Chaque lundi dans la matinale de Dimitri Pavlenko, Philippe Val livre son regard sur l'actualité.
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00:00 - Comme tous les lundis sur Europe 1, Philippe Valle est avec nous. Bonjour Philippe. - Bonjour Dimitri, bonjour à tous.
00:04 - Philippe, l'édoyé ce matin pour Sylvain Tesson.
00:07 - Il y a quelques années, j'ai fait de nombreux débats télévisés avec Philippe Tesson, le père de Sylvain.
00:15 Il représentait le camp conservateur et moi le camp progressiste.
00:19 L'avouerais-je ? J'ai eu beaucoup de plaisir à nos controverses.
00:24 Nous partageons l'amour du théâtre, qu'il connaissait infiniment mieux que moi,
00:28 et la passion de la littérature. Il était drôle, vif, et il avait la décence de paraître heureux.
00:33 Son conservatisme était une forme élégante du scepticisme.
00:38 - Est-ce cela qui vaut, Philippe, à Sylvain Tesson, le fils donc de se faire traiter aujourd'hui d'icône réactionnaire ?
00:44 - Pour le peu que je connais Sylvain Tesson, il me semble que son père lui a légué quelque chose de ce conservatisme
00:51 qui met à l'abri des tempêtes idéologiques.
00:53 La pétition signée par des centaines de personnalités pour l'empêcher d'être le parrain du printemps des poètes,
00:59 au prétexte qu'il serait, je cite, "la figure de proue de l'extrême droite littéraire", est stupéfiante.
01:05 Je ne connais pas bien Sylvain Tesson, mais je l'ai lu, et notamment le Rimbaud qu'il a publié dans la série que j'ai créée sur France Inter, "Un été avec".
01:14 J'ai également lu son "Été avec Homer", deux livres remarquables qui témoignent de la profonde intimité
01:21 que Sylvain Tesson entretient avec Rimbaud, le poète-marcheur obsessionnel de la saison "En enfer",
01:25 et avec Homer, le mystérieux génie grec qui a décrypté l'essentiel de notre humanité, huit siècles avant Jésus-Christ.
01:32 - Sylvain Tesson ne peut pas parrainer le printemps des poètes parce qu'il n'est pas de gauche, Philippe ?
01:37 - C'est très curieux. C'est vraiment curieux parce qu'il faut-il rappeler que Baudelaire n'était pas de gauche du tout, du tout, du tout, loin, sans faux.
01:44 L'auteur de "La mort des amants" et de "L'albatros" n'était donc, peut-être, si j'en conclus, pas vraiment un poète.
01:51 Et faut-il attendre les écrits d'après 1848 pour qualifier Victor Hugo de poète ?
01:57 Parce qu'avant, il était franchement conservateur. Verlaine était-il de gauche ou de droite ? Difficile de trancher.
02:03 Par moments, il s'aspergeait d'eau bénite, à d'autres, il bouffait du curé et faisait alternativement l'éloge du puritanisme et de la débauche.
02:11 - Y a-t-il un moment dans l'histoire, Philippe, où c'est l'opinion politique qui détermine si on est poète ou non ?
02:17 - Oui. Après la Première Guerre mondiale, lorsque de nombreux intellectuels et artistes adhèrent au parti communiste de Lénine, puis à la dictature stalinienne.
02:25 Guillaume Apollinaire, le plus génial, le plus magique, le plus grand des poètes de son époque et sans doute du XXe siècle,
02:31 a lui aussi fait les frais, après sa mort, de l'idéologisation de la poésie.
02:37 À cause notamment d'un poème écrit pendant la guerre XIV. L'émigré, qui était Guillaume Apollinaire, s'était engagé pour la France et il fut gravement blessé à la tête.
02:47 Il y a dans Caligrammes ce célèbre poème, "L'adieu du cavalier".
02:51 "Ah Dieu, que la guerre est jolie, avec ses chants, ses longs loisirs, cette bague, je l'ai polie, le vent se met la beau soupir."
02:58 En 1935, quinze ans après la mort d'Apollinaire, qui pourtant avait été son modèle, l'adieu, Aragon, grand poète de gauche qui a fait l'éloge du Goulag et de Staline,
03:09 à cause de l'adieu du cavalier, a dénoncé Apollinaire, je cite, comme "barde de la guerre et précurseur d'une poésie fasciste".
03:17 - Donc finalement, l'histoire se répète aujourd'hui.
03:19 - Le problème, c'est que les causes, bonnes ou mauvaises, transforment la poésie, et l'art en général, en propagande.
03:27 Sylvain Tesson, comme écrivain, ne doit aucun compte, ni à la droite, ni à la gauche.
03:32 Outre le talent littéraire, la seule qualité indispensable pour être un poète ou un intellectuel, c'est la liberté.
03:40 Et il semble évident qu'en l'occurrence, Sylvain soit le digne fils de son père.
03:44 Quant à son talent littéraire, il ne fait guère de toute.
03:47 Mais peut-être Sylvain Tesson a-t-il commis une faute en prenant la défense de l'Arménie,
03:53 qui est un pays chrétien menacé par l'Azerbaïdjan, qui est un pays musulman.
03:57 Et chacun sait que dans notre monde de la culture pétitionnaire, les choses sont bien rangées.
04:04 Les chrétiens sont à droite, les musulmans à gauche, et la bêtise partout.
04:08 - Signature Europe 1, Philippe Vall. Merci beaucoup, Philippe.
04:12 Et puis, vous pouvez lire d'ailleurs, Sylvain Tesson, il était en entretien dans le journal du dimanche, hier.
04:17 La polémique était déjà déclenchée, il a refusé d'en parler, ne souhaitant parler que de poésie.
04:22 - Il a raison.
04:22 - C'est sa manière à lui d'aborder, par le mépris ou par le silence en tout cas, cette polémique dont il est le cœur.
04:30 Merci beaucoup, Philippe Vall. À la semaine prochaine.