.
02:37 Hormis l'exception Harry Potter ou le premier Narnia,
02:39 de nombreuses adaptations ne réussissent pas à rentrer dans leurs frais.
02:42 Eragon est une catastrophe industrielle,
02:44 Percy Jackson rencontre de grandes difficultés pour dégager des bénéfices,
02:48 tout comme les suites de Narnia.
02:49 Et pour cause, les budgets de ces films dépassent rapidement les 100 millions de dollars,
02:53 obligeant le long métrage à atteindre environ les 300 millions de dollars de recettes
02:57 pour être profitable à son studio.
02:58 La seule adaptation qui réussit à se sortir de cette problématique est la saga Twilight,
03:02 dont le premier opus n'a coûté que 30 millions de dollars pour 400 millions de recettes,
03:07 et le dernier dépassant à peine les 100 millions de dollars de budget pour un box-office de 850 millions.
03:13 Les adaptations Young Adults apparaissent alors encore un terrain glissant pour les studios,
03:31 en dehors des rom-coms avec des vampires et des loups-garous.
03:34 Mais une nouvelle saga va complètement bouleverser l'industrie,
03:38 peut-être même autant qu'Harry Potter.
03:41 En 2008, Susan Collins publie le premier tome d'Hunger Games,
03:44 roman dystopique dans lequel on suit Katniss Everdeen lutter pour sa survie dans une télé-réalité macabre.
03:50 Et c'est immédiatement un succès.
03:52 Et là, on ne parle pas de 50 000 exemplaires, mais de 30 millions de lecteurs en tout.
03:56 En 2009, la société de production Color Force,
03:59 à l'origine des adaptations du chef-d'œuvre Journal d'un dégonflé par exemple,
04:02 achète les droits pour porter la saga au cinéma.
04:04 Elle est rapidement rejointe par Lionsgate pour une somme autour de 200 000 dollars.
04:08 À ce moment-là, Lionsgate est loin des majors hollywoodiens qui dominent l'industrie.
04:12 Pire, cela fait 5 ans que l'entreprise n'a pas généré de profit grâce à la sortie d'un film.
04:17 Le studio va alors couper les budgets des autres productions
04:20 et vendre certaines de leurs possessions pour assurer un budget de 88 millions de dollars au film.
04:25 Pour vous donner un ordre d'idée, c'est légèrement en dessous du premier Percy Jackson,
04:29 et deux fois moins que le premier Narnia.
04:31 Pour autant, le film s'en sort visuellement très bien,
04:34 en grande partie grâce à l'utilisation massive de décors réels,
04:37 favorisé par l'environnement de forêt de l'arène de jeu,
04:40 évitant les écueils d'effets spéciaux habituels du genre.
04:42 Pour ce qui est du scénario, Susan Collins, l'auteur du livre,
04:45 s'est chargée elle-même d'adapter l'histoire en long métrage en compagnie du réalisateur,
04:49 de la même manière que J.K. Rowling pour Harry Potter.
04:51 Si le film est assez fidèle à l'œuvre d'origine, il change la focale principale,
04:56 la narration étant du point de vue de Katniss.
04:58 Or, à moins de faire comme la première trilogie Spider-Man,
05:01 où le personnage passe son temps à parler tout seul sans raison,
05:04 il était plus intéressant d'offrir un panorama plus large.
05:06 Cela donne aussi la possibilité de voir des scènes supplémentaires,
05:09 notamment celles avec le Président Snow ou les Game Makers.
05:12 Katniss est interprétée par Jennifer Lawrence, relativement peu connue avant le film,
05:17 qui a devancé Emma Roberts, Chloe Grace Moretz ou encore Shailene Woodley,
05:21 qui avait auditionné pour le rôle.
05:22 Hunger Games sort au cinéma en 2012,
05:25 et réalise un box-office de quasiment 700 millions de dollars dans le monde,
05:29 devenant le plus gros succès de Lionsgate et entraînant une vague immense avec lui.
05:34 Dès mars 2011, Summit Entertainment, la boîte de production à l'origine de Twilight,
05:50 achète les droits d'adaptation de Divergente, une autre saga dystopique pour ado.
05:54 En 2012, Lionsgate rachète la boîte de production et augmente le budget prévu pour le film,
05:58 afin de le mettre au même niveau qu'Hunger Games, autour des 80 millions de dollars.
06:02 Cette fois, Shailene Woodley obtient le premier rôle.
06:05 Le long métrage arrive en salle en 2014 pour un bénéfice final estimé de 71 millions de dollars,
06:11 ce qui est bien mais pas non plus la folie au vu de l'ambition initiale.
06:15 Hollywood, qui était à la recherche d'une nouvelle poule aux œufs d'or
06:18 après la fin de la saga Twilight et Harry Potter, l'a peut-être enfin trouvée.
06:23 Toute la machine américaine va alors se mettre en route pour rééditer l'exploit.
06:28 En s'appuyant sur des fanbases consolidées et parfois très actives,
06:31 ces univers ont l'avantage d'avoir un public déjà acquis
06:34 et qui vont se faire l'écho de la promotion des films sur les réseaux sociaux alors en pleine explosion.
06:38 Une forme de ruée vers l'or dystopique s'amorce.
06:41 En 2014, 4 blockbusters adaptés de romans dystopiques young adults sortent au cinéma,
06:50 avec le 3ème volet de Hunger Games, le Labyrinthe divergente et The Giver.
06:54 C'est absolument énorme, le marché domine les salles de cinéma
06:57 alors qu'on est pourtant 2 ans après Avengers et que la mode des films super-héroïques bat son plein.
07:01 En coulisses, les studios s'arrachent tous les livres répondant à ces critères,
07:05 parfois de manière même un peu incohérente.
07:07 Par exemple, 6 studios se sont battus lors d'une enchaire autour du livre Daughter of Smoke and Bone,
07:13 un livre fantasy autour d'une jeune rebelle de 17 ans.
07:16 Pourtant, l'ouvrage ne s'était écoulé qu'à 22 000 exemplaires.
07:19 Beau succès, mais clairement pas un phénomène.
07:21 Finalement, c'est Universal Pictures qui sortira gagnant des négociations
07:25 en payant plus d'un million de dollars pour obtenir les droits d'adaptation.
07:28 Le film n'a jamais vu le jour.
07:30 Mais à ce moment-là, le genre est sûrement à son point culminant.
07:34 Durant mes recherches, je suis tombé sur le travail de Sandra Amish,
07:37 enseignante et doctorante en sciences de l'information et la communication,
07:41 qui a notamment étudié ce sujet.
07:43 Elle a gentiment accepté de répondre à mes questions,
07:45 et pour elle, le succès de ce genre s'explique de manière assez rationnelle.
07:49 J'identifie plusieurs raisons à l'émergence du genre dystopique young adult dans les années 2010.
07:55 Depuis Harry Potter, les franchises dites transmédiatiques,
07:59 dont le récit se déroule sur plusieurs plateformes médiatiques,
08:02 d'abord des romans, ensuite leurs adaptations cinématographiques.
08:07 Et la génération des milléniaux a grandi avec ce type d'objets sériels.
08:12 Il y avait une forte demande pour ce type d'objets qui permettent une forte fidélisation,
08:17 et ça, l'industrie hollywoodienne l'a bien compris.
08:20 On parle aussi souvent de blockbusters à concept élevé.
08:24 Et suite à l'épuisement du concept vampire, le champ était libre, déjà, pour le concept dystopique.
08:30 Les articles pleuvent pour relater le phénomène,
08:33 et les têtes d'affiches de ces longs-métrages deviennent rapidement des superstars,
08:36 à l'image de Jennifer Lawrence, pourtant assez mal à l'aise dans un premier temps avec l'exercice.
08:40 Comme si finalement, l'engouement autour de ces jeunes adolescents en rébellion contre le monde
08:45 avait pris un peu tout le monde de cours.
08:47 Malgré ces éléments, du côté de Hollywood, personne n'avait vraiment vu venir ce phénomène.
08:52 Ces succès étaient un peu inattendus, notamment en partie car le genre de la dystopie young adult
08:56 repose sur des éléments assez disruptifs.
08:59 Tout d'abord, dans le cas de Divergente et Hunger Games,
09:01 les deux films sont portés par des personnages féminins forts.
09:04 Loin d'être la première fois que c'est le cas dans la pop culture,
09:06 contrairement à ce que Jennifer Lawrence avançait, il faut souligner que c'était très rare.
09:10 En dehors d'Alien ou Terminator, les personnages féminins étaient le plus souvent relégués
09:14 à des personnages secondaires ou des stéréotypes définis par leur relation amoureuse.
09:18 Pour éviter de se mettre à dos un public de jeunes garçons, comme ce fut le cas avec Twilight,
09:22 ces films vont bénéficier de l'action au centre du long-métrage
09:26 qui reste un attrait majeur pour ce public.
09:28 Si vous pensez que c'est abusé de se dire qu'un personnage féminin pourrait repousser le public masculin,
09:32 je tiens à vous rappeler que J.K. Rowling a pris un nom d'auteur,
09:35 notamment car son éditeur lui expliquait qu'un nom de femme
09:38 risquerait de rebuter les garçons qui voudraient lire le livre.
09:40 Des films portés par des femmes, adaptés d'ouvrages écrits par des femmes, c'est loin d'être anodin.
09:45 "Alors il s'agit d'un progrès puisque que ce soit en France ou aux Etats-Unis,
09:50 les femmes demeurent sous-représentées à l'écran.
09:53 Au sein de Teen Movie, il s'agit d'un progrès puisque les héroïnes de Teen Movie,
09:56 bien souvent, elles ont été cantonnées au sous-genre de la romance.
10:01 Donc ici on va avoir des héroïnes qui sont tout de même des meneuses de révolte politique.
10:06 C'est aussi en soi, en plus d'un progrès dans la représentation des femmes au sein du Teen Movie,
10:11 un progrès dans les représentations de la jeunesse,
10:14 puisque la jeunesse est rarement présentée comme étant politisée.
10:18 Néanmoins, ce progressisme, il va être limité,
10:22 puisque bien souvent, les héros de ces films, hommes ou femmes, se défendent en fait.
10:26 Ils ne se battent pas pour transformer la société dans laquelle ils vivent,
10:30 ce qui aurait pu renforcer le message politique des films.
10:33 Le progressisme des représentations des femmes et de la jeunesse dans ces films est ambiguë,
10:40 et c'est une tendance du cinéma hollywoodien,
10:43 où diverses idéologies et divers discours cohabitent bien souvent
10:48 afin de plaire à un maximum de public.
10:51 La disruption de ces succès vient de leur sujet principal,
10:54 à savoir qu'ils traitent pour la plupart de vrais problèmes de société,
10:57 loin de la destinée des sorciers d'Harry Potter ou du triangle amoureux classique de Twilight.
11:02 Dans Hunger Games, on est face à Panem,
11:04 une société divisée en 12 classes selon le niveau de richesse
11:07 où chaque année, des enfants de chaque division sont amenés à se battre jusqu'à la mort dans une arène.
11:11 Dans Divergente, la société est cette fois divisée en 5 factions selon leurs caractéristiques psychologiques,
11:17 avec les audacieux, les érudits, les sincères, les fraternels et les altruistes,
11:20 et dont les divergents font figure d'exception et sont discriminés pour cela.
11:24 Dans le Labyrinthe, c'est un groupe de jeunes garçons qui se trouvent piégés,
11:28 encerclés par un labyrinthe dangereux créé par une entreprise tentant de faire des expériences scientifiques pour sauver l'humanité.
11:33 Un des premiers thèmes qui expliquent aussi le succès de ces sagas et qui traversent ces œuvres est alors la critique du conformisme.
11:39 La cible adolescente et des jeunes adultes subit une pression importante sur l'auto-définition de soi.
11:46 Entre 13 et 25 ans, c'est le moment où on commence à vraiment se définir l'identité et surtout l'image que l'on renvoie aux autres.
11:54 Évidemment, ça ne se cantonne pas à cet âge-là, mais c'est une problématique majeure à cette période de la vie qui est une période de grande transformation.
12:01 Lawrence Steinberg explique bien que les jeunes passent par des étapes de développement où ils vont chercher leur identité et en essayer parfois plusieurs.
12:09 C'est souvent dans cette période que vous allez vous rendre compte que oui, le fait de passer vos samedis soirs à travailler sur des vidéos YouTube, ça fait de vous un geek.
12:16 Enfin, c'est juste un exemple comme ça.
12:18 En gros, notre corps, tout comme notre environnement social, va nous imposer des injonctions à l'auto-définition.
12:24 Choisir qui on est, qui on va devenir.
12:26 Et bien souvent, l'adolescent ressent ces injonctions comme une réduction de son libre-arbitre avec cette impression d'être mis dans une case.
12:33 L'exemple le plus flagrant, et aussi sûrement le moins subtil, est celui de Divergente,
12:37 où chaque jeune doit passer un test qui va définir son groupe et sa personnalité jusqu'à la fin de sa vie.
12:42 Bon, je crois qu'il est inutile de pousser l'analyse plus loin tellement la métaphore ne pourrait pas être plus littérale,
12:47 avec bien sûr un rejet de cette classification par le personnage principal.
12:51 *Musique épique*
12:59 Ce qui est intéressant en revanche, c'est qu'une fois cette personnalité désignée, elle va être mise à l'épreuve par les pairs.
13:04 Dans Divergente, Triss, l'héroïne de la saga, doit passer toute forme de test pour prouver son aptitude à se définir comme audacieuse.
13:11 Et c'est ce qui se passe dans la vraie vie, avec des rites de passage qui vont parfois prendre la forme de validation des pairs.
13:17 La construction de soi est représentée comme un combat, et le public adolescent va complètement se reconnaître dans celui-ci.
13:23 C'est aussi le cas dans Hunger Games, de manière un peu plus fine.
13:26 Durant l'ensemble de la saga, Katniss va se questionner sur l'image qu'elle renvoie aux autres,
13:30 et qui elle est, prise entre deux camps qui vont tenter d'en faire un symbole.
13:33 Face à ces pressions, les héros de ces histoires privilégient la rébellion.
13:37 Et c'est cette rébellion cathartique contre le conformisme qui plaît évidemment aux jeunes.
13:41 L'ordre, quel qu'il soit, se retrouve bousculé, remis en cause.
13:44 Cet ordre peut être de différentes natures. Il peut s'agir naturellement du système politique,
13:49 comme dans Hunger Games et Divergente, de la famille, avec Triss qui refuse de rejoindre ses parents dans leur faction,
13:54 ou même le groupe de pères, donc les amis et l'environnement social dans le labyrinthe,
13:59 quand Thomas décide de faire fi des règles et pressions de ses congénères.
14:02 Ce refus du conformisme va parfois plus loin, avec la symbolique de l'élu.
14:06 Un personnage qui va réussir à sortir, s'émanciper de la masse, ne parvenant pas à rentrer dans le moule.
14:12 Après, bien sûr, il serait complètement incohérent de ne pas aborder la spécificité de ces œuvres,
14:18 en tout cas de manière plus approfondie, la dystopie.
14:21 Alors, accrochez-vous un peu, on va vraiment rentrer dans de l'analyse quasiment philosophique d'œuvres.
14:26 J'espère que vous avez votre petit cahier de philo de terminal juste à côté de vous.
14:30 Et asseyez-vous, ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer.
14:32 Pour rappel, une dystopie est une fiction qui se passe dans une société imaginaire sombre,
14:37 et le plus souvent contrôlée par un pouvoir totalitaire.
14:39 Comme pour tout, il n'y a pas de naissance de la dystopie à proprement parler.
14:43 Déjà dans son ouvrage Utopie, sorti en 1516, l'auteur Thomas More décrivait certes une île à l'apparence parfaite,
14:49 qui est ensuite devenue un mot dans le langage courant,
14:51 mais on pouvait y apercevoir les prémices des dérives totalitaires qui s'y cacheraient.
14:55 Pour le chercheur Laurent Bazin, la dystopie est donc surtout une anti-utopie,
14:59 et parfois même une utopie qui a mal tourné, comme c'est le cas dans Divergente par exemple,
15:03 qui met en scène une société parfaite, mais qui aurait été pervertie par des hommes et des femmes à vide de pouvoir.
15:08 Le genre va alors connaître un premier essor durant la moitié du XXe siècle,
15:12 que ce soit avec Le Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley,
15:14 Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, ou même 1984 de George Orwell.
15:19 Ces dystopies sont alors complètement le fruit de leur époque, et reflètent les angoisses de ces contemporains.
15:23 Les préoccupations politiques, avec le totalitarisme, le risque nucléaire,
15:27 ou même plus globalement les conflits militaires qui viennent de secouer l'Occident.
15:30 Or, aujourd'hui, ce sont des nouvelles peurs collectives qui ont pris leur place.
15:34 Les menaces technologiques, environnementales, voire même bactériologiques liées à la globalisation.
15:39 Et aujourd'hui, on vit dans une société qui est saturée par le risque,
15:43 à tel point que depuis les années 80, le sociologue allemand Ulrich Beck parle de société du risque,
15:51 en ce que les individus comprennent leur responsabilité dans la production du risque,
15:57 par exemple du risque environnemental, ce qui n'était pas le cas dans les modèles sociétaux précédents,
16:03 où on attribuait les catastrophes, ou par exemple les incendies, à des punitions divines.
16:09 Les dystopies sont arrivées à point nommé pour retranscrire cette espèce de prise de conscience.
16:15 Toujours selon Laurent Bazin, la dystopie s'articule en grande majorité autour de trois axes de réflexion.
16:20 La démocratie, la maîtrise des sciences et des techniques, et le libre arbitre.
16:25 Et encore une fois, nos trois films répondent chacun à un de ces axes.
16:29 Hunger Games traite pleinement de la question démocratique,
16:31 en questionnant le partage des richesses, l'organisation de la vie politique,
16:34 mais aussi la difficulté pour une révolte de mettre en place une démocratie saine une fois la tyrannie renversée.
16:39 Le pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple devient dès le deuxième opus l'enjeu central de la saga,
16:44 et de l'univers dans lequel elle évolue.
16:46 Les gens de Paname, nous nous battons !
16:48 Nous nous luttons pour terminer ce hongre pour la justice !
16:53 Et c'est ainsi, mes amis, que se termine notre révolution.
16:59 Pour ce qui est de la maîtrise des sciences et des techniques, c'est un thème que l'on retrouve dans la trilogie du labyrinthe.
17:04 La question n'est pas immédiatement abordée dans le premier film,
17:06 mais petit à petit on comprend qu'au-delà du simple labyrinthe,
17:09 la société a été détruite par un virus mortel qu'il convient de guérir.
17:13 Les volets suivants se penchent alors plus en détail sur cette question,
17:16 qui a pris une place de plus en plus importante à notre époque,
17:18 encore plus après la pandémie subie il y a trois ans.
17:20 Le dernier axe de réflexion, le libre arbitre, est au cœur du récit de Divergente comme je l'ai expliqué plus tôt.
17:25 La question du choix de sa destinée, voire même de sa personnalité, traverse les films de la saga.
17:29 Il faut ajouter qu'encore une fois, ces trois thèmes touchent particulièrement la cible aux jeunes adultes.
17:33 Le libre arbitre aborde les questions de conformisme déjà abordées que rencontrent les plus jeunes générations,
17:38 la démocratie, car la fin de l'adolescence correspond le plus souvent à la naissance d'une conscience politique,
17:42 et surtout à un devoir civique et démocratique par l'obtention du droit de vote à 18 ans,
17:47 la maîtrise des sciences et des techniques, car il s'agit d'une thématique en lien très fort avec l'avenir,
17:51 voire même l'écologie, et qui concerne alors, encore une fois, particulièrement la jeunesse.
17:56 Les univers utopiques et dystopiques servent avant tout de fenêtre sur un monde possible et de critique du présent.
18:02 La dystopie se veut et se doit d'être un miroir préventif sur les dérives de notre monde.
18:08 Et les films le font plutôt bien, et en particulier, le meilleur exemple d'entre tous, Hunger Games.
18:13 Cela se vérifie alors avec plusieurs niveaux de lecture, plus ou moins cachés.
18:17 Tout d'abord, au-delà de la problématique de la démocratie, la saga traite du totalitarisme et même de la tyrannie.
18:22 A ce titre, je trouve que le travail d'Anna Arendt, philosophe qui a beaucoup travaillé sur le sujet, est tout à fait éclairant.
18:28 Selon elle, le totalitarisme est un type de régime politique qui vise avant tout à organiser la vie des masses.
18:33 Ainsi, dans Hunger Games, chaque décision prise par le capital, chaque discours de Snow,
18:38 va se faire dans l'objectif de contrôler ces fameuses masses qui peuvent être si dangereuses pour la stabilité du pays.
18:44 Et ces régimes totalitaires se maintiendraient au pouvoir grâce à la force et surtout en profitant de la puissance de la terreur.
18:50 Et attention, quand on parle de terreur, il ne faut pas confondre ça avec la peur.
18:53 La peur correspond à une émotion individuelle ressentie en présence ou face à une menace ou un danger immédiat.
18:59 C'est par exemple l'arrivée des pacificateurs armés dans les districts pour faire régner l'ordre.
19:04 Cependant, cette peur peut être surmontée. Elle ne parvient donc pas à maintenir un régime en place.
19:08 Au contraire, elle peut servir de force ou de point d'appui pour une rébellion ou une révolte.
19:13 Dans la conception du totalitarisme d'Anna Arendt, la terreur correspond à une menace constante de persécution,
19:18 de torture ou de mort qui vise à détruire la confiance dans les relations sociales
19:23 et la capacité des individus à s'organiser ou résister.
19:26 Les Hunger Games ne sont pas un outil de peur, car hormis lors de l'expiation ou si vous êtes de la famille d'un tribut,
19:32 il n'y a pas de menace réelle et tangible.
19:34 Ils sont cependant un outil pour imposer la terreur, montrant l'intransigeance de l'État,
19:39 y compris au moment de sacrifier les êtres les plus fragiles.
19:42 Comme l'explique Snow, il ne s'agit pas seulement d'exécuter 23 jeunes innocents pour effrayer la population,
19:47 les jeux vont plutôt envoyer un message à tous les habitants par cet outil de contrôle brutel
19:51 qui va créer une forme d'habitude à la violence et une peur constante qu'il est alors impossible de surmonter,
19:57 qui va tétaniser le peuple.
19:59 L'analyse d'Anna Arendt rejoint donc l'idée de Montesquieu,
20:02 selon laquelle chaque régime politique trouve son fondement dans un principe d'action différent.
20:06 L'honneur dans une monarchie, la vertu dans une république, la crainte dans une tyrannie.
20:11 Les Hunger Games, en plus d'être un outil de la tyrannie totalitaire,
20:14 vont alors servir de critique du divertissement et en particulier de la télé-réalité qui,
20:19 en 2008 au moment de la sortie du livre,
20:20 venait de faire son entrée fracassante dans le quotidien médiatique des occidentaux.
20:24 Le Capital est montré comme en capacité de maintenir l'opposition des districts subalternes
20:28 grâce au spectacle et à la mise en scène d'un divertissement aliénant.
20:32 On serait tenté de faire le lien avec la Société du spectacle de Guy Debord,
20:36 souvent mobilisé à ce sujet et dans lequel l'auteur postule
20:39 que le capitalisme a produit une société où le spectateur devient consommateur
20:43 d'une manifestation de l'illusion déshumanisée et aliénée par le spectacle.
20:47 Mais son analyse est en réalité loin de se limiter au monde médiatique,
20:51 là où Hunger Games est avant tout une critique du divertissement télévisuel.
20:56 On rejoint alors plutôt la vision de Blaise Pascal,
20:58 pour qui le divertissement est l'illusion consentie dans laquelle l'existence s'égare,
21:02 au point de perdre le sens de ce qui importe le plus pour elle,
21:05 la confrontation avec la condition faible et mortelle.
21:08 Le divertissement sert à faire oublier leur mortalité
21:11 et l'expression de leur misère aux humains.
21:13 Le nom du pays dans le film, Panem,
21:15 directement lié à l'expression romaine bien connue Panem et Circonsensus,
21:19 signifiant du pain et des jeux, prend alors tout son sens.
21:22 Le totalitarisme du capital reste en place grâce à la terreur,
21:25 mais aussi grâce à sa capacité à produire assez de nourriture pour ne pas affamer sa population
21:29 et une diversion médiatique distrayante.
21:32 Mais quand le pain manque et que le divertissement est mis à nu,
21:36 l'emprise se délite et le peuple se soulève.
21:39 Bon, et j'aurais pu continuer comme ça pendant très longtemps,
21:41 en analysant par exemple la critique qui est faite de la place de la surveillante dans la société,
21:46 ou plein d'autres aspects qu'on retrouve dans les sagas.
21:48 La multiplicité de ces références vont alors permettre à chacun
21:52 de projeter ses propres peurs et ses propres angoisses dans l'œuvre.
21:56 Les dystopies vont venir répondre à une anxiété sociale profonde
21:59 en l'exacerbant comme une forme de catharsis.
22:01 On se demande souvent comment serait le monde si la société venait à mal tourner.
22:05 Encore plus à notre époque, où les 30 glorieuses paraissent bien loin
22:09 et où les catastrophes climatiques, sociales ou économiques
22:11 mettent dos au mur de plus en plus d'entre nous.
22:13 Encore une fois, on comprend alors l'attrait des jeunes pour le genre.
22:16 Une étude de l'Institut de la Santé américain dévoilait que près d'un adolescent sur trois,
22:21 entre 13 et 18 ans, souffrait de troubles de l'anxiété.
22:24 Un chiffre qui avait grimpé de 20% entre 2007 et 2012.
22:28 Les jeunes vont alors être particulièrement sensibles à ces films de quasi divertissement politique.
22:34 Le sens d'un film, qu'il soit politique ou non,
22:37 n'existe justement que dans sa rencontre avec un ou plusieurs publics et avec un contexte.
22:44 En ce qui concerne les trois films que j'ai analysés dans le cadre de mes recherches,
22:50 j'ai réalisé une enquête de leur réception.
22:52 Auprès de 24 adolescents et jeunes adultes,
22:55 et plus de la moitié d'entre eux, donc la majorité, y perçoivent un message politique.
23:02 Les jeunes adultes, à partir de 18 ans,
23:04 tendent à se focaliser sur les inégalités socio-économiques,
23:08 notamment dans Hunger Games et Divergente.
23:11 Les adolescents, quant à eux, tendent à se référer à l'histoire,
23:15 pour évoquer le message politique de ces films.
23:17 Ils ont tendance notamment à parler des totalitarismes, de la Seconde Guerre mondiale.
23:22 Mais ce que j'ai trouvé particulièrement intéressant,
23:24 ce sont les enquêtés qui ont justement remis en question cette traditionnelle opposition
23:29 qu'on a tendance à établir entre politique et divertissement.
23:33 De nombreux jeunes ont expliqué ne pas considérer ces deux termes comme étant contradictoires.
23:39 Donc on peut aussi peut-être repérer un tournant dans les pratiques politiques des jeunes aujourd'hui.
23:45 C'est la nature humaine de garder des secrets, de mentir, de voler.
23:49 Et je veux éradiquer ça.
23:51 C'est la façon de maintenir une société stable et paixfuelle.
23:55 Le tournant du XXIe siècle est frappé d'un pessimisme latent
23:58 qui touche les jeunes générations à qui on promet un avenir apocalyptique.
24:03 La dystopie va répondre à ce sentiment, mais également lui offrir une porte de sortie.
24:07 Dans The Persistence of Hope in Dystopian Science Fiction,
24:11 Raffaella Baccolini souligne bien l'importance de l'espoir dans ces histoires.
24:16 Un espoir qui va maintenir son audience dans l'idée d'une perspective d'un jour meilleur,
24:20 que tout est réversible, comme c'est le cas à la fin du labyrinthe où le remède est finalement trouvé.
24:24 Toutes les conditions semblent donc réunies pour parler directement à cette audience,
24:28 qui en demande toujours plus.
24:29 D'ailleurs, dites-moi, vous, quel est votre rapport à ces sagas pour ados ?
24:33 Je sais que moi, à part Hunger Games, j'avoue que j'étais passé un peu à côté,
24:36 pourtant j'étais en plein dans la cible.
24:38 Et en fait, dès que j'ai commencé à suivre les Hunger Games,
24:40 les sagas et le genre étaient déjà un peu morts.
24:43 Surtout que je trouve qu'un des problèmes principaux de ce genre,
24:46 c'est qu'à part Hunger Games qui surnage largement au-dessus des autres,
24:50 pour les avoir revus, le reste c'est pas incroyable.
24:53 Mais bon, dites-moi vous ce que vous en pensez.
24:55 Mais alors que le genre atteint son firmament,
24:58 s'approchant du soleil, une odeur de brûlée va venir de ses ailes,
25:01 entraînant par la suite une chute aussi rapide que violente
25:05 quasiment jamais vue dans l'histoire de la pop culture.
25:07 C'est simple, depuis 5 ans, le genre a tout simplement disparu des salles.
25:16 Il suffit pour cela de regarder les courbes d'évolution d'intérêt sur Google Trends,
25:19 des principales sagas, pour se rendre compte de cette chute impressionnante.
25:22 Et dès 2013, alors que le genre était en pleine croissance,
25:26 les échecs successifs des films Sublime Créature,
25:29 Les âmes vagabondes ou The Mortal Instruments
25:31 montraient des premiers signes inquiétants.
25:33 Pas forcément dystopiques, mais tous adaptés de romans pour adolescents,
25:36 comme The Giver sorti l'année suivante,
25:39 qui lui non plus n'avait pas rencontré le succès escompté.
25:42 Le genre ne parvient pas à lancer de nouvelles licences,
25:45 et la plupart des nouvelles sagas n'arrivent même pas à produire un second volet.
25:49 Pire, même les licences déjà en place vont s'effondrer.
25:53 Et cela, en partie à cause d'Harry Potter et Twilight.
25:56 Dans un souci de fidélité à l'œuvre et d'offrir le meilleur spectacle possible,
26:01 mais surtout d'optimiser un maximum les bénéfices,
26:03 le dernier volet de ces sagas est découpé en deux parties.
26:06 Et c'est une immense réussite,
26:07 avec plus d'un milliard de dollars récoltés au box-office pour Harry Potter
26:11 et 800 millions pour Twilight, comme dit plus tôt.
26:13 Les producteurs d'Hunger Games vont vouloir reproduire le même schéma avec Mockingjay,
26:18 le troisième opus qui marque la fin de la saga.
26:20 Mais le livre ne s'y prête pas spécialement,
26:22 et les retours mitigés de la première partie vont faire chuter l'intérêt pour la suivante,
26:26 au point que le dernier film est celui qui réalise le moins bon score de toute la saga.
26:31 Ce qui est normalement l'inverse, les sagas sont construites sur des dynamiques ascendantes,
26:35 ce qui explique bien d'ailleurs l'appétit des studios pour celles-ci,
26:38 car elles permettent une meilleure rentabilité sur le moyen long terme.
26:41 Pour Divergente, le problème est le même, mais pire.
26:44 Le troisième et dernier volet est aussi découpé en deux,
26:47 mais les résultats des deux premiers films étaient loin de ceux d'Hunger Games.
26:51 Mais en plus, une partie du public, en particulier les fans de la première heure,
26:56 vont boycotter la fin de ce qui était à l'origine une trilogie.
26:59 En effet, spoiler alert, Triss meurt avant la conclusion dans les livres,
27:04 un événement que les lecteurs ont rejeté en bloc,
27:06 au point de pourrir l'ouvrage sur Amazon et d'appeler au boycott des films.
27:10 Cet environnement défavorable a conduit à un score extrêmement décevant pour High Legends,
27:15 de seulement 180 millions de dollars au box-office,
27:19 ne permettant même pas aux films de rentrer dans ses frais.
27:21 Pour éviter de provoquer une colère encore plus forte en annulant la saga avant la fin,
27:25 Lionsgate prévoit dans un premier temps de réduire drastiquement le budget du quatrième film,
27:30 jusqu'à même le transformer en téléfilm.
27:32 Sauf que Shailene Woodley, ou même Miles Taylor,
27:35 qui avouait avoir détesté tourner dans ses films,
27:37 refuse catégoriquement de se voir reléguée au rang d'acteur du film télé.
27:41 Toujours prévu dans un premier temps, puis en forme de reboot en série,
27:44 le projet est finalement annulé et la fin ne verra jamais le jour.
27:48 Pour Sandra Amish, cette disparition du genre est finalement assez naturelle.
27:52 Il faut savoir que l'un des critères de définition d'un genre cinématographique,
27:57 c'est sa cyclicité.
27:59 Donc un genre apparaît lorsque les conditions sociales, politiques, économiques lui sont favorables,
28:05 parce qu'il est en phase, en quelque sorte, avec l'esprit du temps,
28:08 puis il disparaît, mais il est susceptible de réapparaître par la suite.
28:12 Bien entendu, il reste encore quelques dystopies qui perdurent,
28:17 notamment dans le domaine des séries télévisées.
28:20 Donc je pense à certaines séries qui continuent,
28:23 comme The Handmaid's Tale ou Black Mirror.
28:26 Mais cette chute met aussi en lumière plusieurs problèmes déjà inhérents à la dystopie,
28:32 notamment son budget.
28:33 En raison de leurs univers post-apocalyptiques futuristes,
28:36 ces films requièrent un budget effet spéciaux plus élevé que la moyenne,
28:40 ou des décors réels qui entraînent également des frais très importants.
28:43 Le seuil de rentabilité devient mécaniquement lui aussi plus haut,
28:46 et donc par conséquent plus difficile à atteindre.
28:48 Les dystopies pour ados amorcent donc un déclin impressionnant.
28:51 En l'espace de 3 ans, le phénomène va s'éteindre et disparaître aussi vite qu'il est arrivé.
28:57 Et si, sur le moment, encore une fois, personne ne l'avait vu venir,
29:00 avec le recul, les signes étaient quand même assez clairs.
29:03 D'abord, la raison principale et la plus simple l'expliquant, les mauvais retours critiques.
29:08 Hormis Hunger Games, encore que les deux derniers ont reçu un accueil bien moins favorable,
29:12 la majorité de ces films peinent à obtenir la moyenne sur la plupart des agrégateurs de notes.
29:17 Les retours de la presse spécialisée sont particulièrement acerbes,
29:20 mais même le public n'est que rarement convaincu par les propositions.
29:23 Dès leur début, ces films ont reçu de nombreuses critiques,
29:25 mettant en exergue leur violence, leur manque d'ambition cinématographique, ou même leur message.
29:29 Dans un article du Guardian, Evan Morrison affirmait que Divergent Hunger Games, ou Le Labyrinthe,
29:34 découlait d'un agenda politique de droite, stigmatisant les gouvernements
29:38 au profit d'une glorification d'une abroche libertarienne de la société.
29:42 Il dénonce la place centrale offerte à l'individu face à des états qui seraient forcément destructeurs et totalitaires.
29:47 D'autant que ces dystopies, qui intègrent en elles-mêmes une critique du divertissement et du spectacle,
29:52 rentrent également dans ce processus.
29:54 Elles sont toutes des produits d'une industrie qui transforme les films en marchandises
29:57 pour les distribuer à une plus large audience.
30:00 En effet, ces films, comme je l'ai dit plus tôt, sur le divertissement politique,
30:03 se doivent constamment de maintenir une forme de discours sur deux niveaux.
30:08 Dans certains cas, le teen movie, ou le film jeunesse, peut se mettre au service de la dystopie,
30:14 voire renforcer son message politique.
30:17 Si on reprend l'exemple d'Hunger Games, la convention générique de la romance y est parodiée,
30:24 et elle va servir une critique des médias de masse.
30:26 Donc la romance entre l'héroïne Katniss et le personnage de Pita,
30:32 elle est factice, tout du moins au départ,
30:34 et cette romance va être prétexte à un certain nombre de scènes
30:38 permettant de pointer l'artificialité des médias dans une forme de mise en abyme.
30:43 Donc c'est en donnant à voir aux spectateurs les rouages des médias,
30:48 leurs poulisses, dans une forme de déconstruction,
30:52 que la critique politique va opérer.
30:54 Mais cette critique permet également de répondre aux attentes d'un public jeune,
30:59 en reprenant cette convention générique de la romance,
31:03 et plus précisément du triangle amoureux,
31:06 parce qu'on va aussi avoir le personnage de Gail.
31:09 Ces sagas répondent à des logiques de culture de masse qu'elles dénoncent pourtant.
31:12 A ce titre, la critique du conformisme paraît même un brin ironique
31:16 quand on voit la similarité de toutes ces œuvres.
31:18 Il suffit de résumer le scénario d'un de ces films
31:21 pour qu'il colle à celui des autres sagas,
31:23 comme le montre très bien la journaliste Rini Gremo.
31:25 Le héros évolue dans une société du futur,
31:28 très dormée, hiérarchisée, ultra codifiée et parfois amnésique.
31:31 Arrivé à l'adolescence, un rite de passage collectif l'amène à se découvrir différent,
31:35 à se poser des questions, à se sentir inadapté,
31:37 ce qui le plonge dans beaucoup d'angoisse.
31:39 Puis, il est confronté à une série d'épreuves organisées par la société elle-même,
31:43 qui s'enchaînent comme dans un jeu vidéo,
31:44 et au cours desquelles il est mis en concurrence mortelle avec d'autres jeunes de son âge,
31:48 parfois il s'entretue.
31:50 A l'issue de ses péribéties et fort d'une nouvelle maîtrise de son esprit et de son corps,
31:53 il découvre que le monde est en danger.
31:55 Il mène alors un combat contre le système,
31:57 dont il sortira vainqueur ou sacrifié.
31:59 Les schémas narratifs se répètent en boucle,
32:01 tout comme les triangles amoureux qui finissent par perdre en efficacité.
32:05 C'est d'autant plus vrai que le marché a rapidement été saturé par les films du genre.
32:09 Cette impression de voir toujours le même film et le reproche qui leur était fait
32:12 a été exacerbée par la dimension politique de ces derniers.
32:14 Le public est bien plus indulgent,
32:16 avec un Avengers qui ne revendique aucun message politique ou intellectuel,
32:20 qu'un Hunger Games ou The Giver,
32:22 qui se donne comme ambition d'avoir ce regard sur la société et un avis quasiment destructif.
32:27 Cette position intermédiaire entre divertissement et quasi-film d'auteur dans la démarche
32:31 lui permettait de bénéficier d'une bonne image auprès des jeunes,
32:34 mais rendait le moindre faux pas difficile à justifier.
32:36 L'autre problème de ces films, c'est qu'ils ont essayé de perpétuer
32:39 un format de saga linéaire construite autour d'un seul récit
32:42 en pleine émergence du phénomène des univers étendus et partagés.
32:46 Si Harry Potter, Twilight, Narnia et les premiers Star Wars
32:49 se concentraient sur un arc narratif principal,
32:51 dès le succès d'Avengers en 2012,
32:54 la mode était désormais au crossover et autres spin-off.
32:56 Harry Potter s'y est mis avec les animaux fantastiques,
32:59 Star Wars avec Solo et Rogue One,
33:00 même Rocky avec Creed ou Mwammoche Méchant avec les Mignons.
33:03 L'objectif était alors de construire un univers se déroulant sur différentes timelines,
33:07 avec des personnages différents,
33:09 permettant d'explorer d'autres points de vue,
33:11 ou le passé voire le futur de la saga principale.
33:14 C'est ce qu'a fait Hunger Games avec la balade de l'oiseau, chanteur et du serpent,
33:18 offrant un background au personnage mystérieux de Snow,
33:21 qui est sorti seulement en 2020.
33:23 En restant dépendante du modèle du héros qui sauve l'humanité,
33:25 les sagas pour ados, en plus de tout se ressembler, n'étaient plus à la page.
33:29 Désormais, il en fallait plus pour maintenir le public captif.
33:33 Un public de jeunes adultes qui s'est alors retranché,
33:35 non pas dans les salles obscures,
33:36 mais sur Netflix et les autres plateformes de streaming.
33:39 Les séries offrant la régularité requise,
33:41 ainsi que l'exploration et l'approfondissement nécessaires pour ce genre d'univers.
33:45 Enfin, le principal défaut de ces films,
33:47 ce qui a entraîné leur chute, se trouve au cœur même de leur structure.
33:50 En effet, les personnages principaux, en particulier le protagoniste,
33:53 se bat le plus souvent contre la mécanique même de la saga.
33:56 Dans Hunger Games, Katniss se bat contre les jeux,
33:58 qui faisaient l'attrait des premiers opus.
34:00 Dans Divergente, Triss combat également la société de factions,
34:03 qui fait la spécificité de l'univers de Chicago.
34:05 Et le labyrinthe reste probablement le meilleur exemple,
34:08 puisque les personnages sortent du labyrinthe à la fin du premier film,
34:11 rendant le nom des suivants un peu incohérent.
34:13 C'est comme si, dès le deuxième Harry Potter,
34:15 le trio principal quitte Époudelard et décidait de mettre fin au monde des sorciers
34:18 pour l'unifier avec celui des humains.
34:20 Les explications de la chute brutale des dystopies pour ados sont donc nombreuses,
34:28 et paraissent difficiles à inverser.
34:30 Alors, quel avenir pour le genre ?
34:32 Dans un premier temps, il convient de surveiller de près
34:35 le résultat du nouvel opus d'Hunger Games.
34:37 Plus de 5 ans après la fin de la saga principale,
34:39 le film sera-t-il capable de faire se déplacer en salle le public
34:43 pour un long métrage de plus de 2h30 sans tête d'affiche ?
34:45 Une semaine après The Marvels, et dans une période de novembre souvent creuse,
34:49 difficile de prédire un énorme succès.
34:51 Personnellement, il me paraît impossible que l'on revoie un jour
34:54 un tel engouement autour de plusieurs sagas.
34:56 Le seul avenir à moyen terme pour les adaptations de romans pour ados,
34:59 et en particulier les dystopies, est sur les plateformes de streaming.
35:02 Le succès de Squid Game, The Handmaid's Tales ou même The Hand Dread
35:06 devrait laisser entrevoir que ce genre n'est pas complètement mort,
35:09 et qu'avec des moyens limités, il peut trouver son audience.
35:12 Cette disparition est sûrement le meilleur exemple
35:15 du fonctionnement de l'industrie hollywoodienne,
35:17 et même de l'industrie du divertissement au sens large.
35:20 Dès que quelque chose fonctionne,
35:22 tous les acteurs vont s'empresser de vouloir reproduire l'exploit,
35:26 quitte à essorer en rendant totalement indigeste la recette
35:30 pour un public qui va finalement se lasser assez rapidement.
35:33 Une leçon que personne ne semble avoir retenue
35:36 au vu du nombre de remakes, reboots,
35:38 legacy, quels, préquels qui sont annoncés chaque année.
35:41 Mais le popcorn se vend, et le public continue d'être captif.
35:46 Du pain et des jeux, disait-il.
35:48 Merci énormément d'avoir regardé cette vidéo jusqu'au bout,
35:50 ça me fait extrêmement plaisir.
35:52 N'hésitez pas à vous abonner, à mettre un pouce bleu et à partager,
35:55 c'est la seule manière de soutenir mon travail,
35:57 et ça m'aide énormément à continuer à faire de manière indépendante,
36:00 sans placement de produit, tout seul mes vidéos.
36:02 Merci à Sandra Ramich d'avoir accepté de répondre à mes questions
36:06 et de partager une partie de son travail.
36:08 On se retrouve dimanche prochain à 15h pour la prochaine vidéo du Nouvembrosse.
36:12 A très vite, ciao !